Histoire de la RDC : Des explorations à l’État Indépendant du Congo

En Europe les obstacles à l’expansion africaine ne résistent pas à la vague nationaliste et impérialiste qui fixe en Afrique les points de friction des puissances européennes, des parties coloniaux se créent, c’est la ruée. Mais cette conquête, et la mise en valeur posent à la fois des problèmes financiers et humains. La découverte de certaines formes de servage et de trafic esclavagiste arabe va permettre à la conférence anti-esclavagiste de Bruxelles (1890) de donner bonne conscience aux coloniaux européens et de prévoir pour Léopold II des salutaires aménagements financiers. Des multiples accords bilatéraux passés entre 1880 et la fin du siècle vont achever de délimiter cette Afrique, non sans que épisode de Fachoda n’ait mis la France et l’Angleterre à deux doigts de la guerre alors que le rallye Tchadien soude les différents parties du domaine colonial français de l’Ouest.

Prélude à Berlin : les débuts du Scramble

Les historiens discutent de la date de départ de la course, du fameux scramble. MM. Robinson et Gallager (1) pensent que l’occupation de l’Égypte a tout déclenché. D’autres situent le début lors de l’opération tunisienne ou lors de l’affrontement Brazza-Stanley au Congo. En fait, il est bien évident qu’il n’ y a pas eu de coup de pistolet de starter donnant le départ de la course, mais une série de frottements de petits conflits locaux. Le problème est aussi économique, et J. Stengers a montré de façon magistrale (2) que l’ « Afrique des années 1880 ou, disons mieux, le marché intérieur de l’Afrique commençait à être livré )à une compétition commerciale qui eût en tout état de cause engendré le scramble.’’.

On peut dire toutefois que Tunisie (1881) et Egypte (1882) ont marqué la phase méditerranéenne cependant que les premières frictions anglo-portugaises et franco-belges donnaient le branle à une excitation nationaliste dont nous avons déjà analysé les motifs. Anglais et Français vont profiter d leur avance, les Portugais vont tenter une action réflexe, cependant que Léopold va déclencher la série d’opérations qui vont conduire à la conférence de Berlin. Il n’est pas facile de présenter un tableau d’ensemble de cette mêlée tant les événements s’entrecroisent et se chevauchent. Il se trouve cependant que durant cette période, un homme d’état mène une action méthodique utilisant ses relations diplomatiques, sa richesse personnelle et l’atout considérable que représente le fait d’être le souverain d’une petite nation. Cet homme, c’est Léopold II, roi des belges.

Avant de s’accrocher au bassin du Congo, Léopold avait envisagé des installations à Bornéo, au Mozambique (1869-1873), au Japon (1873), aux philippines. Les conditions dans lesquelles il va s’installer au Congo constituent un chef-d’oeuvre de stratégie politique et économique on il est utile de retracer le cheminement. D’autant que l’entreprise léopoldienne accélère la poussée française et suscite les réclamations portugaises qui aboutiront finalement chez Bismarck, l’arbitre de l’Europe.

Léopold II, le comité d’Etudes du Haut-Congo et l’Association Internationale du Congo (A.I.C)

Depuis la conférence Géographique de Bruxelles, les visées de Léopold sont déjà, certes confidentiellement, mais clairement exprimées. Dans une lettre au baron Salvyns du 17 novembre 1877 (1) le roi des belges écrits : ‘’ Je ne voudrais m’exposer ni à mécontenter les Anglais ni à laisser échapper une bonne occasion de nous procurer une part dans ce magnifique gâteau Africain. Je pense donc confier d’abord d’abord à Stanley une tâche d’exploration qui n’offense personne, nous donner là-bas des agences et leur état-major dont nous tirerons parti dès qu’on sera habitué en Europe et en Afrique à nos prétentions sur le Congo).

