Agriculture urbaine comme réponse au chômage à Kinshasa, République Démocratique du Congo

L’agriculture urbaine est une activité qui fait vivre de nombreuses familles à Kinshasa (République Démocratique du Congo). Elle peut donc contribuer au développement durable des villes africaines sous certaines conditions dont notamment par sa professionnalisation, le non-recours aux intrants chimiques et la distribution équitable des terres arables. Le cas de Kinshasa illustre bien que cette agriculture demeure une solution palliative aux contraintes sociales de survie (absence de salaire rémunérateur et manque d’emplois durables). Ce cas montre qu’il n’y a pas de honte à pratiquer le maraîchage urbain, car même les universitaires le font (5 % seulement le font par tradition familiale) ; il s’y pose le problème du choix des sites et d’encadrement. En effet, mal encadrés, les maraîchers cultivent le long des routes à intenses trafics motorisés, exposant ainsi les légumes aux contaminations diverses, notamment au plomb.

Dieudonné E. Musibono, E.M. Biey, M. Kisangala, C.I. Nsimanda, B.A. Munzundu, V. Kekolemba et J.J Palus, «Agriculture urbaine comme réponse au chômage à Kinshasa, République Démocratique du Congo», VertigO – la revue électronique en sciences de l’environnement [En ligne], Volume 11 Numéro 1 | mai 2011 ; DOI : 10.4000/vertigo.10818


Introduction

La République Démocratique du Congo (RDC) est un pays d’Afrique Subsaharienne caractérisé par un taux de chômage supérieur à 85 % de la population active. Ce pays d’environ 70 millions d’habitants occupe chaque année l’une des dernières places par rapport au développement humain : 143e en 2000 ; 157e en 2003 ; 168e en 2008 et avant-dernier en 2010. Le salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG) n’est que de 3 USD par jour. La sécurité économique est quasi nulle, car cette économie de cueillette est caractérisée par l’extraction des matières premières. La sécurité environnementale est également absente avec la dégradation constante de l’habitat et de la qualité de vie. Enfin, la sécurité sociale n’est qu’un slogan destiné à distraire. Sinon, comment peut-on parler de sécurité sociale quand le salaire reste inférieur à la consommation et que l’épargne est inexistante ? Ne s’agit-il pas là d’une insécurité sociale chronique ?

Kinshasa, capitale du pays, avec ses 10 millions d’habitants, ne fait pas exception. En effet, avec les pillages populaires de 1991 et 1993, beaucoup d’entreprises ont fermé leurs portes. Cette situation, appuyée par le manque d’une politique d’emploi cohérente, ont envoyé de nombreuses personnes au chômage. Que dire de l’exode rural et de l’explosion démographique ainsi que des nombreux conflits qui ont déversé à Kinshasa des millions de personnes gonflant ainsi les rangs des chômeurs.

Ce tableau sombre a poussé des nombreuses familles à rechercher des solutions de survie à travers des activités palliatives, dont l’agriculture urbaine, y compris la pêche. En effet, nos recherches entre 2000-2004, avec l’Organisation non gouvernementale américaine (ONG) Innovative Resources Management (IRM) ont montré que sur 100 agriculteurs (maraîchers en particulier), 65 % l’était par manque d’emploi rémunérateur ; 30 % le faisait par arrondir les angles face aux salaires modiques des fonctionnaires de l’État et 5 % le faisait par tradition héritée des parents. Cette même figure s’applique aux pêcheurs, soit respectivement 60 %, 30 % et 10 % (Musibono, 2004).

Principaux périmètres maraîchers de Kinshasa 

Le maraîchage représente l’essentiel de l’agriculture urbaine à Kinshasa (plus de 10 000 maraîchers dans la ville). Les principaux sites inventoriés sont Kingasani ya suka, Échangeur, Camp Mobutu, Camp Kokolo , Camp Lufungula, Funa, Bandal, Limete/ Boulevard Lumumba (entre la 14e à la 4e Rue, Côté Industriel), Kimwenza, Ndjili/ Cecomaf, Kingabwa 1& 2, Mapela, Mikonga, Pétro-Congo, Tshuenge, Funa, Lukaya, etc. sans oublier les jardins parcellaires. Ces derniers ont été étudiés par une ONG locale appelée «Jardins et Élevages de Parcelle ou JEEP» en partenariat avec le Département de l’Environnement de l’université de Kinshasa (cfr. Professeur Jacques Paulus). Plus de 4 000 familles ont été encadrées pour le maraîchage familial et le petit élevage de lapin, canard, cobaye, pigeon et d’oie pendant 10 ans au moins. Certains arbres fruitiers tels que le manguier (Mangifera indica), l’avocatier (Persea americana), Palmier à huile (Elaeis guineensis), papayer (Carica papayas), safou (Dacryodes edulis), bananier (Musa paradisiaca) sont très présents parmi les 19 espèces inventoriées à Kinshasa par Mukumbelo et al. (2005). La carte qui suit donne une vue d’ensemble de la ville de Kinshasa (soit 9950 km2).

