Comprendre les origines du conflit en République Démocratique du Congo | Par Mgr Laurent Monsengwo Pasinya

L’Association de l’enseignement catholique en Afrique et Madagascar (ASSECAM) en partenariat avec l’UNESCO, a organisé un Séminaire à Kinshasa, en République Démocratique du Cono (RDC), du 11 au 17 août 2003, sur le thème : «Education à la paix, à la tolérance et à la citoyenneté». Il s’agissait d’un Séminaire préparatoire en vue d’une «formation de formateurs» qui se tiendra du 1 au 8 aout 2004 sur un thème identique. Cinq conférences y ont été données. Nous publions le texte de l’intervention de Mgr Laurent Monsengwo PASINYA, archevêque de Kisangani (RDC) et alors président du symposium des Conférences épiscopales d’Afrique et de Madagascar (SCEAM). Ce texte est l’orignal en francais du Secrétariat de Mgr Monsengwo PASINYA.


Introduction

1. Nous voudrions en liminaire, saluer et féliciter l’OIEC, l’SSECAM et l’UNESCO, les organisateurs de ce séminaire de formation des formateurs pour une éducation à la paix, à la tolérance et à la citoyenneté. Nous les remercions de nous avoir associés aux travaux de ce séminaire.

2. Point n’est besoin de souligner la pertinence et l’opportunité de la présente rencontre. L’Afrique, pour ne pas dire le monde, est en pleine ébullition et en travail d’enfantement pour un ordre socio-politique nouveau. La guerre, la violence gratuite et le conflit armé ont élu domicile en Afrique, avec leurs conséquences habituelles que sont notamment les massacres des personnes innocentes, les migrations, les réfugiés et les personnes déplacées. Pis encore, les chefs de guerre ont pris le parti d’enrôler les enfants. Tout cela entraine une chaine de haine, de soif de vengeance, de fractures sociales, bref une conflictualité à gérer au mieux, pour recoudre le tissu social, ramener la concorde, l’harmonie et la paix au sein de la société des hommes.

3. A ce propos, il ne fait pas de doute que l’éducation s’avère être le moyen fondamental et puissant pour combattre la conflictualité, d’autant que l’OIEC est en contact journalier avec 160 millions de personnes, soit 20% de la population africaine, dont la majeure partie est constituée des générations montantes. Or, combattre la conflictualité, c’est créer les conditions de tolérance dans une société. Par ailleurs, il n’y a pas de tolérance sans une juste vision de la citoyenneté, qui définit pour chaque personne son statut, ses droits et ses obligations en rapport avec les options et les valeurs fondamentales de société d’une communauté nationale donnée.

4. Pour combattre la conflictualité, c’est-à-dire le conflit en germe ou encore le conflit non encore éclaté, il convient de comprendre les origines des conflits, et leurs mécanismes, pour d’une part les prévenir et, d’autre part, les guérir le cas échéant. Car, à dire vrai, la conflictualité en tant que telle peut contenir des éléments positifs, dans la mesure où elle suscite des tensions, des divergences de vue, des débats d’idées et de valeurs qui, s’ils sont canalisés par un leadership lucide, sont de nature à engendrer l’émulation et le progrès. Il existe, entre la conflictualité et le conflit, le saut qualitatif et la distance infinie qui séparent la puissance de l’acte. L’affirmer, c’est dire en même temps que toute conflictualité n’est ni bonne ni positive en soi. Il y a lieu d’en examiner les composantes essentielles, cas par cas.

5. Nous développerons notre pensée en deux temps. Nous essaierons d’abord de comprendre les origines d’un conflit en général, et ensuite nous nous arrêterons sur les origines du conflit dans notre pays, dans la région des Grands-Lacs et – per transenam – en Afrique. Une conclusion reviendra sur le thème général de ce séminaire : l’éducation à la paix, à la tolérance et à la citoyenneté.

