Bien que les récentes études encyclopédiques sur les guerres du Congo nous fournissent des récits détaillés sur la façon dont les guerres ont commencé et sur une myriade de causes immédiates, aucune ne présente un compte rendu global de la manière dont ces guerres ont pu se produire. Cet article tente de fournir un compte rendu global des guerres du Congo en utilisant un cadre analytique constructiviste simplifié. Le récit ne prétend pas expliquer les guerres du Congo, mais tente plutôt d’identifier un contexte dans lequel elles peuvent être comprises. Il s’appuie sur le vocabulaire de la variété du constructivisme esquissée par Nicolas Onuf, une variété de l’approche épistémologique particulièrement utile pour comprendre les changements dans les règles régionales qui ont permis le déclenchement des guerres du Congo. En effet, l’accent mis par Onuf sur les règles qui émergent d’une interaction dialectique entre des agents et des structures pertinents est inestimable pour comprendre comment les guerres du Congo pourraient survenir. Ces concepts nous aident à comprendre comment la fin de la guerre froide en Afrique a conduit à des changements rapides dans les identités et les intérêts (construits) des agents locaux ainsi que dans les règles qui les régissaient.
Les changements dans les règles constituant l’identité des agents locaux ont également donné lieu à un changement dans les normes régissant les relations entre les agents clés, les régimes africains. En particulier, la (faible) norme interafricaine interdisant la non-intervention dans les affaires des États voisins est soudainement devenue beaucoup plus faible qu’auparavant. Dans ce contexte, le régime ougandais de Yoweri Museveni a facilité l’invasion du territoire rwandais par l’Armée patriotique rwandaise en octobre 1990. Cet acte clé et précoce a eu un effet catalyseur sur le changement des identités dans la région des Grands Lacs et a fait avancer le processus de reformulation des normes. Bientôt, l’intervention des régimes de la région dans les affaires de leurs voisins est devenue la norme, conduisant à une intervention étrangère de longue durée au Congo. Ces interventions étrangères ont déclenché des conflits locaux qui perdurent encore aujourd’hui. Les nouvelles règles ont des implications qui vont bien au-delà du cas du Congo et semblent se manifester dans un certain nombre d’autres cas.
Voir ou citer l’article original : Clark, John F. (2011). A Constructivist Account of the Congo Wars . AFRICAN SECURITY, 4(3), 147-170. 10.1080/19392206.2011.599262
Notes
1. L’auteur souhaite remercier Harry Gould, James Hentz, Paul Kowert, Nicholas Onuf et le critique anonyme de cet article pour leurs commentaires réfléchis et leur aide utile.
2. Filip Reyntjens, The Great African War: Congo and Regional Geopolitics, 1996–2006 (Cambridge: Cambridge University Press, 2009), fait valoir que la guerre de 1996-1997 et celle qui lui a succédé peuvent être à juste titre considérées comme un seul conflit, comme le suggère le titre plus contrasté de Thomas Turner, The Congo Wars: Conflict, Myth & Reality (London: Zed, 2007).
3. International Rescue Committee (IRC), “Mortality in the Democratic Republic of the Congo: An On-Going Crisis” (January 2008), ii, http://www.theirc.org/special-report/congo-forgotten-crisis.html.
4. Ceux-ci inclus Reyntjens, The Great African War; Turner, The Congo Wars; René Lemarchand, The Dynamics of Violence in Central Africa (Philadelphia: University of Pennsylvania Press, 2009); Gérard Prunier, Africa’s World War: Congo, the Rwandan Genocide, and the Making of a Continental Catastrophe (Oxford: Oxford University Press, 2009); Séverine Autesserre, The Trouble with the Congo: Local Violence and the Failure of International Peacebuilding (Cambridge: Cambridge University Press, 2010).
5. John F. Clark, The African Stakes of the Congo War (New York: Palgrave, 2002) and Gilbert M. Khadiagala, ed., Security Dynamics in Africa’s Great Lakes Region (Boulder, CO, 2006).
6. Johan Pottier, “Representations of Ethnicity in the Search for Peace: Ituri, Democratic Republic of Congo,” African Affairs 109, no. 424 (2010): 23–50.