En janvier 1878, alors que Stanford et Greindel, collaborateurs directs de Léopold, vont saluer Stanley à son embarquement à Marseille, est crée un « syndicat pour l’étude du Congo et pour la formation d’un société de chemin de fer en Afrique et d’une société commerciale pour le négoce dans le haut Congo’’. Stanley, qui a reçu à Londres un accueil plutôt froid accepte un contrat dont les termes sonnent étrangement. En effet, Stanley s’engage : ‘’ à servir en Afrique pour un terme de 5 ans en n’importe quel lieu qui pourrait lui être assigné … à ne rien publier et ne donner aucune conférence pendant la durée du contrat sans l’autorisation préalable du roi’’.

Une assemblée générale de l’Association Internationale Africaine (A.I.A) permet au roi de poser les questions économiques. Pour les étudier est décider la création d’un Comité d’études du Haut Congo, au capital de 500 000 francs souscrits en partie par Léopold II, en partie des banques, celles de Léon Lambert, Brugmann, Dellloye et Mathieu. Le président se trouve être le colonel Strauch, secrétaire de l’A.I.A, l’un des plus proches collaborateurs de Léopold. Sous la bannière internationale de l’A.I.A., il ne saurait être question de prise de possession territoriale. Seul Stanley savait mais restait d’une discrétion exemplaire.

Nous abordons ici le premier épisode du Scramble. Léopold a sentit la menace que fait peser Brazza sur ses projets. Le 30 décembre 1879 il écrit à Stanley : ‘’ L’intérêt de l’entreprise exige que vous ne vous attardiez pas dans votre première station. Des concurrents que nous ne pouvons pas mépriser menacent en effet de nous devancer sur le Haut Congo. … M. de Brazza tentera de descendre l’Alima jusqu’à son affluent avec le Congo où il espère arriver avant nous. Nous n’avons pas de temps à perdre. » Il est top tard. Le 3 octobre Brazza plante le drapeau français sur les bords du pool et le 7 novembre a lieu la fameuse entrevue avec Stanley. Stanley, travaillant pour le compte du comité d’Etudes du Haut Congo, déploie le drapeau bleu à étoile d’or de l’A.I.A. Cette confusion lui donne une extrême liberté de manoeuvre et notamment vis-à-vis des canonnières françaises et portugaises croisant à l’embouchure du Congo.

Léopold, qui sent le caractère difficile de sa position juridique constitue l’A.I.C (Association Internationale du Congo), organisme ayant pourvoir de souveraineté, mais cette transformation demeure confidentielle et Stanley continue deux années durant son entreprise au nom d’un Comité officiellement dissous. De 1882 à 1884, cette fois pour le compte de l’A.I.C, c’est a lutte de Stanley pour l’Oubangui, la liaison avec le Capitaine Storms venu de Zanzibar, l’exploration du Kasai. La souvenait sur le pays s’appui sur plus de 400 traités passés avec les chefs congolais. L’ampleur des moyens mis en oeuvre ne laisse aucun doute sur le souci d’implantation politique de Léopold II, mais ce dernier a parfaitement conscience de l’ampleur du jeu diplomatique qu’il va falloir engager. La revendication portugaise à l’embouchure du Congo va lui en fournir le prétexte.

Revendications Portugaises et reconnaissances de la capacité interpelle de l’A.I.C

Nous avons vu dans quelles conditions le Portugal avait revendiqué ses droits historiques sur de vastes zones de l’arrière-pays entre Angola et Mozambique. Allié traditionnel de l’Angleterre, le Portugal obtient du gouvernement de Londres par le traité du 26 février 1884 la reconnaissance de sa souvenait sur les deux rives du Congo et sur le littoral de la cote atlantique entre 5°12’ et 8° de latitude Sud.

