Des hommes armés perturbent un projet visant à relier le Congo à l’Afrique de l’Est

À peine deux mois après la fanfare qui a accueilli la République démocratique du Congo comme septième membre de la Communauté d’Afrique de l’Est (CEA), faisant d’elle un bloc de 300 millions d’habitants s’étendant de l’océan Indien à l’Atlantique, le sang coule à nouveau dans la partie nord-est troublée de ce vaste pays riche en minéraux mais chaotique. Les autres membres du club avaient de grands espoirs qu’en tirant l’économie du Congo vers l’est, une série d’accords d’infrastructure, notamment des routes et des lignes électriques, stimuleraient le commerce et la prospérité dans toute la région (voir carte).

Ils ont également convenu de créer une force militaire conjointe pour balayer les dizaines de groupes armés qui entravent ces progrès heureux. Mais la dernière explosion de violence montre à quel point il sera difficile de faire de l’EAC une puissance diplomatique et commerciale cohérente. En effet, l’adhésion du Congo pourrait exacerber les rivalités, notamment impliquant le Rwanda et l’Ouganda, au sein du club.

Les dernières violences ont été causées principalement par un groupe de rebelles connu sous le nom de M23, du nom d’un précédent accord de paix congolais signé le 23 mars 2009. Largement en sommeil depuis leur défaite en 2013, ils sont à nouveau en mouvement depuis leurs cachettes dans les volcans. montagnes de la province du Nord-Kivu au Congo, limitrophe du Rwanda et de l’Ouganda. Le 26 mai, ils ont attaqué une base militaire à 40 kilomètres de Goma, la plaque tournante commerciale du nord-est du Congo, s’est emparé d’une partie du territoire et a forcé des milliers de civils terrifiés à fuir.

Le gouvernement congolais a accusé le Rwanda d’avoir incité les rebelles, qui sont dirigés par des Tutsis et dont les insurrections précédentes reposaient sur le soutien du Rwanda, dont le président l’homme fort, Paul Kagame, est un compatriote Tutsi. Son peuple accuse à son tour l’armée congolaise d’avoir tiré au-delà de la frontière avec le Rwanda. Une nouvelle explosion entre le Congo et son voisin risquerait de raviver les ravages dans la région, qui a subi une série de conflits dévastateurs au cours du dernier quart de siècle.

M. Kagame, qui dirige le Rwanda depuis le renversement du gouvernement qui a commis le génocide anti-Tutsi de 1994, présente son petit pays comme un gardien de la paix. L’année dernière, il a déployé son armée, l’une des plus efficaces de la région, au nord du Mozambique, pour aider à y réprimer une révolte jihadiste. Il n’apprécie pas la concurrence pour le statut et l’influence, en particulier de la part de son voisin immédiat, l’Ouganda, qui, dans le passé, a soutenu ses propres factions rebelles congolaises. La dernière poussée du M23 pourrait avoir été déclenchée par la colère de M. Kagame face à une récente opération militaire ougandaise, à la demande du Congo, visant à attaquer les Forces démocratiques alliées (ADF), un groupe djihadiste ougandais allié à l’État islamique qui se cache également dans le nord-est du pays. Congo. L’année dernière, l’ADF a perpétré des attentats-suicides à Kampala, la capitale ougandaise.

L’armée ougandaise n’a jusqu’à présent pas réussi à traquer et à arrêter ses dirigeants, les poussant plutôt plus au nord-ouest, dans la province congolaise de l’Ituri. L’objectif principal de l’Ouganda est d’assurer la sécurité de la construction de routes vers l’est du Congo, y compris les territoires proches de la zone de convergence du Rwanda et de l’Ouganda. Le président ougandais, Yoweri Museveni, espère attirer une plus grande part du commerce de l’est du Congo, y compris le flux illicite de minerais, vers l’Ouganda plutôt que vers le Rwanda. Mais en février, M. Kagame s’est moqué des opérations ougandaises au Congo et a laissé entendre que l’ADF s’était associée aux rebelles hutus rwandais impliqués dans le génocide. «Nous ferons la guerre là où elle a commencé», a-t-il déclaré. «Nous faisons ce que nous devons faire, avec ou sans le consentement des autres».

Pour parvenir à ses fins, M. Kagame pourrait tenter d’exploiter les divisions au sein du cercle dirigeant ougandais. Alors qu’il est en désaccord avec le président Museveni, celui-ci s’est rapproché du fils du dirigeant ougandais, Muhoozi Kainerugaba, qui commande les forces terrestres ougandaises. Le lieutenant-général Kainerugaba a laissé entendre sur Twitter qu’il aimerait peut-être succéder à son père vieillissant lors des prochaines élections, en 2026. Il a également annoncé son amitié chaleureuse avec M. Kagame.

Le président ougandais est clairement agacé par les stratagèmes de M. Kagame. Le père peut encore, semble-t-il, faire sauter son fils. Le 17 mai, quelques heures seulement après que le général ougandais ait annoncé qu’il retirerait ses troupes du Congo, il a brusquement changé d’avis et déclaré sur Twitter que la mission se poursuivrait pendant au moins six mois supplémentaires. M. Museveni, pour ne pas être en reste par M. Kagame ou par son propre fils, a déclaré que lui aussi enverrait des troupes au Mozambique.

L’ONU, qui tente en vain depuis plus de 20 ans de maintenir la paix au Congo et qui y dispose encore de 16 000 soldats et policiers, est déjà de retour dans la mêlée et frappe le M23. Mais l’envoyé spécial de l’ONU doit avant tout faire en sorte que les voisins orientaux du Congo s’accommodent les uns des autres. Dans le cas contraire, les espoirs de l’EAC de devenir une puissance économique pourraient être anéantis quelques mois après son élargissement.

Cet article est paru dans la section Moyen-Orient et Afrique de l’édition imprimée de The Economist sous le titre «Les routes de l’enfer» (« Roads to hell »).

Source : The Economist.

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