La deuxième guerre du Congo : le fond du problème, les enjeux et les conditions pour une paix durable

Quinze mois seulement après la guerre dite de libération qui a conduit à la chute de Mobutu et à l’avènement de Kabila, la République Démocratique du Congo est à nouveau plongée dans l’horreur de la guerre. La nouvelle révolte des Banyamulenge (Tutsi congolais) est survenue quelques jours après la décision du président Kabila, le 27 juillet, de mettre fin à la présence des soldats rwandais sur le sol congolais; une décision qui avait été pourtant accueillie avec enthousiasme et soulagement de l’ensemble de la population, qui supportait mal les élans dominateurs des Tutsi rwandais se comportant en conquérants. Dans la nuit du 2 au 3 septembre, il y eut des affrontements meurtriers à Kinshasa. Dans l’est du pays, les “rebelles s’emparaient rapidement des villes d’Uvira, Bukavu et Goma. On affirme à Kinshasa que le coup avait été préparé et planifié par les Rwandais depuis le mois de février. Lé départ massifs des cadres rwandais en est le signe évident.  C’est la deuxième guerre du Congo qui commençait. Mais quel était le “nouveau” fond du problème? Quels étaient les enjeux? Qui étaient les meneurs directs et indirects? Vue de Kinshasa, Cet récit analytique de cette guerre par Louis Kalonji Kalantanda, publié le 15 octobre 1998 dans African News Bulletin – Bulletin d’information africaine (ANB-BIA SUPPLÉMENT), livre certaines réponses.


Rébellion ou agression

Tout implique l’implication du Rwanda dans la révolte des militaires refusant de regagner leur bercail. On a constaté que plus de 10.000 hommes des troupes rwandaises étaient concentrées le long de la frontière avec le Congo. Une colonne des camions de militaires rwandais a fait irruption dans la ville de Bukavu, en appui à la “rébellion”. Et surtout, ce sont 400 militaires rwandais qui ont détourné un Boeing 707 de la compagnie Congo Airlines et sont partis de Goma vers la base militaire de Kitona, à l’ouest du pays, pour y provoquer le soulèvement des soldats congolais qu’ils ont enrôlés de force dans leurs rangs.  Rappelons que, depuis plusieurs mois, les relations entre Laurent Désiré Kabila et ses anciens alliés, l’Ouganda et le Rwanda, n’étaient plus au beau fixe. Ces derniers accusaient Kabila de ne rien maitriser dans son pays.

Il s’agit bien d’une agression rwando-ougandaise contre la RDC comme en témoigne d’ailleurs des ONG sur le terrain. Mais si la participation du Rwanda et de l’Ouganda ne fait pas l’ombre d’un doute, la question qui se pose à Kinshasa est de savoir qui est derrière ces deux pays envahisseurs. [Par exemple, NDLR] Beaucoup y voient surtout l’influence de la France, ce que des rebelles faits prisonniers ont confirmé. M. Z’Ahidi Ngoma, l’un des chefs rebelles de la rébellion, est considéré comme un pion de la France. Et le départ précipité des ressortissants des pays occidentaux est vu comme le signe d’un vaste complot ourdi contre le régime de Kabila, dont on disait la chute imminente.  Face à cette agression extérieure, la population congolaise a rejetée la “rébellion”, refusant la domination tutsi. C’est pourquoi l’appel à la mobilisation lancé par le président Kabila a été bien accueilli par la population. Des marches de colère et de soutien ont drainé des dizaines de milliers des personnes. De nombreux jeunes gens, parmi lesquels des centaines d’étudiants se sont enrôlés volontairement dans l’armée, prêts à aller se battre.

Les enjeux cachés

D’après les analyses, la “rébellion” s’appuie sur des mécontents répartis en trois grandes catégories, qui n’ont ni objectif commun, ni doctrine ou idéologie communes. La première catégorie est celle des troupes rwandaises engagée de la lute de “libération” de l’ex-Zaïre, qui refusent de rentrer dans leur pays vu les privilèges dont elles jouissaient. Ces soldats pensaient-ils demeurer pour de bon au Congo? Une chose est certaine, c’est que les tutsi rwandais et ougandais avaient la prétention de recoloniser le Congo en utilisant Kabila. Des documents circulent à Kinshasa à ce propos, tel que le “plan de la colonisation tutsi du Congo et des régions d’Afrique centrale”La deuxième catégorie est constituée par les Banyamulenge, qui en octobre 1996, avaient pris les armes pour revendiquer la nation congolaise et qui, cette fois-ci, revendiquent des postes, affirment être marginalisés et floués par Kabila dans le partage du pouvoir. Rappelons que la question des Banyamulenge a été longuement débattue à la Conférence Nationale Souveraine (CNS), où il a été arrêté que les Banyamulenge ne font pas partie des tribus congolaises et qu’il faut entamer la régularisation de leur séjour sur le territoire congolais (enquête Vangu). Voulant les protéger, le gouvernement Kabila s’était insurgé contre cette disposition de la CNS. Enfin la troisième catégorie des insurgés est constituée des anciens dignitaires du régime de Mobutu, qui veulent renverser Kabila afin de revenir au pouvoir et continuer à piller le pays comme ils l’ont fait durant 30 ans.