Cette reconnaissance entraine une protestation de l’A.I.C et l’envoi sur place d’une commission présidée par le général anglais Goldsmith qui devait reconnaitre le bien fondé des prétentions belges. Un mémoire anonyme d’Emile Banning (A. J. WAUTERS, Le Congo et le Portugal, 1883), combat à l’aide de raisons historiques les arguments tirés du droit international, si bien que le traité anglo-portugais dirigés contre l’A.I.C se retourne finalement à son profit. La France et l’Allemagne en effet refuse de reconnaitre les prétentions portugaises. En même temps, Léopold II essaie de faire reconnaitre le projet d’Etat en promettant la liberté commerciale en ce domaine.

Aussi, les Etats-Unis, également sensibles aux comparaisons libériennes, reconnaissent le 22 avril 1884 le drapeau de l’A.I.C comme de drapeau d’un état souverain et ami. Le même 22 avril, une lettre du Colonnel Strauch à Jules Ferry précise que l’A.I.C. ne céderait à aucune puissance les stations et les territoires qu’elle avait fondés au Congo et dans la vallée du Kouilou Niari. Toutefois, l’A.I.C. donnerait un droit de préférence à la France si par des circonstances imprévues l’associations était amenées à résilier ses possessions. Comme le souligne Bruhat (Léopold II in Les politiques d’expansion impérialiste, p. 87) : « Si Jules Ferry accepte c’est qu’il reconnait de facto sa capacité internationale’’. Ce droit de préférence à la France est un coup de génie car il permet à Léopold II d’exercer un « véritable chantage » au départ sur les grandes puissances rivales. Il sera un atout de poids dans les débats souvent difficiles de la conférence de Berlin.

Le 26 juin 1884, l’Angleterre, isolée dans son amitié lusitanienne, dénonce alors le traité et des négociations sont entamées à Paris entre la France, le Portugal et l’A.I.C représentée par le Colonel Strauch. Cependant, l’Allemagne est entrée dans la Compétition.

Ambitions allemandes et Conférence de Berlin

L’Allemagne et les colonies

L’Allemagne était la principale puissance de l’Europe. On sollicitait l’arbitrage du chancelier de fer à propos de certaines questions africaines. Par ailleurs, de très nombreux commerçants allemands étaient installés sur la cote d’Afrique Occidentale et de nombreux missionnaires allemands évangélisaient des vastes régions d’Afrique. Si la victoire allemande de 1871 avait déjà déclenché un torrent de projets exotiques, c’est le motif commercial qui pousse Bismarck, au mois d’août 1883, à demander aux villes hanséatiques ce qu’elles croyaient souhaitable de faire pour assurer leur commerce sur les cotes d’Afrique.

La réponse de Hambourg demandait l’établissement du préfectoral allemand sur les territoires indépendants fréquentés par les commerçants allemands, l’acquisition de la Baie de Biafra, Le neutralisation de l’embouchure du Congo, et la création des stations navales (J. Darcy, La conquête de l’Afrique , p. 220). Bismarck accepte le plan si bien qu’à la fin de 1883, l’Allemagne est prête à prendre le départ du Scramble. Le 24 avril 1884, date à laquelle Léopold II promet un doit de préférence à la France, il télégraphie à Luderitz et au consul générale allemand au Capqu’ils aient à considérer la cote africaine depuis l’orange jusqu’à l’Angola comme se trouvant sous le protectorat allemand. L’Angleterre n’occupe qu’un point de la cote (Walfish Bay) et quelques iles, mais revendique a sort of general right (une sorte de droit général) sur la cote entière. Londres s’incline pourtant devant ce télégramme et le 24 avril est considéré comme le Geburtstag (jour de naissance) de l’ère coloniale allemande. Elle va alors conquérir des territoires à son tour.

La Conférence de Berlin

Nous avons vu le développement de l’opposions au traité anglo-portugais du 26 février 1884, menée sur les instances du roi des belges par Bismarck si bien que le 26 juin le chef du foreign office déclarait qu’il renonçait à soumettre à la Reine la ratification du traité. L’A.I.A. l’emporte et l’Allemagne se pose en grande puissance africaine montrant que rien ne pouvait être fait en Afrique ni en Europe sans l’accord impérial.