1. Les origines du Conflit

1.1. L’étymologie du vocable «conflit» pourrait éclairer notre propos. Le terme «conflit», du latin conflictus, vient du supin du verbe confligere. Ce verbe appartient à un filet linguistique fleg – flig – flag – flix -, qui implique le choc, le fait de donner un coup, de battre, d’attaquer, de se battre et de faire la guerre, ainsi que le chante la séquence de la liturgie de l’Église latine le jour de Pâques. «Mors et vita duello conflixere mirando : Dux Vitae mortus regnat vivrus» — La Mort et la Vie s’affrontèrent en un duel prodigieux : Le maitre de la Vie mourut; vivant, il règne — (Séquence Victamae Paschali). Du groupe sémantique en question on peut conclure que, étymologiquement, le conflit exprime l’idée d’un coup ou d’un acte accompli qui provoque chez l’autre un choc, un sentiment ou une réaction désagréable. Le conflit implique l’idée d’une imposition (imponere) désagréable et normalement insupportable et inadmissible.

1.2. Dans la réalité, le conflit trouve son origine dans l’imposition d’un «ordre des choses qui fait mal» : ordre politique, ordre social, ordre culturel, … C’est le contraire de la tranquillas ordinis, «Ordre harmonieux des réalités», qui est la définition de la paix selon Saint Augustin. Le conflit implique donc qu’il y ait d’une part une imposition. Celle-ci n’est pas forcément volontaire de la part de son auteur : elle est plutôt inhérente à la mise en place d’un ensemble des réalités ou de conditions qui créé des contraintes, un joug ou plus simplement un gêne pour les personnes. D’autres part, il faut que cet ensemble de conditions fasse mal; car paradoxalement cette gêne ou contrainte peut être comprise et dès lors acceptée, soit comme un moindre mal, soit simplement par ignorance, par grégarisme ou par médiocrité. Dans ce cas le conflit n’éclatera pas. Pour donner un exemple : l’ordre international actuelle rend l’humanité de plus en plus conflictuelle, car elle réunit les éléments de la définition donnée ci-dessus. Elle impose des conditions économiques et sociales qui font mal et le conflit a déjà lieu : les antimondialistes et les antilibéralisme sont là pour l’attester. Plut au ciel qu’on eu écouté les papes depuis l’Encyclique Populorum progressium qui affirme : ou bien le développement est intégral et solidaire ou bien la paix du monde sera menacée.

1.3. L’ordre du monde actuel est essentiellement conflictuel: fait par les puissants et les riches, il écarte du chemin les faibles et les pauvres. Pour ne l’avoir pas assez compris, l’Afrique s’est fait abandonner au bord du chemin, dans l’attente du Bon Samaritain. Cet ordre mondial fait partie des origines des conflits actuels.

1.4. Une autre origine des conflits est par voie de conséquence la violation ou la méconnaissance des droits de la personne. Les évêques d’Afrique affirment à ce propos «Le conflit, même latent, commence généralement lorsqu’un droit est bafoué» (1). Car, lorsqu’un droit est bafoué ou violé, on introduit dans la société le principe tacite qui veut que tout autre droit puisse être violé ou bafoué. A ce sujet, la violation du droit à la vie crée, plus que toute autre, la conflictualité, du fait de l’instinct de conservation. Cela empire en cas de génocide, car cet instinct est multiplié à l’infini.

1.5. L’impunité vient aggraver la conflictualité et la tendance à violer le droit. «Pour endiguer, autant que faire se peut, l’éclatement des guerres et des conflits, disent les évêques d’Afrique, il faut mener un combat pacifique pour l’instauration des systèmes politiques et socio-économiques respectueux de la dignité humaine, des impératifs de justice sociale, du droit des personnes et des groupes humains ainsi que du droit des nations (cf. EIAF, n. 112). L’Afrique connaitra la paix lorsque seront instaurés sur le continent des États de doit» (2).