Le mois d’août noir à Kinshasa

Du mercredi 26 au samedi 29 août, habitants de Kinshasa, en particulier ceux des communes de Masina, Ndjili, et Kimbanseke, ont passé des moments très durs. On peut parler de la bataille de Kinshasa. Aidés par des éléments des ex-FAZ corrompus par les mobutistes, les rebelles sont entrés à Kinshasa par les localités de Mokali et de Ndjili dans la partie sud-est de la ville. Leur premier objectif était de s’emparer de l’aéroport de Ndjili, qui était gardé par des soldats zimbabwéens et namibiens. Après avoir localisé les rebelles, les Forces armées congolaises et leurs alliés ont employé les grands moyens, dont un bombardier devenu célébrè à Kinshasa. Les bombardements entrainèrent la panique parmi la population. Des milliers de réfugiés s’enfuirent vers les communes voisines, hommes, femmes, enfants, vieillards, malades et handicapés. … Il y eut des scènes dramatiques.  Les gens restés dans les quartiers occupés par les rebelles ont servi de bouclier aux envahisseurs qui les prenaient en otage. Beaucoup sont morts avec les “rebelles” dans les bombardements.

Désemparés, les “rebelles” ont cherché à se cacher dans des maisons d’habitation, des écoles, des églises, des dépôts et des immeubles en construction. Ceux qui trainaient dans les rues ont été capturés par la population qui s’est fait vengeance sans attendre l’intervention de la police. Plusieurs furent brulés vifs. Mais des personnes innocentes ont également été victimes de cette guerre populaire, à la suite des règlements de compte, de jalousie et de vengeance. Dans une lettre pastorale, archevêque de Kinshasa a déploré ces actes : “comment la paix peut-elle revenir dans notre pays, si nous continuons à pratiquer sur des innocents des actes qui crient vengeance au ciel?“.

Les conséquences générales de la guerre

La guerre a entrainé des conséquences néfastes. Il y a d’abord les nombreuses pertes en vies humaines. La misère aussi ne recule pas : les prix des denrées alimentaires, des locations des maisons, des frais de transport demeurent désespéramment au-dessus du pourvoir d’achat de la population. La rentrée scolaire, prévue le 7 septembre, a été reportée. Les salaires des agents sont toujours impayés. Des milliers d’enfants sont enrôlés et envoyés à la guerre. La ville de Kinshasa est au bord de l’asphyxie. Les marchés sont vides, la plupart des dépôts de marchandises sont fermés par craintes de pillages ou de rupture de stocks. D’où une flambée des prix, multipliées par cinq ou six. Les deux voies d’approvisionnement de Kinshasa étant bloquées, la situation est devenue catastrophique. Si la bataille de Kinshasa s’était prolongée durant une semaine, la population aurait été décimée par la famine. Sans eau courante, sans électricité et carburant, la vie a été infernale dans la capitale.

Une autre conséquence de cette guerre est la monté de la haine contre les tutsi en général dans la société congolaise. Ils seront désormais très difficilement acceptés. Par contre, cette guerre sert de propagande pour la popularité de Kabila, célébré par les gens pour son nationalisme. La rébellion a consolidé le rapport entre Kabila et le peuple. Son accueil triomphal le 8 septembre à Kinshasa la confirme. Mais ce capital de confiance ne durera que si Kabila répond aux aspirations de la population, qui ne cesse de l’inviter à travailler avec Étienne Tshisekedi.

Conditions pour une paix durable

Certes, la RDC fait face à une guerre qui lui est imposée à l’extérieur. Mais à Kinshasa, on estime que cette situation est aussi due à des erreurs de gestion. Il y a l’absence d’un consensus national, l’absence d’une participation concertée à la gestion du pays et surtout le blocage du processus de démocratisation. C’est pourquoi pour mettre fin à la rébellion et créer les conditions d’une paix durable, il y a trois conditions :

● Former un gouvernement d’union nationale dirigé par Étienne Tshisekedi et comprenant toutes les sensibilités politiques disposant d’assises valables. L’opinion à Kinshasa soutient cette thèse, compte tenu de la faillite actuelle de l’AFDL qui a volé en éclats avec la fuite des autres signataires de l’alliance.

● Écarter du gouvernement les éléments aux origines douteuses, en particulier les tutsi.

● Mettre en place un cadre juridique consensuel pour définir la transition avant les élections.

Au plan interne, l’opposition réclame la tenue d’une véritable table ronde politique qui réunirait toutes les forces vives du pays, en vue d’opérer de manière concertée des réaménagements politiques, juridiques et institutionnelles, pour aboutir ainsi à la réconciliation nationale. Cette préoccupation serait aussi celle de l’OUA qui avait entamé des pourparlers avec les diverses parties en conflit. La solution au problème congolais est d’abord politique et non militaire. Elle est la réconciliation et la participation de tous à la reconstruction nationale.

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