Crise congolaise et intervention des Nations Unies

Contexte

L’Opération des Nations Unies au Congo ou ONUC de juillet 1960 à juin 1964 a été l’une des plus grandes opérations de maintien de la paix établies par l’ONU, en termes de responsabilités complexes, de taille de la zone d’opération et de le nombre de soldats de la paix impliqués. En effet, avec une superficie d’environ 2 345 410 million Km2, la République démocratique du Congo (Zaïre sous le règne de Mobutu) est le deuxième plus grand pays d’Afrique après l’Algérie. En 1960 – comme aujourd’hui – et qui plus est en pleine guerre froide, le pays est au cœur des enjeux géostratégiques et géoéconomiques mondiaux car exceptionnellement riche en minéraux, dont une grande partie se trouve et est extraite dans la province du Katanga, invitant un intérêt particulier de ses voisins et colonisateurs. Avec plus de 400 tribus, le pays comptait 14 millions d’âmes farouchement fidèles à leurs chefs tribaux.

Lors de la colonisation, après le génocide commis par Léopold II, l’administration belge, tout en pillant le pays, a pratiqué une politique de paternalisme qui a donné à une partie de la population indigène l’un des niveaux de vie les plus élevés du continent mais peu d’avancement politique et éducatif. En 1959, après une forte pression interne et des changements internationaux décisifs, le gouvernement belge a annoncé son intention de préparer le pays à l’indépendance et s’est lancé dans un plan radical de décolonisation. Des élections aux conseils municipaux et territoriaux ont eu lieu en décembre 1959 suivies d’une table ronde des Congolais à Bruxelles en janvier 1960. Au cours de cette conférence, la Belgique a accepté d’accorder l’indépendance précipitée au pays le 30 juin 1960, faisant le pari que le pays sera vite ingouvernable et qu’il reprendrait le contrôle juste après (le premier élément du pari belge). Cela a été suivi de débats acrimonieux et d’un compromis ténu, par lequel les deux dirigeants congolais dominants rivaux ont été élus à deux postes clés dans une nouvelle structure politique : Joseph Kasavubu (devenu président de la République) et Patrice Lumumba (devenu premier ministre). Fait intéressant, les deux devaient trouver différents bailleurs de fonds mondiaux au fur et à mesure que le conflit éclatait, le premier misant sur le soutien occidental ou américain et le second nationaliste et panafricaniste pu et dur ce qui lui vaudra d’être accusé, à tord, de suivre les politiques soviétiques.

Le 29 juin 1960, dans une manœuvre astucieuse pour conserver sa mainmise sur le pays riche en minerais, un traité d’amitié, d’assistance et de coopération est signé (mais jamais ratifié) entre la Belgique et le Congo. En vertu de ce traité, la plupart du personnel administratif et technique belge devait rester au Congo. Mais les clauses les plus controversées du traité concernaient la fourniture de deux bases militaires à Kamina et Kitona, qui ont été cédées à la Belgique. Il stipulait aussi astucieusement que le Gouvernement belge pouvait, à la demande du Gouvernement congolais, appeler les troupes belges de ces bases pour aider ce dernier à maintenir l’ordre public. La Belgique espérait en effet, second élément clé du pari belge, qu’avec cette aide importante et les garanties, il serait possible d’assurer une transition en douceur du statut colonial à l’indépendance tout en conservant son contrôle sur les richesses minérales. Son principal espoir résidait dans la Force Publique, l’armée de plus de 25 000 hommes, qui avait maintenu l’ordre public dans le pays de manière impitoyable mais efficace à l’époque coloniale et qui devait continuer à être commandée par le général de corps d’armée belge Emile Janssens, avec un corps entièrement belge d’officiers.

Au cours de cette période (juin 1960), le Dr Ralph Bunche (politologue et diplomate américain ayant reçu le prix Nobel de la paix pour sa médiation en Palestine et qui a été étroitement associé à la rédaction de la Charte des Nations Unies) a été envoyé au Congo par le Secrétaire général de l’ONU pour déterminer les besoins économiques du nouvel État et a ensuite été nommé Représentant spécial de l’ONU (équivalent de l’actuel Représentant spécial du Secrétaire général) au Congo.