1.6. Il faut considérer, parmi les organes du conflit, l’arbitraire, qui érige la subjectivité individuelle en norme collective et sociale. L’arbitraire érigé en système de gouvernement multiplie la conflictualité, prépare les confrontations, ouvre la voie à la dictature.

1.7. Dans la vie quotidienne, la provocation est généralement à l’origine du conflit, surtout si elle est accompagnée de mépris, d’insultes, de calomnie, de propos malveillants ou d’attaques personnelles.

1.8. Le caractère des personnes peut être source de conflit. Des personnes non-réconciliées avec elles-mêmes empoisonnent régulièrement la vie en communauté. On sait que la personnalité caractérielle d’un Hitler a été dans les tragédies de l’histoire du XXe siècle.

1.9. L’orgueil, la boulimie du pouvoir et la cupidité sont souvent à l’origine des conflits. La démesure et l’irrationnel dans les aspirations et les désirs d’une ou plusieurs personnes accompagnent généralement ces trois vices.

1.10. Le manque de discernement et le déséquilibre du jugement sont parfois à la base des conflit, du fait de la mauvaise appréciation de la relation de cause à effets.

1.11. L’anarchie est source de conflit, dans la mesure où elle favorise la violation de l’ordre politique et pousse à l’arbitraire et au désordre.

1.12. Le contentieux, quels qu’en soient la nature ou le degré, est essentiellement source de conflit, pour ne pas dire qu’il participe à sa définition.

1.13. La corruption, enfin, en revendiquant un non-du, ne peut que provoquer une situation permanente de conflit.

2. Comprendre les origines d’un conflit en Afrique …..

2.1. Les principes et considérations émis ci-avant nous permettent d’examiner les origines du conflit international des Grands Lacs d’Afrique. Ainsi que l’ont souligné divers auteurs, ce conflit armé a plusieurs causes. Cependant, on n’a pas assez relevé que la guerre de Grands-Lacs est éminemment un crise et un conflit du droit : droit national et droit international, et les autres causes s’expliquent de quelque manière par cette crise du droit.

Fin de la guerre froide

2.2. Mais avant de développer ce propos, arrêtons-nous quelque peu sur le contexte géopolitique mondial dans lequel se déroule ce conflit. Celui-ci fait partie des événements qui surviennent dans le contexte du démantèlement de l’Afrique, dans les six années qui ont immédiatement suivi la fin de la Guerre Froide. «En effet, comme le disent les évêques du SCEAM, les guerres et les conflits en Afrique ont souvent des causes structurelles et politiques qui transcendent les pays, voire le continent africain. Ainsi, par exemple, dans a deuxième moitié du XXe siècle, l’Afrique a connu des périodes d’instabilité politique et de crise socio-économique, dues au démantèlement de l’environnement géopolitique et au démembrement des structures et des cadres de vie qui assuraient la stabilité du continent (décolonisation, fin de la Guerre Froide, combat pour la démocratie, globalisation). Abandonnée brutalement à elle-même, après des années e soumission et de dépendance, l’Afrique s’est retrouvée comme un bâtiment aux parois fissurées, incapable de résister à l’inondation. Nous stigmatisons cette situation provoquée par des intérêts égoïstes et qui appelle réparation», concluent les évêques (3).

2.3. Ce démantèlement des centres de gravité et de stabilité de l’Afrique a fait que, par les jeux de la géopolitique mondiale, l’«Afrique des généraux et des colonels» a été remplacée par une «Afrique des chefs de guerre» (sans préjudice du respect qu’on doit aux autorités légitimement constituées) : cela précisément au moment où, fatiguée par les dictatures, l’Afrique était en quête de démocratie de de dignité humaine. L’idéologie ethnocentrique pour la conquête du pourvoir par la force a été le moyen idéal dans ce processus de mutation de l’Afrique. Un problème éthique et moral se pose qui n’a pas l’air de préoccuper les décideurs politiques.

