Lumumba, drame sans fin et deuil inachevé de la colonisation

L’image de Patrice Lumumba, fortement associée à la proclamation de l’indépendance du Congo-Zaïre, symbolise la « mémoire congolaise », et devient même sa principale référence. Des tentatives menées par les pouvoirs en place pour les dissocier continuent d’échouer, comme pour exprimer l’embarras causé par son «élimination définitive». La résistance (image) persistante de la victime met mal à l’aise ses bourreaux, la débâcle permanente du Congo contribue à perpétuer le deuil.

Comme chez les sorciers 1 !

Horreur ! L’assassinat de Patrice Lumumba présente l’image d’une partie de chasse, en trois phases. Dans l’une, Lumumba échappe à la capture. Dans l’autre, les chasseurs redoublent d’astuces plus subtiles afin de traquer Lumumba, mais ils échouent de nouveau. Enfin, dans la troisième phase, c’est la coalition de plusieurs chasseurs qui vient à bout de la résistance.

Plutôt qu’une simple scène de chasse au gibier, l’assassinat de Lumumba relève d’une pratique de la sorcellerie telle qu’elle m’a été racontée pendant mon enfance 2. Les chasseurs ont pour victime les gibiers en brousse, les sorciers, eux, chassent les humains au village. Tous deux tuent, suppriment la vie à d’autres êtres ; ils sont cruels. Les chasseurs crient leur joie lorsque la bête expire dans le sang les pattes en l’air. Quant aux sorciers, plus il y a de morts, plus ils sont contents, surtout si, parmi les victimes, se trouve une personnalité importante. Le but du sorcier et du chasseur est la satisfaction d’un besoin, mais dans le geste se lit l’appétit de domination qui conduit à supprimer l’autre, libérer l’espace qu’il occupe.

Lumumba fut tué avec toute la fureur déchaînée propre aux prédateurs agacés. Son corps fut « détruit »3 par eux jusqu’au dernier morceau car rien de lui ne devait subsister. Gérard Soete (1978) décrit la séquence du dépeçage des corps de Lumumba et de ses deux compagnons Okito et M’polo4 : “Dès qu’ils ont déposé les corps auprès des fûts vides et rassemblé leur matériel, ils se rendent compte qu’ils ne sont pas préparés à ce genre de travail. Ils retournent vers la voiture et boivent du whisky […]. Peu initiés à la tâche, ils commencent à donner des coups de hache et ils entaillent les corps comme des forcenés. Cela ne leur rapporte rien, sauf de la puanteur et des immondices et ils décident de se lier une serviette hygiénique devant la bouche. Schäfer prend la scie à métaux et la jambe du prophète (Lumumba) et commence à scier juste au-dessus du genou, comme s’il s’agissait d’une branche d’arbre. Il dispose le bout de jambe délicatement au fond du fût et continue à séparer un par un les membres du torse. […]

Lorsque ne reste plus que le torse et la tête, il se rend tout à coup compte de l’horreur de ses occupations. Denys se tient immobile, telle une statue de pierre et l’éclaire à l’aide d’une torche. C’est Schäfer qui réveille sa haine. La passion se mêle à sa soûlographie. Les doigts s’agrippent avec fermeté dans la chevelure crépue d’apparence métallique, voilà le geste décisif. […] Il met la scie de côté. Elle n’est pas à la mesure de cette tête monstrueuse. Il prend la hache, place le pied sur la mâchoire et détruit le cou ; le souffle lui manque ; il jure comme un diable, maudit tout le monde comme ses frères de race l’ont fait. […]

‘Je le fais à votre place, espèces de lâches blancs’. C’est une prière grinçante qui sort d’entre ses dents à travers l’ouate de la serviette hygiénique. […] Tout à coup, habité par une immense répugnance, il convoque tous les prophètes nationalistes à la barbiche de bouc et aux lunettes de cheval, tous les chuchoteurs aux chapeaux de soie et aux fausses promesses de son propre pays. Avec la férocité de sa haine, il donne le coup de hache qui sépare les dernières vertèbres du cou, reprend la tête puante dans ses mains et crache dessus. Puis, la tête posée sur ses bras croisés, il s’assied au milieu du liquide qui souille l’herbe, et commence à sangloter. À côté de lui, le torse sans membres. À ses pieds se trouve la tête, un objet impossible”.

Comme si Lumumba avait disposé de procédés magiques protecteurs, son fantôme n’arrête de harceler ses bourreaux. «Lumumba n’est pas quelqu’un que l’on peut enterrer facilement», observe Le Figaro du 13 septembre 1960. Il aurait fallu cacher sa mort, suggère Philippe Toussaint du Pourquoi pas ?, en février 1961. La réponse est tout autre : “Il paraît que c’était impossible. Il fallait, au contraire que les populations du Katanga, et plus généralement celles du Congo, sachent que l’ex-Premier ministre était mort et enterré, il fallait couper au pied tout espoir de le voir réapparaître un jour, et c’est d’ailleurs pour cela qu’on a fait appel au témoignage d’un médecin belge, à la réputation parfaite”(Toussaint 1961). Après que Lumumba ait été tué et enterré, lorsque les bruits commencèrent à se répandre, un autre Belge, Gérard Soete (1978 : 308), qui alla rechercher le corps, témoigne : “À vingt mètres de la route, sur les lieux de l’exécution, en pleine savane arborisée, la main raide du Prophète (Lumumba) dépasse le sol sablonneux et pointe vers le ciel : une dernière tentative d’accuser, de faire appel à ses troupes destructrices. Ils ne parviennent toujours pas à tuer décemment. Ils ne pensent pas au cadavre qui reste après la destruction de l’être humain”.

À propos de Lumumba, “on broie une pierre, on n’efface pas par le crime, au contraire”, écrit Toussaint dans Pourquoi Pas ? en février 1961. La mort violente subie par Lumumba a certes renforcé l’image du personnage, mais avant, de nombreux gestes évoquent des convictions. L’avocat J. Aubertin, qui le défendit lors du procès des émeutes d’octobre 1959 à Stanleyville, le décrit (Marrès & Versmat 1974 : 164) ainsi : “Grand, flexible, mince, il est la mobilité même. ‘Ondoyant et divers’, jamais l’expression n’a mieux défini un personnage. Quand il s’exprime, c’est avec douceur, mais non sans volubilité ; derrière les lunettes fumées qui masquent à demi son regard, ses yeux oscillent. Il découvre des dents blanches ; ses paroles, le son de sa voix, ses gestes les prolongent en les complétant. Ses bras maigres se détendent, formant avec son corps un angle aigu. S’il sait écouter, voire faire sienne une objection, c’est pour y répondre, non sans détour, par une longue digression”.

Pierre Leroy (1965 : 99-111), le dernier gouverneur colonial de la Province orientale, s’est vainement obstiné à détruire une image mythique de Lumumba, déjà bien répandue fin 1959. Lumumba «invulnérable, secoue de ses habits les balles qu’on lui a tirées», «passe au travers des murs, on l’aperçoit ici et là dans les communes». Lumumba est « introduit dans des prières». Le gouverneur écrit : «On croirait assister à la naissance d’une religion et ce n’est pas sans malaise que je trouve l’ambiance d’ici dans certains des Apocryphes que je suis en train de lire». Il informe le gouverneur général et le ministre qu’il met en garde contre toute mesure en faveur du détenu : «La légende de Lumumba deviendrait indestructible»5. Il n’y a pas que les Congolais et les Africains qui redoutent Lumumba, les Occidentaux aussi le désignent comme quelqu’un de peu commun. C’est un personnage un peu inquiétant, observe son ami Jacques Nijns (2001 : 4) qui souscrit en partie à ce qu’avait dit Van den Bosche, le premier ambassadeur de Belgique après l’indépendance du Congo : « ‘[…] Dans la nuit africaine, avec ses grands bras et ses yeux qui lançaient des éclairs […]’. Il avait un regard qui, par moment, ne pouvait que susciter une certaine inquiétude. C’était prodigieux, c’est la seule personne chez qui j’ai vu cette caractéristique».

L’indépendance du Congo crée une nouvelle forme de rapprochement entre Belges et Congolais jusque-là demeurés séparés selon le modèle colonial en vigueur. Le sacrifice offert pour le pacte, c’est Lumumba. Cela va déterminer le choix de l’élite congolaise aux commandes du pays. L’organisation du “groupe de Binza” et/ou du “Collège des commissaires généraux” est celle d’une «confrérie» née à la suite de l’incertitude du lendemain et dans le cadre d’une confrontation violente et secrète ; la sélection des membres veille sur la crainte de la trahison (Omasombo Tshonda 2001 : 930-969). D’où le recours à un langage codé, à des désignations connues des seuls membres d’un groupe dont le niveau d’information se rapporte à leur rang hiérarchique. Certes, le réseau d’implication peut être large, mais chaque membre tient à son rôle auquel toutes les parties impliquées se sentent solidaires ; la dignité les lie aux devoirs6.

Le monde sorcier exploite la peur que ses interventions imposent aux vivants. La politique est comme la chasse, dit la sagesse populaire africaine. On entre en politique comme on entre dans l’association des chasseurs. La grande brousse où opère le chasseur est vaste, inhumaine et impitoyable comme le monde politique. Avant de fréquenter la brousse, le chasseur novice va à l’école des maîtres chasseurs pour les écouter, les admirer et se faire initier (Kourouma 1998 : 171). «On m’élut Président du MNC (Mouvement national congolais) pour déstabiliser Lumumba», déclare, en 1992, Albert Kalonji qui a certainement été un acteur de la coalition anti-Lumumba. Mais, mécontent d’avoir été réduit au second rôle, cela lui inspire la relecture de l’histoire et de son rôle7.

Aujourd’hui, nous connaissons beaucoup de choses sur la mort de Lumumba. Les hypothèses fantaisistes développées au moment du crime ont été balayées, surtout au cours des années 1990. Certains acteurs, comme F. Verscheure, ont fourni des indications saisissantes sur l’épisode du drame, même si d’autres complices survivants s’efforcent encore de dissimuler leur responsabilité ; les seconds rôles et les interventions des subalternes sont mieux connus que la participation effective des autorités et des personnalités responsables. Car la mort de Lumumba reste embarrassante. «Chaque fois que ce nom est cité à une occasion, dira à la fin des années 1980 Victor Nendaka, régulièrement l’atmosphère de fête se détériore»8. Mais il reste encore à écrire l’histoire de la colonisation : les Blancs, les Noirs, leur vie dans le cadre de ce que fut la colonisation belge au Congo, ce qui donnera plus de sens à l’assassinat de Lumumba.

Patrice Lumumba : récit d’un parcours

Patrice Lumumba a tout de l’anti-sorcier. Les gens de son milieu d’origine l’appellent «Om’ote len’eheka» (« grosse tête qui prédit le futur »), c’est donc un voyant. Lumumba survient comme un devin imprévu qui prend de court à la fois un pouvoir colonial faible et sans vision d’avenir et une petite élite congolaise non préparée (Mutamba 1998). On connaît désormais son histoire personnelle et on sait qu’il n’a pas suivi le cursus scolaire consacré, ni celui de la plupart des évolués. Il n’a pas été un des «fils favoris» d’un des groupes ethniques qui dominent la vie politique congolaise à la veille de la décolonisation. C’est parce qu’«un vrai roi n’a pas de père» disent les Akans (Kourouma 1998 : 135). Malgré la multiplicité des travaux qui lui sont consacrés, divers événements, qui marquent son ascension en politique, sont encore en grande partie ignorés, et cela a une incidence sur la compréhension du personnage et sur ses actions. On peut recueillir aujourd’hui de nombreux documents inédits émanant de lui ou portant sur lui9.

Lumumba est d’abord agent de la colonie, puis il se retrouve dans le secteur privé et s’affirme en même temps dans un parti politique. Les contacts qu’il a rapidement noués avec toutes les autorités de la hiérarchie coloniale, du sommet à la base, sont significatifs car ils lui ont permis d’apprécier des attitudes et d’affûter sa stratégie. Entre 1956 et 1959, il connaîtra deux fois la prison. Durant cette période, Lumumba a des démêlés, souvent violents, avec le pouvoir colonial qu’il accuse de nourrir de mauvaises intentions sur l’avenir du Congo et dont il dénonce même une certaine incompétence. «Les Belges pouvaient bien accorder l’indépendance car eux-mêmes ne sont pas tellement évolués», déclare-t-il, lors de ses meetings au Kasaï au cours du deuxième semestre 1959.

Le représentant du Ministère public, Louis De Waersegger, évoque dans son réquisitoire du 3 juin 1957, lors du premier procès Lumumba, la singularité que ce dernier représente pour la colonisation belge : «Depuis bientôt trente ans que j’exerce les fonctions de magistrat du Parquet, j’ai entendu de bien nombreux prévenus dans leurs explications tendant à justifier, à excuser ou simplement à atténuer les fautes, les infractions qu’ils avaient commises. C’est cependant la première fois qu’il m’a été donné de prendre connaissance d’un mémoire de défense aussi venimeux et qui prend l’allure d’un réquisitoire contre ceux à qui le prévenu Lumumba doit cependant tout.

