Les « minerais de sang », facteurs de conflits au Kivu. Étude des rivalités territoriales dans une zone grise d’Afrique centrale

En proie aux conflits armés depuis plus de vingt ans, la région du Kivu, dans l’Est de la République Démocratique du Congo, regorge de minerais précieux aujourd’hui au coeur de la guerre car permettant de financer les groupes armés insurrectionnels qui combattent le gouvernement central. Alors que l’Est congolais s’est retrouvé imbriqué dans les conflits des Grands Lacs en raison de sa proximité avec le Rwanda voisin au milieu des années 1990, d’autres facteurs doivent désormais être analysés pour cerner un conflit desservant des intérêts inavoués qui dépassent largement les frontières de la seule RDC – un État failli en raison de la perpétuation de violences transformant le Kivu en zone grise, c’est-à-dire une zone de non-droit contrôlée par les milices. Ce mémoire a pour but d’appréhender l’économie de guerre qui s’est installée dans la région par le biais d’acteurs étrangers profitant de la défaillance des institutions étatiques de Kinshasa, et de voir en quoi la richesse du sous-sol congolais dessine de nouvelles formes de domination sur un pays ayant accédé à son indépendance en 1960. Vecteur d’instabilité pour toute l’Afrique centrale, le Kivu est un espace d’importance géostratégique et géoéconomique majeur expliquant les luttes d’influence et autres rivalités territoriales dont il est le théâtre.

Auteur : Melvil Bossé (Mémoire d’étape soutenu le 25-06-2019, Université de Reims Champagne-Ardenne, UFR Lettres et Sciences humaines, Sous la direction de Céline Vacchiani-Marcuzzo, Maître de conférences à l’URCA —  Membres du jury : Céline VACCHIANI-MARCUZZO; François BOST).

Introduction

Depuis la fin de la Deuxième guerre du Congo en 2003, la République Démocratique du Congo (RDC) n’est officiellement plus un État en guerre. Ce vaste pays d’Afrique centrale, dont le territoire couvre une superficie d’environ 2345000 km² (soit plus de quatre fois la France),connaît pourtant des déchirements internes et un conflit qui perdure toujours aujourd’hui. C’est dans l’Est de la RDC, au sein des provinces orientales du Nord-Kivu et du Sud-Kivu, que les luttes armées se manifestent encore. Ainsi au Kivu, région frontalière de l’Ouganda, du Rwanda, du Burundi et de la Tanzanie, se situant à 1500 km de la capitale congolaise Kinshasa, les factions rebelles et autres milices engagées dans la guerre prennent part à un conflit qui a constitué le prolongement de la «grande guerre d’Afrique» dans les années 2000. Celle-ci désigne la Deuxième guerre du Congo, qui a impliqué neuf pays africains ainsi qu’une trentaine de groupes armés entre 1998 et 2003. Il s’agit du plus important conflit interétatique de l’histoire de l’Afrique contemporaine, ayant entraîné le plus lourd bilan humain depuis la Seconde Guerre mondiale: plus de trois millions de morts1, ainsi qu’un million de déplacés.

C’est dans ce contexte géohistorique marqué par la violence que les provinces de l’Est congolais échappent au contrôle étatique de Kinshasa, et ce même à la suite de la formation d’un gouvernement de transition en avril 2003 pour relever le pays après la guerre. Par conséquent, le Kivu peut être défini comme une zone grise car l’État de droit, la RDC, n’y a plus de contrôle de facto (c’est-à-dire dans la réalité concrète), mais seulement de jure(un contrôle juridique officiel et reconnu). Cette notion géopolitique a notamment été conceptualisée par le politologue français Gaïdz Minassian: pour lui, lorsque les institutions centrales d’un État souverain «ne parviennent pas –par impuissance ou par abandon – à pénétrer [dans un territoire] pour affirmer leur domination, laquelle est assurée par des micro-autorités alternatives», alors il s’agit d’une zone grise(Minassian, 2011, p.16). C’est alors «un espace de dérégulation sociale, de nature politique ou socio-économique» (Ibid).

La RDC ne bénéficie pas d’une mainmise réelle sur l’ensemble de son territoire;cette défaillance en fait un État failli. Ce terme a été défini par le géopolitologue américain Robert Rotberg en 2003, repris par le géographe français Stéphane Rosière en 2008: dans son Dictionnaire de l’espace politique, ce dernier analysait la défaillance de l’État (traduction de state failure théorisée par Rotberg) comme une «incapacité partielle ou totale de l’État à offrir sa protection et les services minima qu’il doit en théorie prodiguer à ses citoyens. La défaillance peut être spatiale: une portion du territoire étatique échappant au contrôle du pouvoir central.» (Rosière, 2008, p. 96). C’est le cas des territoires de l’Est congolais; nous verrons les raisons expliquant une telle faille dans ce contrôle étatique. Celle-ci a permis à des mouvements armés hétéroclites de s’implanter et d’asseoir leur emprise sur différentes parties du Kivu. Le gouvernement congolais n’a ainsi pu empêcher l’éclatement de la guerre du Kivu quelques mois après la cessation des hostilités de la précédente «grande guerre», qui prend fin de manière formelle le 30 juin 2003. Les groupes armés dont il est ici question peuvent être apparentés à des guérillas, terme qualifiant des «troupes irrégulières composées de forces légèrement armées» et dont les membres «estiment

Voir le texte intégral : Les “ minerais de sang ”, facteurs de conflits au Kivu(République Démocratique du Congo). Étude desrivalités territoriales dans une zone grise d’Afriquecentrale.

Citation : Melvil Bossé. Les «minerais de sang», facteurs de conflits au Kivu (République Démocratique du Congo). Étude des rivalités territoriales dans une zone grise d’Afrique centrale. Géographie. 2019. ⟨dumas-02445404⟩.

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