2.4. En outre, d’un point de vue culturel, la lutte armée pour la libération de l’Afrique, finalité de la création, en 1963, de l’organisation de l’Unité Africaine (OUA) mais méthode impropre à la quête de la démocratie et de l’État de droit, la lutte armée, disions-nous, est redevenu en 2000 la voie pour la mise en place des régimes politiques. L’Afrique régresse ainsi de 40 ans dans ses méthodes pour la conquête du pourvoir, elle rentre au temps de la décolonisation pendant que le monde vogue dans la globalisation et la mondialisation. Puisse le NEPAD (New parterneship for African Development) combler ce retard culturel et mental.

Une crise du droit

2.5. Il ne fait donc pas de doute dans ce contexte que la crise des Grands Lacs est éminemment une crise politique lutte pour l’hégémonie régionale, volonté de vassalisation de certains gouvernements, nouvelles alliances politiques, prétentions ethniques … Cette crise n’en demeure pas moins une crise économique : le malheur de la RDC est sa richesse. Et plus le désordre y règne, plus les vautours et les pécheurs en eau troubles y font des juteuses affaires tous azimuts, que ce soient des nationaux ou surtout des expatriés. Et il n’est pas rare que les intérêts des unes et des autres soient divergents et provoquent des conflits au grand dame du peuple congolais. Il suffit de se référer au rapport des experts sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres richesses de la RDC, enquête diligentée par le Conseil de Sécurité des Nations Unies (cf. Kofi Annann – 12 avril 2001). Cet état des choses explique aussi les multiples accords passés avec le président Kabila par des puissances économiques alors même que qu’il n’était pas encore au pouvoir à Kinshasa. Mais personne ne personne ne voulait perdre du temps ni arriver trop tard au partage du gâteau.

2.6. La dimension politique de la guerre des Grands Lacs a occupé la majeure partie des efforts de la diplomatie internationale, tandis que le volet économique était naguère abordé et vécu plutôt comme un pis aller, une conséquence fâcheuse d’événements que l’on déplorait, certes, mais contre lesquels on ne pouvait pas grand chose, les protagonistes de la guerre et leurs mentors étant les usufruitiers du désordre en vigueur. Encore que pour être juste et équitable, il faille mentionner les condamnations par l’ONU du pillage des richesses de la RDC par les uns et les autres (Rés. 1304).

2.7. Une autre dimension pourtant importante de cette guerre, le volet juridique, n’est souvent évoquée que de manière passagère, au hasard des résolutions de l’ONU et des déclarations d’intention gouvernementales, comme si elle n’était pas essentielle à la solution durable de la crise des Grands Lacs. Et pourtant, de bout en bout la crise de Grands Lacs est une crise du droit. Illustrons-le par des faits de l’histoire.

L’embargo sur les armes

2.8. En 1994, malgré la protestation du gouvernement congolais à l’époque affirmant que le Rwanda n’était pas menacé, la communauté internationale lève l’embargo sur les armes en faveur du Rwanda tout en le maintenant pour le Zaïre, empêchant ainsi celui-ci d’exercer le droit à la défense de son intégrité territoriale. La levée de l’embargo sur les armes pour le Rwanda trahit, après coup, la préparation dès 1994 de l’agression dont le Zaire sera victime en septembre 1996. Cela apparaitra clairement lorsqu’il sera question d’envoyer une troupe internationale dans le Haut-Zaire et le Kivu pour reconduire au Rwanda les réfugiés hutu venus au Congo. L’ONU en votera la résolution, mais des poids lourds de la Communauté internationale s’y opposeront à une exception près. Les raisons avancées – le retour déjà effectif des refuges chez eux – étaient manifestement fausses, puisque quelques semaines plus tard, ces réfugiés arrivaient à Tingi-Tingi (Lubutu). L’envoi de la troupe internationale aurait certainement sauvé une multitude de vies humaines.

