Aide mémoire de Mgr Emmanuel Kataliko pour un entretien avec M. Garetton, envoyé spécial des Nations Unies

Au cours de la deuxième guerre d’agression du Congo par le Rwanda et l’Ouganda soutenu par les puissances occidentales, débutée le 2 aoùt 1998, les congolais  sont massacrés, blessés et des milliers des femmes sont tragiquement violées.  En septembre 1999, rapporteur spécial des Nations unies pour la RDC, est au pays. Pour collecter de informations, il visite entre autres Mgr Emmanuel Kataliko, alors Archevêque de Bukavu. En préparation de leur rencontre, l’archevêque prépare une note, datée du 3 septembre 1999, et dont la teneur suit.


1. Violation des droits de tout un peuple

Depuis le début de cette guerre, le peuple congolais a été considéré par la communauté internationale comme un objet de l’histoire et non comme sujet. Devant l’agression étrangère, la population a clairement dénoncé l’occupation, mais la communauté internationale a pris l’option d’ignorer ses droits élémentaires et son opinion, et de ne considérer l’événement que du point de vue des autres : la sécurité des frontières des pays agresseurs, le règlement de la question des réfugiés et “génocidaires”, la question de la nationalité pour une petite tribu du Kivu et le besoin de démocratiser le régime de Kinshasa selon le point de vue des pays agresseurs et des États-Unis, en ignorant complétement le point de vue des citoyens du Congo. C peuple a été traité comme s’il n’existait pas.

On a eu la triste sensation que la communauté internationale, manipulée par quelques grands, avait un cliché qui a mis en route un processus d’écrasement des peuples. Ainsi au Rwanda, au nom du mythe du génocidaire hutu, on a décidé de chasser puis de décimer la majorité pour instauré un pouvoir minoritaire réputé démocratique. Pour le cas du Congo, le mythe change de visage mais pas de fond. Au nom du mythe du congolais vaurien on a décidé de disloquer le pays, de chasser des peuples de leurs terres, de les priver de tous droits afin de “mettre de l’ordre” et de le “démocratiser”, après avoir partagé ses dépouilles aux pays voisins.

Ainsi, on a vu la machine idéologique mettre en œuvre son mécanismes d’oppression au nom de la prévention d’un autre génocide, tout comme par le passé des peuples étaient opprimés par des dictatures de droite au nom de la prévention du communisme. On a soutenu Mobutu pendant trente ans pour en faire un rempart contre le communisme en Afrique centrale. La guerre de Kabila a fait payer au congolais les crimes commandités par d’autres. On lui a imposé Kabila et voilà que la guerre de Kagame doit lui faire payer “l’erreur” des mêmes occidentaux.

Le peuple congolais a toujours parlé d’invasion, les mass media se sont obstinés à parler de rebellions contre toute évidence. Et ce cliché continue même après la bataille rangée entre Ougandais et Rwandais à Kisangani.

Le premier droit de l’homme à rappeler par les Nations Unies devrait être celui des communautés à vivre tranquillement chez soi comme cela l’a été dit pour le Kuwait [Koweit?, NDLR].

2. Violation des libertés des personnes durant cette guerre de 1998

Ce processus s’inscrit dans le cadre global de la violation des droits des peuples. La violation des libertés a été rude durant cette guerre.

2.1. Des massacres

Nous citons quelques cas de massacres qui nous sont les plus proches et donc les mieux connus :

  • Le massacre des 58 officiers à Kavumu : c’était le 4/8/1998. Il ne s’agissait pas d’un fait de guerre mais de criminalité cynique.
  • Le massacre de Kasika : 25 aout 1998. Bilan au moins 633 personnes.
  • Celui de Makobola à la St. Sylvestre : plus de 800 personnes en une nuit.
  • Le massacre de Kamituga le 18/2/1999 : Le bilan est imprécisé car la zone a été bouclée par les criminels après leur forfait.
  • Le massacre de Burhinyi : le 17 mars 1999, 111 personnes recensées.
  • Les massacres de Bunyakiri : la zone ayant été inaccessible durant des mois, le bilan reste imprécisé mais des villages entiers ont été détruits et brulés.

