Alors que la législation obligeant les grandes entreprises américaines à divulguer l’origine des minerais qu’elles utilisent doit entrer en vigueur cette année, Crisis Group a envoyé une mission au Nord-Kivu pour évaluer les différentes stratégies utilisées pour lutter contre les minerais de conflit et leur impact sur le terrain. Ici, l’économie de leurs observations | Article original : Behind the Problem of Conflict Minerals in DR Congo : Governance, Par Thierry Vircoulon, Crisis Group.
Pendant de nombreuses années, il s’est avéré impossible de trouver une solution au problème de l’exploitation illégale des minerais dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC) par les acteurs du conflit. Le rapport Kassem et d’autres qui ont suivi ont montré que les belligérants financent en partie leurs activités par la vente d’or, de wolframite, de coltan et de cassitérite – des minéraux très prisés par l’industrie électronique et évalués à environ 60 millions de dollars par an. L’adoption de la loi Dodd-Frank par le Congrès américain en 2010 a entraîné une recrudescence d’initiatives internationales visant à rendre transparent le commerce des minerais de conflit dans la zone des Grands Lacs et à l’empêcher de financer les fauteurs de guerre à l’origine des troubles dans la partie Est de la RDC.
Ces nouvelles initiatives réglementaires ont provoqué de vives réactions localement, embarrassé les gouvernements de la région et divisé les experts. Mais dans quelle mesure ont-ils le potentiel de changer les choses ? Les stratégies formulées pour lutter contre l’exploitation et le commerce illicites des minerais en RDC comprennent deux approches majeures. Premièrement, ils visent à rétablir un contrôle légitime sur les mines. Deuxièmement, à plus long terme, ils visent à réguler le commerce pour empêcher les minerais de conflit d’atteindre le marché international. Ces deux grandes approches se complètent mais leurs limites montrent qu’elles doivent s’accompagner d’une profonde réforme de la gouvernance.
L’échec des tentatives de police du commerce des minerais
La première tentative de police du commerce des minerais est venue des Nations Unies et a ciblé les commerçants et les entreprises en relations commerciales avec les groupes armés. Depuis le début des années 2000, le Conseil de sécurité de l’ONU a adopté une série de résolutions sur l’exploitation illégale des ressources naturelles en RDC. Se référant à la Résolution 1493 (2003), la Résolution 1596 (2005) a imposé des sanctions (gel des avoirs et interdiction de voyager) contre les individus violant l’embargo sur la vente d’armes aux groupes rebelles dans l’est de la RDC. La résolution 1533 du Conseil de sécurité de l’ONU en 2004 prévoyait la création d’un groupe d’experts pour soutenir les travaux du comité des sanctions.
Après avoir documenté les relations illicites entre les groupes armés, les commerçants locaux et les entreprises étrangères dans de nombreux rapports, le Conseil de sécurité a adopté la résolution 1856 en 2008 appelant tous les États à prendre les mesures nécessaires pour mettre fin au commerce illégal de minerais en RDC. Cependant, ce système d’identification internationale et de sanctions contre les commerçants et les entreprises faisant affaire avec des groupes armés ne s’est pas avéré très efficace. Premièrement, le comité des sanctions a une politique très restrictive et n’a sanctionné que 31 personnes et entreprises en cinq ans ; deuxièmement, le manque de volonté politique des États a fait que les sanctions imposées restent souvent lettre morte. Enfin, les entreprises indiquées par le groupe d’experts changent rapidement d’identité commerciale.
Dans une deuxième phase, la Mission des Nations Unies en RDC (MONUSCO) s’est engagée dans la lutte contre la contrebande de minerais et a tenté quelques opérations de police en appui aux autorités congolaises, conformément à l’article 3 de la résolution 1856 (2008) du Conseil de sécurité. En plus de ces opérations de police, diverses opérations militaires ont été menées par les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) avec l’appui de la MONUSCO pour déloger les rebelles et rétablir le contrôle des autorités congolaises sur les régions minières. Cependant, malgré les opérations Umoja Wetu (2009), Kimia II (2009) et Amani Leo (2010), les rebelles ont conservé le contrôle de petits sites de production. Les FARDC ont sans doute pris le contrôle des grandes mines des territoires de Walikale (Nord-Kivu) et de Kalehe (Sud-Kivu), mais souvent uniquement pour en tirer le profit.