La Belgique viole la souveraineté du Congo

La confusion a enveloppé le pays peu après l’indépendance, car les grandes attentes des gens ordinaires ont été vite démenties. L’euphorie de l’indépendance s’est rapidement évanouie et des violences tribales ont éclaté à Luluabourg au Kasaï. Elle a été précédée par la mutinerie de 25 000 soldats de l’armée congolaise (Force Publique), délibérément irritée par les Belges qui en assuraient le commandement. En effet, le 4 juillet 1960, les troupes congolaises du Camp Hardy à Thysville exigent l’expulsion de tous les officiers militaires belges de la Force Publique et l’augmentation de la solde des troupes. Bientôt, une mutinerie éclate dans la garnison de Léopoldville (aujourd’hui Kinshasa) et s’étend à plusieurs autres villes du pays. Alors que certains mutins attaquaient des Belges et d’autres Européens et commettaient également des atrocités, la plupart des administrateurs et techniciens belges ont fui le pays, ce qui a entraîné l’effondrement d’un certain nombre de services essentiels dans tout le pays.

L’ambassadeur de Belgique au Congo a exhorté à plusieurs reprises le Premier ministre Lumumba à demander l’aide des troupes belges dans le cadre du traité d’amitié, mais Lumumba, désormais hostile à l’influence occidentale dans son pays, a refusé. Lumumba a tenté de reprendre le contrôle de la Force publique en acceptant la demande de réformes des soldats congolais. Il a renommé la Force Publique en Armée Nationale Congolaise (ANC), a limogé le général Janssens et nommé Victor Lundula au poste de commandant de l’armée et le colonel Joseph Mobutu au poste de chef d’état-major.

Ralph Bunche a quant vivement conseillé à l’ambassadeur de Belgique de ne pas faire appel aux troupes belges sans l’accord préalable du gouvernement congolais. Il a également conseillé au gouvernement congolais de demander une assistance technique de nature militaire à l’ONU, ce qui a été accepté et une demande formelle au Secrétaire général de l’ONU a été envoyée le 10 juillet 1960. La demande avait pour but spécifique de faire appel à des experts et des techniciens, qui pourraient aider le gouvernement congolais à développer et à renforcer l’armée nationale pour la défense nationale.

Entre-temps, la Belgique a envoyé ses troupes au Congo sans l’accord préalable du «rétablir l’ordre public et de protéger les ressortissants belges». Les affrontements qui en ont résulté avec les forces congolaises ont accru le niveau de tension et de désordre dans le pays. Dans la foulée, avec l’encadrement de la Belgique, dans un geste bien planifié, Moise Tshombe, le président du parlement provincial du Katanga, province extrêmement riche en minéraux, a proclamé la sécession le 11 juillet 1960. La province du Kasaï sous le roi Mulopwe Albert Kalonji, a emboîté le pas et a déclaré son indépendance.

L’ONU entre en jeu

Alarmés par l’éclatement du pays, le président Kasavubu et le Premier ministre Lumumba ont envoyé ensemble un télégramme conjoint au secrétaire général de l’ONU le 12 juillet 1960 demandant l’assistance militaire de l’ONU. La demande principale était «de protéger le territoire national du Congo contre l’agression extérieure qui constituait une menace pour la paix internationale». Ils ont en outre précisé qu’ils ne demandaient pas d’aide pour rétablir la situation intérieure mais pour répondre à l’agression belge.

Le 13 juillet 1960, le Secrétaire général de l’ONU, Dag Hammarskjöld, a répondu en invoquant l’article 99 de la Charte des Nations Unies qui habilite le Secrétaire général «à porter à l’attention du Conseil de sécurité toute question qui, à son avis, pourrait menacer la paix et la sécurité internationales». Le Secrétaire général, s’appuyant sur les leçons de la première force d’urgence des Nations Unies à Gaza, a recommandé la création d’une force de maintien de la paix des Nations Unies pour aider le gouvernement congolais à maintenir la loi et l’ordre jusqu’à ce que sa propre force de sécurité nationale soit en mesure de remplir ces tâches. Il a supposé que face à l’action de l’ONU, le gouvernement belge retirerait ses forces. Le Conseil de sécurité a adopté la résolution 143 (1960), appelant le Gouvernement belge à retirer ses forces du territoire congolais et a décidé «d’autoriser le Secrétaire général à prendre les mesures nécessaires, en consultation avec le Gouvernement de la République du Congo, pour fournir l’assistance militaire qui pourrait être nécessaire». Alors que son mandat initial, tel que défini dans la résolution 143 (1960) du Conseil de sécurité est resté valide, l’ONUC s’est vu confier de nouvelles responsabilités et de nouvelles tâches au cours des quatre années de son fonctionnement. Ces tâches ont émergé de l’évolution des situations sur le terrain et les opérations au Congo peuvent être brièvement regroupées sous les quatre phases suivantes :

La phase I (juillet – août 1960) comprenait le rétablissement de la loi et le retrait des forces belges.

