Patrice Emery Lumumba : une vie, une œuvre

Patrice Emery Lumumba, de son premier nom Elias Okit’Asombo, est un héros de l’indépendance nationale du pays et de l’unité africaine. Il est né le 2 juillet 1925 dans le village d’Onalua (district de Katoko-Kombe, province du Kasaï au Congo belge) dans une famille paysanne pauvre de l’ethnie Tetela. Son père était l’un de ces paysans pauvres astreints par les colonisateurs à la monoculture du coton. Il a fait ses études secondaires dans une école missionnaire, dont il est diplômé à l’âge de 18 ans. En 1943-1944, il était un employé de la société minière d’étain Simeten dans les villes de Kindu (aujourd’hui le centre de la province du Maniema) et de Kalima dans l’est du Congo. Il poursuit ses études à l’école postale de Léopoldville et réussit brillamment le concours, devenant commis de 3e classe. Par ricochet, il acquiert le statut d’«évolué». Principalement autodidacte, grand orateur et stratège politique, Lumumba a activement appelé ses compatriotes à l’unité nationale et à surmonter la fragmentation interethnique. Représentant le Congo dans les conférences et séminaires panafricains et internationaux, il prône l’unification de toutes les forces et mouvements de l’Afrique pour éliminer la dépendance coloniale.

Sa veuve, Pauline Opanga Lumumba, est décédée en 2014 à Kinshasa. La famille a eu cinq enfants : les fils François Lumumba, Roland Lumumba, Patrice Lumumba et Guy Lumumba (nés après la mort de Lumumba), ainsi que la fille Juliana Lumumba. François et Patrice ont essayé de participer à des activités politiques, mais n’ont pas obtenu beaucoup de succès. Roland dirige la Fondation Patrice Lumumba, créé en 2002 par le gouvernement belge pour prévenir les conflits, renforcer l’État de droit et éduquer les jeunes.

Carrière politique

En 1944, Lumumba s’installe à Stanleyville (depuis 1966 – Kisangani), travaille à la poste et au fisc. Les histoires de soulèvements anticoloniaux réprimés dans ces régions ont éveillé en lui un intérêt pour la politique. À Stanleyville, il a dirigé plusieurs organisations sociales et a également fondé la section locale du Parti libéral de Belgique. Il était activement engagé dans l’auto-éducation, en particulier, il a étudié la philosophie, l’histoire et l’économie. Dans ses opinions politiques, Lumumba a progressivement évolué du libéralisme démocratique au nationalisme anticolonial de gauche. Préconisant initialement l’élimination des lois discriminatoires à l’égard de la population indigène et la réalisation de l’égalité interraciale au Congo, d’ici la fin des années 1950. il est arrivé à la conclusion qu’il était nécessaire de séparer complètement le Congo de la Belgique et de construire un État africain indépendant.

En octobre 1958, il crée le parti Mouvement national du Congo (MNC). Grâce à ses liens avec les syndicats urbains, le MNC est rapidement devenu le plus massif et le plus populaire du Congo belge.  Lumumba entre en politique nationale par son élection le 10 octobre 1958 comme président du Mouvement national congolais (MNC). Il participe à la Première Conférence des peuples africains (Accra, décembre 1958), au premier Congrès des partis politiques congolais (avril 1959) et au premier Congrès du MNC (octobre 1959). Arrêté par les autorités coloniales suite aux émeutes ayant suivi ce dernier congrès, il est libéré sous la pression unanime de tous les délégués (45 délégués de diverses associations politiques congolaises) à la Table ronde belgo-congolaise de Bruxelles (février 1960) qui considèrent sa participation comme une condition sine qua non à la tenue d’assises portant sur l’avenir du pays.

Lumumba ou le Congo vraiment indépendant

Son gouvernement rejette l’idée d’une communauté d’État belgo-congolaise et élabore un programme pour établir progressivement le contrôle des ressources et de l’économie du pays. Il impliquait l’interdiction de l’exportation de capitaux étrangers, le développement du secteur étatique dans l’industrie et la coopération dans le secteur agricole, le soutien à l’entrepreneuriat national et une augmentation des salaires des ouvriers et employés. Cependant, le gouvernement fait face à de nombreuses difficultés, dont la principale est le manque de personnel national qualifié nécessaire pour remplacer les spécialistes belges qui quittent massivement le pays, ainsi que l’opposition des élites ethno-régionales.

En mai 1960, des élections ont eu lieu pour la Chambre des représentants, le premier parlement national du Congo. Le bloc MNC avec les partis alliés a obtenu 31,6% des voix lors des élections et constituait la plus grande faction au parlement. Lumumba a été nommé premier ministre du premier gouvernement du Congo, acceptant la formation d’un cabinet de coalition. Lumumba a également soutenu l’élection parlementaire à la présidence de son principal adversaire politique, le chef de l’Alliance Bakongo (Abaco), Joseph Kasavubu.

Devenu Premier ministre démocratiquement élu et premier Chef du gouvernement du Congo indépendant, Lumumba prononce, lors de la cérémonie d’indépendance du 30 juin 1960 un discours qui reste encore aujourd’hui célébré dans toute l’Afrique. Lumumba y critique sévèrement le régime colonial, accusant le gouvernement belge de la souffrance du peuple congolais et de la répression contre les opposants à l’administration coloniale.

La crise congolaise

En juillet 19960, une mutinerie éclate entre les soldats de l’armée congolaise contre des officiers européens. Les troupes belges et les unités de débarquement de l’OTAN stationnées dans des bases dans le pays sont utilisées pour la réprimer. En meme temps et préparé par la Belgique pour cela avant même indépendance, le chef du parti pro-belge Conakat (Confédération des associations du Katanga) et chef du gouvernement de la riche province du Katanga, Moise Tshombe fait sécession et, avec le soutien de la Belgique, commence à former sa propre armée, y compris des mercenaires étrangers.

