Analyse du principe de gouvernance : Le sens et les différents aspects de la gouvernance

Un des grands problèmes qui se pose encore aujourd’hui à l’Afrique, est de comprendre comment ce continent sous-peuplé, jeune, disposant de nombreuses ressources soit marqué par un sous-développement quasi endémique, ce en dépit de richesses importantes. La gouvernance des États est quasi unanimement pointée du doigt en premier. Mais qu’est-ce que la gouvernance? Vocable aujourd’hui très usité, l’expression gouvernance est utilisée dans divers domaines dont il convient d’éclairer le sens, et de comprendre ses fondements et son évolution sémantique. Il s’agit ici d’analyser les différents aspects du terme de gouvernance et d’exprimer ses manifestations. 

Le sens de la gouvernance

Définir le concept de gouvernance, un concept aussi chargé de significations et les termes qui lui sont apparentés est une entreprise prétentieuse, car la difficulté réside avant tout dans le choix des sens de ce vocable. Quels sens retenir et lesquels ne pas retenir tout en faisant en sorte qu’une définition de la gouvernance sur laquelle l’on aurait voulu obtenir des précisions ne soit évoquée. L’envie de fournir un nombre élevé de renseignements s’impose ici afin d’éviter toute soif d’éclairage sur la question ainsi que les récriminations de ne pas avoir trouvé une définition de la gouvernance sur laquelle nous aurions voulu obtenir des précisions. Précisons tout d’abord, qu’en tant que mot, la «gouvernance» ne date pas d’hier, puisque son usage dans diverses langues dont bien sûr le français remonte à plusieurs siècles. Mais, ce terme a envahi notre façon d’exprimer la politique depuis vingt ans à peine.

Certes, vers 1840, le Roi «Charles Albert de Piémont-Sardaigne préconisait déjà le «buono Governo» comme moyen primordial de sortir du marasme son royaume passablement décrépit (Guy Hermet, Ali Kazancigil, et Jean François Prud’homme. «La gouvernance. Un concept et ses applications». CERI 2005 «KARTHALA» page 11 Recherches internationales). Dès cette époque, «bonne gouvernance» s’apparentait à bon gouvernement, en particulier dans la mesure où les peuples doutent depuis bien longtemps de la capacité d’amélioration de leurs gouvernements. Beaucoup plus près de nous, dans les années 1980, quelques sociologues de la politique ont également réemprunté le vocable. En fait, ce sont les experts des grandes agences internationales de l’aide au développement, de la Banque mondiale en particulier, qui ont lancé la mode en 1989. C’est alors autour de cette période en effet, que ces spécialistes ont prescrit la «bonne gouvernance» aux dirigeants maladroits ou corrompus des pays démunis de l’Afrique sub-saharienne.

Seule cette bonne gouvernance permettrait selon eux à leurs peuples de voir grandir enfin la lumière annonciatrice de leur rédemption économique et sociale à la sortie du tunnel de la misère. Aujourd’hui, le mot s’est banalisé dans le langage de tous les jours, pour se transformer en étendard d’une école ou d’un paradigme, notamment en matière de relations internationales. La signification du mot gouvernance demeure malgré tout très variable, mal éclaircie en général, ce qui donne parfois l’impression d’un caractère inachevé de la notion. Il n’empêche que la gouvernance existe. C’est un concept élaboré par les spécialistes des politiques publiques, qui associe des acteurs privés et des acteurs publics aux processus de décision et de la gouvernance. Cela exclut le recours à la délibération ouverte typique du gouvernement représentatif. La gouvernance tend «à découpler les affaires politiques des arènes traditionnelles de légitimation et du débat public» (Guy Hermet, Ali Kazancigil, et Jean François Prud’homme. «La gouvernance. Un concept et ses applications». CERI 2005 «KARTHALA» page 12 Recherches internationales).

Celle-ci ne met pas nécessairement en question les institutions représentatives. Au sujet de son sens, précisons que cette notion s’inscrit dans huit caractéristiques qu’il convient de hiérarchiser, caractéristiques qui apparaissent nécessairement variables :

(1) La première caractéristique de la gouvernance est positionnelle. Elle se conçoit dans ce sens comme un mode de gestion d’affaires complexes, dans lequel les acteurs principaux se déploient sur le même plan, à l’horizontale sinon à égalité. Cela à l’inverse de ce qui se produit dans le gouvernement, où ces acteurs se superposent à la verticale, dans une position de subordination vis à vis des représentants de l’État qui occupent le sommet de l’influence et de la légitimité.