Figure 1. Périmètres maraîchers de Kinshasa, © Google Maps, 2010.

Méthodes

Cette recherche effectuée en 2008 avec l’aide de 20 étudiants comme agents de terrain munis d’un questionnaire n’a concerné que la Commune de Limete du district Mont Amba (Figure 1). Le choix de cette commune a été dicté par le fait qu’initialement industrielle et résidentielle, cette commune a vu naître des périmètres agricoles contrastant ainsi avec sa vocation initiale. Après l’inventaire de tous les principaux périmètres maraîchers de Limete, nous avons donné un numéro à chaque maraîcher d’un espace maraîcher donné de 1 à X, grâce à la méthode hat (Zahr, 1995). Il s’est agi notamment des périmètres ci-après : Kingabwa, Boulevard Lumumba, Ndanu, Socopao, Musoso, Mombele, Funa, Echangeur, Ndolo, 20 Mai. Puis, nous avons tiré au hasard 6 d’entre eux. Cet exercice nous a permis de sélectionner les périmètres suivants : Boulevard Lumumba, Kingabwa, Ndanu, Socopao, Musoso et 20 Mai. Avec l’aide des étudiants et des gestionnaires des périmètres maraîchers, l’exercice a permis de tirer au sort 500 maraîchers sur un total de 2502 maraîchers au total (20 %).

Le questionnaire administré comprenait les 5 questions ci-après : Question 1 : «Aimez-vous pratiquer le maraîchage?», Question 2 : «En êtes-vous satisfait ?», Question 3 : «Le revenu du maraîchage vous permet-il de vivre tout le mois ?», Question 4 : «Le revenu vous permet-il d’envoyer les enfants à l’école?», Question 5 : «Êtes-vous prêt à continuer dans ce métier? Pourquoi ? Un questionnaire additionnel a été distribué à l’échantillon voulant poursuivre l’activité agricole. Ce questionnaire comprenait les questions ci-dessous: Pourquoi aimeriez-vous poursuivre cette activité? Pourquoi n’aimeriez-vous pas continuer avec cette activité?.

Résultats et interprétation

Les réponses aux 5 premières questions sont reprises dans le tableau 1. Les résultats indiquent que la plupart des maraîchers aiment ce qu’ils font, soit 97,4 % (Question 1), tandis que 97 % en sont satisfaits. (Question 2). En ce qui concerne le revenu, il permet à 81,6 % de la population échantillonnée de vivre pendant un mois (Question 3), à 68,2 % d’envoyer les enfants à l’école (Question 4). Malheureusement, seulement 5 % aimerait poursuivre cette activité (Question 5).

Tableau 1. Réponses relatives à la pratique du maraîchage dans la commune de Limete/ Kinshasa.

Questions

Réponses reçues ( %)

Oui

Non

Aimez-vous pratiquer le maraîchage ?

487 (97,4 %)

13 (2,6 %)

En êtes-vous satisfait ?

485 (97 %)

25 (5 %)

Le revenu du maraîchage vous permet-il de vivre tout le mois ?

408 (81,6 %)

92 (18,4 %)

Le revenu vous permet-il d’envoyer les enfants à l’école ?

341 (68,2 %)

159 (31,8 %)

Êtes-vous prêt à continuer dans ce métier ?

25 (5 %)

475 (95 %)

Le Tableau 2, ci-dessous comprend les réponses aux 2 dernières questions sur la motivation ou non à poursuivre le maraîchage.

Tableau 2. Justification des maraîchers sur les raisons pourquoi ils aimeraient poursuivre ou non cette activité.