7. Prunier, Africa’s World War, 201.
8. Autesserre, The Trouble with the Congo, chapter 4.
9. E.g., Clark, The African Stakes of the Congo War.
10. E.g., I. William Zartman, ed., Collapsed States: The Disintegration and Restoration of Legitimate Authority (Boulder, CO: Lynne Rienner, 1995) and Robert I. Rotberg, ed., State Failure and State Weakness in a Time of Terror (Cambridge, MA: World Peace Foundation, 2003).
11. Je suis conscient de cette distinction épistémologique par rapport aux travaux de Kenneth Waltz, Man, the State and War (New York: Columbia University Press, 1959), 234, though it certainly exists in many other studies of social causation.
12. John F. Clark, “Introduction: Causes and Consequences of the Congo War,” in Clark, The African Stakes of the Congo War, 2–3.
13. Lemarchand, The Dynamics of Violence, 216–228; Prunier, Africa’s World War, xxxi; Reyntjens, The Great African War, 43; Turner, The Congo Wars, 10–12.
14. Reyntjens, The Great African War, 108.
15. Prunier, Africa’s World War, 360–361.
16. Ibid, 361.
17. Ibid.
18. On peut trouver un effort pour élaborer sur la signification de ce terme dans John F. Clark,“Foreign Policy Making in Central Africa: The Imperative of Regime Security in a New Context,” in African Foreign Policy: Power and Process, eds. Gilbert Khadiagala and Terrence Lyons (Boulder, Colo.: Lynne Rienner, 2001): 67–86.
19. Kagame a été officiellement vice-président du Rwanda de 1994 à mars 2000, mais il a été largement reconnu comme le véritable dirigeant du Rwanda avant et après son accession à la présidence en 2000.
20. Reyntjens, The Great African War, 16–19.
21. Timothy Longman, “The Complex Reasons for Rwanda’s Engagement in Congo,” in Clark, The African Stakes of the Congo War, 133–134.
22. Le régime du MPLA a également soutenu la rébellion de Denis Sassou-Nguesso au Congo-Brazzaville en 1997, envoyant des troupes angolaises dans le pays en septembre de la même année et conduisant au renversement du président congolais Pascal Lissouba.
23. Or perhaps “enabling condition” is the right phrase here.
24. Reyntjens, The Great African War, 66–79, and Prunier, Africa’s World War, 126–127.
25. See Reyntjens, The Great African War, 77–78.
26. The same logic applies to the Lendu-Hema confrontations in the Bunia region, however.
27. Reyntjens, The Great African War, 16.
28. Prunier, Africa’s World War, 50.
29. Pottier, “Representations of Ethnicity.”
30. Reyntjens, The Great African War, 13–16.
31. L’épidémie de viols apparemment sans précédent dans l’est du Congo pourrait avoir autant à voir avec les pulsions criminelles ordinaires des jeunes militants masculins dans l’environnement anarchique de la région qu’avec l’instrument politique du viol.
32. Voir par exemple, Vlassenroot Koen Vlassenroot, “Land and Conflict: The Case of Masisi,” in Conflict and Social Transformation in Eastern DR Congo, eds. Koen Vlassenroot and Timothy Raeymaekers (Ghent: Academia Press, 2004), and Turner, The Congo Wars, 42.
33. Gary King, Robert O. Keohane, and Sidney Verba, Designing Social Inquiry: Scientific Inference in Qualitative Research (Princeton: Princeton University Press, 1994).
34. Prunier, Africa’s World War, xxx.
35. Ibid., xxxi; emphasis in the original.
36. Ibid., xxxii and xxxiii.
37. Gérard Prunier, The Rwanda Crisis: History of a Genocide (New York: Columbia, 1995).
38. Paul D. Williams, “From Non-Intervention to Non-Indifference: The Origins and Development of the African Union’s Security Culture,” African Affairs 106, no. 423 (2007), 254–255.
39. Pour notre propos, les approches constructivistes de la construction de l’identité ne sont pas pertinentes, même si de telles approches seraient très utiles pour comprendre comment de nombreux acteurs du drame congolais en sont venus à percevoir leurs intérêts.
40. Ceux-ci sont appelés «critiques ou postmodernes» par Kurt Burch, “Toward a Consructivist Comparative Politics », dans Constructivism and Comparative Politics, ed. Daniel M. Green, (Armonk, NY: M.E. Sharpe, 2002).
41. Nicholas Onuf, “Constructivism: A Use’s Manual,” in International Relations in a Constructed World, eds. Vendula Kubalkova, Nicholas Onuf, and Paul Kowert (Armonk, NY: M.E. Sharpe, 1998).