Lumumba est un Batetela (sic) de la région de Katako-Kombe qui est située dans cette partie de l’ancien Lomami qui fut jadis le théâtre des expéditions esclavagistes arabes. C’est dans cette région du Congo que les Belges livrèrent les plus dures batailles de la campagne anti-esclavagiste où pas mal des nôtres payèrent de leur sang la libération des populations autochtones10. Sans notre présence au Congo, que serait Lumumba? Mais s’il doit à l’État de n’être pas un esclave, il lui doit aussi cette instruction, cette éducation, cette formation dont il se vante et qu’on lui a prodiguées tout à fait gratuitement. Il doit aussi à l’État belge sa situation. […] Il a été admis parmi les indigènes immatriculés, il a été traité avec égard et admis sans réticence dans les milieux européens. On fondait sur Lumumba de grands espoirs. Il a été invité à se rendre en Belgique, pour s’y instruire de notre façon de vivre. Il a réclamé une assimilation plus grande encore et le Ministre lui-même lui a écrit personnellement pour l’assurer que l’on étudiait attentivement cette question. […]

L’État belge a cependant à son actif dans le domaine social des réalisations que beaucoup de pays nous envient, et Lumumba en est un des principaux bénéficiaires. Nous devions normalement nous attendre à rencontrer chez Lumumba vis-à-vis de l’État belge, à qui il doit tout, un sentiment de reconnaissance qui est aussi un élément de la civilisation, de l’évolution dont il se targue. Or, que lisons-nous dans sa note de défense ? Des critiques amères, des reproches violents, des accusations fausses. C’est, d’après Lumumba, l’État belge, c’est le gouvernement, c’est l’administration, qui sont cause des infractions qu’il a commises. Un homme de sa qualité, ayant ses capacités (la probité exceptée sans doute), ayant des connaissances professionnelles reconnues par ses chefs, et qui lui ont valu la cote “élite”, on l’a laissé, dit-il, vivoter avec un salaire de misère et de famine et ce en dépit de la justice sociale et des prescriptions légales. “N’est-ce pas à la colonie – écrit Lumumba – de donner l’exemple dans l’application des principes élémentaires de justice humaine et d’égalité – non mathématique – entre citoyens belges et congolais ?” Et Lumumba se déclare victime d’une injustice de la part de l’Administration qui l’employa. Cette diatribe d’un prévenu coupable de détournement à l’endroit de cette administration, à qui il doit tout et qui est la victime de ses détournements, a quelque chose d’écœurant»11.

Cette réaction de l’administration traduit un comportement bien ancré qui sera à la base de la perte des initiatives politiques belges au Congo, annoncées bien tardivement et de manière insuffisante. En 1959, Raoul Verhagen, de la société Fabrimétal à Léopoldville, déclare à Daniel Gillet : “Quoi que nous voulions, quoi que nous fassions, nous ne pourrons plus nous adapter à ce pays ; nous avons été conditionnés par le colonialisme jusque dans nos attitudes les moins conscientes. Notre paternalisme, entre autres, est presque invincible parce qu’il garde une bonne partie de sa justification objective. Mais il est devenu psychologiquement insupportable” (Dumont 2003). L’avocat Jacques Nijns (2001 : 64-65), de l’Amicale socialiste, qui prend ouvertement parti pour Lumumba, n’entrevoit pas, lui non plus, une issue heureuse à la crise. “Il estime que l’on se dirige vers une solution brutale de continuité. Les cadences d’évolution psychologiques sont trop différentes entre Européens et Congolais. Il n’est plus possible de rattraper le retard des uns sur les autres : les deux bords en prennent conscience avec aigreur. L’antagonisme croît et, au fur et à mesure qu’il croît, les gages qu’il faut donner, d’un côté ou de l’autre, deviennent irréalisables”.

Le titre de l’ouvrage que Lumumba propose d’éditer en 1956 est prémonitoire : Le Congo terre d’avenir est-il menacé ? S’il n’est pas immédiatement publié, c’est (peut-être) en partie à cause de l’appréciation négative d’un lecteur choisi par l’éditeur. Celui-ci relevait dans sa note de lecture : «D’après lui [Lumumba], la rapide évolution du Congo est due, non seulement au “cerveau qui pense” – le blanc – mais aussi au “bras qui exécute” – le noir. À ce propos, ses assertions quant à “l’énergie” et au “rendement” de ses congénères me paraissent d’un optimisme nettement exagéré» (Salmon 1974).

La Commission d’enquête parlementaire belge se trompe (ou veut tromper) lorsqu’elle affirme que la crise, surgie au Congo après le 30 juin 1960, avait surpris le gouvernement belge (Omasombo 2001 : 830). Rencontré, le 11 juin 1959, Jean Jadot, alors aumônier de la Force publique, déclare que «l’unanimité est faite sur les chances quasi nulles de la structure politique du Congo» (Dumont 2003 : 65). Le gouverneur de la Province orientale, Pierre Leroy (1965 : 113), décrit une réunion tenue en décembre 1959 à Léopoldville au cours de laquelle l’ancien gouverneur général, Pétillon, faisait ses adieux : «7-9 décembre : Conseil de gouvernement et séquelles d’usage. Le gouverneur général fait le discours d’adieu. Quand il a évoqué, pour le Congo, “des lendemains qui chantent”, j’ai cru mordre dans un citron. On expédie rapidement l’ordre du jour. MM. Lopez et Malengreau d’Hambise prononcent quelques paroles amères auxquelles répond brièvement le Gouverneur général. Et l’on roule le Conseil défunt dans un linceul de pourpre…»12.

Cette vision d’un Congo voué au désordre est encore fortement relevée dans d’autres passages des mémoires du gouverneur Leroy. «(7-9 décembre 1959). L’ambiance de Léopoldville est vraiment une ambiance d’abandon. La plupart se cherchent déjà une occupation ailleurs, à toutes fins utiles. Ce n’est pas la panique, mais le découragement. La devise de la ville pourrait être : “À quoi bon ?” Les familles où je vais d’habitude sont retournées en Belgique ou sont démembrées. Le Congo redevient un pays de célibataires. On y rit encore mais c’est à force de se chatouiller. On continue à faire des projets mais on a manifestement perdu foi» (Leroy 1965 : 113-114). « 9 février (1960). Tous les rapports de la Sûreté révèlent une détérioration de la situation croissante du moral des Européens. Les uns renvoient au pays (Belgique) femme et enfants, tapis et argenterie ; d’autres se font enjoindre, par ordonnance médicale, d’avoir à quitter, avant le 1er juillet, un Congo devenu tout à coup malsain» (ibid. : 136).

La décision d’octroyer l’indépendance au Congo avait été arrêtée à la conférence de la Table ronde politique de Bruxelles, début 1960. Lors de cette conférence, les délégations congolaises reviendront plusieurs fois sur le contenu de cette décision, et parviendront à «arracher», le 10 février, l’engagement du ministre belge du Congo, qui n’est pas sans avoir manifesté une certaine anxiété : «Pour le gouvernement belge, l’indépendance du Congo signifie que le gouvernement et les Chambres congolaises seront en possession de tous les pouvoirs, avec tous les avantages et tous les risques» (Gérard-Libois & Verhaegen 1961 : 32). La Belgique déclare «tout lâcher», mais les attitudes affichées laissent entendre que les solutions trouvées restent éphémères et les conséquences s’annoncent toutes proches13. Plutôt que de continuer à s’obstiner pour imposer son point de vue, la Belgique espérait le soutien que lui apportaient déjà certains délégués congolais après le laps de temps assez court de la victoire de la stratégie du Front commun14. En fait, débordé par la tournure des événements, le pouvoir belge s’adapte, sans avoir préparé les Congolais à pareille tâche, même s’il n’a jamais pensé perdre toute la direction de sa colonie.

Derrière la façade de ce «don de l’indépendance» se cache une fuite éperdue devant les responsabilités que le pouvoir belge ne veut pas assumer. La gestion du Congo par la Belgique se résume en une stratégie simple : bloquer toute évolution pour les Noirs et justifier l’utilité de la présence coloniale. En réalité, il n’y a pas de politique continue mais une série de comportements et de décisions inspirés par l’empirisme le plus étroit. Dans la colonie belge, à partir de la Deuxième Guerre mondiale, ce sont les événements plus que la doctrine qui guident l’administration coloniale et dirigent les décisions politiques15. À la fin de la période coloniale, la gestion du Congo est confrontée à deux crises, l’une politique et l’autre économique (Pétillon 1967, 1979). Sur la première, J. Marrès et I. Vermast (1974 : 144) parlent de «vérité tragiquement simple» pour traduire la fin de la domination belge : «Il n’y avait pas de politique parce qu’il n’y avait pas de pouvoir politique». Ce jugement est recoupé par divers témoignages des coloniaux et des colonisés. Tous affirment qu’il y a certainement des idées pour diriger ou garder le Congo, mais les autorités belges se bornent plus à pratiquer une stratégie pour bloquer les Congolais de toute évolution et à traduire la politique en texte, sans, au départ, disposer d’une vision politique.

D’ailleurs, parmi les hauts fonctionnaires qui se sont occupés du Congo, rares sont ceux qui ont été des politiques. L’avant-dernier ministre de colonie, Van Hemelrijck, compte parmi les exceptions. Jadot témoigne : “Le ministre Van Hemelrijck [est] comme le seul pont entre les Noirs et les Blancs. S’il devait quitter le gouvernement, ce serait une catastrophe certaine. […] Quant à Cornelis, il doit s’en aller, mais attention aux formes. Cela ne peut être ni un blâme pour les Européens, ni une victoire indigène”». Au cours d’une conversation ultérieure, le 5 juillet 1959, Jadot «estime que la Force publique est un outil généralement sûr, mais il craint la fatigue et la nervosité du Général Janssens, qui n’a plus, à ses côtés, Van Hoorebeke pour modérer ses réactions impulsives. Jean Jadot pense beaucoup de bien d’Henniquiau, ancien commandant de l’école de Luluabourg, actuellement à Stanleyville. Il serait le successeur idéal de Janssens. Il est aimé des soldats, ce que Janssens n’est pas» (Jadot cité dans Dumont 2003 : 65).

On va remarquer, pendant les dernières années de la colonisation (on l’avait déjà observé à l’époque de l’État indépendant du Congo (eic) et pendant la colonisation), que la gestion du Congo dépend en grande partie de l’appréciation de diverses autorités locales. C’est un aspect important qui montre que la colonisation belge n’est pas aussi uniforme qu’on peut le penser : les humeurs des individus appelés à gérer peuvent largement déborder les décrets des textes de lois déjà vexatoires pour les Noirs16. Il n’est donc pas curieux que Pétillon17, gouverneur général devenu ministre de colonie (du 5 juillet au 6 novembre 1958) et censé bien connaître les réalités, initie le groupe de travail sur les problèmes politiques du Congo. La caractéristique du discours colonial jusqu’en mai 1960 sur la prétention de «bien connaître les populations» (de l’intérieur) permet de disqualifier ceux qui, à Bruxelles ou à Léopoldville, prétendent réformer les institutions coloniales sans tenir compte des «réalités de l’intérieur» du Congo. Selon l’appréciation de Pierre Leroy (1965 : 118), faite à l’intention du roi le 19 décembre 1959 à Stanleyville, Pétillon est « le seul ministre qui connût le Congo. Le Roi m’a regardé : “Je l’ai choisi parce que je le savais prêt à tout donner pour le Congo… Il a dû démissionner…”. Un geste de regret. Après de tels entretiens, seul à seul, j’en arrivais à trouver ma charge de gouverneur légère et joyeuse, comparée au fardeau du Roi».

G. H. Dumont (2003 : 61) dépeint de manière féroce cette gestion et cette connaissance des choses : «Maints interlocuteurs de Daniel Gillet reprochent à l’administration de travailler sans direction, sans plan d’ensemble. Hormis le clan formé autour de l’ingénieur Persyn et du préfet d’athénée Simoens, qui tente de manipuler les médias et réussit souvent à tromper des membres du gouvernement de Bruxelles, voire la Cour, l’opinion publique, toutes classes confondues, reproche à Henri Cornelis son manque de tout sens politique. Nous ne parvenons pas à faire sortir le Gouverneur général de son bureau, confie son chef de cabinet, Jean Cordy. Il a toujours préféré s’abrutir de dossiers plutôt que de se consacrer à des visites. Lors d’un récent trip dans le territoire de Luozi, nous avons été très bien reçus. J’ai dit une dizaine de fois à Henri Cornelis : “Vous devez répondre, dire quelque chose, les gens l’attendent”. Rien à faire. Il n’a pas dit un mot en public, alors que nous allions là parce que la population y est très politisée, très travaillée, par l’Abako et le Kimbanguisme».

Dès décembre 1959, le Gouverneur de la Banque centrale ne cache pas que les finances de la Colonie sont en difficulté ; l’avenir financier du Congo s’annonce inquiétant, surtout au cours de l’année 1959. En fait, le produit intérieur brut et les recettes de la colonie stagnent depuis 1955, alors que les dépenses ont presque doublé. Mais, il ne s’agit pas de dire que l’économie congolaise ne tourne plus ou que les richesses ne sont plus disponibles, car c’est la conséquence d’erreurs de conception, dont très peu de Belges de la Colonie comprennent la portée, qui est à l’origine des problèmes. L’aide que la Belgique accorde au Congo indépendant de 1960 à 1965 est de loin inférieure à ce qu’elle devrait être dans le cadre d’une poursuite de l’entreprise coloniale. Que faire alors pour que la Belgique ne dépense rien, ou très peu, et conserve ses intérêts tout en infligeant les effets de la débâcle au seul Congo18 ? De ce point de vue, l’autorité belge ne paraît plus hostile à l’idée d’une indépendance immédiate du Congo, sous certaines formes.

En acceptant l’idée de l’indépendance, l’autorité coloniale veut effacer les traces de sa gestion. Elle exige que toutes les archives, qui ont servi à la colonie, soient transférées en Belgique avant le 30 juin 1960 (Leroy 1965 : 152). C’est contre ces gestes et ces pratiques que s’expliquent certaines actions de Lumumba, même si de temps en temps – surtout après la conférence de la Table ronde politique – il prend de l’avance sur le pouvoir colonial, obligé d’être parfois sur la défensive, parfois provocateur. Dans un mémoire envoyé à ses juges, de sa cellule de détention le 23 novembre 1959, Lumumba dénonce le mode de « gouvernance » que l’autorité belge lègue au Congo. Il écrit : «En procédant comme elle le fait, l’Administration apprend aux futurs dirigeants congolais d’instaurer la dictature dans ce pays et de jeter en prison tout citoyen, tout leader qui oserait critiquer la politique des hommes au pouvoir. […] Monsieur le Président (du tribunal), l’Administration de notre pays ne doit pas utiliser la justice comme un instrument de vengeance à l’égard des Partis ou des leaders qui ne souscrivent pas aveuglément à sa politique».

Plusieurs fois Lumumba définit dans ses écrits et ses harangues publiques son rôle de dirigeant. Dans le même document, il écrit : «Nous avons conscience de nos responsabilités et nous les prenons en main. Nous avons une obligation sociale et morale d’éduquer nos membres». Dans une lettre adressée de sa cellule de prison au roi, le 8 septembre 195619, Lumumba souligne le sens de son engagement : «[…] Certains Directeurs du secteur privé proposèrent de m’engager aux mêmes conditions qu’un agent européen engagé sur place, mais je déclinai chaque fois ces offres, préférant, par idéal, rester à l’Administration pour collaborer avec les Autorités à l’administration de mon pays et à l’évolution de mes frères de race […]20. Beaucoup d’autres familles évoluées souffrent de la même manière que moi».

