La responsabilité des puissances coloniales dans le génocide rwandais : diviser pour mieux régner

Il s’agit ici de parler de la responsabilité des puissances coloniales dans les problèmes ethniques du Rwanda pour mieux comprendre comment et pourquoi survit un génocide et une implosion d’une région, évitables et puis entretenues, puisqu’il est impossible de parler de conflit congolais sans parler des Hutus et des Tutsis qui, par le phénomène de l’immigration sont devenus Banyarwanda ou Bayamulenge, et don la présence au Congo Kinshasa contribue à compliquer le conflit.

Le génocide du Rwanda constitue l’un des événements majeurs du xxe siècle : 800 000 Tutsis et Hutus de l’opposition au «gouvernement intérimaire» rwandais ont été massacrés entre avril et juin 1994. Devant l’ampleur de l’événement et la netteté du processus génocidaire, la reconnaissance du génocide pourrait sembler aller de soi. Ainsi, en se référant aux travaux de Jacques Sémelin (2005), on remarque d’emblée que les éléments permettant de définir un génocide sont incontestablement réunis : lente montée d’une «radicalisation idéologique cumulative» essentialisant, sur des bases coloniales anciennes, les ethnies rwandaises ; dissémination d’un appareil de propagande, officiel ou semi-officiel, systématisant progressivement un discours de haine raciale qui suggérait l’imminence d’une «lutte à mort» pour la survie de l’ethnie majoritaire (l’angoisse paranoïaque étant une condition psychique du déclenchement d’un génocide) ; édification d’appareils paramilitaires radicaux utilisés par le pouvoir et potentiellement aptes à participer à l’exécution du génocide ; implication des forces armées régulières et, autant que possible, de tous les échelons de l’administration d’État ; construction d’un projet génocidaire cohérent idéologiquement et pragmatiquement, visant la destruction totale de la population-cible ; désignation concrète des cibles (listes nominatives, marquage des habitations …); enfin, exécution du génocide (Bancel Nicolas et Riot Thomas, 2008).

Mais pourquoi le génocide?

Diviser, pour mieux régner

Les relations actuelles entre Hutu et tutsi ont été en grande partie déterminée par l’héritage qu’ils ont reçu de la colonisation. Ainsi Edwin Thomas Turner le fera fort justement remarquer dans son ouvrage «The rise and decline of the Zaïrian state» : «The drafting of ethnic maps became a favourite pastime of the administration – a pastime which had the same impact in Zaire as that found by Raymond Apthorpe in anglophone Africa :”  the colonial regimes administratively created tribes as we think today” ». L’administration coloniale comme l’a signalé Edwin Thomas Turner, a joué à fond la carte ethnique. A leur implantation, les colonisateurs allemands et belges s’appuyèrent sur l’élite Tutsi, en utilisant à leur profit leurs institutions traditionnelles locales pour imposer l’ordre colonial, particulièrement celles installées au Rwanda sous le règne du Mwami Rwabugiri (1865-1895).

Ils érigèrent alors ce pays en modèle auquel le Burundi considéré comme un État moins parfait ou dégradé, fut invité de gré ou de force à se plier. Filip Reyntyens abonde dans le même sens quand il écrit : «La Belgique occupe le Rwanda-Burundi dans le cadre de sa campagne africaine contre l’Allemagne, les royaumes n’avaient fait que l’objet d’une administration marginale. En 1914, il n’y avait que six fonctionnaires civils allemands au Burundi et cinq au Rwanda : au total 11 pour un territoire couvrant le double de la Belgique. Ayant trouvé des royaumes existant avant la pénétration européenne et sans doute face à la carence du personnel colonial, les Allemands décidèrent dès le début d’appliquer une politique d’administration indirecte. Cela supposerait l’utilisation du système politique existant beaucoup plus consolidé et centralisé au Rwanda qu’au Burundi. La Belgique continue cette politique : une ordonnance-loi du 6 avril 1917 stipule que «les sultans exercent sous l’autorité du résident leurs attributions politiques et judiciaires dans la mesure fixée par la coutume indigène et les instructions du commissaire royal».