En signe de protestation contre l’intervention armée, le 14 juillet, Lumumba a rompu ses relations avec la Belgique et s’est adressé au Conseil de sécurité de l’ONU avec une demande d’aide pour repousser l’agression contre le Congo. Le Conseil de sécurité de l’ONU appelle la Belgique à retirer ses troupes et envoie un contingent de maintien de la paix au Congo. Son mandat était uniquement de maintenir la paix, de sorte que l’armée de l’ONU n’a pas aidé le gouvernement central dans la lutte contre les séparatistes. Après avoir critiqué les actions de l’ONU, qui en fait, trahisse le Congo, Lumumba se tourne vers l’URSS pour obtenir de l’aide.

Sous pression des gouvernements occidentaux, qui percevaient le nationalisme de Lumumba comme une menace pour leurs intérêts, le président Joseph Kasa-Vubu révoque le Premier ministre Lumumba le 5 septembre 1960. Le 7 septembre, Lumumba a été soutenu par le parlement congolais et le 13 septembre, il lui a donné les pleins pouvoirs dans le pays. Vu la résistance de Lumumba à cet acte illégal et illégitime, le Colonel Joseph-Désiré Mobutu, un de ses anciens collaborateurs, à la solde des services de renseignement américains et belges, complète l’action entreprise par Kasavubu en écartant Lumumba du pouvoir par un coup d’État le 14 septembre 1960 et le place en résidence surveillée. Le 27 novembre 1960, Lumumba s’évade de Kinshasa pour rejoindre son fief politique de Kisangani. Il est arrêté le 1er décembre à Lodi, ramené à Kinshasa et fait prisonnier au camp militaire de Mbanza-Ngungu (alors Thysville).

Le 17 janvier 1961, Lumumba et ses compagnons d’infortune, Maurice Mpolo et Joseph Okito, sont transférés de Mbanza-Ngungu à Lubumbashi (alors Elisabethville), capitale de la province sécessionniste du Katanga. Après avoir été sauvagement torturés, les trois dirigeants nationalistes sont assassinés par un peloton d’exécution composé de soldats et policiers belges en mission au Katanga.

C’est dans ce contexte de l’antagonisme entre les intérêts de la bourgeoisie internationale et ceux des masses populaires qu’il faut replacer les facteurs ayant contribué à l’assassinat de Lumumba ainsi que ses conséquences politiques pour le Congo et la place du martyr congolais dans le panthéon des défenseurs universels de l’émancipation des peuples. Ce crime atroce fut l’aboutissement de deux complots étroitement liés par les gouvernements américain et belge, qui bénéficièrent de la complicité de certains dirigeants congolais et d’un peloton d’exécution belge com-posé des militaires et policiers affectés au service du gouvernement fantoche du Katanga sécessionniste pour accomplir l’acte.

Dans L’assassinat de Lumumba, le sociologue belge Ludo De Witte montre l’importance historique de cet assassinat dans les stratégies occidentales contre les révolutions anti-impérialistes de la deuxième moitié du 20e siècle dans des pays aussi divers que l’Iran de Mohammed Mossadegh, l’Egypte nassérienne, le Cuba castriste, le Congo de Lumumba et le Burkina Faso de Thomas Sankara : «Dans ce contexte, Lumumba représente un grand danger potentiel pour l’Occident. L’assaut réussi de l’édifice colonial a donné de l’oxygène aux nationalistes radicaux et leur a accordé une place importante au sein du gouvernement congolais. L’anti-impérialisme de Lumumba, sa solidarité avec les masses populaires qui se radicalisent, son internationalisme et enfin son dégoût des méthodes administratives et répressives, favorisent le travail de conviction politique : tout cela le prédestine à intégrer au mouvement un maximum de peuples et de régions et d’élever ce mouvement peut-être au-dessus des limites purement bourgeoises. L’histoire a appris que la dynamique des sociétés post-coloniales a amené même des régimes bourgeois-nationalistes modérés, sous le coup de la victoire anticoloniale, à exiger le patrimoine national auprès de l’ex-colonisateur». (Ludo de Witte, L’assassinat de Lumumba, Editions Karthala, Paris, 2000, p. 374).

Les partisans de Lumumba, contre lesquels une campagne de persécution, de répression et de terreur a été lancée, se sont installés à Stanleyville, la déclarant siège du gouvernement légitime et capitale provisoire de la République. La résistance lumumbiste dans l’est du pays s’est poursuivie jusqu’en 1968.

Mémoire

Joseph Mobutu, arrivé au pouvoir en 1965 (depuis 1972 – Mobutu Sese Seko Kuku Ngbendu Wa Za ​​Banga), a déclaré Lumumba héros national et victime du colonialisme et a ordonné qu’un monument lui soit érigé au centre de la capitale ( la statue a été coulée en Allemagne et livrée au Congo, mais a ensuite disparu). En 2002, une nouvelle statue en bronze de Lumumba, a été installée sur la place de la Nation à Kinshasa.

En 1961-1992, le nom de Patrice Lumumba a été porté par l’Université de l’Amitié des Peuples (Moscou). Un certain nombre de rues dans les villes de l’ex-URSS et de certains États africains portent également son nom.

En 2002, le gouvernement belge a officiellement présenté ses excuses à la République démocratique du Congo pour le meurtre de Lumumba, reconnaissant que « certains membres du gouvernement et des Belges ordinaires de l’époque étaient coupables de la mort de Patrice Lumumba ».

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