42. Il convient de noter ici que les normes en matière de droits de l’homme qui, selon de nombreux constructivistes, ont été diffusées à l’échelle mondiale, n’ont malheureusement aucun rapport avec cette affaire, comme me l’a fait remarquer Onuf.
43. Williams, “From Non-Intervention to Non-Indifference.”
44. The term is that of Nicholas Onuf, “Constructivism,” 63.
45. Onuf, “Constructivism,” 61.
46. See Crawford Young, Ideology and Development in Africa (New Haven: Yale, 1983).
47. Peter J. Schraeder, “Cold War to Cold Peace: Explaining U.S.–French Competition in Francophone Africa,” Political Science Quarterly 115, no. 3 (2000): 395–419.
48. Williams discusses the nascent norm of a “responsibility-to-protect” as taking root in the contemporary Africa security culture and serving essentially as a qualification of the rule of nonintervention. “From Non-Intervention to Non-Indifference,” 275–278.
49. Barry Buzan and Ole Wæver, Regions and Powers: The Structure of International Security (Cambridge: Cambridge University Press, 2004) and Peter J. Kazenstein, A World of Regions: Asia and Europe in the American Imperium (Ithaca, NY: Cornell University Press, 2005).
50. L’un des débats les plus sophistiqués et les plus soutenus sur le rôle des normes dans la formation de l’identité et des intérêts se trouve peut-être dansPaul Kowert and Jeffrey Legro, « Norms, Identity, and Their Limits: A Theoretical Reprise », in The Culture of National Security: Norms and Identity in World Politics, ed. Peter J. Katzenstein (New York: Columbia University Press, 1996): 451–497.
51. Cf. Williams, “From Non-Intervention to Non-Indifference,” 263–264.
52. On pourrait également affirmer que l’Afrique du Sud était effectivement en dehors de la société des régimes qui interagissaient régulièrement pour former les règles et les institutions qui régissaient les relations internationales de l’Afrique avant 1994.
53. Félix Martín, Militarist Peace in South America: Conditions for War and Peace (New York: Palgrave, 2007).
54. Toutefois, comme cela a été avancé, les régimes étaient les acteurs pertinents dans ces différends. Les «intérêts nationaux» n’étaient généralement pas en jeu mais plutôt la sécurité des régimes dirigés par les États mentionnés.
55. Prunier, The Rwanda Crisis, 72–73.
56. Ibid, 84–90.57. Le régime de Robert Mugabe au Zimbabwe est lui aussi en train de perdre la légitimité qu’il revendiquait en 1980 et pourrait bientôt se retrouver dans la position de ceux que nous venons de mentionner.
58. Nicholas Onuf, “Speaking of Policy,” in Foreign Policy in a Constructed World, ed. Vendula Kubalkova (Armonk, NY: M.E. Sharpe, 2001).
59. Ce fut effectivement le cas lors des combats entre les « Katangais » et l’ethnie Kasaï dans la région du Shaba au Zaïre en 1993.
60. Autesserre, The Trouble with Congo.
61. John F. Clark, “Foreign Intervention in the Civil War of the Congo Republic,” Issue 26, no. 1 (1998): 31–36.
62. Thomas Turner, “Angola’s Role in the Congo War,” in Clark The African Stakes of the Congo War, 75–92.
63. Fredrik Söderbaum and Rodrigo Tavares, “Problematizing Regional Organizations in African Security,” African Security 2, no. 2–3 (May–December): 70.
64. Ulf Engel and João Gomes Porto, “The African Union’s New Peace and Security Architecture: Toward an Evolving Security Regime?” African Security 2, nos. 2–3 (2009): 82–96.
65. Ibid., 84.
66. For analysis, see Ben Kioko, “The Right of Intervention Under the African Union’s Constitutive Act: From Non-Interference to Non-Intervention,” International Review of the Red Cross No. 852 (2003): 807–825; Engel and Porto “The African Union’s New Peace and Security Architecture”; and Williams, “From Non-Intervention to Non-Indifference.”
67. Engel and Porto, “The African Union’s New Peace and Security Architecture,” 91–92.
68. Paul D. Williams, “The African Union’s Peace Operations: A Comparative Analysis,” African Security 2, nos. 2–3 (May–December 2009): 97–118