• La phase II (septembre 1960 – septembre 1961) couvrait la crise constitutionnelle ; limogeage du président par le Premier ministre et vice-versa.

• La phase III (septembre 1961 – février 1963) était l’application du mandat, la restauration de la liberté de mouvement par les forces de l’ONU et la fin de la sécession du Katanga.

• La phase IV (février 1963 – juin 1964) était la consolidation du gouvernement congolais et le retrait de la force de l’ONU.

Belgique et guerre par procuration : les mercenaires du Katanga

Par la suite, le Conseil de sécurité de l’ONU a émis diverses résolutions appelant au retrait des forces belges et s’est opposé à la sécession du Katanga. Cependant, Tshombe a ignoré les sanctions internationales et a engagé des mercenaires blancs, dirigés par un ancien colonel belge, le “Black Jack” ou Jean Schramme. Le colonel Schramme a été envoyé à Kasimba, dans le nord du Katanga, où il a recruté des soldats adolescents parmi les tribus locales pour former son «groupe léopard». Ils étaient le noyau de ce qui deviendra plus tard le tristement célèbre «10 Commando».

Le major belge Crèvecoeur, a été engagé par Tshombe pour créer une gendarmerie katangaise. Cette branche paramilitaire était basée sur des officiers subalternes et des policiers belges. La gendarmerie comptait près de 10.000, avec 400 mercenaires d’origine et ils étaient formés en trois bataillons. Ceux-ci comprenaient le 5 Commando sous Mike Hoare, le 6 Commando sous le Français Bob Denard et le 10 Commando de Schramme. Équipés d’armes et d’uniformes de gendarmerie, ils servaient de fer de lance d’élite, formant des groupes mobiles et opérant en colonnes de huit à neuf jeeps. Schramme, Denard et Hoare ont été nommés majors dans l’armée katangaise, et plus tard colonels. Crèvecoeur et plusieurs autres officiers d’état-major belges ont aussi été officiellement nommés «assistants techniques» de Tshombe et de son état-major.

Les mercenaires étaient des hommes durs, en bonne forme physique, qui s’étaient engagés pour une variété de motifs personnels et politiques. Ils étaient présents à Elizabethville, Kolwezi, Jadotville et Albertville (Kalémié), et limitaient généralement leur présence aux zones où les forces onusiennes n’étaient pas déployées. Si la plupart des mercenaires étaient des anciens combattants belges recrutés à Bruxelles, d’autres avaient répondu à des annonces à Johannesburg, Salisbury et Bulawayo. Certains étaient des Français qui avaient servi en Algérie tandis que d’autres étaient britanniques. Ce n’est qu’à leur arrivée qu’ils ont reçu leur contrat de service.

Au cours de la seconde moitié de 1960 et au début de 1961, Moise Tshombe renforça avec succès ses capacités militaires au Katanga. Il était déterminé à équiper l’armée de l’air du Katanga d’avions et il aurait acheté neuf CM-170 Magisters à la France. Le 15 février 1961, un Boeing YC-97 de transport est piloté par les pilotes mercenaires Joseph Deulin et Magain et seuls trois de ces Magisters sont livrés à Kolwezi. Jan Zumbach (“Brown”), un pilote polonais servant dans la RAF pendant la Seconde Guerre mondiale, a été engagé pour organiser et commander un KAT – également connu sous le nom de “Avikat” – unité AT-6. La base principale d’Avikat était l’aérodrome de Luano. Les KAT Magisters sont apparemment devenus opérationnels en juillet 1961. En octobre 1961, l’Avikat a été renforcé par cinq Dornier Do.28A qui auraient été achetés en Allemagne de l’Ouest avec des contacts sud-africains. À la fin de 1961, le Katanga a également organisé sa propre compagnie aérienne, appelée Air Katanga, équipée d’un avion DC-3 Dakota. Tshombe a également pris livraison de cinq Piper Carribeans d’Afrique du Sud et un certain nombre de parachutistes de l’unité dissoute sont arrivés d’Algérie.

Mort mystérieuse (assassinat) de Dag Hammarskjold

Devant un renforcement militaire alarmant du Katanga, le 14 avril 1961, l’ONUC a été fermement autorisée à recourir à la force dans la poursuite de son objectif de maintien de l’unité du Congo. Accroissant le rôle de l’ONU au Katanga, le brigadier indien KAS Raja a été nommé commandant de l’ONU au Katanga avec son quartier général à Elizabethville.