Lumumba est revenu sur ses idées dans le discours de clôture du congrès du mnc, prononcé le 28 octobre 1959 à Stanleyville : «Chers frères, nous ne poursuivons aucun intérêt personnel, nous n’avons aucun souci électoral. Si nous voulions avoir de l’argent, si nous voulions vivre mieux, nous ne ferions pas ce que nous faisons aujourd’hui. Nous pouvons quitter ce Congo, paisiblement, et aller vivre une vie meilleure [à…]21 ailleurs, qui dépassera celle d’un petit (ou futur) ministre congolais. Nous abandonnons tout cela […]» (Simons, Boghossian & Verhaegen 1995 : 105). Cette détermination fait que, malgré le contexte colonial contraignant, Lumumba ne semble plus à ce moment éprouver de crainte à l’égard de l’autorité blanche. Depuis des mois, il la juge ouvertement de manière négative. F. Van der Borgt, administrateur de territoire de Katako-Kombe, qui le reçoit en audience le 19 août 1959, écrit dans son rapport que Lumumba dénonce les pillages de ressources du Congo par les Belges, les mauvais traitements que continue de subir la population noire, la ségrégation raciale insupportable, et, pour finir, «Monsieur Lumumba m’a remis 2 000 F d’avance pour acheter des tôles pour la maison de son père à Onalua»22.

À la Table ronde, la question de la sécurité des personnes et des biens belges, privés et publics, qui resteront au Congo après l’indépendance, préoccupe l’autorité coloniale qui s’évertue de maintenir près de 10 000 fonctionnaires. Malgré ces aspects positifs, cette proposition risque d’alourdir le déséquilibre du budget hérité de la colonisation et d’hypothéquer le contenu de cette indépendance. Le projet paraît bien beau à la Belgique, ses ressortissants sont en haut de la hiérarchie par rapport aux Congolais qui, pendant toute la colonisation, sont restés en bas. Lumumba déclare, le 6 février 1960 : «Les personnes et les biens jouiront d’une grande sécurité, mais il faut que toutes les couches de la population du Congo, et non seulement quelques personnes, bénéficient du bien-être de l’indépendance» (Van Lierde 1960 : 133-162).

Malgré le peu de temps qu’il reste avant le 30 juin 1960, Lumumba défend l’idée que ce sont les Congolais qui doivent reprendre en main la gestion de leur pays23, il plaide pour une formation rapide de futurs responsables congolais24. Un de ses partisans, A. Onawelho, témoigne : «Après la Table ronde politique et pendant la campagne des élections législatives au début du mois de mai 1960, quand tout semble lui assurer une victoire, Lumumba disait à ses courtisans : “Après l’indépendance, les fonctionnaires belges qui accepteront de rester au Congo et qui opteront pour la nationalité congolaise conserveront leur poste et leur grade. Un administrateur de territoire belge sous la colonie restera administrateur de territoire pour autant qu’il opte pour la nationalité congolaise”».

En juin 1960, Lumumba fait la déclaration suivante à la radio : «[…] Et j’adresse ici un pressant appel aux jeunes enseignants et techniciens belges désireux de venir au Congo accomplir loyalement une tâche dont le dévouement et l’idéalisme trouveront une juste rémunération. Jeunes Belges qui m’écoutez, il y a encore bien des ponts à lancer, des routes à ouvrir, des écoles à bâtir. Il y a aussi des centaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants qui attendent de vous que vous les aidiez à vivre une vie meilleure, à se hisser plus haut sur l’échelle des valeurs humaines. Allez-vous refuser de les entendre ? Je m’adresse aux investisseurs, je leur dis : aidez-nous à développer les immenses ressources que recèle notre grand pays et que nous ne pouvons pas laisser improductives. Vos mines, vos chantiers, vos usines trouveront dans le Congo indépendant la juste récompense que leur vaudra la richesse qu’ils apporteront à notre pays, car il ne faudra pas se méprendre sur la politique que nous comptons suivre : autant nous lutterons contre les privilèges immérités, autant nous protégerons les investissements servant réellement au développement du revenu national. Le Congo qui s’est voulu indépendant, n’en désire pas pour autant être isolé du reste du monde. À tous ceux qui voudront collaborer loyalement avec lui, le Congo tend la main de l’amitié».

En pensant aux hommes, Lumumba se préoccupe aussi des structures, dont celles de l’armée. Au Congrès de Stanleyville, en octobre 1959, et lors de sa tournée au Kasaï, un mois auparavant, il ne cessait de s’inquiéter de l’avenir des bases militaires, dont celles de Kitona et Kamina. Au cours de la séance de la conférence de la Table ronde du 17 février 1960, il veut connaître le statut de la Force publique et demande au ministre De Schrijver ce qu’il adviendra des bases métropolitaines de Kamina et de Kitona après le 30 juin. Pour celui-ci, la Force publique servira le gouvernement congolais. Quant aux bases militaires, le ministre estime que ce problème ne peut être résolu avant le 1er juillet et devra faire l’objet de négociations entre les deux gouvernements, congolais et belge, en vue d’un accord technique25.

«Lumumba, mon ennemi intime»

Lumumba quitte la prison de Stanleyville en juin 1957, non sur sa demande – comme on le dit souvent –, mais sur l’exigence du Ministère public qui espère, en l’amenant à Léopoldville, parvenir à une condamnation plus sévère26. Lors de son second emprisonnement, en novembre 1959, Lumumba est transféré au Katanga malgré sa résistance, l’administration voulant le garder dans un endroit estimé plus sûr. Dans les deux cas, Lumumba est relâché avant que sa condamnation arrive à sa fin, malgré les appels à la fermeté de l’administration. La première fois, on lui trouve un emploi dans le privé avec des avantages substantiels. La seconde fois, il doit se confronter directement au pouvoir de Bruxelles dans le cadre de la conférence convoquée pour discuter de l’avenir du Congo. Parti d’Élisabethville le 25 janvier, Lumumba déclare deux jours après, au cours de sa première séance de participation à la Table ronde : «Le Congo est aujourd’hui pratiquement sous le régime militaire. Nous ne comprenons pas qu’au moment même où le gouvernement belge s’incline devant la nécessité de reconnaître l’indépendance immédiate du Congo, son Administration renforce sa politique de répression à l’égard de la population congolaise. Cette situation paradoxale doit prendre fin. Elle ne peut être que génératrice de nouveaux incidents, préjudiciables à des bonnes relations entre la Belgique et le Congo» (Gérard-Libois & Verhaegen 1961 : 30).

«Lumumba mon ennemi intime » est une allégation de Pierre Leroy (1965 : 155), le dernier gouverneur belge de la Province orientale avec qui Lumumba se confronta violemment à la fin 1959. Leroy le mit en prison et affirma dans une allocution à la radio, le 2 novembre : «[…] La décision de faire l’indépendance est irrévocable et que l’effacement d’un agitateur professionnel est sans influence sur ce programme : l’indépendance se fera avec ou sans Lumumba» (ibid. : 96). Une affirmation qui se révèle dans l’immédiat hasardeuse car, pour avoir été libéré peu après par le gouvernement de Bruxelles, Lumumba échappe aux coloniaux du Congo. Le gouverneur perçoit là un signe révélateur de la fin du règne colonial : «Je viens de lire d’une traite le livre de Graham Green Le fond du problème (The Heart of the Matter). Je le lisais avec douleur comme ma biographie posthume. Cette solitude effroyable… Cette impasse catholique… Ce livre m’a bouleversé» (ibid. : 130). Pierre Leroy associe son départ du Congo à l’attitude de Lumumba : «Je l’ai fait appréhender le 1er novembre (1959) et avant le 1er mai (1960), il [Lumumba] obtient mon renvoi. C’est du beau sport. Quant à moi, je ressens moins l’amertume de la défaite que le soulagement de l’irrémédiable» (ibid. : 177-178).

40Devant l’ascension de Lumumba, le chef des coloniaux ressent à la fois une défaite et de l’irrémédiabilité. Défaite, parce que le parti de Lumumba gagne à Stanleyville les élections municipales de décembre 1959, il en est (en partie) de même pour les élections législatives en mai 1960. Le gouverneur Leroy cherche la condamnation et le maintien de Lumumba en détention. Au moment de l’arrestation de Lumumba, à la fin 1959, il dispose de peu d’alternatives : « Le gouvernement (belge) a le choix : lâcher Lumumba et aboutir fatalement à la dictature ou le maintenir en détention et réserver ainsi une chance mince mais réelle de faire du Congo une nation décente » (ibid. : 110). Le gouverneur Leroy estime avoir tout tenté, et dit avoir appris du procureur du roi que « les bases étaient fermes pour obtenir, contre Lumumba, une condamnation sévère » (ibid. : 109). « Il fallait faire ce qui a été fait. […]. Lumumba avait violé la loi. Le laisser continuer sans intervenir, c’était tout abdiquer, tout abandonner, c’était lui livrer le pays et lui céder large ouverture la route vers le pouvoir… Il fallait absolument le “contrer”. Je l’ai fait, […] y voyant le moindre mal » (ibid. : 99).

Au Congo, l’administration donne de nombreux avertissements à Bruxelles : «23 novembre 1959, lettre au Ministre sous le couvert du Gouverneur Général […]. Ceci dit, je m’autorise à vous redire respectueusement qu’une mesure de libération de Lumumba, pour quelque raison que ce soit, causerait un bouleversement dont il ne m’est pas possible de mesurer la portée» (ibid. : 110-111). Le 21 janvier 1960 lorsque le Tribunal de première instance de Stanleyville rend son verdict, trois préventions sont retenues à charge contre Lumumba : atteinte à la sûreté de l’État avec excitation des populations contre les pouvoirs établis ; incitation à la désobéissance devant les lois ; défense de voter. Le Ministère public demande quatre ans de servitude pénale principale (spp), mais Lumumba est condamné à «six mois de servitude pénale principale» et à payer «cinquante-deux mille trois cent quatre-vingts francs, soit quarante-deux mille quatre cent septante et un francs septante centimes ou sept jours de contrainte par corps en cas de non-paiement dans le délai légal».

Le lendemain 22 janvier, Lumumba est transféré au Katanga. C’est l’administration du Congo qui se ligue contre lui. Pierre Leroy (ibid. : 129) affirme : «D’accord avec le Gouverneur général et le gouverneur du Katanga, j’ai ordonné son transfert immédiat à Jadotville». Après les exigences imposées par les délégations congolaises réunies à la Table ronde, le gouvernement de Bruxelles libère Lumumba. L’objet et le sens même du procès de Lumumba deviennent absurdes dans la mesure où une rencontre, pour discuter de l’avenir du Congo, doit avoir lieu. C’est le jugement de l’avocat français de Lumumba, Jean Aubertin, qui renonce à comprendre ce que veulent exactement les Belges. Il s’agit de poursuivre et condamner un chef politique à qui l’on donne, en même temps, tous les éléments pour prendre le pouvoir. Le dossier du procès est volumineux, mais il concerne, pour l’essentiel, des faits pour lesquels le prévenu n’est pas poursuivi. Que reste-t-il ? Précisément, un procès à des discours ! Le prévenu a-t-il «excité» la population ? Les témoins disent qu’ils sont entrés au meeting «le cœur pur» et qu’ils en sont sortis avec le même cœur tout aussi pur (Marrès & Vermast 1974 : 143).

Ensuite vient un sentiment de résignation devant ce qui paraît devenir irrémédiable. L’annonce de la libération de Lumumba, trois jours après sa condamnation par le tribunal, fait dire au gouverneur Leroy : «Le Gouverneur général m’apprend au téléphone que Lumumba, mis en liberté provisoire, partira ce soir pour Bruxelles. Personnellement, j’aime autant cette solution qu’une autre. Elle semble une nouvelle abdication, mais, à l’heure présente, on n’imagine pas plus de faire une politique congolaise sans entendre Lumumba qu’une histoire de la peinture sans nommer Picasso» (Leroy 1965 : 129). Joseph Mobutu, présent à Bruxelles où il côtoie les invités à la Table ronde, affirme : «Avec cette libération, le détenu [Lumumba] avait été promu homme d’État» (Mobutu 1989 : 44). J. Marrès et I. Vermast écrivent : «Le condamné est libéré le 25 janvier, réhabillé de pied en cap par les soins de l’administration katangaise – non elle n’ira pas jusqu’au bout, elle n’achètera pas de chapeau –, transféré à Bruxelles où il est accueilli en triomphateur» (Marrès & Vermast 1974 : 144).

Le gouverneur Leroy veut que son pays, la Belgique, change de logique, comprenne que Lumumba est un «diable» (Dubois 2002) contre lequel une plus grande coalition de tous s’impose pour ne pas tout perdre. Excédé par la tournure rapide de la situation, il avoue que ce n’est pas l’opinion des Congolais qui doit être prise en compte dans les choix à faire. «[…] Il faut que la Belgique soutienne l’administration du Congo, il faut que les mesures que nous, gouverneurs et Gouverneur général, jugeons indispensables, soient appuyées, même si, de Belgique, elles paraissaient inadéquates. On raisonne toujours comme si les masses congolaises étaient semblables aux masses populaires belges. On oublie le point capital : leur mentalité pénétrée de sorcellerie, de magie, leur tendance à la mystique, leur respect de l’énergie. Transiger est toujours pour elles un signe de faiblesse permettant un pas de plus en avant… Vers les désordres et les grandes aventures politiques» (Leroy 1965 : 105-106).

