La République démocratique du Congo (RDC) est l’un des pays les plus riches en ressources naturelles au monde, si pas le plus riche. En effet, on trouve dans le sous-sol congolais du cuivre, du cobalt, du zinc, du fer, du coltan, de la cassitérite, de l’or, du manganèse, de la bauxite, de l’étain, du diamant, du pétrole, du gaz, etc. Pourtant, la RDC est aussi l’un des pays les plus pauvres du monde. C’est dire que le peuple congolais bénéficie très peu de ces immenses ressources naturelles qui sont pourtant exploitées, pillées, directement par la corruption ou indirectement par d’abord par une guerre d’agression, puis par milices interposées et d’autres moyens depuis des décennies. En voici les vérités et contrevérités.
Il ne fait aucun doute que le Rwanda et l’Ouganda ont été, ces dix dernières années, les principaux bénéficiaires des conflits de la RDC, qui leur ont permis de tirer profit du désordre et du pillage des ressources du pays (C’est le cas particulier du Rwanda, qui a retiré d’importants bénéfices du pillage du coltan, de l’or et des diamants. Cf. BRAECKMAN, C., Vers la deuxième indépendance du Congo, Le Cri-Afrique Éditions, Bruxelles-Kinshasa, 2008, p. 78.). Ils ont maintenu et maintiennent leur présence au Congo, directement ou par milices proches interposées, pour continuer à piller les ressources naturelles du Congo et défendre leurs intérêts stratégiques dans la partie orientale de ce pays, en instrumentalisant les Tutsis congolais sous prétexte de les protéger (Cependant, des Banyamulenges préoccupés par la politique ambiguë de Kigali (agressions et pillage des ressources naturelles du Congo), et surtout parce qu’elle suscite l’hostilité des autres ethnies contre eux, ont commencé à douter des véritables intentions du Rwanda et à s’opposer ouvertement, même par les armes, à son hégémonie au Kivu).
Bien que ces pays aient retiré leurs troupes du territoire congolais, en octobre 2002 (Rwanda) et en mai 2003 (Ouganda), ils ont laissé derrière eux des réseaux commerciaux qui leur ont permis de poursuivre leurs activités de pillage. D’autres acteurs internationaux très importants ont été certaines multinationales occidentales dont les activités commerciales au Kivu ont été fondamentales dans la poursuite des conflits en RDC. En plus des rapports successifs des experts des Nations unies sur l’exploitation illégale des ressources naturelles de la RDC, déjà mentionnés, des rapports postérieurs d’organisations comme la sud-africaine South Africa Watch (SARW) ou la londonienne Global Witness —, insistent sur la présence en RDC de plus de deux douzaines de multinationales « prédatrices » (nord-américaines, belges, britanniques, allemandes, chinoises et rwandaises) impliquées dans le commerce illégal, entre autres, du coltan.
Il s’agit des entreprises suivantes: Commet Uganda coltan trading (de Salim Saleh), Afri-mex (Grande-Bretagne), Armalgamated Metal Corp (Grande-Bretagne), Cabot Corporation tan-talum processing (États-Unis), Cogecom coltan trading (Belgique), Euromet (Grande-Bretagne), Finconcord SA (Suisse), Finmining (Antilles), H.C. Starck GmbH & Co coltan processing (Allema-gne), Kemet Electronics capacitor/manufacture (États-Unis), Malaysian Smelting Cor. Coltan processing (Malaisie), Nac Kazatomprom tantalum processing (Kazakhstan), Ningxia Non Ferrous Metals, (Chine), Pacific Ores Metals coltan trading (Hong Kong/Chine), Raremet Speciality Metals Company SA (Belgique), SLC Germany GmbH (Allemagne), Sogem (Belgique), Speciality Metals Company SA (Belgique), Trademet SA (Belgique), Tinitechinternational Inc (États-Unis), Vishay Sprague manufacture (USA/Israël), y Eagles Wings Resources coltan explotation (Rwanda).
Le rapport le plus marquant est celui du groupe d’experts des Nations unies sur l’exploitation illégale des ressources naturelles du Congo, du 16 avril 2001, qui a mis l’accent sur la façon dont les États, qu’ils soient « ennemis » ou « alliés » du gouvernement de la RDC se sont consacré au pillage systématique et organisé de ses richesses, en particulier des cinq ressources minérales stratégiques: le coltan, les diamants, le cuivre, le cobalt et l’or. Dans ce sens, Catherine André (Collaboratrice de la Commission du Sénat belge sur le pillage des ressources du Congo), mentionnait comment l’entreprise Ruanda Metals, contrôlée par l’armée rwandaise, exportait quelque 1200 tonnes de col-tan — environ 80 à 100 millions de dollars ou 100 tonnes de coltan par mois en 2000—, ce qui correspond au budget militaire du gouvernement rwandais pour cette année-là (Cf. ANDRÉ, C., «Enquête sénatoriale belge sur le pillage au Congo: Constats et enjeux», in L ́Afrique des Grands Lacs, Annuaire 2002-2003, Centre d’Études de la Région des Grands Lacs d’Afrique – L ́Harmattan, Anvers-Paris, 2003, p. 275). Quand le professeur Ernest Wambia dia Wamba, alors président de la section dissidente du RCD a dénoncé l’exploitation illégale des ressources naturelles de la RDC, à la fois par les nationaux et par les étrangers, dans un contexte de disparition de l’État (Cf. WILLAME, J.-C., Les faiseurs de paix).
