Afrique en Renaissance : Un continent d’avenir

En dépit de son infernale image médiatique, faite de guerres et de calamités, de désastres et de violences, l’Afrique noire reste un continent aux formidables atouts qui regarde confiant l’avenir. Par Ignacio Ramonet, Directeur du Monde diplomatique de 1990 à 2008.

Source : Ignacio Ramonet Un continent d’avenir. In Afriques en renaissance, «Manière de voir»,mai-juin 2000, Le Monde diplomatique.


Malgré des conflits meurtriers, l’Afrique de l’an 2000 fait preuve de créativité sociale et voit l’émergence de nouveaux mouvements démocratiques, qui critiquent notamment le modèle de développement imposé par les grandes organisations internationales. Mais le continent, dont plusieurs pays, bons élèves, profitent de l’arrivée d’investissements étrangers, reste toutefois menacé par l’avidité d’entreprises et d’états peu scrupuleux. Dans une enquête récente réalisée dans les pays francophones, les jeunes de 15 à 25 ans sont majoritaires à considérer que la situation ne peut plus empirer : 77 % d’entre eux estiment que demain sera meilleur qu’aujourd’hui et 71 % pensent qu’ils vivront mieux que leurs parents (1). Au vu d’un certain nombre de statistiques, ces jeunes n’ont pas tort. Ainsi, en matière économique, il est désormais prouvé que les investissements étrangers se révèlent plus rentables en Afrique qu’ailleurs, même s’ils sont encore faibles en volume.

En 1998, l’ensemble du continent, avec ses 400 millions d’habitants, n’avait reçu, au titre des investissements étrangers directs (IED), qu’un montant d’à peine 8,3 milliards de dollars, soit 1,3 % du montant global, ou autant que… Singapour. Et cela, n’en déplaise aux afro-pessimistes, en dépit d’une amélioration sensible de la situation économique globale : le produit intérieur brut (PIB) ayant augmenté de 1,8% par an, en moyenne, durant la période 1991-1999.

Même le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale ont dû admettre que plusieurs pays africains — notamment le Ghana, le Botswana, le Lesotho, la Gambie et l’Ouganda — figuraient parmi les « bons élèves » de l’économie mondiale. Dans ce même esprit, la Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement (CNUCED) a publié un rapport affirmant, à l’adresse des grands investisseurs internationaux, qu’«il y a des affaires à faire en Afrique, avec des taux de retour sur investissement supérieurs même à ce qu’ils peuvent être dans d’autres parties du monde (2)». Ainsi, le retour sur investissement des entreprises japonaises installées en Afrique était, en 1997, de 6 % contre 2 % en moyenne mondiale. De même, le taux de rendement dégagé par les filiales de transnationales américaines installées en Afrique se situait à une hauteur de 25% en 1997, soit presque le double de la rentabilité moyenne enregistrée par ces mêmes multinationales à l’échelle mondiale (3) !

La CNUCED identifie aussi quelques «bons élèves» qui, grâce à des réformes économiques adéquates, ont su attirer des grandes firmes et des investissements étrangers. Ce sont : le Botswana, la Guinée-Équatoriale, le Ghana, le Mozambique, la Namibie et l’Ouganda. Ces pays, à eux six, ont reçu le quart des investissements étrangers directs attirés par le continent noir, alors qu’ils représentent moins du dixième de la population et du PIB total de l’Afrique. Ils servent maintenant d’exemple, car leurs performances n’ont rien à envier à d’autres pays en développement non africains.

Contrairement à l’image de mauvaise gestion et de corruption généralisée que les médias donnent en permanence de l’Afrique, ce continent, selon le FMI, devrait connaître, en l’an 2000, une croissance d’environ 5 % (contre 3,1 % en 1999). Les performances de la zone franc restent remarquables ; le FMI souligne à juste titre la différence entre son taux de croissance : 5,5% en 1998, et celui de l’ensemble de l’Afrique subsaharienne évalué à 2,8%. Le Fonds relève aussi la qualité des résultats obtenus en matière de lutte contre l’inflation. Alors que celle-ci atteint encore plus de 10% dans l’ensemble de l’Afrique subsaharienne, elle est tombée, en zone franc, selon ses estimations, à hauteur de 3,2% (4).

