République Démocratique du Congo: Le flux d’armes à destination de l’est

Des armes et des munitions continuent d’affluer dans la région des Grands Lacs. Malgré les accords de paix conclus en 2002 entre les principaux groupes armés opérant en RDC et entre les gouvernements de l’Ouganda, de la RDC et du Rwanda, ce matériel est ensuite distribué à des forces qui se rendent coupables, dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), de violations flagrantes des droits humains*.

Le 28 juillet 2003, le Conseil de sécurité des Nations unies a imposé un embargo sur les armes aux provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu et à la région de l’Ituri, dans l’est de la RDC, ainsi qu’aux groupes non signataires de l’accord de paix. Cette mesure, qui a été considérablement renforcée le 18avril 2005, s’applique désormais à l’ensemble de la RDC, avec quelques exceptions pour la force de maintien de la paix des Nations unies et les nouvelles unités de l’armée et de la police congolaises. Pourtant, des informations ont continué de faire état de livraisons d’armes et de munitions aussi bien avant qu’après la mise en place de l’embargo. Les armes qui affluent du monde entier dans la région sont fournies clandestinement, sous la forme d’une assistance militaire, par des agents puissants, proches des gouvernements des trois pays, à divers groupes armés et milices qui se livrent à des actes de banditisme dans l’est de la RDC et ne respectent guère les droits fondamentaux.

Bien que les combats aient diminué d’intensité depuis la signature des accords de paix, des civils sont régulièrement pris pour cible lors d’affrontements. La situation militaire reste tendue; les civils continuent de vivre dans la peur et sont souvent victimes d’atteintes massives aux droits humains.Les ratés du processus de démobilisation, la disponibilité des armes légères et la fourniture récente d’armes aux milices d’«autodéfense» ont également entraîné une augmentation du banditisme. Des bandes armées ainsi que d’anciens rebelles et des miliciens continuent d’errer dans l’est du pays, livré à l’anarchie. Ils pillent les villages, exploitent les richesses minérales et enlèvent des civils pour extorquer une rançon. Ces facteurs menacent sérieusement le respect des droits fondamentaux de la population de la région des Grands Lacs.

Le présent rapport fournit également des éléments de preuve sur le rôle du trafiquant d’armes russe Victor Bout et sur celui de ses proches associés qui, par l’intermédiaire d’agents locaux, ont armé en secret toutes les parties au conflit en RDC. Les gouvernements gardent généralement le secret sur les transferts d’armes, et les informations les concernant ne sont que rarement dévoilées. Le présent document étudie un ensemble de sources et d’acteurs et passe en revue des méthodes qui ont été utilisées récemment lors de transferts d’armes. Ces transferts impliquent le plus souvent un ensemble complexe englobant des associations de courtiers internationaux et locaux, des sociétés privées de transport, des opérations de blanchiment d’argent dans des paradis fiscaux, des sources d’approvisionnement à bon marché ainsi que la collaboration d’acteurs locaux disposés à utiliser les armes et les services militaires pour tirer profit des ressources naturelles.

Rwanda

Le 14 juillet 2004, le Rwanda a signé avec l’armée américaine un accord d’«assistance mutuelle» en matière de logistique, de matériel et de services militaires. Entre 1999 et 2003, à des degrés divers, le gouvernement des États-Unis avait fourni des armes aux forces armées rwandaises et assuré leur entraînement. Le 1eraoût 2003, il annonçait la levée d’un embargo sur les ventes d’armes en vigueur depuis neuf ans. Le 5juillet 2004, le Rwanda signait une déclaration commune avec l’Afrique du Sud, en vue de faciliter la formation et l’entraînement de son armée ainsi que des manœuvres conjointes, des opérations de maintien de la paix et une aide pour l’acquisition de matériel militaire.

Le gouvernement sud-africain avait approuvé, en 2002, la vente de matériel militaire au Rwanda, en arguant qu’il s’agissait d’un équipement «non sensible»dont la nature n’était pas précisée. Les Nations unies ont affirmé en juillet 2004 qu’un fusil sud-africain R-5 de fabrication récente avait été découvert en RDC dans une cache d’armes appartenant à une faction rebelle du Rassemblement congolais pour la démocratie-Goma (RCD-Goma), soutenue par le Rwanda. Quelque 400 tonnes de munitions de kalachnikov, pour la plupart excédentaires, ont été exportées d’Albanie et de Serbie vers le Rwanda, avec la contribution de compagnies britanniques, israéliennes, rwandaises et sud-africaines, de la fin 2002 à la mi-2003; d’autres livraisons en provenance d’Europe de l’Est ont été effectuées à la mi-2004. Une autre commande de 130 tonnes d’armes et de munitions excédentaires en provenance de Bosnie a été approuvée par le gouvernement étasunien en novembre 2004, sur fond de nouveaux accords d’assistance militaire passés entre les États-Unis et le Rwanda; on ignore si ces armes ont été livrées. Le présentrapport met en lumière le soutien militaire constant apporté par le Rwanda à des groupes armés en RDC, notamment au RCD-Goma, mêlé à l’exploitation des ressources naturelles du pays.