Le gouverneur Leroy qui, jusque-là, craignait encore de trop s’écarter des textes des lois comme plusieurs coloniaux le lui proposaient, tend lui aussi à se convaincre que le temps est maintenant arrivé de s’engager dans des voies plus dures. «18 novembre 1959. En réponse à mon allocution du 6 novembre aux notables, je reçois de J. M. Ugeux, directeur de la Brasserie, homme dont j’estime la droiture et le franc-parler, une longue lettre qui me remue profondément. Il attribue les troubles de Stan à la faiblesse de l’autorité et à notre attitude conciliante envers Lumumba. Il me rappelle qu’au Congo, bonté et générosité sont tenues pour débilité. Il me reproche d’avoir joué le jeu, respecté la loi, gardé les mains nettes. Et il se résume en disant que “trois mois de courage peut-être extra-légal sauveraient ce pays, mais il faudrait, pour cela, ne pas avoir l’œil fixé uniquement sur les politiciens, les instances nationales et internationales”. Oui, je connais cette tentation. Mais croit-on qu’un gouverneur de province, à cette époque de radio et d’avions, puisse se raidir, je ne dis pas trois mois mais huit jours, dans l’illégalité. Nous ne sommes plus au temps de la Campagne arabe. Il est probable aussi qu’une semaine de fusillades dans tous les coins remettrait les choses en ordre pour dix ans. La paix froide des cimetières…» (ibid. : 108).

Leroy secoue le pouvoir de Bruxelles pour qu’il se réveille et prenne conscience de la gravité de la situation sur le terrain au Congo : «[…] Mais la majorité de la population européenne et, plus spécialement, les membres du service territorial et de la police qui se sont heurtés à ce leader ou à ses émissaires sont à la fois découragés et ulcérés. Il me paraît urgent, d’une urgence impérieuse au moment où un effort considérable va être exigé du personnel pour la mise en place des institutions nouvelles, que des garanties formelles et sans équivoques lui soient données par la Belgique pour son avenir» (ibid. : 59)27.

Leroy ne croit pas que la Belgique a déjà perdu le Congo. Il déclare : «Le plus grand péril qui menace la présence belge aujourd’hui, ce n’est pas l’éveil de la conscience politique ou du nationalisme africain mais c’est, chez nous, un éventuel esprit d’abandon. […] Ce qui importe, c’est de sauver l’essentiel de l’œuvre entreprise il y a quatre-vingts ans : la civilisation, la culture, le respect de l’homme par l’homme (sic). Et j’ai la conviction profonde que cet essentiel sera sauvé» (ibid. : 120-121)28. Il continue par une recommandation faite aux coloniaux : «[…] Quant aux autres, aux anciens [Blancs], s’il en est parmi eux qui sont gagnés par l’appréhension, qu’ils réfléchissent : il n’existe pas de peuple dont l’histoire n’ait comporté périodiquement des bouleversements plus ou moins graves. Le Congo-paradis est un mythe, il n’a jamais existé. Lisez les récits des premiers explorateurs, feuilletez les souvenirs des pionniers, rappelez-vous le passé que vous avez connu : au cours des vingt dernières années, il y a eu Lubumbashi, le Moyen-Orient, Luluabourg, Masisi, Matadi, pour ne citer que les crises les plus marquantes. Chaque fois, les timides ont capitulé. Chaque fois, Dieu merci, la plupart se sont immédiatement ressaisis et ont continué. Est-ce que les hommes de 1960 seront inférieurs à leurs devanciers ? Sommes-nous à ce point dégénérés ?».

Jean Hollans Van Loock, un fonctionnaire belge qui côtoie la cité indigène à Léopoldville, juge cette attitude assez caractéristique dans la gestion coloniale du Congo jusqu’à sa fin. Il n’a pas été fait de distinction entre les problèmes de l’ordre et ceux de la politique. Il déclare : «L’ordre, le Général Janssens s’en charge et il le fait très bien. La politique, c’est-à-dire la gestion du bien commun, n’est plus seulement un problème d’administration, d’exécution, d’instructions venues d’en haut, c’est désormais le contact, le dialogue, la négociation, la décision aussi démocratique que possible et tenant compte de la volonté des administrés. Volonté exprimée empiriquement avant qu’elle ne s’exprime par des institutions. Jusqu’au 13 janvier (1959), tous les pouvoirs venaient du Gouverneur général; ils doivent progressivement venir tous de la nation. C’est ce renversement du courant que l’administration se refuse à accepter parce qu’elle ne le comprend pas» (Dumont 2003:62).

Contre Lumumba pèsera aussi l’évolution de l’attitude du roi Baudouin. Le souverain des Belges connaît personnellement Lumumba pour l’avoir rencontré en 1955 et être intervenu en sa faveur lors de son premier emprisonnement en 1956-1957. Il vient en visite pour la deuxième fois au Congo à la fin de l’année 1959, en commençant, cette fois-ci, par Stanleyville où Lumumba est de nouveau emprisonné. C’est l’occasion pour le roi de se confronter au prestige grandissant de Lumumba et d’observer à quel point la détérioration de l’autorité coloniale devient profonde. Voici le témoignage du gouverneur Pierre Leroy (1965:116-117) qui décrit son séjour à partir du 17 décembre :

«Le Roi nous avait dit son intention d’aller fleurir le monument à Léopold II dont c’est le cinquantième anniversaire de la mort. Nous nous préparons à cette cérémonie quand j’apprends que 1 500 personnes sont massées devant la prison et qu’il s’y en ajoute de seconde en seconde. Bientôt, ils sont là 3 000 qui s’apprêtent à porter en triomphe Lumumba libéré et Baudouin, son sauveur. Pour comble, le monument est voisin de la prison et la troupe est bloquée derrière la foule qui remonte vers la ville en une lente poussée bouchant l’unique avenue. Les voitures venues à l’aérogare mettront deux heures pour regagner la ville, non sans être malmenées. L’attente est pénible. Aux officiers et commissaires, je redis : “Pas de casse !” Mais, devant la prison, la foule devient menaçante. Enfin, un peloton y parvient, puis un deuxième. Il faudra des grenades pour dégager la place et, en se repliant, les manifestants se vengent sur les vitres des magasins. Vers 17h30, le calme est rétabli et le Roi peut se rendre au monument. Vide et silence. À la vue de nos trois voitures, une vingtaine de passants s’arrêtent et acclament le Roi… Ces cris maigres dans ce désert ! J’avais peine et j’avais honte […].

Le Roi nous a longuement interrogés. H. Cornelis et moi, ensemble ou séparément. Il me dit soudain : – Si vous aviez tous les pouvoirs, vous prendriez sans doute certaines mesures pour assainir la situation?  – Oui, Sire.   Eh bien ! Prenez-les. Je vous couvre. — Je remercie Votre Majesté.

Brusquement, je me sens confondu et déprimé. D’un coup, j’imagine cette dictature sui generis soumise au Parlement, en proie aux partis, aux syndicats, aux tribunaux, à la presse, tous pratiquement intangibles. Quelles mesures prendre encore? Celles qui auraient une chance d’être efficaces, le Roi lui-même ne pourrait les ordonner. Baudouin insiste : “Quelle est la première mesure que vous prendriez”? Je réponds par une demi-boutade : “Je rappellerais le colonel Logiest qui vient d’être affecté au Ruanda”. Le Roi a un geste évasif mais, sans doute, ses pensées sont-elles proches des miennes car, après quelques pas, il ajoute : “Nous allons abandonner le Congo dans la honte et avec beaucoup de morts”».

En quittant Stanleyville le 19 décembre, le roi est inquiet. Dans l’espoir de garder encore le Congo, la Belgique a même pensé que le roi peut rester à la tête de l’ex-colonie en attendant la mise en place progressive des institutions. Mais, à la conférence de Bruxelles de janvier-février 1960, Lumumba refuse catégoriquement de voir le souverain de la Belgique comme chef de l’État congolais, même à titre provisoire29. Baudouin Ier ne verra pas arriver les temps meilleurs au Congo avant la fin de l’ère coloniale. C’est encore Lumumba qui vient troubler sa visite d’adieu comme souverain du Congo belge le 30 juin 1960. Baudouin aime répéter, pour qualifier le Congo, «d’œuvre conçue par le génie du roi Léopold II». L’allocution qu’il prononce, le 21 février, lors de la réception de la délégation des représentants congolais à la Table ronde, montre bien à quoi tient sa pensée.

« […] Plus que jamais, nos pensées se reportent vers le roi Léopold II qui fonda l’État du Congo, il y a quatre-vingts ans. Dans une contrée totalement inexplorée, quasi inconnue du restant du monde, les ethnies et les tribus, souvent hostiles les unes des autres, en proie à l’esclavage et à la maladie, ont été réunies en un magnifique empire. Fait exceptionnel et admirable, mon arrière-grand-oncle a réalisé cette union, non par la conquête, mais essentiellement par une série de traités signés pacifiquement entre le Roi et les chefs coutumiers, traités grâce auxquels la sécurité, la paix et tous les éléments de la prospérité ont été introduits par les Belges au cœur de l’Afrique. Ceux qui prendront notre succession à la tête du gouvernement congolais verront combien large, hardie et, je n’hésite pas à le dire, généreuse a été l’œuvre de la Belgique au Congo. Nous y sommes arrivés lorsque tout était à faire. Ce Congo nous vous le rendons avec une administration constituée, des grandes villes, des chemins de fer, des routes, des aérodromes, des hôpitaux, des écoles, une élite intellectuelle, une monnaie, des industries, une agriculture considérablement développée, un niveau de vie et une activité économique que beaucoup de pays neufs vous envient». Il est le «roi thaumaturge» appelé au secours pour avoir tenté, lors de son fameux voyage en 1955, de colmater les fissures du bloc colonial et de séduire l’opinion congolaise. Le jour de la proclamation de l’indépendance, le 30 juin 1960, c’est-à-dire lorsqu’il est appelé cette fois-ci à liquider «l’œuvre civilisatrice» inaugurée par Léopold II, le roi reprendra les propos qui défendent le rôle de la Belgique au Congo. D’après lui, son pays a tout donné à sa colonie. Il ne fait nullement allusion aux bénéfices de cette colonisation pour la Belgique ni à la participation des Congolais à la réalisation de cette œuvre.

Lumumba, devenu chef du gouvernement congolais, prend la parole après le roi pour répondre et profiter de la tribune pour donner sa lecture de la colonisation belge. Les deux perceptions, qui ont longtemps évolué différemment, ont enfin l’occasion de s’affronter à la même tribune avec le même niveau de pouvoir. Lumumba annonce la fin des pillages, des tortures et des humiliations et rend hommage à ses «frères de race» «combattants de l’indépendance aujourd’hui victorieux»30. Il ignore le roi et n’en dit pas un mot. En fait, Lumumba rejette Léopold II représenté et honoré par Baudouin. Il dénonce la colonisation qualifiée de tricherie et d’abjecte. Lumumba est considéré comme l’ennemi de la présence coloniale, mais le tournant des événements fait dire au gouverneur Leroy que le moment arrive de réviser la lecture de l’Histoire et donc de changer la manière de jouer. Tout en persévérant dans la logique colonialiste, ces propos sont plus nuancés que ceux du roi.

«Je m’adresse maintenant aux Congolais, à cette immense majorité d’hommes qui se trouvent peut-être mal à l’aise devant la précipitation des événements, qui eux aussi ont peur, mais que soulève un grand espoir d’une vie meilleure et d’une justice mieux distribuée […]. À ce moment où certains leaders relèvent avec passion les lacunes et les ombres de ces quatre-vingts années, on peut, avec une légitime fierté, en proclamer l’actif indiscutable. Mais ce qu’il ne faut jamais oublier, c’est que cette œuvre énorme a été réalisée par l’union profonde et le travail commun des Blancs et des Noirs. L’Afrique, sa terre et ses hommes ont été le champ immense où l’Européen a semé. Nul ne saurait, dans la récolte, dissocier la part des uns et des autres. Et l’État qui est en train de s’élever, quel qu’il doit être un jour, ne peut avoir d’autre socle qu’un indestructible, comme certains le font, c’est montrer qu’on n’a pas compris : Europe et Afrique ont travaillé ensemble et si quelque reconnaissance est due, elle ne peut être que réciproque» (Leroy 1965 : 122-123).

Jean Tordeur, alors gouverneur à Bukavu, apprend la démission du ministre Van Hemelrijck en septembre 1959 : «C’est la manifestation d’une difficulté grave de la Belgique à propos du Congo. La crise risque d’être décisive. Les chances d’une issue favorable me paraissent faibles» (Dumont 2003 : 68). Après l’échec du projet d’assimilation, à quelle collaboration entre Blancs et Noirs peut-on encore s’attendre au moment où la colonisation belge se termine ? Il s’agit moins pour la Belgique d’engager une nouvelle politique d’intégration que de mener des actions ou d’adopter des stratégies habiles contre Lumumba afin d’espérer garder un rôle dans la future gestion du Congo indépendant.

Lumumba doit être éliminé

Le premier emprisonnement en 1956-1957 permet à Lumumba de s’installer à Léopoldville. Il évoque, à plusieurs reprises, à la fin de l’année 1959, l’éventualité d’une répression violente et même de sa propre mort : «La Belgique va nous [t..] tuer, par des balles. Ce n’est rien ! Et ça sera au nom de la religion et de la civilisation qui condamne l’esclavage que la Belgique va nous tuer demain. Et alors, soyez forts ! Soyez optimistes ! Ayez conscience de votre dignité et la conscience de votre personnalité. Songez à vos parents qui sont morts, songez à ces frères, victimes de la colère, qui souffrent sous l’oppression colonialiste. Ce pillage colonial, la spoliation, des brimades de tous les jours, et vous acceptez ça ! (Non dans le brouhaha de la foule). Et si vous êtes opprimés, c’est parce que vous le voulez ! Si vous voulez que ce soit empêché demain, vous me suivrez demain ! (Dans la foule on entend : “Demain”). Et nous sommes certains que nous mettrons fin à ce régime demain, et nous sommes certains et convaincus, nous le disons publiquement, que la Belgique a complètement perdu aujourd’hui31!».

Les premiers à s’être opposés à Lumumba sont les milieux ecclésiastiques et principalement l’Église catholique. En assistant à la conférence de la Table ronde en tant que prisonnier sorti victorieux de ses bourreaux, Lumumba place définitivement l’administration contre lui. Il triomphe sur tous ceux sur lesquels le pouvoir colonial aurait pu compter comme alliés parmi les Congolais. Il rentre à Léopoldville le 28 février pour devenir membre du collège exécutif général. Dès ce moment, le 1er mars 1960, une initiative pour «éliminer» Lumumba est formellement suggérée par A. Doucy du cabinet du Premier ministre Eyskens32 :

«[…] 3. Action politique. L’homme à éliminer est Lumumba. Dans toute la mesure du possible faire valoir ses contacts avec l’étranger. Regroupement des forces modérées par province […] : Katanga : Conakat, Balubakat. Equateur : Union Mongo, Bolikango, Fedunec (Dyoku). Province Orientale : Pnp, Arabisé. Kivu : ARP, Kabare. Kasaï : Kalonji, Union Mongo, Ilunga, Lulua-Pnp. Léopoldville : Bateke, Kiamfu des Bayaka. Il faudrait pouvoir mettre à la disposition de ces partis des techniciens, de la propagande et des fonds. L’ensemble pourrait coûter au maximum 50 millions.

