Assassinat de Juvénal Habyarimana et de Cyprien Ntaryamira : témoignage d’un ex-agent du FBI

Déclaration de James R. Lyons concernant l’assassinat le 6 avril 1994 des présidents du Rwanda et du Burundi (en plus de tous les autres à bord de l’avion présidentiel), faite lors de l’audience au congrès américain du 16 avril 2001 présidée par la représentante Cynthia McKinney.


Je suis un agent spécial de supervision à la retraite du Federal Bureau of Investigation (FBI) ayant servi de novembre 1970 à juillet 1995. La majeure partie de ma carrière au FBI s’est déroulée dans le domaine de la lutte contre le terrorisme au bureau de New York. J’étais un membre original du groupe de travail sur le terrorisme domestique du FBI/New York Police Department (NYPD), qui a été formé en 1980. J’ai été promu agent spécial de supervision en 1987 avec la tâche de former un deuxième groupe de travail pour faire face à la menace croissante du terrorisme international. À ce titre, j’ai exercé des fonctions d’enquête de supervision dans de nombreux cas d’attentats terroristes à la bombe et d’assassinats politiques commis par divers groupes terroristes internationaux du monde entier. De plus, j’étais le superviseur du site du bureau du FBI à New York après les attentats du World Trade Center et j’ai été détaché en tant que superviseur de l’enquête post-explosion à la suite de l’attentat à la bombe contre le Murrah Federal Building à Oklahoma City.

En février 1996, j’ai été engagé par le Département d’État américain comme enquêteur pour le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR). Peu de temps après mon arrivée à Kigali, j’ai été nommé Commandant des enquêtes, qui était en fait un poste d’état-major des Nations Unies. A cette époque, il y avait un procureur adjoint, Honre Rokatomanana, un directeur des enquêtes, Al Breau et seulement vingt-trois enquêteurs. Dix-sept des enquêteurs étaient des policiers détachés auprès du TPIR par le gouvernement des Pays-Bas.

A cette époque, la stratégie du Directeur des Enquêtes avec l’aval du Procureur Adjoint, était d’identifier les victimes/témoins du génocide dans les Préfectures de l’Ouest et du Sud telles que Kibuye et Butare et d’obtenir des déclarations signées mettant en cause les cibles qui étaient les préfets, des responsables communaux, des chefs locaux de la milice Hutu Interahamwe et des hommes d’affaires locaux. La stratégie consistait à inculper ces individus en relation avec le Génocide dans l’espoir d’obtenir la coopération de certains afin de gravir les échelons jusqu’au “Big Fish”.

[Enquête Michael Hourigan]

Une enquête distincte a été menée sur le rôle des médias dans l’incitation de la population hutu à la violence contre les Tutsi et les Hutu modérés. Compte tenu du manque de main-d’œuvre et d’autres ressources, d’autres pistes, telles que l’enquête sur le rôle des dirigeants politiques et militaires nationaux, ont été suspendues.

En mars/avril 1996, d’autres enquêteurs ont commencé à arriver, dont Michael Hourigan, un ancien procureur de la Couronne australien. Compte tenu de l’afflux de quelques enquêteurs supplémentaires, le directeur des enquêtes et moi-même avons convenu qu’une nouvelle “équipe nationale d’enquête” soit formée pour cibler les responsables de la planification et de l’exécution éventuelle du génocide et, à ma suggestion, Michael Hourigan a été nommé chef d’équipe. L’équipe a commencé avec trois enquêteurs mais est finalement passée à vingt membres représentant les nations de la Hollande, de l’Allemagne, des États-Unis, du Canada, du Sénégal, du Mali, de la Tunisie, de Madagascar et d’autres.

L’équipe nationale a été chargée d’enquêter sur un certain nombre des domaines d’enquête les plus importants du TPIR. Parmi ces tâches, les principales étaient :

1. L’enquête et la poursuite du colonel Theoneste Bagosora, considéré comme la principale force militaire hutu derrière le génocide.

2. L’enquête et la poursuite des personnes ayant la responsabilité générale des meurtres sélectionnés de dirigeants politiques et d’intelligentsia rwandais par des équipes d’élite de la Garde présidentielle, qui ont eu lieu au cours des 48 à 72 premières heures après la destruction de l’avion présidentiel.

3. L’enquête et la poursuite des personnes responsables de l’attaque à la roquette du 6 avril 1994, qui a entraîné la destruction de l’avion présidentiel, tuant le président rwandais Juvénal Habyarimana, le président burundais Cyprien Ntaryamira, l’équipage français et tous les autres à bord.