La guerre du Masisi

2.9. La guerre du Masisi en 1995 et l’exode consécutif des Banyamulenge, avec les erreurs déplorable de la commission parlementaire dite «Commission Vangu », sont un exemple patent de revendication de droits mal gérée par l’autorité politique. Les ethnies locales, en effet, s’en prennent aux Banyamulenge pour défendre leurs propriétés terriennes. L’Etat Zairois, au lieu de trancher la question conformément aux prescrits de la Constitution, organise pour des raisons autres que juridiques la guerre du Masisi, dont l’une des conséquences sera l’expulsion des Banyamulenge en territoire rwandais. Les tribus locales ne seront pas réhabilitées dans leurs droits, pas plus d’ailleurs que les Banyamulenge. Le droit bafoué prendra sa revanche en septembre 1996, car le conflit était né de la violation du droit.

2.10. Guerres de libération

2.10.1. La guerre dite de libération menée en 1996-1997, par M. Laurent-Désiré Kabila et l’AFDL, avec l’aide notamment du Rwanda, de l’Ouganda et du Burundi, est un autre exemple de conflits que la violation du droit a pus occasionner. Cette guerre violait, en effet, la Constitution du Zaïre, qui condamnait toute prise de pouvoir par la force (Art. 27). La guerre de 1996 est pour ainsi dire «la faute originelle» dans toute cette crise. Cette condamnation est reprise dans l’actuelle Constitution de la transition (art. 3). D’autre part, elle a rompu le consensus national et le processus démocratique en cours, pour consacrer la prise de pouvoir par les armes. Elle a ainsi fait le lit du Rassemblement congolais pour la Démocratie (RCD) (2e rébellion). D’autre part, ayant fondé sa légitimité sur la force, le nouveau pourvoir ne pouvait la défendre que par la force, au risque des dérives automatiques et dictatoriales. Par ailleurs, ayant recouru à des puissances étrangères pour conquérir et consolider leur pouvoir, les autorités politiques de Kinshasa ont accepté en 1997 de soumettre leur pouvoir au diktat des pays voisins. Par conséquent, elles sont bradés la souveraineté nationale. Cette situation rendra le pouvoir de Kinshasa fragile et précaire, d’autant que la sécurité civile et militaire sera aux mains des Rwandais et des Ougandais, dont les armées contrôleront les rouages du pouvoir à Kinshasa. Violation du droit constitutionnel, violation de l’intégrité territoriale et de la souveraineté nationale, rupture du consensus national et du projet de Société de la Conférence Nationale souveraine (CNS), interruption du processus démocratique, conquête du pouvoir par les armes, d’où sa défense par la force et un retour inévitable à la répression, à la dictature, à l’intolérance et à l’arbitraire. Voilà en résumé la situation logiquement créée par la première guerre dit de libération.

2.10.2. Les protagonistes de la première «guerre de libération» ayant refusé de s’intégrer dans le consensus national, ils ont bloqué les règles du jeu politique en RDC. En optant par contre pour une légitimé fondée sur la force, ils adoptaient comme règle du jeu le coup d’état potentiel. En effet, la légitimité sociologique acquise temporairement pendant la guerre de libération ne pouvait que s’effriter au fil de la détérioration progressive de la situation sociale et d’une gestion discutable de la chose publique.

2.10.3. La deuxième «guerre de libération» menée depuis le 2 août 1998 par le Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD) péchera par les mêmes vices, puisque l’Acte constitutionnel de transition était toujours en vigueur et visé dans les décisions des Cours et Tribunaux. La deuxième guerre comprenait les vices suivants : violation de l’intégrité territoriale, bradage de la souveraineté nationale, confirmation du principe de la conquête du pouvoir par la force, dédoublement de l’autorité politique dans le pays, avec comme conséquence le fait que le pays était tombé dans une situation de non-Etat, avec une multiplicité d’interlocuteurs reconnus de fait par la communauté internationale. D’où les lenteurs et les discussions interminables dans l’examen et la solution des problèmes. Il aura fallu Cinq ans là où les accords «Accords du palais du peuple» (Aout-Septembre 1993) avaient mis huit mois pour la solution constitutionnelle de la crise (avril 1994).