4. Il [A. Doucy] considère que Bolikango est le seul Premier ministre modéré valable. Il faut à tout prix éviter qu’il se jette dans l’aventure de la création du parti catholique. Cela aboutirait à éloigner de lui quantité de modérés, notamment Bolya.

5. Dès à présent, il faut penser au personnel supérieur que nous enverrons au Congo au lendemain de l’Indépendance : notre premier Ambassadeur, le chef de la mission technique, les “conseillers”. Il en faudrait de 25 à 40, à mettre comme conseillers à la tête des administrations les plus importantes, et au centre et dans la province.

6. Mon interlocuteur [A. Doucy] estime qu’après le 1er juillet 1960 seront éliminés : 20 % des magistrats ; 60 % des Commissaires de districts ; 20 à 30 % des administrateurs territoriaux et des membres de l’administration supérieure ; 10 % des colons».

Le choix de ce personnel belge et le rôle qu’il sera appelé à jouer dans le nouveau Congo constituent autant de points sur lesquels la conférence de la Table ronde n’avait pas apporté de réponses, et Lumumba les avait contestés. Cette présence « mal définie » pèsera dans l’assassinat qui interviendra quelques mois plus tard33 et dans la gestion postcoloniale du Congo. Elle facilite, pour l’opposition anti-Lumumba, le recours aux moyens (armée, sûreté ou corruption par l’argent) et le choix du personnel à engager pour supprimer Lumumba34.

Sur l’éventualité de sa mort, Lumumba établit lui-même le niveau de responsabilité. Le 10 octobre 1960, lorsqu’il reçoit le billet l’avertissant que les soldats de Mobutu le recherchent, Lumumba déclare : «On veut me tuer. Je mourrai comme Ghandi. Si je meurs demain, c’est qu’un Blanc aura armé la main d’un Noir. J’ai fait mon testament. Le Peuple saura que je me suis offert en otage pour sa liberté»35. Malgré les embûches, Lumumba conserve la position dominante acquise à la Table ronde et devient Premier ministre du premier gouvernement du Congo indépendant. Les péripéties qui jalonnent la phase décisive ouverte avec cette cérémonie de l’indépendance constituent la période couverte par la commission d’enquête parlementaire belge que nous avons approchée et dont nous donnons une appréciation du travail réalisé36. Les circonstances qui ont conduit à la mort de Lumumba sont longuement dévoilées au cours des années 1990. On connaissait dans les grandes lignes une partie des acteurs impliqués37, les derniers travaux ont précisé la description des séquences de l’assassinat.

Un deuil continuellement perturbé

62Gérard Soete meurt en juin 2000 sans avoir rendu les reliques de Lumumba : deux dents de la mâchoire supérieure et les doigts qu’il avait gardés du cadavre dépecé en janvier 1961. «Il sort le bras droit du fût et coupe deux doigts de la main raide. L’index qu’une balle a blessé en traversant la main qui essayait de se protéger, l’index qui a tellement menacé, qui avait montré le chemin de la destruction, de la mort et sa propre perte aux masses excitées. Le petit doigt à l’ongle long qu’il utilisait pendant son emprisonnement pour se curer le nez et se nettoyer ses oreilles. Il enveloppe les reliques dans un linge propre, se penche vers le sol où une balle venant de sortir du corps est tombée, les ajoute aux preuves et empoche le tout».

Ce que vise cette besogne de Soete sous injonction de son ministre G. Munongo, c’est de faire disparaître Lumumba pour qu’on n’en parle plus. On le dit dans le monde sorcier : on (mange) détruit sa victime pour la supprimer à jamais et marquer sa domination, on garde parfois – au cas où la victime aurait représenté une certaine puissance – quelques parties de celle-ci pour lui reprendre la force qu’elle avait de son vivant. Car, «toute vie humaine porte une force immanente. Une force immanente qui venge le mort en s’attaquant à son tueur. Le tueur peut neutraliser la force immanente en émasculant la victime […]. C’est la mutilation rituelle qui empêche un grand initié […] de ressusciter» (Kourouma 1998 : 94).

Voici ce que Soete fait du reste du corps de Lumumba : «Il prend le torse, le fait descendre dans le fût, au dessus des membres défaits, et pose la tête sur le tout. Il débouche une des dame-jeannes (d’acide) et verse le contenu sur le corps dépecé. Une colonne de gaz, blanche et sifflante, monte au ciel. L’acide transforme le Prophète (Lumumba) en masse muqueuse». Godefroid Munongo, ministre de l’Intérieur de l’État du Katanga à l’époque, déclare à la presse qu’«[…] il n’y aura pas de poursuites judiciaires» (Toussaint 2003 : 14)38. Un belge interrogé à Elisabethville en février 1961 par Toussaint déclare : «Il va de soi que nous restons ici parce que nous y avons nos biens, notre travail. Que retrouverions-nous en Belgique? Il n’y a pas de l’idéalisme dans notre attitude, mais il y a cependant (sic). Nous sommes prêts à accomplir beaucoup plus que n’exigerait la protection de nos biens. C’est dans cet esprit que la mort de Lumumba est accueillie ici par les Blancs. On trouve la chose grave au point de vue international, et elle pose un problème de conscience aux magistrats – qui ne bougeront d’ailleurs pas, je le jurerais, et qui s’ôteront même bien vite ce souci de la tête – mais en fait, on retombe toujours sur le même type de raisonnement : “Que voulez-vous ? Il faut ce qu’il faut, et Lumumba n’a que ce qu’il méritait”…» (ibid. : 15).

Pas de sépulture pour Lumumba

La mère de Lumumba (morte en juillet 2000), interrogée en août 1993, a un curieux regard sur la mort. Son attitude puise des éléments à la fois dans sa culture d’origine et à partir du geste des bourreaux de son fils (Omasombo & Verhaegen 1998 : 73). «Le monde n’a pas voulu de moi, dit-elle. On me raconte que la mort frappe constamment les miens, mais pourquoi la nature refuse-t-elle toujours de me montrer leur dépouille? Où partent-ils réellement ? Dis-moi, sont-ils dévorés par le méchant lion? par le mauvais sorcier du clan voisin ? Ou sont-ils enterrés comme tout le monde, mais à mon insu? ». Au Congo, le «gouvernement révolutionnaire»39 d’Alphonse Kingis à Stanleyville est le premier qui érige un monument pour Lumumba en 1964. C’est une cage vitrée avec une photo «grandeur nature» placée à l’endroit où était le monument colonial de Léopold II, détruit au moment de l’indépendance. Lorsque la rébellion des Simba s’empare de la Province orientale, à partir du mois d’août, ce lieu sert à exécuter ceux qui étaient censés être des partisans du pouvoir de Léopoldville et donc les ennemis. Mais en novembre, les troupes belges reconquièrent la ville au profit de leurs alliés de Léopoldville ; les soldats de Mobutu saccagent l’effigie de Lumumba.

Dans son ouvrage, J.-C. Willame (1990) qualifie Lumumba d’ombre tragique faisant allusion à sa privation de sépulture40. Le dernier chapitre, «le mythe et l’histoire», constitue une tentative pour situer l’homme et son destin autour du mythe qui le porte. C’est (peut-être là) ce qui était le plus difficile à écrire car il s’agissait pour l’auteur de conclure sur la base des informations disponibles à l’époque et sur la base d’un effort d’appréciation globale. Lumumba maintient jusqu’au bout le sens de son engagement, sa volonté de lutter contre la colonisation. «[…] Ni les menaces, ni les insultes, rien ne m’arrêtera», écrit-il dans un droit de réponse à Max Bastin en mai 195941. C’est la mort qui sauve Lumumba, écrit Willame (1990 : 473). Comment apprécier pareil jugement ? Peut-on réduire l’assassinat de Lumumba à ce qui peut apparaître comme des « erreurs » d’appréciation de la situation et de comportement ? La controverse ouverte, avec les travaux de Brassinne (1990), Brassinne & Kestergat (1991) et De Witte (2000) et qui ont suivi la publication de Willame (1990), montre combien l’information reste en partie tributaire du choix des données et des interprétations qui en sont faites. Il y a la réalité même du drame, ce qu’est le Congo en 1960, le contenu et les enjeux réels des événements qui expliquent la crise. Dans l’analyse de ce dossier, la part doit être faite entre une chronologie des événements distincte d’une explication de la situation qui serait beaucoup plus globale. Car les gestions coloniale et postcoloniale du Congo hypothèquent durablement l’avenir de tout un pays.

Lumumba a toutes les caractéristiques de cet héritier du roman de A. Kourouma (1998 : 61) : «[Il…] est de la race des hommes qui ouvrent [des voies], des hommes qui se font suivre, des maîtres, de ceux qui doivent savoir s’arrêter à temps, de ceux qui ne doivent pas rester en deçà ni aller au-delà. Malheureusement […] [il] ira loin, terminera au-delà. Il terminera trop grand, donc petit ; trop heureux, donc malheureux. Il sera […] notre richesse et notre malheur… Énorme !».

On s’en réclame sans vouloir réellement le connaître et l’imiter

Chaque fois qu’il est question d’éveiller le sentiment patriotique au Congo, le nom de Lumumba est régulièrement évoqué. Mais personne ne semble vouloir vraiment l’approcher. C’est le problème de l’oppression des masses et de la confiscation de l’histoire du pays comme pendant la colonisation qui doit être posé, le vécu quotidien est conçu comme un racolage des consciences naïves42. Qui s’empare du Congo ? L’évolution politique après la mort de Lumumba est favorable au premier noyau du «Groupe de Binza» (Omasombo 2001). Le critère du choix des membres de l’équipe dirigeante est plus leur capacité à contrôler le pouvoir institué que leur façon de gérer le pays. Ainsi, le recrutement qui s’opère est favorable pour plusieurs commissaires généraux, voire certains partisans de Lumumba reconvertis.

En dominant le parti mnc dès sa création en 1958 et en conquérant le leadership peu après, Lumumba se place au centre du jeu politique, et une grande partie de la classe politique se définit par rapport à lui. Il supplante Kasa-Vubu, comme leader exigeant une indépendance immédiate, et Mobutu, un partisan, qui deviennent chefs de l’État. J. Iléo et C. Adoula, qui sont tous deux co-fondateurs du parti de Lumumba, et M. Tshombe, qui est un adversaire, lui succèdent comme Premiers ministres. Cyrille Adoula, qui est Premier ministre d’août 1961 à juin 1964, passe pour le «coordonnateur» du «Groupe de Binza» qu’il associe à la prise de toute décision importante. Sous Tshombe, au pouvoir entre juin 1964 et octobre/novembre 1965, ce groupe semble connaître un repli mais garde en fait toute son influence. Très habile, il contribue à la chute du gouvernement Tshombe qui aide Mobutu à prendre le pouvoir en novembre 1965.

Mobutu proclame Lumumba héros national !

La prise du pouvoir par Mobutu profite largement au « Groupe de Binza ». Jusqu’en 1968, ses membres occupent les meilleures positions au sommet de l’État. Par exemple, Bomboko occupe, depuis le 24 mars 1960, au moment de la formation du gouvernement Lumumba (sauf sous les gouvernements Tshombe et Kimba en 1964-1965), le poste de ministre des Affaires étrangères ; Nendaka est ministre des Finances après avoir dirigé le ministère de l’Intérieur et la Sûreté ; Ndele garde la direction de la Banque nationale depuis la mort de Lumumba. Certains, issus des rangs du Collège des Commissaires généraux, sont en lice dont Tshisekedi qui connaît une ascension rapide et compte parmi les hommes politiques les plus puissants du nouveau régime. Il est non seulement membre du gouvernement mais aussi le second responsable (après Mobutu lui-même) du parti unique, le Mouvement populaire de la révolution (MPR), créé en mai 1967. Sa présence nuit aux originaires des ethnies de sa région qui ont été favorables à Lumumba, il surveille leur promotion politique43, il appuie ceux de son groupe ethnique (Mukamba, Kazadi ou encore Mabika) qui se sont opposés de manière active à Lumumba.

Avec l’éviction en 1965 du «pouvoir katangais» à Léopoldville – Munongo est emprisonné à Bulabemba dans le Bas-Congo –, la dénonciation des accords financiers belgo-congolais de mai 1966, la nationalisation de l’Union minière du Haut Katanga (UMHK), l’instauration du «nationalisme congolais authentique» devenu la doctrine politique officielle du pays au début des années 1970, Mobutu semble renouer avec l’idée du nationalisme anticolonial de Lumumba. La manière dont le régime Mobutu est allé à la rencontre de Lumumba est assez équivoque. Le nouveau chef de l’État cherche d’abord l’affermissement de son pouvoir à l’intérieur du pays et à retrouver une audience africaine. «Le 30 juin 1966, jour du sixième anniversaire de l’indépendance, le général Mobutu annonce en grande pompe la réhabilitation de Lumumba et l’érection d’un monument à sa mémoire dans la capitale. En novembre, le président effectue un pas de plus dans cette consécration en demandant à l’équipe belge du Centre de recherche et d’information socio-politique (crisp), qui prépare un ouvrage sur les cinquante derniers jours de Lumumba, “d’aller prospecter à Lubumbashi [Elisabetville] la maison où est mort Lumumba” ; il a en effet décidé d’annoncer le 24 novembre, jour anniversaire de sa prise de pouvoir, que “la maison où était mort P. Lumumba avait été découverte et que celle-ci deviendrait un musée national consacré [à l’ancien Premier ministre]”» (Willame 1990 : 477-479).