D’autres nouvelles nous viennent d’ailleurs et notamment du Nord-Kivu. Ainsi, le 18/2/99, à Lukweti dans le Masisi, 37 personnes auraient été tuées. Ce 18/2/99, c’était à Muhanga : bilan 154 personnes. Tandis que la journée du 11/2/99 l’escadron de la mort aurait balayé toute une zone comprenant Luashi, Ngesha, Busoro, Lushebere, Lukambo, Nyabyondo, toujours dans le Masisi. Le nombre des tués a été de 382. En annexe un récit détaillé des faits. Nous pensons que les associations de défense des droits de l’homme peuvent être utiles. Il y a d’autres choses encore qu’il ne semble pas utiles d’énumérer. Tout ce qu’on peut dire c’est que cela est l’œuvre du RCD composée d’étrangers venus infligés une leçon de démocratie qu’ils n’ont pas chez eux.

2.2. Des déplacements de la population

A cause de la violence des deux guerres, des populations ont du quitter et se réfugier soit dans la ville soit dans les fortes des environs avec pour conséquences : la famine, la misère, des maladies infectieuses. Dans ce sens, au Maniema, le gros de la population est déstructuré et comme décapité. Les hôpitaux et les centres des santé sont pillés, les écoles sont fermées depuis deux ans et les paroisses abandonnées pour la plupart. Les gens n’ont plus de référence et sont contraint de mener une vie sauvage qui dégénère souvent en jungle. Toute cela parce que la communauté internationale veut régler le problème de la sécurité des Rwandais tutsi à leurs frontières. Comme s’il n’existait de droit que pour cette population en cette Afrique centrale. Les autres communautés n’ont plus le droit de vivre en sécurité chez elles.

2.3. Des enlèvement et emprisonnement arbitraires

Ici chez nous il suffit d’avoir une opinion opposée à l’occupation tutsi pour avoir droit à l’arrestation. Nous citons quelques noms à titre d’exemple : M. Maheshe, directeur des études du Collège Alfajiri ; M. Kayomo, directeur de l’ONC ; M. Nyakacika, assistant à l’ISP ; M. Ruhekenya, assistant à l’ISP ; M. Masu Ga Rugamika, Recteur à l’ULPGL, M. Babunga, assistant à l’UEA ; le Mwami Kabare et le Mwami Ngweshe ; M. Kizito de Radio Maendeleo ; M. Kamengele Omba, journaliste à la Radio Maendeleo ; M. Raphaël Wakenge ; Héritiers de la justice, …

A un moment donné tous les membres du bureau de la Société civile ont été menacés d’emprisonnement pour avoir rédigé une proposition de plan de paix, rendu public. Quant à M. Kahindo de la Pharmakina, il fut arrêté pour avoir été soupçonnée de bradé de la monnaie … D’autres sont emprisonnés dans des maisons privées d’officiers, si bien qu’il est difficile de les identifier. Plusieurs familles ont du quitter clandestinement Bukavu et se réfugier au Kenya ou à Kinshasa par peur de cette répression continuelle et permanente, au nom de la démocratie à la rwandaise.

2. Crimes économiques

Le pillage sauvage des banques, à plusieurs reprises et bien connu de tous ; le pillage des matières premières ; le pillage fiscal ; l’occupation illégale des maisons de gens ; la destruction des infrastructures communautaires (écoles, hôpitaux, paroisses) dans le milieu rural ; l’étranglement de l’économie locale par le billet du fisc, la dévaluation orchestrée à la veille du 30/6/1999 pour pomper les devises qui restaient en circulation. Voilà autant des moyens qui font partie de l’immense arsenal de l’oppression. Les auteurs de tous ces crimes le font en toute tranquillité et impunité sans être poursuivi par aucune procédure judiciaire. On ne voit pas bien quel projet de société les pousse en avant.

4. Pour ne pas perdre la mémoire …

NOUS NOUS PERMETTONS d’évoquer deux crimes à grande échelle liée à la guerre de 1996. Nous en avons été témoins et nous estimons que les responsabilités sont partagées : (1) Le démantèlement barbare des camps des réfugiés qui étaient pourtant sous la protection de l’HCR et, (2) Les massacres génocidaires des réfugiés Hutu tel que connus chez nous par exemple à Chimanga ou à Tingitingi pour ne citer que ceux-là. Ici, les responsables directs sont coupables de génocide et e crimes contre l’humanité et les responsables indirects sont coupables de complicité pour leur silence. Nous nous attendons à ce qu’un large débat soit organisé sur ces questions et sans complaisance.

Fait à Bukavu, le 3 septembre 1999.

+ KATALIKO Emmanuel, Archevêque de Bukavu.

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