La tentative la plus récente de contrôler ce type d’activité remonte au 10 septembre 2010, lorsque Joseph Kabila, président de la RDC, a interdit la production et le commerce de minerais dans les Kivus et le Maniema. Accompagnée d’un ordre de démilitarisation des zones minières, cette interdiction aurait dû marquer un retour au contrôle gouvernemental de l’Est. Malheureusement, cette mesure présidentielle n’a pas mis fin à la contrebande de minerais ni à l’implication militaire dans cette activité et l’interdiction a donc été levée le 10 mars 2011 en acceptant tacitement son échec.
Ces différentes initiatives coercitives n’ont pas arrêté ou réduit les relations illicites entre les groupes armés et ceux impliqués dans le commerce des minerais. Au contraire, ils ont favorisé la surmilitarisation des zones minières et détourné l’attention du problème plutôt que de le résoudre. Les tentatives décousues de l’ONU pour contrôler ce commerce international ont échoué sur le manque de coopération des pays fournissant une base aux principaux opérateurs économiques et l’absence d’un corpus juridique contraignant pour les entreprises importatrices. Pendant ce temps, les tentatives pour rétablir le contrôle du gouvernement dans l’est de la RDC n’ont pas abouti en raison de la corruption et du système de gouvernement clientiliste. Ignorer ce contexte conduit à promouvoir des solutions coercitives sans l’existence d’aucun moyen de coercition.
Face à l’incapacité de reprendre le terrain aux groupes armés et d’imposer une discipline internationale aux opérateurs économiques, c’est-à-dire de résoudre le problème de manière préventive, des tentatives ont été faites pour mettre en œuvre des mesures réglementaires.
Les enjeux de la régulation normative
N’ayant pas réussi à rétablir la production légale de minerais dans l’est du Congo, certains acteurs internationaux se sont concentrés sur la prévention de l’afflux de «minéraux de conflit» sur le marché des matières premières. Cela impliquait d’identifier les mines sous le contrôle des groupes armés, d’introduire un mécanisme de traçabilité et de certification pour couvrir le transfert des mines aux comptoirs commerciaux et d’encourager les importateurs à n’acheter que des minerais certifiés.
Une carte des sites miniers de l’Est du Congo est déjà disponible depuis quelques années grâce aux travaux menés par l‘International Peace Information Service. Cette carte sert de base aux démarches de traçabilité et de certification.
Initiatives de traçabilité et de certification
L’Institut international de recherche sur l’étain (ITRI), le Bureau fédéral allemand des géosciences et des ressources naturelles (BGR) et les Nations Unies (qui ont établi des centres commerciaux dans les Kivus) ont tous lancé des initiatives de traçabilité et de certification de la chaîne d’approvisionnement. La mise en œuvre dépend des autorités congolaises dans ce secteur.
L’initiative ITRI, lancée en 2009 après que certains de ses membres aient été accusés d’acheter indirectement des minerais provenant de zones contrôlées par les rebelles, vise à améliorer la traçabilité de toute la chaîne d’approvisionnement des minerais extraits de la RDC. L’objectif de la première phase était de vérifier la légalité des exportateurs dans les Kivus.
La deuxième phase, qui a débuté en juin 2010, vise à tester un système de certification sur deux sites pilotes à Bisie, Nord-Kivu et Nyabibwe, Sud-Kivu. Ce schéma consiste à peser, conditionner et étiqueter les cargaisons de minerais avant qu’elles ne quittent la mine et à enregistrer leur passage en différents points afin de retracer la chaîne d’approvisionnement. Des audits indépendants devraient également avoir lieu pour s’assurer que la documentation délivrée aux guichets correspond aux informations enregistrées dans une base de données.
Le BGR a conçu un système plus complet que l’ITRI. Sa Chaîne Commerciale Certifiée inclut la transparence éthique, les critères environnementaux et sociaux dans son système de certification ainsi qu’une méthode géochimique de traçage des minéraux.
Sur la base d’un recensement et d’une certification des sites miniers, le programme utilise également un système d’emballage et d’étiquetage des cargaisons au point de production. Cependant, cette initiative prévoit également l’identification des empreintes géochimiques des minéraux, afin de déterminer leur origine géographique. Ce système ajoute à la certification administrative de l’origine des minéraux une méthode scientifique de traçabilité et de certification sociale et environnementale des minéraux.
En plus de ces deux initiatives, quatre centres commerciaux ont été mis en place au Nord et Sud Kivu, conformément aux recommandations de la résolution 1906 du Conseil de sécurité de 2009. Ces centres sont destinés à centraliser la production et ainsi faciliter le contrôle et la certification par les autorités congolaises. La MONUSCO forme des policiers pour assurer la sécurité dans ces centres.