2.10.4. D’autres violations du droit national et international pourraient être mentionnées : le traitement réservé en RDC à la commission des droits de l’homme de l’ONU en 1997-1998, l’enrôlement des enfants-soldats par tous les camps, la transformation en mercenaires des Interahamwe et ex-FAR entrés au Congo comme réfugiés, violations massives du droit à la vie, pillages systématiques des richesses naturelles du Congo, les deux guerres de Kisangani en aout 1999 et en juin 2000 entre les forces rwandaises et ougandaises, les 3 000 000 des victimes militaires et civiles de la «deuxième guerre de libération» en RDC, l’occupation illégale du territoire congolais par des troupes étrangères et la partition de fait de la RDC, la complaisance de la Communauté internationale devant cet état de choses, trois années durant. Il fallait s’arrêter sur cette dimension juridique de la crise, si l’on veut trouver des solutions globales durables, même après les accords de Pretoria III.

L’exclusion

2. 11. Dans l’histoire de notre pays, l’exclusion, qui est une forme du déni du droit, n’a jamais été source de réconciliation. Bien au contraire, elle a toujours été à l’origine des conflits et des rébellions. En 1960, l’exclusion de Lumumba a provoqué les premières rébellions (1962-1964). Plus près de nous, l’exclusion, par son groupe, de M. Laurent Désiré Kabila des travaux du CNS n’est pas sans incidence sur la première guerre dite de libération (1996-1997). A contrario, la méconnaissance de la CNS et de ses options par le président Laurent Désiré Kabila ne pouvait pas ne pas être conflictuelle. Aussi, les solutions des crises politiques dans notre pays sont-elles toujours passées par le rassemblement de tous les fils et filles du pays, le consensus et la réconciliation nationale. Les accords de Pretoria III n’ont pas emprunté une autre voie. Il est à souhaiter que les acteurs politiques et les protagonistes se rappellent toujours que «le conflit, même latent, commence toujours lorsqu’un droit est violé». Ne pas respecter les accords souscrits, c’est une forme de violation du droit. Pacta sunt servanda : il faut respecter les pactes, les accords et les conventions.

3. Conclusion

Si la violation du droit est à l’origine du conflit, il faut a contrario affirmer que la justice, dans la mesure où elle dit le droit, est à l’origine de la paix, car la justice rend à chacun ce qui lui est du. Elle est en quelque sorte la mesure de l’être et de l’avoir de chacun en société. Elle circonscrit le périmètre des droits et des obligations de chacun, elle dessine le périmètre de la paix de chaque personne face aux autres. Elle indique la ligne de démarcation entre les droits et les obligations : la justice rappelle à chaque personne qu’elle n’est pas seule au monde, que l’humanité est plurielle, voire pluraliste. Elle rappelle aussi que l’Enfer, ce n’est pas toujours les autres… L’éducation à la paix, à la tolérance et à la citoyenneté passe par une éducation à la justice et au droit, au sens de la convivence et du bien commun. Seules des personnes ayant assimilé leurs doits et les exigences de la justice sociale et distributive pourront éviter le conflit, la mésentente, la discorde, et se faire artisans de la paix. Cependant, elles se rappelleront «qu’il n’y a pas de paix sans justice, il n’y a pas de justice sans pardon» (4). Il n’y a pas de pardon sans amour. Qui aime, ne sème pas le conflit; il est un en mesure de donner sa vie de vue de la réconciliation et de la paix. Tels sont les exemples que le Christ nous a laissés (cf. Jn 13,1) et le modèle de toute médiation à des effets millénaires.

Notes

(1) SCEAM, Lettre pastorale Christ est notre paix (Ep 2, 14), Accra, Octobre 2001, n. 109.

(2) Ibd.

(3) SCEAM, Ibd, n. 108.

(4) Jean Paul II, Message pour la journée mondiale de la paix 2002, (DC 2002, n. 2261, p. 4-8).

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