Le Tableau 2 indique le maraîchage urbain professionnel ne représente que 5 % de l’échantillon interrogé, 65 % le font pour arrondir les angles, tandis que 30 % sont des fonctionnaires. En fait, 475 maraîchers recensés, soit 95 %, le font par nécessité et opportunisme pour survivre dans un environnement de chômage et d’absence de salaire rémunérateur. Les espèces végétales cultivées sont reprises au tableau 3. Notons qu’il s’agit des périmètres d’au moins 300 ha en moyenne, le plus grand étant de 1000 ha (soit Kingabwa). Ce tableau montre que l’agriculture urbaine est une réalité à Kinshasa. Ces légumes et arbres fruitiers sont bel et bien une source de revenus non négligeable pour de nombreuses familles à Kinshasa. Ces résultats confirment ceux trouvés par Makumbelo et al. (2005), Musibono et al. (2005) et Paulus (1989).

Tableau 3. Quelques légumes et arbres fruitiers recensés dans la Commune de Limete (Kinshasa).

Nom scientifique

Nom français

Localisation

Fréquence ou nombre de spécimens inventoriés.

Ipomoea batatas Lam

Feuille de patate douce

Ceinture maraîchère du Boulevard Lumumba, quartiers Kingabwa, Ndanu, Socopao, Musoso et 20 mai

95

Manihot glaziovii Mull. Arg

Feuille du faux manioc

Kingabwa

71

Amarantus hybridus viridis L.

Amarante

Tous les périmètres maraîchers

132

Hibiscus acetosella Welw. Ex. Hiern

Oseille commune

Tous les périmètres

87

Brassica oleracea var sinensis L.

Chou de Chine

Limete Boulevard Lumumba, Kingabwa

15

Brassica pekinensis Lour

Pointe noire

Kingabwa, Ndanu, Mombele

8

Solanum aetiopicum L.

Morelle

Tous les périmètres maraîchers de Limete.

28

Phaseolus vulgaris

Haricot commun

Tous les périmètres maraîchers de Limete

33

Basella alba L.

Baselle ou épinard indien

Partout à Limete (tous les périmètres maraîchers)

82

Lycopersicon esculentum

tomate

Présent dans tous les périmètres maraîchers de Limete.

59

Hibiscus esculantum L.

Gombo

Présent dans tous les paramètres maraîchers de Limete

65

Persea americana Mill.

Avocatier

idem

58

Mangifera indica L.

Manguier

idem

200

Dacryodes edulis L.

safoutier

Kingabwa, Ndanu, Mombele

29

Arthocarpus incisa L.

Fruit à pain

Ndanu, musoso, Mombele

18

Total

980

Le bénéfice tiré de cette activité n’ayant pas été calculé de façon spécifique nous renvoie à spéculer sur les réponses des tableaux 1 et 2, notamment sur les motivations à poursuivre cette activité. Néanmoins, l’expérience de l’ONG « Jardins et Élevages de Parcelle » a montré que les maraîchers pouvaient s’acheter le minimum familial, envoyer les enfants à l’école, payer le loyer (certains ayant même construit leur propre maison). Ainsi, il apparaît que là où le chômage est élevé, l’agriculture urbaine paraît être une réponse sociale de premier choix. Cette activité est pratiquée aussi bien par les universitaires au sens large du terme que par les analphabètes. Elle ne requiert pas une expertise pointue.

Maraîchage urbain et développement durable à Kinshasa, mythe ou réalité ?

Le développement durable peut se définir comme étant la capacité d’un pays à faire accéder à un grand nombre de ses citoyens aux biens et services de qualité de génération en génération. Ce qui implique la sécurité économique (à travers une économie viable), la sécurité écologique (à travers la préservation de l’environnement, ressources naturelles et qualité/ cadre de vie) et la sécurité sociale grâce à la justice sociale distributive des richesses nationales (Musibono, 2009 ; Musibono, 2006) ce dont la littérature scientifique reconnaît à l’Agriculture urbaine (Duchemin et al, 2010 ; Duchemin et al., 2008). Au regard de cette définition, il apparaît que le maraîchage urbain peut bien contribuer au développement sous certaines conditions. En effet, professionnaliser l’agriculture urbaine (maraîchage), en formant des associations ad hoc auxquelles on peut octroyer des crédits, peut bien créer des richesses réelles à Kinshasa (marché des légumes, fruits et tomates). Le choix des sites de maraîchage doit respecter les équilibres environnementaux (protection des habitats fragiles, sécurité chimique par le non-usage exagéré des pesticides chimiques et des engrais industriels). Les terres arables devraient être distribuées de façon équitable à tous les maraîchers afin de donner la chance de production à tous. Malheureusement, au stade actuel, ces conditions ne sont pas encore remplies à Kinshasa. En effet, bien que le maraîchage puisse permettre aux nombreuses familles d’en vivre, il reste encore peu professionnel (5 % seulement). L’accès aux terres arables n’obéit pas à la justice sociale distributive, mais plutôt au principe du plus offrant ou du plus fort.