La volonté de Mobutu ne va pas au-delà du discours. Le nouveau billet du Zaïre à l’effigie de Lumumba (mai 1968) ainsi qu’une médaille (juillet) à l’effigie de Lumumba sont retirés rapidement de la circulation ; l’épouse de Lumumba, revenue en février 1968 de son exil d’Égypte sur la demande de Mobutu, est repartie. Au moment où il parle de Lumumba, Mobutu constitue une équipe de collaborateurs à son « goût ». Il mesure le risque que représentent ses amis du « Groupe de Binza » pour son pouvoir. En proclamant Lumumba héros national le 30 juin 1966, ne disait-il pas : « Gloire et honneur à l’illustre Congolais, au grand Africain, au premier martyr de notre indépendance, tombé victime des machinations colonialistes. » C’est un acte d’opportunisme – «le bourreau a réhabilité sa proie44» – mais aussi une façon de se souvenir, à sa manière, des événements vécus afin d’en tirer les leçons pour maintenir son régime en place.

L’appropriation du mythe Lumumba qui s’opère par l’institutionnel et le politique ne cherche donc pas à cultiver la mémoire, bien au contraire. Elle relève plutôt d’une stratégie de conquête/conservation du pouvoir. Cela paraît bien classique. Divers auteurs latins dont Tite-Live, par exemple, ont eu à vanter les qualités d’Hannibal dans le but de montrer qu’il a finalement été vaincu. Il s’agit de louer les qualités de celui que l’on n’aime pas, non pour le grandir, mais plutôt pour chercher à lui prendre ce qui le valorise. «Elongi ya Mobutu ezali pembeni na elongi ya Lumumba» («Mobutu ressemble à Lumumba»), chante Franco Lwambo, vers la fin des années 1960.

L’élément permanent et le véritable enjeu dans le système postcolonial congolais sont les individus et non les institutions. Le but que recherche un pouvoir qualifié de patrimonial, qui en fait est un pouvoir personnalisé (qui n’a aucune notion de l’institutionnalisation du bien public), n’est pas d’enseigner l’histoire, mais plutôt de la contrôler à son profit et la piétiner. Pour le Congo, le cadre s’y adapte d’autant plus que l’ex-colonie belge est gardée par la tendance qui veut que, même si le nouveau contexte modifie quelques paramètres, l’option dominante s’inscrit dans la tradition faisant du pays un simple lieu et de son peuple les perpétuels sujets d’un maître. Laurent Monnier (1988) observe également cet aspect et établit une comparaison fort lucide : «Le talent du metteur en scène (de Mobutu) résulterait de la connaissance pratique des rapports de force qui gouvernent le monde, acquise par une longue expérience du pouvoir, et la possibilité de les manipuler pour assurer sa propre survie et celle de sa clientèle. En ce sens, Mobutu est le digne héritier du roi Léopold II, fondateur du Congo-Zaïre».

La Conférence nationale s’embrouille

Mobutu, cité parmi les acteurs de l’assassinat de Lumumba, porte également la responsabilité d’avoir anéanti le Congo. Avec l’ouverture du multipartisme, amorcée au début des années 1990, l’impulsion de l’opinion imposa de faire son procès et le bilan des trois premières décennies de l’indépendance. La Conférence nationale souveraine (CNS), organisée à Kinshasa à partir de 1991 et dirigée par l’évêque catholique Laurent Monsengwo (président) et Joseph Iléo (vice-président), n’examinera pas en plénière le dossier de la mort de Lumumba établi par une commission sur les assassinats politiques, instituée par la conférence. Le débat en plénière est maintes fois remis et, finalement, la tâche fut transmise (sans aucune suite) au Haut conseil de la République-Parlement de transition (HCR/PT) que la cns a mis en place avec une procédure de cooptation, à partir de décembre 1992. Au moment de la validation des mandats, le 22 décembre, le dernier fils de Lumumba, Roland, introduit une motion demandant que soient écartés des postes politiques tous ceux sur lesquels, en vertu des rapports de la commission des biens mal acquis et de celle des assassinats, pèsent de lourdes présomptions de crimes et de délits. La motion dérange, elle crée la panique dans la salle. Le chef de l’État Mobutu et le Premier ministre Tshisekedi sont menacés, eux-aussi, d’être exclus. Après plusieurs heures de discussion, la motion est rejetée avec 170 voix contre 132. Le journal La Conscience publie: «Cette motion a provoqué une chaîne de solidarité de la part des dinosaures45. L’honneur du hcr aux yeux de l’opinion en dépendait. Mais l’intérêt des conseillers (députés) a ses raisons que la crédibilité ignore»46. À l’occasion, Nendaka, qui venait d’être coopté député, déclare : «Les jeunes ont cru pouvoir écrire l’histoire en nous écartant, nous sommes encore là».

Pendant cette conférence, on se dispute même la référence au personnage de Lumumba. Mabika Kalanda, ancien commissaire général à la fonction publique en 1960, revendique le titre de président de l’une des tendances du parti mnc/Lumumba ; Étienne Tshisekedi, ancien commissaire à la Justice devenu deux fois chef du gouvernement, mais limogé quelque temps après par Mobutu, adresse ces mots aux soldats qui l’empêchent d’accéder à la « primature » : «Je veux aller au bureau de Patrice Lumumba»47. Même Aubert Mukendi, ancien commissaire général au Transport et soutien de Gilbert Pongo48 qui arrête et maltraite Lumumba début décembre 1960, s’est reconverti depuis dans l’anti-mobutisme virulent ; il devient directeur de cabinet de L. D. Kabila en 1997 avant d’être de nouveau exilé.

Même affaibli par l’usure du pouvoir et la maladie, Mobutu reste chef de l’État. Il est encore au centre du pouvoir, une position qui lui permet de se rapprocher et/ou de se quereller parfois avec ses « vieux copains » et divers membres de la classe politique. Monsengwo, l’évêque catholique, se maintient à la tête du parlement de la transition ; Iléo, son adjoint, meurt en 1994 mais il est remplacé par André Bo-Boliko qui était également ancien commissaire général en 1960. Jean Nguz, apparenté à Moïse Tshombe, est d’abord Premier ministre, de novembre 1991 à août 1992, avant d’être allié et chef de propagande de Mobutu. Tshisekedi mène une opposition «farouche» contre Mobutu. Parmi les personnalités qui influencent la marche de la cns, on remarque Albert Ndele (président de la commission financière), Nendaka Bomboko (président de la commission chargée de l’examen des candidatures au poste de Premier ministre), Lihau (ancien commissaire général à la Justice, président de la commission constitutionnelle), G. Munongo qui meurt en 1992, etc. «Ignorée» par Mobutu qui contrôle toutes les ressources matérielles et l’armée, la cns espère contrer le chef de l’État en comptant sur l’appui politique, militaire et financier de trois pays occidentaux, la Belgique, la France et les États-Unis ainsi que sur celui de l’ONU. Nous sommes dans le même contexte anti-Lumumba qu’en 1960-1961, sans Patrice Lumumba certes, mais face au Congo et avec la même opinion publique congolaise impatiente et confuse et sans prise durable sur la scène politique.

Jean Kinkela, le rapporteur général de la cns, a rendu un jugement sans appel : «Les travaux abattus par la Conférence nationale souveraine sont de qualité médiocre, particulièrement en ce qui concerne les questions politiques»49. C’est parce que, dit L. M. Yoka, celle-ci a été « dès le départ ensorcelée […]. Les principes sacrés d’une bonne palabre africaine n’ont pas été respectés. Le discours est resté parasité d’ambiguïtés dans l’organisation même de la palabre, mettant ainsi en doute les qualités d’éventuels “ntiene” ou “mulundu”; le consensus y a toujours été en équilibre instable tant les intérêts des partis en présence ont été diamétralement opposés, et rivés sur les questions personnelles de survie immédiate» (Yoka 1992). À partir des questions suivantes «Qui a tué Lumumba?» et «Pour quelles raisons Lumumba est-il tué?», le débat à la cns en soumet progressivement une autre suggérée par Nendaka50 : «À qui a profité l’assassinat de Lumumba?»51. Mobutu se sentant accusé est défendu par ses partisans dont son directeur de cabinet Félix Vunduawe qui n’avance qu’un seul argument : «Si vous voulez éventrer le boa, sachez que c’est tout le monde qui sera éclaboussé». À la recherche d’une issue, écrit le journal Le Soft, «Mgr Monsengwo se bat pour le huis clos sur l’audition et le débat des commissions réputées hypersensibles. Il s’agirait pour lui de chercher un moyen d’éventrer le boa sans éclabousser la classe politique».

Laurent Désiré Kabila, héritier du lumumbisme ?

Comme Mobutu, Kabila dit aussi être passé par l’école de Lumumba. Sa prise de pouvoir en mai 1997 a fait croire un moment à certains à la victoire du lumumbisme. On peut lire dans le programme minimum que l’Alliance des Forces démocratiques pour la libération du Congo (afdl) rend public, le 4 janvier 1997 : «S’agissant de la redémocratisation, l’afdl considère que sa démarche politique procède du processus d’indépendance interrompu en 1960 par la chute du premier gouvernement issu des premières élections démocratiques organisées au Congo belge». Ce premier gouvernement était celui de Lumumba. Kabila se veut donc le successeur de Lumumba. Mais pouvait-il prétendre, et avait-il même prétendu, en être l’héritier?

Il faut d’abord rappeler que le mouvement politique et le maquis créés par Kabila en 1967, après la défaite des rébellions «lumumbistes», affirment se fonder sur la rectification des «erreurs» idéologiques et politiques commises par ces rébellions et certifient inaugurer un véritable processus «révolutionnaire». Accédant à la tête de l’État, trente ans plus tard, L. D. Kabila évoque solennellement, à quelques reprises, le « héros national » Lumumba. Mais, tout en intégrant au pouvoir certaines personnalités se réclamant de l’héritage du premier Premier ministre du Congo, il aura pris soin de ne pas nouer d’alliance privilégiée avec ceux qui prétendent ramener le régime au lumumbisme et par là, bien sûr, affirmer leur propre légitimité et leurs droits de préséances politiques.

Les conditions de son accession au pouvoir ont d’emblée hypothéqué l’engagement nationaliste du régime de Laurent Désiré Kabila. Même les discours du pouvoir sont à cet égard révélateurs : l’exaltation de la nation congolaise y est une thématique peu développée. Certes le renvoi des « coopérants » militaires rwandais en juillet 1998 a pu être perçu comme une réaffirmation du nationalisme, mais ils ont été remplacés par d’autres, Zimbabwéens et Angolais, aussi envahissants et encombrants. Sur le plan économique, le régime a signé des contrats avec des groupes miniers étrangers sur une pratique ne tenant compte ni des intérêts nationaux ni de la préoccupation d’un contrôle étatique sur la gestion des ressources. Puis, avec la première guerre (1996-1997) puis la seconde guerre en cours, le panafricanisme s’est manifesté dans l’espace congolais sous une forme totalement pervertie : celle de brutales et avides interventions étrangères invoquant de manière purement rhétorique la solidarité africaine et la thématique de la libération des peuples52.

Le pouvoir de L. D. Kabila est, avant tout, caractérisé par son manque de légitimité, de base sociale et de densité historique. La plupart des acteurs qui se manifestent pendant son régime n’ont apparemment aucune expérience politique antérieure ni lien sociologique avec la population. Mais, en revanche, cela révèle une dépendance de cette «nouvelle élite» politique à l’égard du président qui constitue la radicalisation d’un aspect du régime colonial. L. D. Kabila meurt assassiné, mais pas en héros, et cela est certainement dû à toutes les incohérences dont son régime a été entaché. Aucun projet annoncé se rapportant au dossier Lumumba ne connut un début d’exécution : ni l’organisation d’un procès destiné à établir les responsabilités dans l’assassinat annoncé en juillet 1997 par le ministre de la Justice, Célestin Lwanghy, ni la création d’une Fondation évoquée en septembre par le ministre de la Jeunesse, Vincent Mutombo Tshibal, ni la «session Lumumba» convoquée par l’afdl (Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo) pendant la même période (de Villers et al. 1998 : 137-139 ; de Villers & Omasombo 2002).

Le fils de Kabila érige un monument en l’honneur de Lumumba

Joseph Kabila, le «fils» successeur de «M’zee»53 assassiné, est né à la fin des années 1960 et n’a donc pas connu la période de l’indépendance du Congo. C’est en héritant du trône et avec les alliés occidentaux, qui rapidement soutiennent son pouvoir, qu’il est confronté indirectement à la question du lumumbisme.

Kabila junior érige à Kinshasa, en janvier 2002, un monument pour Lumumba sur le site que le régime Mobutu avait choisi pour l’édification d’un tel monument54. Le projet émane de l’Assemblée constitutionnelle et législative-Parlement de transition (ACL/PT), mais la commission parlementaire d’enquête belge vient de rendre public son rapport et une réunion des parties congolaises s’ouvre à Bruxelles pour préparer le «Dialogue intercongolais». La raison essentielle semble être la conjoncture marquée par la guerre en cours depuis août 1998 pendant laquelle est intervenu l’assassinat du président Kabila. Le hasard a fait que la date de cet assassinat coïncide à un jour près avec celle de Lumumba. Le mausolée de Kabila est édifié à l’endroit même où avait été érigé, à l’époque coloniale, un monument en mémoire de Léopold II, «créateur» de l’État indépendant du Congo (eic), face au palais de la nation, lieu symbolique où l’indépendance du Congo fut proclamée le 30 juin 196055. Kabila, présenté comme le « soldat du peuple », veille ainsi sur la souveraineté du Congo et surveille son destin56.

Face à l’histoire de son pays, dont les versions officielles ont été plusieurs fois révisées, le peuple ne semble avoir qu’une image vague et appauvrie de Lumumba, celle du Premier ministre qui avait dit non à la colonisation. L’édifice est élevé avec la face de Lumumba tournée vers l’Est de la ville et une main qui pointe le ciel que l’opinion publique de Kinshasa interprète en intégrant son propre vécu comme un ordre intimé aux rebelles qui avaient envahi la capitale en août 1998 : « simama kule, mutoke !»57.