La haine comme politique coloniale

L’intérêt des colonisateurs était de reconnaître le Roi et les pouvoirs des Tutsi qui l’entouraient, de leur donner des pouvoirs politiques et des tâches administratives importantes quoique toujours subalternes. Par ce système classique de gouvernement indirect, une poignée d’européens ont pu contrôler le Rwanda à leur gré et assouvir au mieux leurs intérêts impérialistes. Les européens et l’aristocratie Tutsi voulaient étendre leur contrôle sur les royaumes hutu du nord-ouest qui avaient résisté à cette destinée jusqu’alors et étendre leur domination aux régions périphériques en les soumettant au pouvoir central. En sus de cela, les colonisateurs mirent en avant la notion de race supérieure reconnue aux Tutsis à cette époque.

Ces notions reposaient sur l’aspect physique de nombreux Tutsi, en général les plus grands et plus minces que la majeure partie des Hutu ; l’incrédulité des premiers blancs européens arrivés au Rwanda a également joué un rôle, car pour eux des Africains ne pouvaient pas créer un royaume aussi sophistiqué. Par la suite, une théorie raciste et sans fondement connue sous le nom d’hypothèse hamitique fut répandue. Selon cette hypothèse, les Tutsis étaient issus d’une race caucasienne supérieure provenant de la vallée du Nil et avaient même probablement des origines chrétiennes. Avec la théorie évolutionniste battant son plein en Europe, les Tutsi pouvaient être considérés comme formant une classe supérieure plus proche, quoique pas trop, de la race blanche. On les considérait comme plus intelligents, plus fiables, plus travailleurs, ressemblant davantage aux Blancs que la majorité Hutu Bantou.

Les colonisateurs belges ont tellement apprécié cet ordre naturel des choses qu’une série de mesures administratives, prises entre 1926 et 1932, institutionnalisa le clivage entre les deux races (la race étant le concept explicite utilisé à l’époque antérieure à l’introduction de la notion plus douce d’ethnie), le tout culminant dans la délivrance à chaque rwandais d’une carte d’identité indiquant qu’il était Hutu ou Tutsi. C’est de là que découle la «tutsification» des années 30 qui se traduit par une monopolisation complète du pouvoir par les Tutsis. Ainsi, les colonisateurs par la stratégie de «diviser pour mieux régner» réussirent à contrôler le pays au risque de mettre dos à dos les Hutus et les Tutsis qui étaient jadis «homogènes». Collette Braeckman, une spécialiste de l’Afrique centrale qui déclare : « Au Rwanda comme au Burundi, les contraintes de la colonisation prirent très tôt une coloration ethnique : les Belges, qui pratiquaient, l’administration indirecte, se reposaient sur les chefs et les sous-chefs tutsis pour faire exécuter leurs ordres ».135.

Génocide, me voici

Les frustrations sociales et politiques se cristallisèrent alors à partir de l’exclusion des hutus de l’école, de l’administration, des séminaires ouverts par les missionnaires et de l’affirmation d’une différenciation ethnique entre Hutu et Tutsi, inculquée et transmise de génération en génération, ainsi que l’instrumentalisation politique de l’«ethnisme». Cette situation créée par le colonisateur ensanglante depuis 40 ans les relations entre Hutu et Tutsi dans l’Afrique des Grands Lacs.

Références :

  1. Bancel Nicolas, Riot Thomas, « Génocide ou «guerre tribale» : les mémoires controversées du génocide rwandais », Hermès, La Revue, 2008/3 (n° 52), p. 139-146. DOI : 10.4267/2042/28686.
  2. Thomas Edwin Turner, The rise and decline of the zairian state, The University of Wisconsin Press, USA, 1985 p.140
  3. Filp Reyntyens, L’Afrique des grands lacs en crise, Paris, Karthala, 1994, p.24
  4. Collette Braeckman, Terreur africaine, Burundi, Rwanda, Zaïre : les racines de la violence, op.cit.p.103

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