(2) La deuxième caractéristique est que la bonne gouvernance commande de gérer les affaires publiques comme si leur traitement ne devait pas différer sensiblement de celui des affaires privées. En simplifiant notre propos, elle vise dans l’absolu à abolir la distinction public/privé, pour ne plus réserver à l’État, aux groupes d’États ou aux organisations qui commencent à en tenir lieu le rôle d’agents régulateurs.

(3) La troisième caractéristique est que l’agent régulateur de l’ancienne puissance publique se trouve justifié par la croyance que, dans tous les domaines, les sociétés ou les relations entre les pays se trouvent régies par des mécanismes d’auto-ajustement apparentés à ceux du marché sur le plan économique. Il ne s’agit en somme pour l’agent régulateur que de réglementer la concurrence et de confondre les tricheurs. Plus largement, l’objectif des adeptes les plus radicaux de la gouvernance qui se recrutent par priorité chez les économistes libéraux, consiste à soustraire les décisions sérieuses, qui sont économiques à la politique et aux politiciens, réputés démagogues.

(4) Le quatrième trait de la gouvernance se situe dans une relation horizontale répudiant la vieille hiérarchie verticale qui garantissait le privilège de l’État souverain, les acteurs décisifs des dispositifs de gouvernance se recrutent ou se choisissent entre eux, par cooptation avant tout, en fonction de leurs positions acquises ou de celles qu’ils parviennent à acquérir grâce à leur talent tactique et à leur proximité idéologique avec les acteurs déjà en place. La cinquième caractéristique de la gouvernance correspond à un processus de décision toujours révocable et provisoire; elle ne désigne pas le site de pouvoir ultime et exclusif des autres comme le font les notions de gouvernement ou d’ÉTAT.

La gouvernance : résultat de négociation et de délibération

De ce qui précède, retenons que la gouvernance, porte sur l’instauration d’un État de droit, qui met l’accent sur ce qui est permis, sans porter atteinte aux libertés individuelles. Les structures politiques dans leur ensemble s’effondrent avec leurs titulaires, chose qui engendre des crises politiques à la tête des États. Mais, la gouvernance repose aussi sur une négociation permanente qui consacre le recul des canaux traditionnels du pouvoir. En effet, nous soulignerons que la sixième caractéristique est que selon la logique de la gouvernance, les décisions ne sont plus le produit d’un débat et d’une délibération. Elles sont le résultat de négociations, voire de marchandages entre les différentes parties. Ensuite, la gouvernance renvoie à la logique de cooptation qui s’applique particulièrement aux politiques sectorielles, dans une perspective néo-corporatiste. Certains analystes parlent alors de «démocratie sectorielle1» ou sectorialisée.

Orientée dans le sens d’une expression de l’intérêt général et d’une action au service de celui-ci, ou du bien commun, la démocratie ne peut selon cette acception être sectorielle. En effet, l’intérêt particulier d’un secteur de la société risque fort de contredire l’intérêt de l’ensemble de la communauté politique et heurter le bien commun. Le huitième et dernier sens est que la gouvernance est un mode de gestion qui tend à se codifier au regard de normes ou de «codes de conduite 13» négociés plutôt que de lois votées en vertu du principe majoritaire. Mais soulignons que cette ébauche de définitions ne pourrait suffire à poser les questions liées à la gouvernance, moins au delà de ce que le mot recouvre. En effet, en dépit de cet éclairage apporté, l’on pourrait aussi ajouter que la gouvernance associe des acteurs privés non élus et des acteurs publics, aux procédures de prise de décision, processus qui exclut le recours à la délibération ouverte typique du gouvernement représentatif, «avec des acteurs et agences associés à ce processus» (Guy Hermet, Ali Kazancigil, et Jean François Prud’homme. « La gouvernance. Un concept et ses applications ». CERI 2005 « KARTHALA » page 11 Recherches internationales).

Dans cette hypothèse, la gouvernance démocratique ne pourrait-elle pas devenir la principale forme de gouvernement légitime de l’avenir? En vertu d’une procédure circulaire, la démocratie ne peut aujourd’hui se trouver homologuée en lieu que si elle satisfait le préalable d’une déclaration d’intentions de bonne gouvernance, avec l’État de droit et l’humanisme des droits de l’homme à proclamer sans trêve, sinon à appliquer de façon réellement équitable. A partir du moment où une quelconque démocratie nationale, régionale, internationale, globale, locale, urbaine s’approprient le vocable de bonne gouvernance, cette gouvernance devient IPSO FACTO démocratique. Nous venons d’éclairer le sens du mot gouvernance. Retenons qu’il couvre huit domaines. L’idée qui prédomine est que les questions liées à la gestion des affaires publiques obéissent à des négociations ouvertes dans lesquelles chaque acteur doit être conciliant et ouvert.