L’Afrique du Sud, qui a subi le contrecoup de la crise asiatique, devrait bénéficier de l’actuelle embellie de l’Amérique du Nord et de l’Europe, et faire progresser son PIB de 3,5 % cette année. D’autres pays, tels le Cameroun, le Ghana, l’Ouganda, le Mozambique et la Tanzanie pourraient même atteindre, toujours selon le FMI, des taux de croissance de 10 % (5) !

Ces chiffres justifient la confiance dans l’avenir. Une confiance qui se retrouve, en particulier, chez les investisseurs français. Selon une étude récente du Conseil des investisseurs en Afrique noire (CIAN), «quelque 79 % des 274 entreprises participant à l’enquête ont affirmé leur intention d’engager de nouveaux capitaux (contre 68 % en 1998), dont 28 % pour une implantation nouvelle et 24 % pour une diversification (6)».

Autre signe qui ne trompe pas, les multinationales embauchent en grand nombre des cadres africains. En 1999, quelque cinquante grandes sociétés internationales — des géants de la distribution comme Coca-Cola, Procter & Gamble, Unilever ; des firmes de conseil stratégique comme Andersen Consulting, Ernst & Young, Price Waterhouse ; des pétroliers comme Mobil, Shell, TotalFina ; ou des banques comme Barclays, Citibank, Crédit lyonnais, Société générale — ont embauché plus de 500 cadres locaux, diplômés de grandes écoles ou d’université, parfois formés en Europe, pour occuper des postes de responsabilité sur le continent (7).

Et dans de nombreux secteurs — transport, énergie, mines, distribution, communication, tourisme, etc. -, l’activité connaît un essor considérable. L’Afrique veut combler son important retard en matière d’infrastructures et a lancé, un peu partout, des projets titanesques. Chaque pays ou presque possède désormais son grand chantier. Verra-t-on se répéter l’erreur des «projets pharaoniques» surdimensionnés des années 60 qui furent des gouffres financiers, enclenchèrent la tragique spirale de la dette et constituèrent des pompes à corruption pour les dictateurs de l’époque ? Ce n’est pas impossible. Mais le sous-équipement en matière de routes, d’autoroutes, de chemins de fer, de ports, d’aéroports, d’électrification, d’adduction d’eau, de télé-communications, etc., demeure abyssal. Et ce sous-équipement, précisément, dissuade de nombreux investisseurs de miser sur l’Afrique.

Voici les principaux chantiers dont le coût s’élève à plusieurs dizaines de milliards de dollars et qui mobilisent des centaines de milliers d’ouvriers et de cadres : le Highlands Water Project, construction de cinq barrages et de plus de 200 kilomètres de tunnels hydrauliques pour transporter l’eau des montagnes du Lesotho jusqu’à des régions arides d’Afrique du Sud ; barrage de Kaléta, en Guinée ; barrage de Noumbiel, au Burkina Faso ; barrage de la Sounda, au Congo-Brazzaville ; barrage d’Adjarala, au Togo ; oléoduc du sud du Tchad jusqu’au Cameroun (850 km) ; construction d’un port en eau profonde à Kribi, au Cameroun ; modernisation et agrandissement des ports de Richards Bay, de Durban, du Cap et de Saldanha, en Afrique du Sud ; aménagement du port de Walvis Bay, en Namibie ; construction de 1 000 kilomètres de voie ferrée en Afrique de l’Ouest reliant le Bénin, le Niger et le Burkina Faso ; construction d’un troisième pont (de péage) à Abidjan, en Côte-d’Ivoire ; construction de stades, d’hôtels, de villages sportifs, et modernisation de l’aéroport international de Bamako, au Mali, où se déroulera, en 2002, la Coupe d’Afrique des Nations de football, etc. (8). A titre indicatif, il s’effectue actuellement plus de grands travaux en Afrique que dans n’importe quel autre continent, à l’exception de l’Asie.