Le devoir de diligence et de contrôle par le marché
Le principe de diligence raisonnable énoncé par l’OCDE n’a pas été juridiquement contraignant pendant longtemps – jusqu’à l’adoption de la loi américaine Dodd-Frank le 21 juillet 2010. Dans le sillage des discussions sur la responsabilité sociale des entreprises et des lignes directrices sur l’engagement dans les zones de conflit, l’OCDE a finalisé une méthodologie pour le devoir de diligence à l’usage des entreprises, qui encourage les entreprises à mettre en place des mesures pour contrôler et tracer la chaîne d’approvisionnement des minéraux qu’elles obtiennent, rendre publiques ces mesures et les soumettre à un audit externe. Cependant, l’élément non contraignant de ces mesures de vigilance limite leur efficacité, comme il l’a fait avec les lignes directrices. En 2010, OECD Watch a conclu que ces derniers ne sont pas assez forts pour assainir le commerce des minerais en raison d’un manque de volonté politique et du fait qu’ils ne sont pas juridiquement contraignants.
Le Congrès a pris le principe de diligence raisonnable des domaines de la «soft law» laineux et l’a intégré dans le droit américain par le biais de la loi Dodd-Frank. L’article 1502 de cette loi exige que l’American Securities and Exchange Commission formule des règles qui obligent les entreprises à divulguer l’origine de leurs minéraux. Ces règles prévoient une procédure de contrôle en trois étapes sur les sociétés cotées à Wall Street.
Dans un premier temps, les entreprises doivent déterminer si elles utilisent de la wolframite, du coltan, de la cassitérite et de l’or. Si tel est le cas, ils doivent mener une enquête et mobiliser des moyens « raisonnables » pour localiser l’origine de leurs minerais. Si les entreprises publient dans leurs rapports annuels les étapes qui leur ont permis de conclure que leurs minerais n’ont pas été extraits en RDC ou dans les pays voisins, leurs produits seront étiquetés « RDC sans conflit ».
Les entreprises incapables de donner une indication sur l’origine de leurs minerais ou celles qui ont constaté qu’ils proviennent de la RDC ou des pays voisins doivent déterminer l’origine exacte des minerais afin de s’assurer qu’ils n’ont pas été fournis par des mines contrôlées par les rebelles. Un rapport détaillé est requis à ce stade, y compris une évaluation par un auditeur externe. Leurs produits ne recevront pas le label «sans conflit en RDC» à moins qu’ils ne démontrent que leurs minerais ont été fournis par des mines sous le contrôle des forces gouvernementales plutôt que d’autres groupes armés. En obligeant les entreprises à vérifier et à publier ces informations, la loi américaine donne aux consommateurs le pouvoir de punir les entreprises qui ont agi de manière contraire à l’éthique.
Non seulement la loi Dodd-Frank représente un saut qualitatif en rendant obligatoire le respect du principe de diligence raisonnable, mais elle encourage également l’UE, autre grand importateur de minerais congolais, à emboîter le pas. L’UE prépare actuellement une réglementation similaire à la loi Dodd-Frank. Parallèlement, le 1er mars, les autorités minières congolaises ont commencé à introduire les procédures de traçabilité développées avec l’assistance technique allemande et à formaliser le secteur informel dans l’est du pays.
Les limites des contrôles et des réglementations : un problème de gouvernance
Les approches de contrôle et de régulation sont complémentaires, mais se heurtent à de sérieux problèmes de faisabilité, de fiabilité et de sécurité liés au problème plus général de gouvernance dans l’Est de la RDC. Ces approches ont donc déjà eu des conséquences inattendues. Leur absence d’impact a conduit à un embargo de facto depuis début avril.
Faisabilité
Les initiatives conçues par les acteurs internationaux dépendent des pays producteurs pour leur mise en œuvre. Les producteurs et la Conférence Internationale de la Région des Grands Lacs (CIRGL) bénéficient certainement de l’assistance technique de partenaires étrangers, en premier lieu d’Allemagne.
Outre le fait qu’elle manque de coordination et qu’elle risque de conduire à l’existence de plusieurs systèmes de certification dans les Grands Lacs, cette assistance technique ne suffit pas à pallier le manque notoire de capacité administrative. Concernant la certification, les pays des Grands Lacs eux-mêmes estiment que la tâche est trop lourde pour eux et ont tous demandé à Washington un délai de grâce. Même l’État le mieux organisé de la région, le Rwanda, a demandé plus de temps, comme la RDC, qui se demande encore comment elle va administrer une zone minière informelle et violente aussi grande que le Royaume-Uni. Même si tous les pays des Grands Lacs introduisaient des réglementations nationales sur la certification et la traçabilité, ils n’ont pas la capacité administrative requise pour assurer la conformité (il n’y a eu aucune augmentation ni du budget ni des effectifs des départements provinciaux des mines au Nord et Sud Kivu).
