L’ONU évoque un génocide contre les Hutus en RD-Congo en 1996

Le 1er octobre 2010, le Haut commissariat aux droits humains des Nations unies publie Le rapport du Haut-commissariat aux droits de l’homme des Nations-Unies intitulé Rapport du Projet Mapping concernant les violations les plus graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire commises entre mars 1993 et juin 2003 sur le territoire de la République démocratique du Congo (Rapport Mapping). Les enquêteurs ont consulté plus de 1 500 documents dont 14 rapports publiés par MSF au moment des évènements. Dans ce rapport, les violations des droits de l’homme dans l’ex-Zaïre (actuelle République Démocratique Congo), le Haut Commissariat des Nations unies estime que les massacres de réfugiés hutus rwandais pourraient constituer un génocide.


Au mois de novembre 1996, des milliers de réfugiés rwandais quittent les camps de Goma, au Zaire, actuelle RDC(AFP/COEX).

C’est une descente aux enfers. Une plongée «au cœur des ténèbres» d’un pays – la République démocratique du Congo (RDC) – qui eut, pour son malheur, à subir trente-sept années de dictature suivies de sept années de guerre quasi ininterrompue ayant impliqué jusqu’à huit armées nationales. Aujourd’hui encore, malgré des élections démocratiques en 2006 et une relative atténuation de la violence, l’ex-Congo belge reste le théâtre d’une des principales crises humanitaires au monde.

Le Rapport Mapping du Haut-Commissariat pour les droits de l’homme (HCDH) de l’ONU recensant «les violations les plus graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire» commises entre 1993 et 2003 est arrivé entre les mains de journalistes avant d’être officiellement publié. Le journal la Croix, va déclare en détient deux versions correspondant à deux stades de la rédaction. Selon ce journal, ces fuites s’expliquent par la crainte que son contenu – proprement «explosif» par les répercussions judiciaires et diplomatiques qu’il appelle – ne soit édulcoré par la raison d’État. Le journal poursuit que depuis plusieurs mois, un chapitre en particulier focalisait les attentes et les rumeurs : celui portant sur la période 1996-1998. À l’époque, deux ans après le génocide des Tutsis au Rwanda, des centaines de milliers de Hutus rwandais sont réfugiés en République Démocratique du Congo.

Révélations sur les attaques contre les Hutus restés au Zaïre

De la mi-octobre à la mi-novembre 1996, l’AFDL de Laurent Désiré Kabila – qui renversera l’année suivante le maréchal Mobutu – et l’APR de Paul Kagame, qui a pris le pouvoir au Rwanda en 1994, attaquent les camps de réfugiés Hutus dans le Nord-Kivu et le Sud-Kivu, officiellement pour hâter le retour des réfugiés et lutter contre les génocidaires Interahamwe. «Ce qui m’intéresse, c’est le résultat, déclare le 14 novembre 1996 à La Croix le général Kagame, alors ministre de la défense du Rwanda. Si Mobutu avait réussi lui-même à changer la situation au Kivu, j’aurais applaudi et dit bravo». Sans que les observateurs mesurent l’ampleur de ce qui se passe alors, l’armée rwandaise tue de nombreux réfugiés et commet en parallèle des massacres de civils hutus zaïrois du Nord-Kivu.

Certains de ces massacres furent dénoncés en leur temps. Empêché de mener des investigations sur le terrain, un groupe d’enquêteurs de l’ONU mis en place en 1997 avait néanmoins conclu que les attaques «montraient bien que l’intention était d’éliminer les Hutus rwandais qui étaient restés au Zaïre» et que, «si cela est confirmé, il s’agirait d’un acte de génocide». En dépit de rapports d’ONG et d’études universitaires publiés par la suite, l’histoire en était restée là, au grand dam des rescapés. Toutefois, l’accumulation de crimes contre l’humanité en RDC a justifié la mise en œuvre d’un recensement de ces violations des droits de l’homme.

L’ONU se penche sur « les soupçons de génocide au Congo »

Et c’est ce document portant sur 600 crimes commis durant la décennie 1993-2003, fruit de deux années de travail d’une équipe de 20 enquêteurs, qui conduit à se pencher à nouveau sur les soupçons de génocide au Congo. La conclusion des enquêteurs est nette : soulignant la nature «systématique, méthodologique et préméditée» des attaques visant les Hutus, ils affirment qu’«un certain nombre d’éléments accablants, s’ils sont prouvés devant un tribunal compétent, pourraient être qualifiés de crimes de génocide». Cette conclusion, violemment contestée par le régime rwandais, repose sur des faits méthodiquement collectés qui ne relèvent pas de techniques d’enquête judiciaire, mais s’avèrent néanmoins détaillés. «Ce sont souvent des données que les chercheurs connaissaient déjà, mais qui étaient dispersées et que ce document a le mérite de référencer de manière très précise», note Marc Le Pape, chercheur associé à l’École des hautes études en sciences sociales.

Le rapport du HCDH égrène les massacres et leurs circonstances. Exemple : «Le 26 octobre 1996, des éléments de l’AFDL/APR ont tué plusieurs centaines de réfugiés en fuite le long des axes reliant Nyantende à Walungu-Centre et Nyantende à Bukavu. Les victimes ont été tuées par balles, à coups de baïonnette ou sous l’effet d’éclats d’obus. Les militaires ont incendié la plupart des sites où se trouvaient les réfugiés. La majorité des victimes étaient des femmes, des enfants et des personnes âgées. Selon les témoignages recueillis, les militaires ont tué entre 200 et 600 personnes. Les corps des victimes ont été enterrés sur place par la population locale».

Autre exemple : «Aux alentours du 22 novembre 1996, des éléments de l’AFDL/APR ont tué plusieurs centaines de réfugiés dans le camp de Chimanga situé à 71 kilomètres à l’ouest de Bukavu. À leur arrivée dans le camp, les militaires ont demandé aux réfugiés de se rassembler afin d’assister à une réunion. Les militaires leur ont ensuite promis d’abattre une vache et de leur donner la viande afin qu’ils puissent reprendre des forces et rentrer dans de bonnes conditions au Rwanda. Ils ont ensuite commencé à enregistrer les réfugiés en les regroupant par préfecture d’origine. À un moment cependant, un coup de sifflet a retenti et les militaires positionnés tout autour du camp ont ouvert le feu sur les réfugiés. Selon les différentes sources, entre 500 et 800 réfugiés ont ainsi été tués».

Combien de victimes au total ces massacres entraînèrent-ils ? Le rapport du HCDH ne se prononce pas. Certains chercheurs ont avancé le chiffre de 200 000 victimes, directes et indirectes (liées aux conditions sanitaires). Y eut-il génocide, selon les critères établis par l’ONU ? «C’est aux tribunaux de dire si un génocide a eu lieu en RDC, tranche Claudine Vidal, directrice de recherches émérite au CNRS. Le travail des chercheurs est de rassembler des éléments et de les mettre en perspective». Et quelle structure judiciaire pourrait statuer? Le rapport onusien estime qu’«un mécanisme judiciaire mixte – composé de personnel international et national – serait le plus approprié».

Les enquêteurs de l’ONU l’ont pressenti, concluant leur rapport en constatant «la peur constante de la part des populations affectées que l’histoire ne se répète, notamment lorsque les assaillants d’hier reviennent dans des positions qui leur permettent de perpétrer de nouvelles exactions dans une totale impunité».

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