L’héritage négatif de la Conférence africaine de Berlin perdure encore aujourd’hui. Jusqu’à présent, l’indépendance politique n’a clairement pas réussi à empêcher cette influence destructrice de continuer à avoir un impact sur l’avenir de l’Afrique. Aujourd’hui, l’Afrique souffre du système des donateurs de coopération au développement (CD) tout comme elle a souffert de la «ruée vers l’Afrique» européenne au XIXe siècle. En effet, l’Afrique se retrouve face à un dilemme : si elle refuse l’aide financière, elle perd. S’il elle l’accepte, elle perd aussi. Pour échapper à ce dilemme, si l’Afrique veut vraiment devenir libre, elle doit surmonter le système de coopération au développement, qui a davantage contribué à aggraver la fragmentation résultant de la Conférence de Berlin qu’à la surmonter. Pour cela, les Africains doivent comprendre que l’unité panafricaine n’est pas un luxe mais une nécessité, sans laquelle le destin des Africains ne sera pas écrit par eux-mêmes mais par les autres.
Mutilation et dépendance
Deux raisons principales empêchent l’Afrique d’entrer dans une phase de développement indépendant : une fragmentation irrationnelle, qui est le résultat de la division accidentelle de l’Afrique en entités étatiques intrinsèquement incohérentes lors de la Conférence de Berlin, et la dépendance à l’égard des fonds d’aide pour financer le développement. Les deux sont dialectiquement liés l’un à l’autre. Les États faibles et fragmentés dépendent de l’aide étrangère parce qu’ils sont incapables de mobiliser leurs propres ressources. La fragmentation politique a également produit des entités économiquement non viables. Et inversement, l’absence de développement économique réussi a conduit à des structures politiques faibles, à des économies rentières et à des États dits en faillite.
L’idée selon laquelle l’unité panafricaine est nécessaire pour surmonter cette fragmentation existe depuis plus d’un demi-siècle. C’est le seul moyen de garantir que les ressources naturelles de l’Afrique soient utilisées pour son propre développement. Le pillage interne et externe des riches ressources minérales et agricoles pourrait prendre fin, par exemple grâce à une stratégie économique africaine commune qui s’attaquerait au problème de la dépendance à l’égard de l’aide financière extérieure (dépendance que les donateurs actuels n’ont ni l’intention ni le désir d’arrêter en finançant un développement holistique et durable en Afrique.
Une aide inadéquate
Les fonds de coopération au développement sont régulièrement fixés à un niveau trop bas et même les promesses faites sont régulièrement rompues. Le plan de l’ONU élaboré en 1971 selon lequel les pays industrialisés devraient consacrer 0,7% de leur revenu national brut à la coopération au développement n’a jamais été mis en œuvre, même de loin.
Les États occidentaux utilisent «l’aide» pour permettre un transfert net de ressources depuis l’Afrique. Beaucoup d’argent a été prêté à l’Afrique, non pas pour financer son développement, mais pour l’enfoncer dans le piège de la dette. Le secteur de l’aide et des prêts dans le cadre de la coopération au développement est devenu un colosse autonome. À l’heure actuelle, l’équation suivante se pose : Aide = conditions qui empêchent les politiques de prendre des mesures qui contribuent réellement au développement + ressources insuffisantes + pression maximale pour l’auto-promotion. Telles sont les expériences de coopération au développement que le Nord a réalisées jusqu’à présent en Afrique. Et les Institutions financières internationales (FMI, Banque Mondiale, …) soutiennent ces mécanismes.
L’aide au développement profite au donateur, rarement au bénéficiaire ! Les exceptions sont les situations d’urgence et les secours en cas de catastrophe. Tant que les fonds de coopération au développement auront pour exigence de créer des opportunités d’investissement rentables pour les capitaux étrangers, ils ne seront pas investis de manière à améliorer les conditions de vie de la population ordinaire. Certains hommes politiques africains l’ont désormais compris et tentent donc de sortir du système de coopération au développement.
«Asservi» par la dette
Statistiquement parlant, à 400 dollars par habitant, chaque Africain subsaharien doit deux fois plus de dettes aux prêteurs étrangers que le revenu moyen de la population. Un communiqué de l’ONU sur la situation de la dette a déclaré : «Malgré les récentes mesures visant à réduire la dette africaine, y compris l’initiative PPTE, une fin permanente du problème de la dette reste improbable».
Il est extrêmement difficile de transformer le cercle vicieux de la dette en un cycle de développement. C’est pourquoi certains avertissements affirment que l’Afrique est à nouveau «asservie», cette fois par les Institutions financières internationales.
La Banque mondiale, le Fonds monétaire international et l’Organisation mondiale du commerce souhaitent préserver le système existant. Mais la situation de l’Afrique ne s’améliorera que si elle parvient à faire valoir ses propres intérêts dans ce système. Si les Africains veulent devenir véritablement indépendants, ils doivent couper les racines des puissances qui ont gravé dans le marbre leur oppression historique et actuelle pendant plus de 500 ans. Cela nécessite une vision panafricaine radicale.
Baraka B. Joseph
Note : La version finale de cet article paraîtra dans Conscience Africaine, numéro 2, de janvier-mars 2025. Ce dossier est destiné à fournir des analyses et in-formations générales sur les événements critiques marquant le 140e anniversaire de la Conférence de Berlin. Il s’agit d’une production conjointe de l’Institut Patrice Lumumba et de la rédaction de LaRepublica.