Le manque de capacité à maintenir l’administration douanière signifie que le problème de la contrebande demeure. Ceci est particulièrement aigu dans le cas de l’or (90 pour cent de l’or est passé en contrebande, contre 35 pour cent de cassitérite). Contraints de mettre en œuvre une politique qu’ils n’ont pas les moyens de mettre en œuvre, les pays de la région des Grands Lacs sont dans l’impasse.
Fiabilité
Outre la capacité des administrations nationales, les initiatives de traçabilité et de certification dépendent de l’intégrité de ces administrations et des hommes politiques qui donnent les ordres. Cependant, la corruption sévit dans le secteur des ressources naturelles. Le problème de la corruption éclipse les tentatives de police et de régulation du secteur. L’affaire dite de l’avion de Goma, qui s’est soldée par la libération d’étrangers arrêtés en échange de 3 millions de dollars américains et aucune poursuite contre le général Bosco Ntaganda, en dit long sur l’étendue de la corruption dans le secteur minier.
Cette corruption va jeter des doutes sérieux et durables sur la fiabilité de tout système de certification strictement national. Alors que le commerce d’or entre l’Ouganda et la RDC et de coltan/cassitérite entre le Rwanda et la RDC a été documenté dans des rapports publiés par l’ONU et des ONG, l’Ouganda a déclaré qu’il n’importe plus d’or de la RDC et le Rwanda affirme que la plupart de la cassitérite elle exporte est d’origine rwandaise.
Enfin, en raison de la possibilité de certificats frauduleux, même les acheteurs agissant de bonne foi courent toujours le risque d’acheter des minéraux sanguins « certifiés ».
La diligence raisonnable pose un problème de fiabilité plus subtil : la qualité et l’indépendance des audits. La crédibilité de la diligence raisonnable repose entièrement sur la vérification exhaustive par un tiers indépendant des déclarations faites par les entreprises. La forme que doivent prendre ces audits reste à définir mais il est indispensable qu’ils puissent présenter toutes les garanties d’indépendance et qu’ils couvrent l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement des mines aux entreprises électroniques.
Sécurité
Loin d’avoir été réduite, la militarisation des sites de production s’est accentuée au cours des deux dernières années en raison des opérations militaires menées contre les groupes armés et de l’intégration des milices dans l’armée.
La conséquence de cette militarisation est la violence contre les civils et l’émergence de comportements mafieux de la part des exploitants miniers. Compte tenu de la corruption et des problèmes d’impayés qui affectent les services de sécurité, leur confier les centres de négoce n’est pas très rassurant. La question qui doit être posée maintenant est de savoir dans quelle mesure la militarisation des sites miniers, qui va s’intensifier avec la nouvelle vague d’intégration des groupes armés, est compatible avec le processus de certification administrative, sociale et environnementale.
Le transfert du contrôle des zones minières des groupes armés aux FARDC ne signifie pas qu’il y aura une baisse drastique des violences et de l’exploitation perpétrées contre la population, car l’armée est la principale source de violence. Elle est toujours impayée et l’intégration des groupes armés s’apparente davantage à un jeu de passe-partout. Le contrôle militaire des zones minières et de certaines routes commerciales étant à la base de la militarisation de l’économie locale, l’intégration des groupes armés et la démilitarisation des programmes miniers sont éminemment contradictoires.
Ces problèmes de faisabilité, de fiabilité et de sécurité montrent l’ampleur du défi auquel est confrontée la gouvernance étatique dans la région des Grands Lacs en général et à l’Est de la RDC en particulier. L’existence d’une armée indisciplinée et non rémunérée, la militarisation de l’économie de l’Est de la RDC, l’importance de l’économie informelle, l’ampleur de la corruption parmi les réseaux de l’élite rendent nécessaire une réforme majeure de l’armée en particulier et de l’administration en général.
Les solutions actuellement proposées pour faire face au problème des minerais de conflit ne peuvent qu’éviter pendant un temps ces questions délicates, déjà évoquées dans le rapport Kassem en 2002. A l’heure où le monde est engagé dans une course à l’obtention de matière première, la problème des minerais de conflit nécessite des solutions politiques et non techniques. Aucune solution technique n’empêchera le commerce des minerais de favoriser les conflits. Seule une gouvernance fondée sur l’État de droit rendra réalisables les solutions techniques proposées. En cas d’échec, le risque existe que l’un des moteurs économiques de la région des Grands Lacs s’arrête tout simplement.