La sécurité chimique serait bien garantie si les maraichers n’exploitaient pas des sites contaminés ou exposés à la pollution au plomb due au trafic automobile, notamment le long du boulevard Lumumba, Bandal, Echangeur, etc., car les études antérieures avaient montré que les légumes cultivés le long de ces artères étaient contaminés au plomb (Musibono et al, 2005). Cependant, avec le compostage en cours, la promotion du maraîchage biologique est une opportunité qui s’offre dans le secteur de l’agriculture urbaine pour les produits biologiques. Il incombe aux pouvoirs publics de réglementer cette activité et au secteur privé d’investir afin d’ouvrir des marchés hors frontières, pourquoi pas en occident et en orient.

Conclusion

Le maraîchage urbain joue un rôle important dans la survie de certaines familles de Kinshasa. Elles peuvent non seulement nourrir leurs enfants et les scolariser, mais aussi ne plus dépendre d’une fonction publique mal rémunérée. C’est donc une excellente opportunité pour combattre la pauvreté à condition de bien réglementer cette activité en la professionnalisant, de bien sécuriser les sols en minimisant l’emploi d’intrants chimiques et de bien distribuer les terres arables. L’agriculture urbaine apparaît comme une opportunité pour créer la richesse en développant les exportations des légumes biologiques. Il reste que l’État gouvernant peut s’y investir pour sécuriser économiquement le maraîchage par l’octroi des microcrédits, écologiquement par la réduction drastique de l’utilisation des produits chimiques (engrais et pesticides) et socialement par la promotion de la propriété foncière pour les maraîchers.

Remerciements

Les auteurs expriment leur gratitude aux 20 étudiants de 2e année de licence Environnement, de la promotion 2007-2008, aux différents comités de gestion des périmètres maraîchers pour leur appui au travail de terrain et au groupe de recherche ERGS pour le traitement des données de terrain.

Bibliographie

  1. Duchemin, E., F. Wegmuller et A.-M Legault, 2008, Urban agriculture : multi-dimensional tools for social development in poor neighbourghoods, Field Actions Science Reports, vol. 1, [En ligne] URL : http://factsreports.revues.org/113, Consulté le 1 mai 2011.
  2. Duchemin, E., F. Wegmuller et A.-M Legault, 2010, Agriculture urbaine : un outil multidimensionnel pour le développement des quartiers, VertigO – la revue électronique en sciences de l’environnement, Volume 10 numéro 2, [En ligne], URL : http://vertigo.revues.org/10436, Consulté le 1 mai 2011.
  3. Makumbelo, E., J.J Paulus, N. Luyindula et L. Lukoki, 2005, Apport des arbres fruitiers à la sécurité alimentaire en milieu urbain tropical : cas de la commune de Limete à Kinshasa, R D Congo. Tropicultura, 205, 23, 4, p. 245-252.
  4. Musibono, D.E., 2009, La RDCongo face aux enjeux de la géostratégie des ressources naturelles. Ed. L’Harmattan, Paris, 187 pages.
  5. Musibono, D.E., 2006, Gestion de l’Environnement au Congo-Kinshasa : cueillette chronique et pauvreté durable. Ed. Chaire UNESCO, Kinshasa, 184 pages.
  6. Musibono, D.E., M. Kilensele, M. Mbimbi, B. Iteku, U. Mindele, N. Ntankoy, M. Mondo et M. Sinikuna, 2005, Lead (Pb) profile in vegetables (Amaranthus hibridus L.) from Kinshasa (DRCongo) pépinières (plant nurseries plots). Annales fac. Sciences, vol. 1 (2005), p. 43-50.
  7. Paulus, J.J., 1989, Jardins et Élevages de parcelle, rapports d’activités. ONG JEEP, UNIKIN.

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