A présent, il conviendra de s’intéresser à l’évolution du concept depuis des périodes reculées jusqu’à aujourd’hui. L’œuvre qui servira d’investigation à notre recherche est le «Que sais-je?» de Philippe Moreau Defarges paru aux Éditions P.U.F (Presse Universitaire de France) en 2003. Il ressort de notre investigation que le terme de bonne gouvernance qui a trait à plusieurs occurrences, serait né en France au XIIème siècle, et renvoyait à un sens technique. Il s’agissait dans ce cas de la direction des baillages (Tribunal composé de juges qui rendaient la justice au nom du Bailli. Il se disait aussi de l’étendue du pays qui était sous la direction du Bailli. Ce terme renvoie aussi à la maison où le Bailli oui son lieutenant rendaient la justice. Le Bailli est un officier qui rendait la justice au moyen-âge. L’expression aller au baillage signifie aussi rendre la justice). Ce terme resurgit durant le dernier quart du 20ème siècle. En effet, la bonne gouvernance désigne le mode d’organisation et demeure l’une des notions clés de l’univers des entreprises et des organisations. L’évolution de la notion est marquée par un grand tournant géopolitique. Sur ce plan, avec l’effondrement du bloc soviétique, le monde semble se rallier au modèle occidental du capitalisme triomphant, époque qui va produire ses propres concepts : Multiplication des échanges, Economie de marché, Démocratie libérale, Promotion des droits de l’Homme, Déréglementation, Privatisation, Régulation, Flexibilité, Responsabilité et Gouvernance.

Le terme de la gouvernance s’inscrit alors dans la constellation d’idées produites par la mondialisation avec la formation d’innombrables interdépendances et la contraction massive de l’espace et du temps : «La fin de l’histoire» en quelque sorte comme le soutenaient Hegel, Kojève, et Fukuyama (Pour Hegel, la fin de l’histoire signifie la réalisation d’une société fondée sur le triomphe de la démocratie libérale, chez Kojève, la fin de l’histoire, c’est laréalisation d’un Etat homogène et universel, qui résout la question de la relation maitre-esclave, par l’idée de reconnaissance mutuelle. Quant àFukuyama, cela renvoie au point final de l’affrontement idéologique, avec comme point d’achèvement, le triomphe de la démocratie libérale). Il s’agit de la quête permanente des meilleurs systèmes de gestion des Hommes et des ressources. Par la gouvernance, la décision, au lieu d’être la propriété et le pouvoir de quelques uns (individus ou groupes), doit résulter d’une négociation permanente entre les acteurs sociaux «constitués en partenaires d’un vaste jeu». Le terrain du jeu pourrait être une entreprise, un État, une organisation, un problème à résoudre.

Précisons aussi que l’idée de gouvernance a émergé au début des années 90, avec la publication de livres émanant du monde Anglo-saxon (Governance without gouvernment, sous la direction de James Roseneauet Ernest Czempiel en 1992, modern Governance, sous la direction de James March et John Olsen (1995)). En effet, elle a des usages hétéroclites. Ainsi que le rappelle Ali Kazancigil, le mot lui-même remonte au XVIIIème siècle, en Allemagne surtout avec l’expression (Kameralwissenschaft) pour désigner «les sciences camérales», du bon gouvernement, ambitionnant tout à la fois d’optimiser les ressources de l’État, de mieux satisfaire les besoins de la population, et de servir la prospérité ou ce que nous assimilerons de nos jours au développement économique et social du pays ( A. Kazancigil, la gouvernance: itinéraire d’un concept, in: J.SANTISO (DIR), A la recherche de la démocratie: mélanges offerts à Guy Hermet, Paris Karthala 2002, page 122).  Les sources proches de l’idée contemporaine de gouvernance procèdent d’univers multiples, enchevêtrés et hétérogènes.

Source :

Jonas Zadi. La question de la bonne gouvernance et des réalités sociopolitiques en Afrique: le cas de la Côte d’Ivoire. Droit. Université Paris-Est, 2013. Français. NNT: 2013PEST0059. tel-01021645

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