C’est aussi le point de vue du professeur Elikia M ́Bokolo qui, sans nier la responsabilité des grandes puissances, entreprises et fonctionnaires internationaux de l’UE et de l’ONU dans le pillage, parle «de la corruption généralisée et de l’effondrement de l’État, et du pillage organisé, cette fois par les Congolais eux-mêmes», en particulier par les membres du gouvernement de transition. Voir l’entrevue dans Afrique Asie du mois d’avril 2006, p. 16-17.), il a touché un aspect très important qu’on perd généralement de vue dans ce conflit, la participation des acteurs nationaux au pillage, inauguré par Mobutu et les dignitaires de son régime, le mandataire congolais étant devenu une des 10 plus grosses fortunes du monde et son peuple un des plus pauvres de la planète. Dans le même ordre d’idées, le professeur Stefaan Marysse (Cf. Entrevue dans Alternatives internationalesnº31, Paris, juin 2006, p. 14), en faisant référence au cas particulier de l’Angola et du Zimbabwe, souligne que ces pays ont dépensé plus que ce qu’ils ont gagné avec l’intervention de leurs troupes au Congo.
En effet, ce que n’ont pas précisé tous ces rap-ports (de l’ONU et des ONG internationales), c’est la participation des Congolais eux-mêmes, depuis les membres des gouvernements successifs, en passant par ceux du gouvernement de transition (Voir ELONGUI, L., « Main basse sur le Congo », Afrique Asie, avril 2006, Paris, p. 10-13) jusqu’à la population elle-même (fonctionnaires, employés, professeurs, étudiants…), appauvris par l’énorme inflation ou le non paiement de leurs salaires, à l’exploitation des diamants avant qu’ils ne parviennent aux grands trafiquants et industriels et aux marchés internationaux, par les stratégies de survie quotidienne développées depuis le bas, depuis plusieurs dizaines d’années, face à la disparition des structures de l’État, l’augmentation du chômage ou la détérioration sociale, produisant une véritable dollarisation de l’économie.
La « chasse aux diamants« , moyennant l’exploitation artisanale à grande échelle des gisements qui s’étendent dans la savane et la forêt tropicale, de la frontière entre la RDC et la province angolaise de Lunda Norte, où a lieu un important trafic de diamants par les bana Lunda (Cf. DE BOECK, F., « Des chiens qui brisent leur laisse », in Cahiers Africains/Afrika Studies n° 45-46), jusqu’à la frontière avec le Soudan et la République centrafricaine, est devenue un véritable dynamisme de certaines couches de population congolaise ou de la puissante économie populaire « informelle », pour survivre. Au Katanga, en raison de la crise de la GECAMINES, entre 40000 et 50000 petits trafiquants se consacrent à l’exploitation artisanale du cuivre pour leur survie.
On peut dire la même chose de l’or du Nord-Kivu et de la province orientale ou de Kisangani, à la frontière avec l’Ouganda, exploité de manière frauduleuse et exporté à partir de Kampala, Kigali et Bujumbura. Nous faisons donc référence à un type d’exploitation artisanale qui, grâce à la contrebande, profite à toute une chaîne d’acteurs, locaux et surtout occidentaux (ABADIE, D., DENEAULT A., et SACHER, W., « Balkanisation et pillage dans l’Est congolais », Le Monde diplomatique, Paris, décembre 2008, p. 21). Voir aussi l’étude du Netherlands Institute for Southern Africa qui parle de 50 000 à 60 000 petits exploitants qui se consacrent à l’exploitation minière artisanale dans la province du Katanga. Et selon la même étude, le Président Joseph Kabila a financé son parti, le PPRD, et sa campagne électorale avec les ressources provenant de la GECAMINES. (Cf. Institut Néerlandais pour l’Afrique Australe, L’État contre le peuple. La gouvernance, l’exploitation minière et le régime transitoire en République Démocratique du Congo, NiZA, – Fatal Transactions-IPIS, Amsterdam, 2006, p.10-11).
Le récent rapport du Department for International Development (DfID) britannique montre comment, en 2006, les exportations de cassitérite de la RDC ont été de 16780 tonnes bien que seules 6748 tonnes apparaissent dans les statistiques officielles des services douaniers du Kivu. De même, il signale que des 10 tonnes d’or exportées par la RDC en 2005, seuls apparaissent officiellement 600 kilos dans les douanes du Sud-Kivu et 9 kilos dans celles du Nord-Kivu. Des réseaux de contrebande ne sont pas nouveaux, ils datent d’avant la guerre: ainsi, des dizaines d’années avant la guerre, le café est exporté de façon frauduleuse vers l’Ouganda et le Rwanda par les hommes d’affaires du Kivu avec la complicité des fonctionnaires des douanes.