Cette conférence dont le motif premier est le traité anglo-portugais, marque un tournant fondamentale dans l’Histoire de l’Afrique: elle fixe les règles et les conditions de partage qui vont permettre une série d’accords bilatéraux sur les litiges frontaliers franco-allemands notamment, enfin er surtout aboutir à la reconnaissance de l’Etat Indépendant du Congo (E.I.C). Convoquée à l’initiative du Chancelier Bismarck, la conférence rassemble les représentants de 14 nations : Allemagne, Autriche-Hongrie, Belgique, Danemark, Espagne, Etats-Unis, France, Grande-Bretagne, Italie, Suède, Norvège, Pays-Bas, Portugal, Russie et Turquie.

Le programme de la conférence est vaste. Il aborde aussi bien les questions humanitaires (lutte contre la traite des esclaves, amélioration des niveaux de vie) que le problème économique ou le droit international. Le discours d’ouverture du Chancelier Bismarck souligne l’importance de la mission civilisatrice de l’homme Blanc : «en organisant cette conférence, le gouvernement impérial a été guidé par la conviction que tous les gouvernements invités partagent le désir d’astiquer les indigènes d’Afrique à la civilisation en ouvrant l’intérieur de ce continent au commerce, en fournissant à ses habitants les moyens de s’instruite, en encouragent les missions et entreprises de nature à propager les connaissances utiles et en préparant la suppression de l’esclavage, surtout de la traite des noirs».

Sous ce chapeau humanitaire, les intrigues des puissances européennes se développent et particulièrement celles de Léopold II à propos du Congo. Une semaine avant l’ouverture de la Conférence de Berlin, le 8 novembre 1884, le gouvernement allemand auquel Léopold a promis la liberté commerciale au Congo, reconnait la souveraineté internationale de l’A.I.C., comme le font successivement l’Angleterre (14 décembre 1884), l’Italie (19 décembre 1884), l’Autriche-Hongrie (24 décembre 1884) et les Pays-Bas (27 décembre 1884), l’Espagne (7 janvier 1885, la Russie (5 février 1885) et la Suède-Norvège (10 février 1885).

Restent la France et le Portugal. A la première, on abandonne le Kouilou-Niari qui passe alors pour un Eldorado. Le 14 février 1885, le Portugal abandonne ses prétentions au nord de l’estuaire du Congo sauf en ce qui concerne Cabinda. Le 23 février enfin, le Danemark et la Belgique reconnaissent à leur tout la souvenait de l’A.I.C.

Trois jour plus tard, le 26 février, l’acte de Berlin détermine le statut du bassin conventionnel du Congo, lequel comprend :

Sur le plan politique : occupation territoriale effective et neutralité des territoires définis par la conférence,
Sur le plan économique : liberté de commerce et de navigation sur le Congo,
Sur le plan social : interdiction de l’esclavage, répression de la traite en Afrique et sur mer, enfin engagement l’améliorer les conditions morales et matérielles des indigènes.

L’I.E.C est alors constitué sans les limites bien précises et Léopold II design à l’unanimité par les puissances comme chef du nouvel état. La nécessaire autorisation du parlement belge est donné par les déclarations des 28 et 30 avril 1885. Comme le note Pirenne : «  ce vote est un simple vote de courtoisie, sinon de résignation. Il n’engage que les souverains dans ‘’l’aventure congolaise’’ toutes les charges et tous les responsabilités étant déclinées par la Belgique ». C’est à titre exclusivement personnel que Léopold II est autorisé à devenir souverain de l’E.I.C.

Le premier chef désigné de cet immense territoire est l’Anglais Sir Francis de Winton, qui a le titre d’administrateur général et proclame officiellement à Vivi, chef-lieu des premières installations à l’embouchure du Congo, la fondation de l’E.I.C. et l’avènement de Léopold qui va ensuite essayer d’agrandir à partir des zones inexplorées (cuvettes congolaises, …) le domaine qui lui a été consenti.

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