La région des Grands lacs est le papier de tournesol de la géopolitique africaine. Bien que dans certaines sphères de la diplomatie internationale on ait la présomption de considérer les malheurs du continent africain comme l’effet de la seule mauvaise gouvernance des classes dirigeantes locales, il est bon de nous pencher, nous de l’agence MISNA, également sur les responsabilités du monde occidental qui, trop souvent, semble nier toute accusation. Il s’agit d’un scénario extrêmement complexe et articulé qui doit être jugé par toute la conscience, au-delà de toue partialité | Père Giulio Albanese, directeur de l’agence de presse MISNA.
En avril et mai 2001, une parlementaire américaine de l’époque, Cynthia McKinsey, convoqua une séance de la sous-commission Relations Internationales du Congrès américain, pour discuter de la crise humanitaire en Afrique. A l’ouverture des travaux, la parlementaire déclara: « Les comptes rendus que nous écouterons aujourd’hui contribueront à nous faire comprendre la raison de l’état actuel de l’Afrique. Nous entendrons qu’au cœur des souffrances africaines réside le désir occidental, et surtout américain, d’obtenir les diamants, le pétrole et le gaz et d’autres précieuses ressources africaines. Nous entendrons comment l’occident, et surtout les États-Unis, ont mis en œuvre une politique d’oppression et de déstabilisation animée non pas par des principes moraux, mais par le désir pressant de s’enrichir grâce aux fabuleuses richesses de l’Afrique.
Alors qu’elles prétendent être amies et alliées de nombreux pays africains, plusieurs nations occidentales, et j’ai honte de devoir inclure les États-Unis dans la liste, ont en réalité trahi la confiance de ces pays en suivant systématiquement une politique militaire à leur propre avantage. Les pays occidentaux ont poussés à la rébellion contre des gouvernements africains stables, encourageant voire armant des partis d’opposition et des formations rebelles pour qu’elles lancent l’insurrection armée. Les nations occidentales ont même activement participé à l’assassinat de certains chefs d’États africains légitimes et élus régulièrement pour les remplacer par des fonctionnaires corrompus et malléables. Les nations occidentales ont également encouragé et ont été complices de l’invasion illégale que certaines nations africaines ont perpétrés au dépens des pays voisins ».
Le désastre du Zaïre était planifié
Des témoignages quelque peu inquiétants furent présentés aux séances convoquées par Mme McKinney. Des témoignages révélant comment, par exemple, certaines entreprises occidentales, comme l’American Mineral Fields ou la Barick Gold (qui, entre parenthèse, compte au sein de son comité des conseillers internationaux l’ex-président Georges Bush senior et l’ancien premier ministre canadien Mulroney), prirent des accords sur les futurs concessions minières avec les forces rebelles durant la période de la guerre dans l’ancien Congo Belge.
Comment les activités menées par ces entreprises à l’époque de la première invasion de l’ex-Zaire (1996), perpétrée de fait par l’armée rwandaise, coïncidèrent pratiquement avec celles d’éléments des services américains en relations étroite avec les rebelles de l’alliance des forces démocratiques de libération du Congo (AFDL) de Laurent Désiré Kabila soutenus par Kigali. Les éléments en question étaient des fonctionnaires des ambassades des États-Unis à Kinshasa, Kigali et Kampala, et encore de la US Agency for International Development (USAID) et de la US Defense Intelligence Agency (DIA). Un programme officiel d’entrainement américain, dénommé Enhanced International Military Education Training (E-Imet), conduit pour le compte du gouvernement de Kigali, avant l’invasion du Congo-Zaïre en octobre 1996, a également été illustré durant les auditions.
Durant les campagnes militaires du Rwanda et de l’Ouganda au Congo, à parti de 1996, les opérations couvertes conduites par des forces américaines, comprenant des mercenaires PMC (Private Military Contractors) comme la Military Professional Ressource (MPRI) d’Alexandria, en Virginie, eurent un rôle crucial. Des sources indépendantes dans la région des Grands-Lacs racontèrent que des soldats « afro-américains » militaient dans les rangs des forces rebelles. Le Pentagone et les services américains auraient en outre fourni des informations aux forces d’invasion pro-rwandaise et pro-ougandaises dans les différentes phases des combats de l’actuelle République Démocratique du Congo, via satellite et autres moyens.
Ces dessous révèlent que derrière les deux sanglantes guerres congolaises, la première déclenchée en 1996 et ayant duré moins d’un an, la seconde déclenchée en 1998 et dans un certain sens, encore en cours dans certaines régions orientales du pays et soldées au total par la mort de plus de 4 millions de personnes, se cachent des vérités dérangeantes qui ne font certes pas honneur à ceux qui prétendent exporter la démocratie dans lesdits pays en voie de développement.
Des millions des morts pour l’argent et les minerais
Le 20 mai 1997, après la chute du régime mobutiste, le célèbre quotidien londonien The Times décrivit la géopolitique anglo-américaine derrière Kabila en ces termes: « En novembre de l’an dernier, Washington accorda son soutien diplomatique à la rébellion dans l’Est du Zaïre, essentiellement des Tutsi (NDLR : composante ethnique fondatrice du Front Patriotique Rwandais de Kigali actuellement au pouvoir), qui s’est soldée par une révolution avec la chute de Mobutu la semaine dernière. Par conséquent, les milieux français voient une conspiration anglophone derrière le mouvement de Kabila, où l’Angleterre met le savoir faire de l’ère impériale et les Américains l’Argent et l’entrainement militaire qui ont été nécessaire aux Tutsi pour envahir le Zaïre d’un bout à l’autre en sept mois seulement. Peut-être que la théorie de la conspiration cache une vérité.
Parmi les bénéficiaires du changement de régime, on trouve George Bush, qui avec l’ex-premier ministre canadien Brian Mulroney est conseiller de la Barrick Gold de Toronto, qui a obtenu des rebelles une concession minière d’or de 80.000 kilomètres carrés dans les nord-est du Zaïre. Mais la conspiration est plus profonde et plus subtile ». L’article, signé par Sam Kiley, décrivait ensuite l’alliance des nouveaux leaders africains sur laquelle la stratégie anglo-américaine pouvait compter : Yoweri Museveni pour l’Ouganda, Paul Kagame pour le Rwanda, John Garang du SPLA soudanais, Isia Afewerki pour l’Erythrée et Meles Zenawi pour l’Éthiopie.
Comme l’écrivait Frédéric Bastiat, un économiste français du 19e siècle, « là où ne passent pas les marchandises, passent les armées … ». Une phrase tristement d’actualité pour l’Afrique contemporaine.