Les termes colonialisme et impérialisme sont étroitement liés, mais leur signification n’est pas identique. Il existe de nombreuses tentatives pour définir le contenu dans la littérature, qui diffèrent sur certains aspects. Cet article suit les définitions de l’historien Jürgen Osterhammel. Selon lui, «l’impérialisme» fait référence à une «politique mondiale» pour laquelle les colonies représentaient une sorte de pion dans la structure du pouvoir mondial. Un exemple en est l’échange de Helgoland contre Zanzibar en 1890. L’impérialisme est planifié et mis en œuvre par les chancelleries d’État, les ministères des Affaires étrangères et de la Guerre. Ils définissent à plusieurs reprises leurs intérêts d’État-nation comme étant impériaux. En revanche, le colonialisme fait référence à une relation de pouvoir asymétrique dans laquelle une société est privée de son propre développement et est modifiée de force et souvent par des moyens violents pour répondre aux besoins et aux intérêts des maîtres coloniaux. En règle générale, les dirigeants coloniaux ne sont nullement disposés à s’adapter aux colonisés ni à faire des compromis avec eux sur les plans politique, économique et culturel. Contrairement à l’impérialisme, le colonialisme est mené par les autorités coloniales et leurs représentants locaux.
La construction raciste de la supériorité européenne
Le colonialisme moderne en Afrique reposait sur la construction de la supériorité européenne et sur un mandat presque divin de dominer et de «civiliser» le continent. En conséquence, les relations de l’Europe avec l’Afrique étaient caractérisées par des relations de pouvoir inégales. Les fondements pseudo-scientifiques de cette construction ont été posés au siècle des Lumières, qui a initié à la fin du XVIIIe siècle «l’émanation de l’homme de son immaturité qu’il s’est infligée», mais n’entendait pas inclure la partie non blanche de l’humanité dans ce développement. Le monde a commencé à être mesuré et catégorisé, et à mesure que les nouvelles pseudo-sciences des Lumières ont émergé, des «races» ont été inventées. Les premières sciences de l’être humain associaient le caractère et l’intellect à des caractéristiques physiques telles que la couleur de la peau ou la largeur du nez. Les gens étaient classés selon un système hiérarchique avec l’Européen blanc au sommet. Les Africains étaient placés au bas de ce système. Les résultats des mesures et des classifications ont servi de justification à l’esclavage, au colonialisme, au travail forcé et à la violence. «Le racisme est apparu comme une idéologie destinée à expliquer et à justifier la supériorité historique mondiale matérielle, militaire et technique des Européens depuis leur expansion à l’étranger», a exprimé avec justesse l’historien Immanuel Geiss.
L’Europe s’intéressait à l’Afrique pour diverses raisons, toutes fondées notamment sur l’hypothèse d’une supériorité européenne. L’un des principaux facteurs déterminants était l’impérialisme, motivé politiquement, économiquement et culturellement. L’idéologie de l’impérialisme assimilait l’expansion coloniale à un prestige et à un statut élevés. Les possessions d’outre-mer étaient également importantes sur le plan géopolitique. Les colonies africaines ont donné aux puissances européennes des avantages stratégiques dans la compétition impérialiste et dans leur quête d’expansion mondiale. Ils fournissaient une main-d’œuvre bon marché et des ressources naturelles recherchées.
Mission et science au service du colonialisme
Le racisme fait partie intégrante du colonialisme en Afrique. L’Afrique est devenue le «fardeau de l’homme blanc» et l’appropriation coloniale a été sanctionnée comme une mission presque divine destinée à servir la «civilisation» et «l’élévation spirituelle» des «autochtones». Les intellectuels européens justifiaient le colonialisme par la prétendue infériorité physiologique, intellectuelle et culturelle de la population africaine. D’un point de vue européen, ces justifications ont été confirmées par les victoires militaires des armées coloniales ou des troupes mercenaires coloniales qui ont envahi les armées africaines et la population civile locale, ce qui est ridicule. Pourtant, l’argument de technologie militaire supérieure a servi de preuve de la supériorité européenne dans tous les domaines.