République Démocratique du Congo

des agents proches du gouvernement de la RDC ont utilisé, ou tenté d’utiliser, des fonds provenant de la vente de diamants pour acheter des armes. Des versements ont été effectués en 2000 et en 2001 à des entreprises en République tchèque et en Ukraine; d’autres commandes, notamment de 10millions de munitions de kalachnikov, ont été passées en Slovaquie et en République tchèque sous couvert d’un certificat d’utilisateur final émis par la Namibie en 2003. Les autorités tchèques se sont opposées à cette transaction après que les médias en eurent fait état. En 2004, les Nations unies ont découvert des preuves d’un réseau de trafic d’armes reliant la RDC et le Libéria et impliquant des sociétés internationales de fret. Le gouvernement de Kinshasa continue d’armer les milices Maï maïainsi que des groupes armés actifs dans l’est du pays. C’est ainsi que plus de 200tonnes d’armes ont été transférées à destination d’un groupe armé progouvernemental dans le Nord-Kivu; ce transfert a été effectué par une entreprise locale dans des avions appartenant à une firme sud-africaine qui a approvisionné les soldats de la force de maintien de la paix de l’ONU en 2003.

Ouganda

Le gouvernement ougandais a omis de signaler aux Nations unies l’importation, en provenance de Croatie et de Slovaquie, d’armes et de munitions d’une valeur de plus de830millions d’euros en 2002. Cette même année, la Chine a donné à l’Ouganda des véhicules militaires et en 2003 le gouvernement ougandais a tenté d’importer de nouvelles armes en provenance d’Israël.Les Nations unies ont fourni des éléments démontrant que les autorités militaires ougandaises avaient fourni à maintes reprises des armes, des munitions et une assistance militaire aux groupes armés d’opposition dans l’est de la RDC en 2003 et en 2004, notamment aux groupes contrôlant les zones d’exploitation aurifère et les routes commerciales.

Recommandations

Amnesty International invite le Conseil de sécurité des Nations unies à renouveler et à renforcer l’embargo sur les exportations d’armes à destination de la RDC et à appliquer des sanctions sévères ou des embargos à tout État exportant des armes aux groupes armés et aux milices en RDC. Le Conseil doit veiller à ce que des inspecteurs spécialisés des Nations unies assurent la surveillance de tous les aéroports de l’est de la RDC, vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Tous les avions transportant des cargaisons illégales d’armes doivent être interdits de vol.En outre, Amnesty International engage tous les États à faire en sorte que les violations des embargos sur les armes soient considérées comme des infractions pénales graves. Elle les invite à enquêter sur toutes les informations sérieuses faisant état de transferts illégaux d’armes. Les États fournisseurs cités dans le rapport doivent déterminer si leur législation a été bafouée et si leur système de réglementation des exportations d’armes est suffisamment strict et conforme au droit international.Enfin, Amnesty International demande la mise en place d’un Traité international sur le commerce des armes qui permettrait de contrôler avec rigueur le transfert de toutes les armes classiques et d’empêcher qu’elles ne servent à perpétrer de graves atteintes aux droits humains. Les principes de base à énoncer dans ce traité sont énumérés en annexe du présent rapport.

* Les opérations militaires ont abouti à une impasse et, sous la pression des donateurs, les gouvernements ougandais et rwandais ont conclu avec celui de la RDC – en juillet 2002 à Pretoria et en août 2002 à Luanda – deux «accords de paix» par lesquels ils consentaient à retirer entièrement leurs troupes de la RDC respectivement avant le 5octobre et avant le 15décembre 2002. L’Accord global et inclusif sur la transition en RDC a été signé, le 15 décembre 2002 à Pretoria, par les principales parties congolaises au conflit.

Pour aller plus loin, voir l’article « République Démocratique du Congo: Le flux d’armes à destination de l’est », | AMNESTY INTERNATIONAL | IndexAI: AFR 62/006/2005 | DOCUMENT PUBLIC | Londres, 5 juillet 2005.

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