L’accord de cessez-le-feu de Lusaka signé il y a 18 mois pour mettre un terme à la guerre en République démocratique du Congo (RDC) s’est avéré vain. Il n’a réussi qu’à camper les belligérants sur leurs positions, sans arrêter les combats. Les observateurs mandatés par les Nations Unies et censés vérifier le désengagement des forces en présence, n’ont la plupart du temps pas pu entrer en action à cause de la poursuite des hostilités. De la même manière, le dialogue intercongolais, qui aurait dû déboucher sur une « nouvelle donne politique » dans le pays, semble mort-né. Face à ce blocage du processus de paix, le Congo a commencé à se morceler. Aucune région du pays n’est épargnée par la catastrophe humanitaire. Les combats ont déjà coûté la vie à des centaines de milliers de Congolais, et l’on estime à deux (2) millions le nombre de personnes déplacées. La violence a favorisé l’essor du militarisme ethnique, et l’Est du pays n’est déjà plus aujourd’hui qu’une mosaïque de fiefs dominés par les chefs de guerre. C’est l’intégrité territoriale du Congo qui est menacée et, à terme si le chaos persiste, celle des neuf pays voisins.
L’absence de leadership dans l’application de l’accord est à l’origine de l’échec du cessez-le-feu de Lusaka. Celui-ci reposait entièrement sur la coopération des parties en présence. Malheureusement aucun des signataires n’a respecté ses engagements, chacun suspectant les autres de jouer un double jeu et justifiant ainsi sa propre duplicité. Or les belligérants ayant eux-mêmes la responsabilité de faire appliquer l’accord, et aucune garantie extérieure ne venant leur en imposer le respect, celui-ci est vite devenu lettre morte. Aujourd’hui cet accord n’est plus qu’un document de référence pour le jour, encore lointain, où les belligérants prendront conscience du fait qu’ils n’ont pas d’autre choix que de l’appliquer. En attendant, c’est justement parce qu’ils n’ont pas atteint leurs objectifs militaires que tous s’entêtent dans leur aventurisme guerrier. Tous doivent récupérer leurs investissements de sang et de moyens, trop légèrement pariés au Congo. Tous cherchent encore à gagner la guerre, même si la victoire n’est plus possible.
La deuxième guerre menée au Congo par l’Ouganda et le Rwanda a mis gravement en péril la stabilité même de ces pays. L’attaque-éclair déclenchée en août 1998 pour renverser Kabila s’est depuis transformée en guerre d’occupation, et risque de devenir une intenable guerre d’usure. L’énergie et les fonds dont ceux-ci ont besoin pour assurer leur développement économique ont été dirigés vers leurs budgets de défense en croissance constante. En outre, la crise humanitaire actuelle dans l’est de la RDC et les affrontements répétés à Kisangani entre les forces rwandaises et ougandaises ont porté un coup fatal à l’image de leurs dirigeants.
Cette guerre n’a pas été plus favorable aux alliés de Kabila. L’opposition catégorique du président de la RDC au déploiement de la MONUC et sa préférence à partager son pays plutôt que le pouvoir ont fait du Congo un piège pour le président du Zimbabwe, Robert Mugabe. Aujourd’hui, l’homme fort d’Harare n’a plus beaucoup de marge de manœuvre. Compte tenu des problèmes économiques et politiques que connaît son propre pays, Robert Mugabe n’est pas disposé à risquer un retrait unilatéral et sans gloire. L’Angola de son côté est parvenu jusqu’à maintenant à ne pas payer le coût de son intervention. Ce succès apparent a poussé le président Dos Santos à revendiquer un rôle de broker du pouvoir régional en Afrique du Centre et de l’Ouest. Il soutient Kabila pour ne pas voir l’émergence d’un dirigeant fort et indépendant à Kinshasa. Cependant, un changement imminent de la situation militaire remettrait probablement en cause le succès de cette politique en RDC et révélerait les limites de la puissance angolaise. Porté au pouvoir en l’absence apparente d’autres options, Kabila ne dirige que par défaut.
Les politiques inappropriées menées par la communauté internationale ont contribué à entretenir le morcellement du Congo. Déterminées à mettre un terme aux combats, les puissances mondiales ont fait pression sur les belligérants pour qu’ils signent l’Accord de cessez-le-feu de Lusaka. Ce document répondait d’ailleurs tout à fait à la préférence déclarée des États-Unis pour «des solutions africaines aux problèmes africains». Les limites de cette politique apparaissent désormais clairement. Aujourd’hui, aucun des belligérants ne peut se sortir seul du bourbier congolais. L’IGC recommande ainsi aux puissances mondiales un engagement plus vigoureux et plus déterminé au Congo pour redonner vie au processus de paix de Lusaka et rétablir à terme la souveraineté territoriale en RDC tout en garantissant la sécurité dans la région.
Nairobi/Bruxelles, 20 décembre 2000
Voir la publication : LE PARTAGE DU CONGO – ANATOMIE D’UNE SALE GUERRE, 20 décembre 2000, PDF.