Mais c’était sans compter que le mois de septembre 1961 apporterait de nombreuses catastrophes à l’ONU. En effet, le Secrétaire général négociait avec les groupes politiques nationaux et partit finalement pour la Rhodésie du Nord (aujourd’hui la Zambie) le 17 septembre 1961, dans un avion DC-6 avec ses conseillers et son escorte. Il devait rencontrer Moise Tshombe à Ndola (dans l’actuelle Zambie), pour des entretiens visant à mettre fin aux combats en cours dans le sud du Katanga. Mais, l’avion qui le transportait a rencontré un mystérieux accident à la frontière entre le Katanga et la Rhodésie du Nord, mettant fin tragiquement à sa vie et celle de 16 autres membres de l’équipe. Ce qui est troublant est que le Secrétaire général a été le seul reconnu après l’accident car son corps a été jeté, tandis que d’autres ont été carbonisés avec l’avion.

30 ans plus tard, le président de la Commission de la vérité en Afrique du Sud, l’archevêque Desmond Tutu a publié des documents qui  suggéraient qu’un complot occidental était à l’origine de la mort du chef des Nations Unies en 1961. «La commission a découvert … des documents discutant le sabotage de l’avion dans lequel le secrétaire général de l’ONU Dag Hammarskjold est mort dans la nuit du 17 au 18 septembre 1961», a déclaré Tutu lors d’une conférence de presse. «Nous n’avons pas été en mesure d’enquêter sur la véracité de ces documents et des allégations selon lesquelles l’Afrique du Sud ou d’autres agences de renseignement occidentales auraient été impliquées dans l’accident aérien», a-t-il ajouté.

Les documents provenaient de l’Institut sud-africain de recherche maritime (SAIMR) – qui serait une société écran pour l’armée sud-africaine. Ces documents comprenaient des références à la réunion de la Central Intelligence Agency (CIA) américaine et du service de sécurité britannique du MI5 et indiquaient: «Lors d’une réunion entre le MI5, le responsable des opérations spéciales et le SAIMR, ce qui suit a émergé», lit-on dans un document marqué Top Secret , «il est estimé que Hammarskjold devrait être supprimé». «Je veux que son éloignement soit géré plus efficacement que ne l’a été Patrice (Lumumba)», indique le document (la CIA a ouvert ses dossiers sur les assassinats de la guerre froide en 2002 et a reconnu avoir ordonné le meurtre de Patrice Lumumba). Une autre lettre intitulée «Operation Celeste» donne des détails sur les ordres de placer des explosifs dans le compartiment de roue d’un avion prêt à décoller lorsque les roues ont été rétractées au décollage. Hammarskjold et 15 autres personnes ont été tuées lorsque leur avion avait à peine pris de l’altitude au-dessus de la Rhodésie du Nord, aujourd’hui la Zambie. «Nous savons de source sûre que l’ONU voudra poser ses pattes cupides sur la province», lit-on dans une lettre datée du 12 juillet 1960.

Alors que les responsables de l’ONUC se remettaient encore des séquelles de l’accident, le commandement de l’ONU au Katanga cessèrent les hostilités. Les prisonniers ont été échangés par les deux parties. La Poste et Radio Katanga à Elizabethville ont été restituées à l’autorité katangaise. Les autorités civiles locales et la gendarmerie katangaise ont été autorisées à entrer dans l’aérodrome d’Elizabethville et dans d’autres endroits du Katanga. Ainsi, le «statu quo ante» a été rétabli ; résultant en un Tshombe plus confiant et de plus en plus agressif que jamais.

Début octobre 1961, une forte campagne anti-ONU a été organisée par les parties intéressées dans les pays voisins de l’Angola, de Brazzaville, du Congo, de la Rhodésie et de l’Afrique du Sud et des fonds ont également été collectés pour aider ces campagnes. Dans le même temps, le Premier ministre Adoula a attaqué l’accord de cessez-le-feu entre l’ONU et le gouvernement du Katanga et a annoncé que son gouvernement recourrait à ses propres moyens pour mettre fin à la sécession du Katanga. Le 20 octobre, 5 000 soldats de l’ANC ont fait leur première action en attaquant la gendarmerie au nord du Katanga. S’ils remportèrent quelques premiers succès et s’installèrent à Albertville, leur offensive ne dura pas très longtemps.