Le monument érigé par Joseph Kabila présente plusieurs malfaçons, dont la taille, ce qui traduit la précipitation de sa réalisation. Certainement, il ne constitue pas un effort de mémoire, car le gouvernement de Joseph Kabila désirait plutôt élever L. D. Kabila au même rang que Lumumba58 et se trouver, par la même occasion, un argument pour exiger un droit de regard sur les effets espérés des travaux accomplis par la commission belge. En réaction aux critiques du gouvernement de Kinshasa que la Belgique avait ignorées dans la gestion des travaux de la commission, le fils aîné de Lumumba, François – approché par la Commission et le gouvernement belge –, invite le pouvoir congolais à mener d’abord des investigations pour établir sa part de responsabilité dans cette affaire plutôt que d’accuser les autres acteurs du drame. Une demande que Kabila junior ne peut accomplir à cause de sa paternité katangaise et des soutiens occidentaux à son régime.

Autant qu’il domine l’histoire politique du Congo, le drame Lumumba continue à perturber les consciences et à dominer le présent. Dans son numéro de février 1961, paru au moment des faits, le journal belge Pourquoi pas? écrivait : « Non, la mort de Patrice Lumumba n’est pas l’odieuse “bonne affaire” que certains croyaient. » Pour sa part, la commission d’enquête belge (de Villers dans ce numéro) a gardé – malgré des efforts appréciables – une attitude timorée dans la reconnaissance des responsabilités belges (Willame 2001 : 30-35). Et, c’est le Premier ministre, Guy Verhofstadt, et son ministre des Affaires étrangères, Louis Michel, qui, au nom du gouvernement, présentent le 5 février 2002 des excuses au Congo et aux familles de Lumumba, Okito et M’Polo, annonçant à cette occasion la création d’une «Fondation Lumumba» dont les objectifs seraient le désir de tourner une page d’histoire et la détermination de conduire le Congo vers une évolution positive. C’est une certaine façon de lever le deuil. Mais cette idée vite lancée se confronte à l’opposition des anciens Belges du Congo qui, en fait, clament que leur pays ne peut «pleurer sincèrement M. Lumumba pour lui-même»59. Ce projet n’a pas été concrétisé et le ministre ne parle plus de cette initiative. Les membres de la commission, qui ont découvert à travers le dossier les ambiguïtés de la gestion du Congo, ne semblent plus vouloir poursuivre la proposition de constituer une équipe de travail sur ce qu’a été la décolonisation du Congo belge.

L’organisation d’une commission Lumumba à partir des conclusions rendues, a tout de même fortement entaillé l’image de Baudouin, souhaité comme roi bienveillant, portée par l’Église catholique de son pays. Si cela trouve quelques encouragements parmi les défenseurs de la République (Geerts 2003), l’événement se passe à un moment où la Belgique connaît des turbulences pour maintenir son unité menacée par les divisions communautaires. Au Congo, les guerres qui se poursuivent font disparaître les vestiges de la colonisation. Elles renforcent, chez les anciens Belges, l’idée du mal que Lumumba aurait causé à son pays par l’exigence d’une indépendance immédiate. L’opinion congolaise, partagée entre diverses thèses, est dominée par l’idée d’un malheur entretenu par l’Occident – la Belgique en premier – sur son ex-colonie, malheur qui, aujourd’hui, renforce malgré tout le sentiment d’unité d’un pays de plus en plus fantôme. Ce qui évoque encore plus, sous forme d’écho, à la fois l’idéal et le drame que représente Lumumba pour son peuple60.

Louis Sockony, le secrétaire particulier de Lumumba, qui vécut les événements au moment de l’indépendance, observe que le temps n’est toujours pas arrivé de faire le deuil. Car le deuil est le moment où s’alternent les pleurs, les chants et les danses entrecoupés des accusations suivies de la réprimande des présumés coupables auteurs du drame. Le deuil se termine par des repas et des réunions afin de réconcilier vivants et morts, rapprocher les coupables sorciers et le reste du clan pour la protection de la vie (Noret et al. 2002). Au Congo/Zaïre, «malgré toutes les années passées, les habitants entendent courir les bruits que Lumumba a été assassiné certes, mais les sorciers maîtres de lieu provoquent des intempéries (obscurité, orages …) ininterrompues qui les empêchent de s’informer sur cette mort afin d’organiser le deuil à défaut de lui consacrer une sépulture. Les habitants maintenus en liesse comme un troupeau de chèvres entendent les cris de l’hyène dans la longue nuit sombre ; c’est le signe d’un mauvais présage. Les disputes opposent parfois les sorciers et les échos parviennent jusqu’au village, mais ceux-ci se relayent et continuent imperturbablement leur festin»61.

Quatre décennies après la mort de Lumumba, le festin continue sur les dépouilles d’un Congo qui n’en finit pas de sombrer dans la misère malgré les différents pouvoirs qui se sont succédé. Ainsi perdure, pour les Congolais, le silence de la violence depuis le temps des occupations arabe et coloniale, ce silence de l’impasse, de la peur qui enveloppe les cases du village la nuit, de l’ensevelissement de la vieille sorcière. Un chant des Atetela62 créé au moment de la mort de Lumumba retentit encore aujourd’hui aux oreilles de celui qui veut s’expliquer le perpétuel drame :

«Nous ne croyions pas qu’il serait pleuré
Nous ne le croyions pas
Parce qu’en pleurant on serait tué.
Les Blancs supportent-ils qu’on pleure Lumumba ?
Quiconque ose est tué par les Blancs, Tshombe et Mobutu
Parce qu’en pleurant on serait tué.
Ils ne supportent pas qu’on enterre Lumumba
Lumumba est tué au Katanga où on ne veut pas qu’il soit enterré
Parce qu’en l’enterrant on serait tué.
Mets-toi debout, allons-y (toi) fer rougi
Allons-y, mets-toi debout (toi) fer rougi
Toi qui affrontes tout sans (aucune) crainte
Mets-toi debout.
Les gens se disputent ton flambeau
On ne voit encore à qui le confier.
Peut-être que ceux qui nous ont précédés dans l’au-delà
Diront un jour aux vivants par où tu reviendras.
Yé, yééé, yéwo lééé…
Profonde est notre détresse».

Notes

1. Ce point puise de nombreuses références dans les trois romans de Kompany (1995), Kourouma (1998) et Soete (1978). Il s’agit en fait des fictions construites à partir des expériences concrètes.

2. Pour la sorcellerie telle que je me la représentais à travers divers récits et pratiques observées. K. Kompany (1995) fait une description assez précise dans son roman Ogre empereur. Ce roman non seulement retrace le vécu d’un Africain du village et même celui de la ville, toutes ces traditions qui marquent profondément son attitude, mais aussi racole à l’histoire du Congo/Zaïre après l’indépendance. Le héros du récit, Tamfumu, tel qu’il est décrit dans plusieurs pages du roman, ressemble au président Mobutu (pp. 168 et s.). Un autre roman d’un autre Africain, A. Kourouma (1998), originaire de la Côte-d’Ivoire, porte sur les pratiques des pouvoirs de chefs d’État africain. Plusieurs passages relatent les pratiques sorcières intégrées dans l’exercice de la gestion quotidienne du pouvoir. Plutôt que des fictions, ces deux romans s’appuient sur des réalités, même s’ils embrouillent les noms des lieux ou des personnes et n’indiquent pas toujours les dates et autres précisons nécessaires pour un travail d’histoire ou de sociologie politique. Une autre publication relevant plus de la sociolinguistique évoque la sorcellerie selon la conception populaire au Congo (Mukendi & Muyaya 2002 : 52-77).

3. En Afrique, le terme utilisé dans le monde sorcier est «mangé». En Europe, la pratique courante consiste à faire disparaître le cadavre pour camoufler la mort (Geschiere & Fisiy 1995).

4. Dans son roman, G. Soete (1978) qui dépeça le corps de Lumumba qualifie lui-même sa besogne de «travail diabolique». Le récit de De Witte (2000 : 308-309) est tiré d’un roman, donc d’une fiction, mais elle est construite à partir de l’expérience réelle de G. Soete.

5. Le gouverneur de la Province orientale tient ce discours à la radio, organise des réunions avec des notables afin de tenter de dissiper, sans y parvenir, la légende qui se forme autour de Lumumba. Lors de sa visite d’un quartier de la ville touchée par les émeutes, le gouverneur écrit : «À notre passage, l’un (des deux marmots tout nus) a dit gravement : “Mafi ya Wazungu” (“Merde des Européens”)».

6. On pourra se référer à la lettre de V. Nendaka à Mobutu du 13 avril 1991 ou à cette autre affaire dénoncée par la presse, en 1990, sur l’existence d’un cercle d’initiés dénommé Prima Curia.

7. Intervention d’Albert Kalonji à la Conférence nationale Souveraine (CNS), Kinshasa, mai 1992. Cf. Dossier CNS/ Archives de l’Institut Africain/Cedaf.

8. Témoignage d’un Congolais recueilli à Kinshasa en 1996. Ce témoignage est fondé sur l’entretien que ce dernier a eu avec Nendaka en 1989. À noter aussi que sur la mort de G. Munongo (un des acteurs-clés de l’assassinat de Lumumba) en 1992 (au moment où était attendue son intervention à la conférence nationale lors des « déclarations de politique générale », l’affaire Lumumba pour son cas étant fort prisée) survenue à la suite d’un arrêt cardiaque, il a été raconté que l’intéressé venait de rencontrer Mobutu, la veille, à Gbadolite. Aurait-il été empoisonné comme l’avait laissé croire une certaine opinion, l’objectif étant de ne pas le laisser parler ? Cette mort est-elle la conséquence d’une émotion éveillée par l’atmosphère de la salle à la CNS emportée à prendre la revanche sur ceux qui seraient à ses yeux les dominants d’hier et donc « coupables » des crimes commis?

9. Par exemple sur l’emprisonnement de Lumumba en 1956/1957, sur le parti politique mnc ou les événements de Bakwanga d’août 1960, etc.

10. On peut, aujourd’hui encore, lire (en français et en néerlandais) sur le monument figurant Léopold II à cheval, qui se trouve sur la grande digue d’Ostende : « Hommage aux héros flamands et ostendais de la fin du xixe siècle morts dans le combat contre les Arabes et les Batetela. »

11. Cf. Archives Lumumba, Institut Africain/Cedaf à Tervuren.

12. De part la position du témoin et la manière dont ses mémoires furent rédigées, cette source recèle des informations importantes aussi bien du point de vue des données que des attitudes de l’administration à l’égard de Lumumba.

13. Cet environnement politique et économique a eu pour conséquences immédiates la fuite des capitaux de l’ordre de 4,4 milliards de francs, le placement aléatoire d’emprunts sur les marchés extérieurs, l’effondrement de la Bourse, le tarissement des investissements nouveaux et l’amenuisement des recettes fiscales. Cf. «Document Table ronde Économique no 129», 11 mai 1960, in Congo 1960, T. 1, Bruxelles, Crisp, 1961, p. 100 et L. A. Pétillon (1979 : 34-37).

14. Bolikango va porter le chapeau, en annonçant devant la presse, l’acte constitutif du front commun : «À la suite de la réunion préparatoire à la Table Ronde, tenue le 18 janvier au ministère du Congo, les délégués des partis politiques et les chefs coutumiers invités à la conférence, après délibération ont adopté à l’unanimité les résolutions suivantes : “prennent l’engagement solennel d’unir leurs efforts par la formation d’un Front commun en vue de l’accession du Congo à l’indépendance”» (Mutamba 1998 : 436-438).

15. La dernière tentative d’élaboration d’une doctrine coloniale globale et systématique est celle de Mgr de Hemptinne (1945 : 245-261), vicaire apostolique du Katanga en 1945.

16. Les propos – pour lesquels Lumumba est poursuivi à Stanleyville à la suite du congrès – ont été entendus au Kasaï aux mois d’août et septembre 1959 sans que cela ait donné lieu à des poursuites judiciaires. Lorsque survient la révolte des Bapende en 1931, l’administrateur de Territoire de Kandale dans le Kwilu, L. Van Linthout (1993 : 85), témoigne : “Pendant mes six mois de cours de droit colonial à Bruxelles, avant mon départ pour le Congo, on nous avait bien appris que, sous aucun prétexte, on ne pouvait incendier une case. Je passai outre. Je me défendrais plus tard. Il fallait tuer le mythe de l’esprit des ancêtres tout puissants chez les Pende et très dangereux”.

17. Technicien avant tout, L. A. Pétillon avait été formé à la serre coloniale et était fort de sa longue expérience de haut fonctionnaire.

18. La Belgique va léguer au Congo, au moment de son accession à l’indépendance, une crise financière qui se caractérise par : «Une dette publique totale de 45 212 millions de francs à la date du 31 mars 1960 ; une réduction drastique des réserves de change détenues par les organismes officiels ; un épuisement total des réserves de trésorerie publique ; des budgets ordinaires déficitaires depuis 1957. Le cri d’alarme lancé, en date du 2 avril 1960, par le gouverneur général au ministre des Affaires africaines sur la situation désespérée des finances, trouve toute sa justification dans la détérioration “continue et incontrôlable” de celles-ci, que “le recours à l’escompte des recettes fiscales n’a pu arrêter”» (Sabakinu Kivilu 1994 : 38).

19. Patrice Lumumba n’est pas le premier Congolais à avoir présenté directement des doléances au roi des Belges. Un Congolais avait osé remettre une lettre décrivant les conditions de vie des Noirs au roi Albert 1er lors de son séjour à Léopoldville en 1928. L’événement se passa lorsque le souverain revenait à pied dans la cité européenne après avoir assisté à la messe dominicale dans la cathédrale Sainte Anne. Arrêté et accusé de folie, «ce porte-parole» volontaire dut se réfugier à Brazzaville pour son salut (Mutamba 1998 : 43).

20. Lors de son emprisonnement, en 1956-1957, qui amena Lumumba à récuser la gestion coloniale (cf. la réaction du Ministère public citée ci-dessus), plusieurs témoignages affirment que Lumumba s’occupait, de manière quelque peu exagérée, des problèmes de divers Congolais qui le sollicitaient. Cela est confirmé par les Européens de la poste de Stanleyville. Dans son réquisitoire, le Ministère public reprendra : «Ses collègues de bureau ne sont pas aussi affirmatifs quant à l’assiduité de Lumumba au travail. Il s’occupait pendant les heures de bureau de questions qui n’avaient aucun rapport avec le service. Ses absences étaient nombreuses, les communications téléphoniques avec ses amis étaient nombreuses aussi», cf. «Archives Lumumba», Institut africain-Cedaf à Tervuren.

