La concurrence géopolitique entre les États-Unis et la Chine occupe une place centrale dans les affaires internationales. Les tensions et la rivalité entre les deux pays s’aggravent en Asie du Sud-Est, dans l’Indo-Pacifique, dans le Golfe et en Amérique latine. Le président américain Biden a fait de la lutte contre la Chine l’une des principales priorités stratégiques de sa politique étrangère. Cette rivalité se joue également en Afrique. Les anciens secrétaires d’État américains Mike Pompeo et Hillary Clinton ont souvent mis en garde les dirigeants africains contre les dangers d’un dialogue avec la Russie et la Chine. Les responsables américains dissuadent également les gouvernements africains de s’appuyer sur le leader chinois des télécommunications Huawei pour des raisons de sécurité.
La rivalité entre grandes puissances en Afrique est bien documentée. Mais il y a un autre aspect à prendre en compte : comment les pays africains peuvent-ils utiliser cette rivalité à leur avantage ? J’explore cette question dans un article récent. Je soutiens que les gouvernements africains devraient éviter le jeu à somme nulle, notamment dans le cadre de la rivalité entre les États-Unis et la Chine. Ils devraient adopter des mesures qui opposent stratégiquement leurs rivaux. Ils devraient également mettre en œuvre des stratégies à long terme et des politiques nationales pour traiter avec des partenaires stratégiques comme la Chine.
Éviter le jeu à somme nulle
L’engagement de la Chine en Afrique est souvent présenté comme un spectre par les responsables américains lors de leurs rencontres avec les dirigeants africains. Par le passé, les secrétaires d’État républicains et démocrates ont tous deux mis en garde contre les dangers que représente la Chine. Le récent voyage d’Anthony Blinken, le secrétaire d’État américain, a suggéré un changement de discours. Néanmoins, les critiques indirectes à l’encontre de la Chine étaient toujours présentes.
Certains affirment que les États-Unis tentent de mettre en place un jeu à somme nulle, de perturber la coopération sino-africaine et de promouvoir exclusivement les intérêts américains en Afrique. En réponse, les dirigeants africains ont déclaré qu’ils ne voulaient pas être utilisés comme des pions dans une rivalité par procuration. Leur principale priorité stratégique est la diversification des partenariats.
Cela paraît logique. Les gouvernements africains devraient éviter de limiter leurs stratégies à un jeu à somme nulle mutuellement exclusif. Les économies africaines sont confrontées à une crise provoquée par la pandémie de COVID-19. Elles ont besoin de plusieurs partenariats et devraient exploiter les avantages que présente la rivalité entre grandes puissances. Comme le dit Branko Milanovic, économiste à la City University de New York, ceux qui ont autrefois opposé les États-Unis et l’Union soviétique pendant la guerre froide pourraient faire de même aujourd’hui avec les États-Unis et la Chine.
Jouer un rival contre un autre
Les pays africains devraient chercher à exploiter les rivalités à leur avantage. Voici quelques exemples.
Les entrepreneurs indiens et turcs sont en concurrence avec la Chine pour les contrats en Afrique. En Guinée, la rivalité se joue principalement entre la Chine et la Russie dans le secteur minier. Les négociateurs ont trouvé un bon côté à opposer les deux parties. Les négociateurs chinois se sont montrés plus enclins à réévaluer les clauses de leurs contrats et à se plier aux demandes lorsque le gouvernement guinéen a joué la «carte russe».
La stratégie consistant à jouer un rival contre l’autre s’est également avérée avantageuse pour les négociateurs éthiopiens lors de l’attribution des premières licences de télécommunications en 2021. En exigeant des nouveaux opérateurs qu’ils construisent leurs propres infrastructures ou qu’ils les louent à l’entreprise publique (Ethio Telecom) plutôt qu’à des opérateurs de tours tiers, le gouvernement éthiopien a limité de manière sélective le nombre de concurrents en donnant la priorité à ses intérêts nationaux. Cela lui a permis de contourner les appels d’offres finaux entre le consortium soutenu par MTN/Chine et la société Safaricom-Vodafone soutenue par les États-Unis.
Mettre en œuvre des stratégies à long terme
Les gouvernements africains doivent déterminer comment les offres des partenaires rivaux peuvent s’aligner au mieux sur leurs priorités nationales de développement. Kandeh Yumkellah, économiste du développement sierra-léonais et ancien directeur de l’Organisation des Nations unies pour le développement industriel, l’a exprimé ainsi : « L’Afrique a besoin de tous ses partenaires. Nous devons faire preuve d’intelligence et d’éclectisme, en choisissant ce qui nous convient le mieux en fonction du moment et du contexte ». Pour y parvenir, je soutiens que cinq mesures clés sont nécessaires :
Premièrement, il faut éviter de se laisser tenter par des offres opportunistes à court terme. Les prêts, les subventions et les dons doivent s’inscrire dans les plans nationaux de développement des pays africains. Ils doivent également se traduire par des projets qui auront une incidence directe sur le niveau de vie des populations.
Deuxièmement, les gouvernements africains doivent adopter des politiques plus intégrées et plus globales. Le Sénégal a adopté un plan stratégique qui comprend des priorités sectorielles spécifiques par l’intermédiaire d’une cellule spéciale rattachée à la présidence. Les membres de cette cellule choisissent de manière sélective les partenaires étrangers qui ont le meilleur potentiel pour mettre en œuvre ces priorités. La diversification des partenaires via une approche sélective et stratégique a également permis au Sénégal d’être moins dépendant des anciens partenariats avec la France ou de ses nouveaux partenariats avec la Chine.
Troisièmement, la rivalité géopolitique existe également dans d’autres régions, comme l’Amérique latine et l’Asie du Sud-Est. Apprendre comment certains d’entre eux gèrent ce phénomène pourrait être l’occasion d’améliorer les stratégies des gouvernements africains.
Quatrièmement, une stratégie cohérente nécessite de renforcer la capacité des bureaucraties africaines à traiter avec la Chine, la Russie, la Turquie et l’Inde. Cela passe par la constitution d’un vivier interne d’experts connaissant leurs modes de fonctionnement, leurs cultures et leurs langues. À court terme, les dirigeants africains peuvent compter sur l’expertise d’anciens étudiants africains formés dans les universités de ces pays pour leur apporter leur expertise et leurs compétences linguistiques.
Cinquièmement, les gouvernements africains devraient tirer le meilleur parti des deux mondes en encourageant la coopération trilatérale ou quadrilatérale entre les nouveaux partenaires et les partenaires traditionnels. Les projets d’infrastructures conjoints menés par des entreprises chinoises et françaises en sont un exemple. En comblant les rivalités par diverses formes de collaboration, on mobilise des sources de financement supplémentaires et on évite la duplication des projets. En outre, les gouvernements africains devraient tenir compte de l’avis de leurs propres citoyens sur ce sujet.
Une enquête récente menée par Afrobarometer, l’institution panafricaine de sondages, dans 34 pays a montré que 63% des personnes interrogées considèrent l’influence de la Chine en Afrique comme positive. Ce chiffre est similaire à celui de 60% pour les États-Unis. Cela suggère que la rivalité entre les États-Unis et la Chine ne constitue pas un dilemme pour les citoyens africains ordinaires, mais plutôt une situation gagnant-gagnant. Il appartient aux gouvernements africains d’exploiter les avantages que présentent ces rivalités.
, Chargé de recherche principal, Université d’Oxford.
Cet article est une version modifiée d’un article initialement publié par l’Africa Policy Research Institute.