L’accord de Kitona

Avec le soutien militaire à l’ANC de l’ONU et après beaucoup de persuasion, le gouvernement belge publia finalement un communiqué le 6 novembre 1961, avertissant tous les citoyens belges que s’ils continuaient à servir dans les forces katangaises, leurs passeports leur seraient retirés. Cela conduit de nombreux officiers belges à quitter le Katanga.

Cependant, la situation de l’ordre public dans tout le Katanga s’est énormément détériorée en novembre 1961. Tshombe intensifia sa campagne anti-ONU et commença des préparatifs mouvementés pour une confrontation avec l’ONU, provoquant des violences dans de nombreuses régions.  À partir du 2 décembre 1961, le nombre d’incidents violents a augmenté et a finalement conduit à des hostilités ouvertes. La gendarmerie a commencé à attaquer les troupes de l’ONU et a érigé des barrages routiers dans divers secteurs.

Le Katanga subit de plein fouet la politique ferme du nouveau Secrétaire général. Des renforts lourds ont été envoyés au Katanga depuis toutes les autres régions du Congo afin de prendre des mesures immédiates et énergiques contre la gendarmerie. L’armée de l’air des Nations Unies a également été renforcée avec l’arrivée de quatre avions à réaction F-86 d’Éthiopie. Les forces de l’ONUC ont été divisées en deux groupes pour faciliter le commandement et le contrôle opérationnels. L’ONUC lança alors l’opération UNOKAT dans le but d’obtenir la liberté de mouvement des forces de l’ONU et la capture de points stratégiques.

Avec les succès des opérations, Moise Tshombe s’est rendu compte de l’inutilité de lutter contre les forces de l’ONU. Il a accepté de se rendre à Kitona afin de s’entretenir avec le premier ministre Adoula ; et après deux jours de discussions, ils ont signé une déclaration dans laquelle il acceptait la constitution nationale, reconnaissait «l’unité indissoluble» de la République du Congo avec le président Kasavubu comme chef de l’État (Accord de Kitona). Il a également accepté de reconnaître l’autorité du gouvernement central sur toutes les parties de la République et a accepté d’envoyer des représentants à une réunion d’une commission gouvernementale à Léopoldville pour étudier un projet de constitution. Il s’est engagé à prendre “toutes les mesures nécessaires” pour permettre aux responsables katangais d’exercer leur mandat au sein du gouvernement de la République, a accepté de placer la gendarmerie katangaise sous l’autorité du président de la République et s’est engagé à mettre en œuvre les décisions de l’Assemblée générale des Nations Unies et du Conseil.

Compte tenu de l’accord de Kitona, les forces de l’ONU ont reçu une directive de réduire leurs opérations et de ne tirer qu’en cas de légitime défense. Sauf que l’accord de Kitona n’a pas mis fin immédiatement à la sécession du Katanga et les actes de violence mineurs entre la gendarmerie et les troupes de l’ONU se sont poursuivis.

Le 15 février 1962, l’Assemblée du Katanga a adopté l’accord de Kitona «comme base potentielle de discussion en vue du règlement du conflit congolais», et a autorisé également le gouvernement du Katanga à prendre contact avec le gouvernement central. Sur le plan politique, à Léopoldville, le Gouvernement congolais s’était engagé dans l’élaboration d’une Constitution fédérale en vue de remplacer la constitution unitaire, d’assurer une certaine autonomie et gouvernance fédérale dans diverses provinces dans l’espoir que le Katanga s’éloignera de la voie de la confrontation. Le secrétaire général de l’ONU avait également pensé à exercer des pressions économiques sur le Katanga s’il échouait ou refusait de céder aux exigences de l’ONU et du gouvernement central. À cette fin, l’ONU formula un «plan de réconciliation nationale», qui a été remis à Tshombe et Adoula pour acceptation. Tshombe n’en a fait que du bout des lèvres et au lieu de la réconciliation nationale : l’accord de Kitona de février 1962 lui avait donné suffisamment de temps pour se regrouper et se reconstruire pour être à nouveau une menace directe pour les forces de l’ONU.