En pratique, travail missionnaire et travail scientifique étaient souvent liés, voire unis chez un même peuple. Les activités missionnaires ont accompagné les campagnes militaires au cours desquelles des milliers d’Africains sont morts pour «sauver» les «âmes perdues» des Africains survivants. Les «enfants païens» africains devraient être convertis au christianisme et convaincus d’un style de vie chrétien. Ainsi les missionnaires chrétiens furent parmi les premiers Européens à voyager vers l’Afrique. Les scientifiques européens les ont souvent précédés sur le «continent noir». Des «expéditions de recherche» ont été envoyées pour «découvrir», terme méprisant, et développer l’inconnu pour l’Europe. La recherche scientifique a alors jeté les bases de l’appropriation coloniale de l’Afrique : les géographes dessinaient des cartes indispensables, les ethnologues décrivaient les structures sociales et politiques, les linguistes enregistraient et analysaient les langues. Ensemble, ces disciplines ont fourni les informations nécessaires à une domination et un contrôle efficaces par les puissances coloniales européennes. L’idéologie raciste du colonialisme a créé la base permettant de mesurer, de catégoriser et de classer le continent et ses habitants. Les scientifiques et colonialistes européens ont alors dit avoir «découvert» des zones, des animaux et des plantes qui étaient bien entendu connus de la population africaine. Les Européens revendiquaient avec désinvolture le droit de nommer à travers les «découvreurs», comme si les Africains n’avaient pas déjà donné des noms à leur environnement depuis des milliers d’années.
Racisme, paternalisme, néocolonialisme et indépendance limitée
Malgré certaines différences nationales dans la manière dont les puissances coloniales ont abordé la «mission civilisatrice», elles ont systématiquement établi des systèmes coloniaux paternalistes et racistes. Dans les systèmes coloniaux, les Africains n’étaient pas autorisés à traduire leurs objectifs politiques et économiques en actions. Les administrations coloniales prétendaient connaître les besoins des colonisés et ce qui était bon pour eux. Le colonialisme était présenté comme un système d’ordonnancement dans le «chaos» africain. L’idéologie coloniale justifiait l’occupation militaire de vastes zones, mais aussi l’exploitation économique du continent, l’exploitation des terres et des hommes, soit l’esprit de prédation qui perdure encore aujourd’hui. C’est avant tout ce qui fait que beaucoup parlent de conditions néocoloniales, même des décennies après la décolonisation de la plupart des anciennes colonies.
En effet, c’est notamment grâce à la résistance acharnée que les Africains ont opposée dès le début à cette appropriation violente qu’un processus de décolonisation a finalement commencé au milieu du XXe siècle, qui a également apporté l’indépendance formelle aux États africains. Le fait que cette indépendance soit limitée par la tutelle politique, les désavantages économiques et l’intervention militaire occasionnelle des anciennes puissances coloniales européennes ou des États-Unis est le néocolonialisme. Les relations de pouvoir asymétriques du colonialisme persistent et les anciennes colonies sont devenues des zones d’intérêt. Par-dessus tout, l’exploitation économique perpétue les conditions coloniales. Les pays européens, les États-Unis et, plus récemment, la Chine s’efforcent d’assurer le contrôle des ressources, des marchés financiers et des matières premières des anciennes colonies. L’idéologie raciste du colonialisme se perpétue dans un discours qui parle du «sous-développement» des pays africains et continue de définir et de prescrire à quoi devraient ressembler le développement et le progrès.
Baraka B. Joseph
Note : La version finale de cet article paraîtra dans Conscience Africaine, numéro 2, de janvier-mars 2025. Ce dossier est destiné à fournir des analyses et in-formations générales sur les événements critiques marquant le 140e anniversaire de la Conférence de Berlin. Il s’agit d’une production conjointe de l’Institut Patrice Lumumba et de la rédaction de LaRepublica.