21. Les points de suspension et mots entre parenthèse signifient qu’il s’agit d’un texte provenant de la transcription d’un discours prononcé et enregistré par la sûreté coloniale sur bande.

22. À son arrivée, le 19 août à 11 h 30, au chef-lieu de territoire de Katako-Kombe, Lumumba est aussitôt reçu par l’administrateur de territoire, F. Van der Borgt. Il loge chez le chef de secteur H. Pene Senga au village Shinga II. À Wembo-Nyama, une autre localité intégrée dans le Territoire de Katako-Kombe, Lumumba arrive le 20 août à 22 h et loge à la mission protestante ; l’Administrateur de territoire (at) qui l’avait précédé eut un nouvel entretien le 21 avec lui en compagnie de M. Engels, agent européen de région, de Onankoy Paul, chef de secteur de Lukumbe et de Onya Albert, président local du mnc. Rapport établi le 28 août 1959, cf. «Archives Lumumba», op. cit.

23. Lumumba, qui rêvait d’un Congo multiracial et se déclarait partisan de la double nationalité, affirmait à Maurice M’polo, déclare Onawelho, que les Belges après l’indépendance pourraient venir au Congo sans visa. À M’polo, qui demandait que les Congolais puissent également se rendre en Belgique sans visa, Lumumba répondit qu’en ce qui concerne les Congolais, ce ne sont pas les paysans ou les illettrés qui se rendraient en Belgique, mais ceux qui ont terminé leurs études, et alors ce sera la fuite des cerveaux dont le pays a encore terriblement besoin.

24. Voir son communiqué du 10 février. Les autres déclarations de Lumumba concernant les Belges qui devaient rester au Congo ont eu lieu les 13 et 18 février 1960.

25. Cf. Courrier d’Afrique du 18 février 1960.

26. Dans le § 1 du réquisitoire du ministère L. Waersegger, on peut lire : « Le Ministère public a interjeté l’appel du jugement rendu par le Tribunal de 1re Instance de Stanleyville, le 4 mars 1957, dans le but de faire condamner le prévenu aux peines qu’il mérite …. »

27. À noter que les agents belges de l’administration ne voulaient rien entendre des transferts de responsabilités des Blancs aux Noirs. Voici un témoignage du directeur général de la Chanic, M. Corillon, recueilli en 1959 : «Combien êtes-vous à penser ainsi? demande Daniel Gillet. Réponse : À l’administration pratiquement aucun, parce que, en dehors des techniciens (médecins, ingénieurs, quelques économistes), ce sont tous des administratifs qui sont les plus visés par les revendications d’africanisation. Dans les parastataux, on ne parle que de garanties de carrière et d’emploi, on crée une interprétation généralisée de la déclaration gouvernementale qui signifierait le remplacement des Blancs par les Noirs» (Dumont 2003 : 59).

28. Allocution radiodiffusée de présentation de vœux à la population de sa province le 30 décembre 1959.

29. Fiche Lumumba établie par la Sûreté coloniale, Archives de l’Institut Africain/Cedaf.

30. Cf. Discours de Patrice Lumumba le 30 juin 1960. Déjà avant, Lumumba publie un poème fort riche en émotion intitulé Pleure, ô noir frère bien-aimé, L’Indépendance, 2, septembre 1959.

31. Discours de clôture du Congrès du mnc, le 28 octobre 1959 à Stanleyville (Simons et al. 1995 : 107).

32. Document «cabinet du Premier ministre, Bruxelles 2 mars 1960», «Conversation avec Monsieur Doucy – 1er mars 1960, notes de Harold d’Aspermont Lynden», cf. «Archives Lumumba», op. cit. On ne sait vraiment dire si ces propos sont d’Arthur Doucy notés par d’Aspremont ou le résumé de leurs échanges.

33. Par exemple, c’est le commissaire de police Segers participant aux événements de Stanleyville contre Lumumba en octobre 1959 qui sera à Elisabethville le 17 janvier 1961 à l’arrivée de Lumumba. Il dit être allé le voir dans la villa Browez. Dans son témoignage à J. Brassinne, il dit : «Il (Lumumba) me connaissait, je le connaissais, et je ne l’aimais pas du tout bien sûr». Segers affirme être resté quelques minutes auprès de Lumumba sans lui adresser la parole. Il attend que Lumumba prenne l’initiative, mais celui-ci garde le silence: «[…] Il n’émettait aucune plainte […] il ne m’a rien dit du tout !» (De Witte 2000 : 246).

34. Plus l’opposition se durcissait contre Lumumba, plus on remarque la création de services parallèles, voire le recours à certaines personnes pour occuper des postes déterminants. C’est le cas de l’ascension de Harold d’Aspremont Lynden. Le sens du verbe «éliminer», présent à divers moment dans l’affaire Lumumba, ne doit pas seulement être pris en fonction des conjonctures mais aussi au regard des acteurs. Au vu de son parcours, le ministre des Affaires africaines est moins politique que policier.

35. Libre Belgique du 11 octobre 1960.

36. D’abord dans « Point de vue de Gauthier de Villers & Jean Omasombo Tshonda », Politique africaine, 80, décembre 2000, pp. 184-187 ; ensuite « Commission Lumumba : difficile regard sur un passé », Association belge des africanistes, mars 2002, pp. 11-13 (de Villers dans ce numéro).

37. Il y a le problème des grands acteurs, des autorités et personnalités responsables qui sont encore couverts en partie.

38. Il y aura certes des enquêtes judiciaires mais qui ne conduisent à rien (Cf. Dossier Archives Lumumba, op. cit.).

39. Il s’agit du gouvernement rebelle à Léopoldville, dirigé par les anciens partisans de Lumumba (Verhaegen 1966, 1968).

40. Chez les Atetela, enterrer un homme c’est le conduire au village des ancêtres et donc permettre son retour, c’est-à-dire sa réincarnation.

41. On pourra encore se référer à sa dernière lettre, quatre jour avant sa mort : «Ni brutalités, ni sévices, ni tortures ne m’ont jamais amené à demander la grâce car je préfère mourir la tête haute, la foi inébranlable et la confiance profonde dans la destinée de mon pays plutôt que vivre dans la soumission et le mépris des principes sacrés. L’histoire dira un jour son mot, mais ce ne sera pas l’histoire qu’on enseignera aux Nations unies, Washington, Paris ou Bruxelles, mais celle qu’on enseignera dans les pays affranchis du colonialisme et ses fantoches. L’Afrique écrira sa propre histoire et elle sera au Nord et au Sud du Sahara une histoire de gloire et de dignité».

42. En ce qui concerne la qualité de la mémoire des Congolais sur leurs héros, A. Mabika Kalanda (1996 : 35) déclare que celle-ci est sans relais institutionnels pour sa conservation et sa transmission, sans impact sur les comportements collectifs en guise de transcendance (Omasombo & Mabika Kalanda 1996 : 33-61 ; Mabiala 1996).

43. Par exemple, il accuse les Lulua de s’opposer à Mobutu et de chercher à l’assassiner en 1968.

44. Mobutu Roi du Zaïre, film de Thierry Michel, Coproduit par la RTBF-Liège et la RTBF-Bruxelles, Bruxelles, 1998.

45. «Dinosaures» est la nouvelle appellation qui remplace, à la fin du règne de Mobutu, le terme «Groupe de Binza» (Braeckman 1992).

46. La Conscience, du 20/30 décembre 1992.

47. Tout le Collège des Commissaires généraux était anti-Lumumba, sans exception. Les positions individuelles, au cours des réunions, peuvent être relevées dans les comptes rendus des réunions. Par exemple, les positions défendues par A. Mabika Kalanda, au cours des réunions des 14 et 30 novembre et 5 décembre 1960, ou celles de Tshisekedi, des 15 octobre et 21 décembre 1960.

48. Au sein du Collège des Commissaires généraux, Mukendi appuie la candidature de Pongo visant à devenir son adjoint comme responsable de transport, mais l’idée ne sera pas soutenue par d’autres membres. C’est lui, Mukendi, qui est chargé, à plusieurs reprises, d’organiser des manifestations contre Lumumba et ses partisans ; des sommes d’argent lui sont versées par le Collège à cette fin (cf. Procès-verbaux des réunions du Collège des Commissaires généraux ; J. Omasombo « Collège des Commissaires généraux et autres acteurs congolais : septembre 1960-janvier 1961. Biographies, chronologie des événements et comptes rendus des réunions », rapport interne à la Commission d’enquête, août 2000).

49. Le Soft, 1er décembre 1992.

50. Sur les rapports entre Nendaka et Mobutu, on devra se référer à la lettre du premier, datée du 13 avril 1991, adressée au second. Voici son introduction : «Au Citoyen Président de la République, le Maréchal Mobutu Sese Seko Kuku Ngbendu Wa Za Banga, à Gbadolite.

Citoyen Président, Je me permets de m’adresser à vous ce jour pour faire le point de la situation qui est la mienne depuis le 27 avril 1990. Il vous souviendra, Citoyen Président, qu’à la date précitée, Vous nous avez appelés, Bomboko et moi, pour nous supplier de ne pas abandonner le MPR pour créer un autre parti. Vous avez alors fait état de nos vieilles relations et nous avez priés de ne pas abjurer un culte d’amitiés de plus de trente ans. Confiants, nous nous sommes rendus à vos objurgations non sans avoir au préalable formulé un certain nombre de griefs à votre charge, lesquels se trouvaient être à la base de détérioration du climat d’amitié qui nous lie. Vous avez sans détour, reconnu le bien-fondé de ces griefs et avez souligné que les linges sales se lavent en famille.

Citoyen Président, souffrez que je relève à Votre intention, certaines données qui démontrent que je Vous appuie depuis toujours, non pas pour des intérêts égocentriques ou des fins matérielles, mais uniquement par idéal et souci de cultiver nos vieilles amitiés.
Avant l’indépendance de notre pays je me suis retrouvé avec Vous dans le MNC/L où, ensemble, nous avons mené la lutte pour l’indépendance, lutte émaillée de plusieurs épisodes heureux et malheureux, ce qui a contribué à resserrer davantage nos amitiés et à sceller notre destin commun. Il est même exact de dire que nos relations datent d’avant la création du MNC/L à l’époque où vous étiez encore jeune militaire vers les années 1953.
L’avènement de l’indépendance n’a fait que renforcer ce destin commun auquel s’est joint un groupe d’amis, connu sous le nom de groupe de Binza, et qui devait finalement préparer Votre accession à la Magistrature Suprême». (cf. Dossier CNS, Institut Africain-Cedaf).

51. Interrogé par nous, en 2001, sur le sens de cette question, Victor Nendaka déclare qu’il voyait à la fois l’Occident, dont la Belgique, ainsi que certains Congolais, dont Mobutu.

52. On pourra se référer aux rapports sur les pillages des ressources du Congo de la Commission de l’ONU de 2001 et 2002.

53. Surnom que L. D. Kabila s’est affublé dès son accession au pouvoir en 1997. Il signifie le vieux ou le sage. Se comparant au léopard Mobutu, lui, devient le lion. Dans le générique télévisé qui passe avant le journal parlé, Mobutu apparaît à son peuple sortant des nuages, Kabila apparaît sortant d’une étoile au milieu de son pays. Mobutu se disait «L’homme qu’il faut à la place qu’il faut», Kabila se présentait comme «L’homme qu’il fallait».

54. À propos de cette statue de Lumumba à Kinshasa, une des questions posées est celle de son emplacement, en plein trafic de Limete. Pour l’opinion publique, sa place devrait être sur le piédestal du roi Albert, au bout du boulevard du 30 juin à la Gombe. À ce sujet, certains partisans de Lumumba, interrogés, trouvent que l’emplacement à la Gombe est plus prestigieux certes, mais moins populaire que l’autre qui convient mieux à l’image de la lutte de Lumumba, encore que pour lui, l’indépendance ne signifiait pas substitution du Blanc par le Noir.

55. Après les pressions politiques des partisans du premier Président du Congo, Joseph Kasa-Vubu, un buste a été érigé, en septembre 2002, sur sa tombe dans son village natal.

56. Discours de G. Kakudji, le 18 janvier 2002, lors de l’inauguration du Mausolée.

57. Phrase swahili impérative qui signifie : « Arrêtez-vous là, sortez ! » C’est l’interprétation inspirée par la bataille de Kinshasa d’août 1998 (de Villers et al. 2001 : 26-35 ; de Villers & Omasombo 2001 : 17-32).

58. À noter que les deux monuments ont la même taille et le même poids (6,50 m et 4 tonnes).

59. Une délégation a aussitôt rencontré Louis Michel pour lui signifier la désapprobation des ex-coloniaux sur la décision du gouvernement de voir la Belgique, leur pays, se mettre à construire le symbole de Lumumba. Divers textes marquant cette hostilité sont publiés dans des revues qu’ils éditent. À titre d’exemple, cf. Contacts, bulletin de l’Amicale spadoise des Anciens d’Outre-Mer, 1, janvier-mars 2003, pp. 12-17.

60. Objet de son poème, Ô Noir, frère bien aimé, publié dans le numéro 2 du journal Indépendance en septembre 1959. Le titre de ce poème de Lumumba est inspiré de l’ouvrage célèbre de Alan Paton Pleure, ô pays bien aimé, édité en traduction française par Albin Michel en 1950. L’auteur décrit la misère de l’homme noir en Afrique du Sud et dénonce la politique de ségrégation raciale de l’homme blanc.

61. Entretiens réalisés à Kinshasa en mai 2002 auprès de divers partisans de Lumumba. Chez les Atetela (ethnie d’origine de Lumumba), pour une personne disparue, c’est-à-dire celle qu’on n’a pas vu mourir et dont le cadavre n’a pas été retrouvé, le deuil n’a pas lieu immédiatement. Il régnera un climat de tristesse et d’incertitude certes, le deuil effectif ne peut être annoncé et tenu avant que les émissaires éparpillés dans la contrée où le drame a eu lieu ne ramènent les preuves de la mort de la victime. L’alerte de recherche se fait également par le tam-tam pour que le village qui recevra les informations puisse répondre.

62. Chant des Griots atetela, traduit par nous de l’otetela.

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Voir l’article original

Jean Omasombo Tshonda, «Lumumba, drame sans fin et deuil inachevé de la colonisation»Cahiers d’études africaines, 173-174 | 2004, 221-261.

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