Et prévoyant de ressusciter ses capacités militaires, Tshombe profita de cette pause dans les combats et s’envola pour Genève (de mars à juin 1962, Tshombe a continué à parler avec le Premier ministre Adoula, mais ils n’ont pas pu trouver un terrain d’entente). En utilisant divers intermédiaires, Tshombe acquis six stocks de T-6G ex-USAF en Belgique et après les avoir testés en Suisse; ceux-ci ont été transportés par avion à Anvers puis livrés à Luanda, en Angola, en mai 1962. Ceux-ci auraient été assemblés par des techniciens de l’armée de l’air portugaise, puis transportés par avion à Kolwezi. Ces avions ont finalement été répartis entre les aérodromes de Kipushi, Kolwezi, Jadotville, Kisenge et Dilolo, bien en dehors des zones contrôlées par l’ONU. Ses troupes se renforcèrent en enrôlant de nouveaux mercenaires et en se procurant de nouveaux magasins et équipements militaires. Ainsi le 29 août 1962, la Gendarmerie Para Commandos érigea un barrage routier à la jonction du Martini Board dans la capitale Elizabethville ; en violation totale des accords en vigueur. Lorsque les efforts pour les persuader de se retirer échouèrent, la confrontation fut la seule solution.

Opérations Jacaranda et Grand Chelem

La dernière série d’opérations militaires actives de l’ONU au Katanga a été déclenchée par un acte de violence de la gendarmerie du Katanga le 24 décembre 1962. Les sécessionnistes ont ouvert le feu sur le barrage routier de l’ONU à Elizabethville, en violation des dispositions de l’accord de Kitona. Le même jour, un hélicoptère non armé de l’ONU en mission de reconnaissance de routine avec le capitaine Jasbir Singh, le sous-lieutenant SS Kang, deux sous-officiers de la 121 batterie de mortiers lourds, un lieutenant norvégien et un caporal suédois, a été abattu par les troupes katangaises. L’hélicoptère a été gravement touché et a atterri de force dans une zone occupée par la gendarmerie. Tous les passagers ont été blessés dans les tirs mais au lieu de prodiguer des soins médicaux, ils ont été arrêtés et soumis à des tortures physiques par les soldats katangais.  Malheureusement, le sous-lieutenant SS Kang a succombé aux blessures subies en raison de l’atterrissage forcé et des mauvais traitements infligés par les troupes du Katanga.

À partir de la dernière semaine de décembre 1962, les positions de l’ONU à Elizabethville et Jadotville ont été la cible de tirs répétés. L’électricité, les connexions d’eau et les lignes téléphoniques reliant Elizabethville aux zones de l’ONU ont également été coupées. Lors d’une réunion entre Tshombe et les représentants de l’ONU, il lui a été clairement indiqué que la gendarmerie katangaise devait cesser de tirer et évacuer le barrage routier autour d’Elizabethville, sinon l’ONU serait obligée d’agir. Au lieu de cela, les tirs de la gendarmerie se sont intensifiés et ils ont même prévu un bombardement nocturne de l’aérodrome.

Sous ces graves provocations, et en soutien à l’ANC, le général de division Dewan Prem Chand, officier général commandant la zone de l’ONU au Katanga, a donné des ordres pour la mise en œuvre de l’opération Jacaranda ; malgré les tergiversations habituelles et les signaux mitigés du niveau du Quartier général de la Force. Le plan comprenait deux phases. La phase I prévoyait la sécurisation des barrages routiers/positions de la gendarmerie autour d’Elizabethville en vue d’éliminer les tirs de la gendarmerie, d’élargir la zone de liberté de mouvement des troupes de l’ONU et de sécuriser l’ensemble d’Elizabethville pour que les forces de l’ONU se concentrent sur d’autres zones. La phase II prévoyait d’avancer vers les villes de Kipushi et Jadotville, bastions des forces katangaises et des mercenaires.  Afin de mener à bien la phase I de Jacaranda, le Groupe-brigade indien a lancé une opération, baptisée «Grand Chelem», à 16h15 le 28 décembre 1962. Rapidement, les troupes de l’ONU avaient capturé les huit barrages routiers d’Elizabethville.

Tshombe a rapidement vu la détermination de l’ONU de mettre fin à la sécession une fois pour toutes et s’est donc enfui en Rhodésie. L’ONUC contrôlait les bureaux postaux, téléphoniques et télégraphiques, les chemins de fer et les stations de radio afin d’arrêter la propagande de Tshombe contre l’ONU. L’ONUC a consolidé ses positions le 31 décembre 1962 en capturant la centrale électrique de la ville. Il y a eu une lutte féroce pour cette centrale très importante près de Lokoshi. Les sécessionnistes, conscients de son importance, avaient concentré toutes leurs forces pour l’empêcher de tomber entre les mains de l’ONUC.

Biographie

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