En tant que commandant des enquêtes, je pensais que l’enquête sur l’attaque à la roquette relevait du mandat du TPIR. C’était l’étincelle qui a enflammé tout le Rwanda dans une conflagration, qui allait finalement coûter la vie à 700 000 à 1 000 000 d’hommes, de femmes et d’enfants. Le Conseil de sécurité de l’ONU avait exprimé son horreur face à cette attaque terroriste et avait ordonné que toutes les informations concernant l’événement soient recueillies. L’article 4 du Statut du TPIR incluait spécifiquement les actes de terrorisme dans sa liste d’infractions. À mon avis, il était plus que amplement justifié que le TPIR considère l’attaque à la roquette comme un événement criminel international relevant bien de sa compétence.

Aucun membre de la direction du TPIR ne m’a jamais suggéré que cette enquête ne relevait pas de notre mandat. Au contraire, les discussions entre cadres supérieurs portaient sur l’énorme défi à relever pour identifier les responsables.

L’enquête de l’équipe nationale a été approfondie mais lente au départ. La communauté mondiale avait longtemps attribué l’attaque à des Hutus extrémistes proches du président, mais il n’y avait aucune preuve à l’appui de cette théorie. Il y avait des spéculations selon lesquelles le Front patriotique rwandais (FPR) était responsable et il y avait des éléments d’information pour étayer ce point de vue.

L’équipe nationale a obtenu des informations en 1996 selon lesquelles un soldat de la Mission des Nations Unies pour l’assistance au Rwanda (MINUAR) avait entendu une émission de radio sur un réseau du FPR peu après l’accident d’avion disant que la cible avait été touchée. En outre, il y a eu un rapport selon lequel un soldat des Forces armées du Rwanda (FAR) a entendu la même émission ou une émission similaire.

M. Hourigan m’a régulièrement informé, ainsi que d’autres hauts responsables du TPIR, de l’avancement des enquêtes, et cela a toujours inclus l’enquête sur l’accident d’avion. Hourigan et certains membres de son équipe ont informé le procureur en chef Louise Arbour lors de l’une de ses rares visites à Kigali. À aucun moment, le juge Arbour ne m’a dit, ni à ma connaissance, à aucun autre enquêteur principal que l’accident d’avion ne relevait pas du mandat du TPIR.

J’ai toujours travaillé en étroite collaboration avec M. Hourigan et son équipe et j’ai été continuellement informé des développements. En février 1997, l’enquête a pris une tournure dramatique lorsque trois témoins coopérants potentiels se sont manifestés. Deux des témoins étaient au courant de la coopération de l’autre. Le troisième était indépendant et, selon nous, n’avait aucune connaissance des deux autres. Les témoins étaient tous des membres passés ou présents du FPR et, en raison de leurs fonctions, étaient en mesure de connaître personnellement l’exactitude des informations fournies.

Les informations fournies, bien que non vérifiées, étaient extrêmement détaillées au point de nommer des personnes impliquées dans la planification et l’exécution de l’attaque à la roquette. Les sources ont indiqué que le chef du FPR de l’époque, le général Paul Kagame, avait formé un groupe de type commando appelé le “réseau” et que lui et ses conseillers principaux avaient mis en œuvre le plan visant à abattre l’avion présidentiel à l’approche de l’aéroport de Kigali.

Au cours des derniers jours de février 1997, j’étais présent avec Monsieur Hourigan à l’ambassade des États-Unis à Kigali. Il a appelé le juge Arbour à La Haye sur la ligne téléphonique sécurisée de l’ambassade. Il l’a informée des derniers développements de l’enquête sur l’accident d’avion. Il était évident pour moi, en écoutant la partie de la conversation de M. Hourigan, que le juge Arbour était satisfait de l’évolution de l’affaire et enthousiaste à l’idée de poursuivre l’enquête. Plus tard, M. Hourigan m’a informé que le juge Arbour lui avait demandé de se rendre à La Haye afin qu’ils puissent discuter davantage de cette affaire personnellement.

Le premier lundi de mars 1997, je suis retourné aux États-Unis car mon contrat était terminé et je n’ai pas choisi de le prolonger. Plus tard, j’ai eu une conversation téléphonique avec M. Hourigan au cours de laquelle il m’a avisé que lors de sa rencontre avec le juge Arbour, elle lui avait inopinément ordonné de clore l’enquête. Elle a expliqué que l’abattage de l’avion présidentiel était un crime ne relevant pas de la compétence du TPIR.

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