Tout cela est résumé par Pourtier qui distingue, d’une part, l’exploitation de minerais comme les diamants, l’or et le coltan et de l’autre, celle du cuivre et du cobalt. Dans le premier cas, l’exploitation est faite à l’échelle artisanale et en petites quantités (la production annuelle d’or a atteint 5 tonnes et celle de coltan, 1500 tonnes en 2001) par les petits trafiquants du Kivu et termine dans les réseaux mafieux internationaux à partir du Rwanda. Mais le gros de l’exploitation des diamants et de l’or est contrôlé par le gouvernement congolais par l’intermédiaire des entreprises d’État, la MIBA (Mbuji Mayi) et la Société des Mines d’or de Kilo Moto (Ituri).
En 2000, Leclercq ( in «Le rôle économique du diamant dans le conflit congolais» , en Cahiers Africains/Afrika Studies n° 45-46, op. cit., pp 71-72), déclarait déjà combien il était inaccessible et illusoire de mettre l’exploitation à grande échelle des richesses exceptionnelles de la RDC au service de la population congolaise, car il manquait deux conditions fondamentales: la paix civile et la stabilité politique et institutionnelle. Dans ce pays, l’usage des armes, le pillage systématique des ressources et la destruction du patrimoine national sont devenus les sources d’enrichissement des uns, « les vainqueurs du conflit »: tous les groupes belligérants, congolais et étrangers, et même certaines couches de la population locale et des fonctionnaires congolais, le CNDP (financé par les hommes d’affaires tutsis de Goma), retirent d’importants bénéfices de l’exploitation illicite des ressources de la RDC (Voir MISSER, F., «RDC: un pays contre lui-même» (Dossier), Afrique Asie, Paris, janvier 2009, p. 21).
La même chose s’applique aux réseaux créés par les FDLR, alliées de Kinshasa, pour contrôler la production et la commercialisation de l’or et de la cassitérite dans les deux Kivus, avec le soutien des FARDC, ces forces rebelles hutus touchant d’importantes taxes sur ces minerais et facilitant leur exportation vers le Rwanda et l’Ouganda, en percevant au passage « l’impôt révolutionnaire pour la libération du Rwanda ». Kabila père avait déjà signé des contrats d’exploitation de ces minerais avec des entreprises du Zimbabwe, d’Afrique du Sud, de Finlande, des États-Unis et du Canada, en échange des concessions minières, dans le but de réunir des fonds pour financer la guerre. Continuant ces pratiques, le gouvernement de transition signait des contrats léonins avec des entreprises étrangères pour financer ses mouvements, comme l’a dénoncé le rapport Lutundula de la commission parlementaire congolaise (Cette commission, présidée par le parlementaire Joseph Lutundula et chargée d’examiner la validité des contrats signés pendant les guerres de 1996-1997 et depuis 1998, considère que nombre d’entre eux sont basés sur la corruption et le manque total de transparence.
Le rapport de la commission met l’accent sur la cannibalisation du secteur minier congolais par les membres et hauts fonctionnaires du gouvernement de transition). Ce rapport met l’accent sur le fait que les élites congolaises continuent à avoir des mentalités et des pratiques néopatrimoniales (VLASSENROOT, K et RAEYMAEKERS, T., op. cit. p.7). Pas seulement elles, mais aussi d’autres personnes comme les seigneurs de la guerre et des acteurs non gouvernementaux en tout genre, des hommes politiques locaux, des membres des institutions parallèles ou de réseaux criminels, etc. Nombre d’entre eux se consacrent à reproduire ce que Rymaekers qualifie de « néopatrimonialisme sans l’État » (RAEYMAEKERS, T.: 2008, op. cit. p. 14).
Pour résumer, on a trop insisté sur le pillage des ressources du Congo par les pays voisins, en négligeant la participation des gouvernements congolais successifs et des petits exploitants artisanaux dont la production est souvent non comptabilisée dans les statistiques officielles. Ce qui est sûr dans toute cette affaire, ce sont les bénéfices personnels exorbitants obtenus par les différents acteurs locaux, régionaux et internationaux (élites congolaises, autorités rebelles et autorités militaires des pays intervenants), fondamentalement par les élites congolaises et leurs alliés étrangers.
Source
César Nkuku Khonde, Mbuyi Kabunda, Germain Ngoie Tshibambe, Toni Jiménez Luque, David Bondia Garcia, David Querol Sánchez, « République Démocratique du Congo – Les droits humains, les conflits et la construction destruction de l’État, Fundació Solidaritat UB et Inrevés, 2009.