On le voit, investisseurs, institutions internationales, grandes entreprises, centres de recherche scientifiques et universitaires manifestent un nouvel intérêt pour l’Afrique. Ce contexte est également favorable à l’expansion d’Internet. Pour l’instant, l’implantation du « réseau des réseaux » se cantonne à quelques grandes villes. Les Nations unies consacrent près de 18 millions de dollars par an à l’amélioration de la connectivité dans ce continent, auxquels s’ajoutent 15 millions de dollars fournis par les États-Unis. D’autres aides du Canada, de la Banque mondiale, de l’Union européenne, soutiennent des projets de développement des technologies de l’information et de la communication.

Internet modifie déjà le paysage culturel de certaines villes. « Au Cameroun, des cybercafés de Douala et de Yaoundé sont en train de devenir les lieux publics les plus fréquentés après les bars et les gargotes. Des jeunes filles candidates à l’émigration, surfent longuement sur le Web, en quête de mari européen. Les cabines téléphoniques privées installées à tous les coins de rue, qu’on appelle “téléboutiques ”,aménagent des espaces Internet. A Dakar, le plus ancien cybercafé d’Afrique de l’Ouest — ouvert en 1996 -, Mettisacana, fonctionne vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Ce site diffuse des émissions de radio, abrite des forums de discussion et ouvre des antennes régionales à travers le Sénégal (9).  »

Il y avait en Afrique, en septembre 1999, environ 15 000 ordinateurs ayant accès à la Toile, contre seulement 7 800 en juillet 1998. Il y avait également quelque 148 000 sites (l’Afrique du Sud étant, de loin, le pays le plus branché). Et le nombre d’adresses e-mail dépasse le million. Et le nombre d’internautes sera supérieur, dans trois ans, à 4,5 millions. Il faut dire que, même si les chiffres restent modestes en valeur absolue comparés à ceux de l’Amérique du Nord ou de l’Union européenne, la progression des abonnements à Internet en Afrique est plus rapide que dans les autres régions du Sud. Entre juillet 1998 et septembre 1999, elle a été de 92 % !

Après avoir traîné des pieds, le marché africain des télécommunications est en effet en plein boom et, dans de nombreux pays, il devient le secteur économique le plus dynamique. Dans certains pays, malgré une économie plutôt déprimée, il connaît une croissance de plus de 25 %. Rares sont désormais les pays qui ne disposent pas de réseau de téléphones mobiles. Cela suscite, comme ailleurs, la convoitise des grandes sociétés multinationales spécialisées dans les télécommunications. Parmi les premiers investisseurs dans ce secteur, on trouve Telecel International, une société américaine dont les activités sont concentrées en Afrique. On y trouve également la société luxembourgeoise Milicom, le géant britannique Vodacom, la firme asiatique Telekom Malaysia, la société suédoise Telia, ainsi que France Télécom.

Depuis 1995, 15 nouvelles entreprises privées offrant des services de téléphonie cellulaire sont apparues sur le marché africain. Alors que le continent comptait 1,2 million d’abonnés en 1998, ce chiffre avait plus que doublé au début de l’an 2000.

Les investissements étrangers ne sont plus seulement attirés par les ressources naturelles de l’Afrique, mais par le secteur des services. L’importance de la reconversion en cours, l’extension des mutations, l’amélioration sensible du climat politique dans certains pays, la qualité des diplômés locaux, la transformation du soubassement macroéconomique, la relative prospérité de certaines aires régionales, et la participation plus active du secteur privé dessinent un cadre économique et sociologique encore trop méconnu. Et fondent l’espoir d’une véritable renaissance de l’Afrique.

Notes

  1. Jeune Afrique, 14 décembre 1999,
  2. Le Monde, 13 juillet 1999.
  3. Ibid,
  4. Nord-Sud Export, 29 mai 1999,
  5. Jeune Afrique-L’Intelligent, 29 février 2000,
  6. Le Figaro, 28 décembre 1999,
  7. Jeune Afrique, 13 juillet 1999,
  8. Jeune Afrique, 5 avril 1999,
  9. Le Monde, 6 janvier 2000.

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