Nouvelle ruée vers l’Afrique : enjeux et perspectives

Le continent africain suscite à nouveau plus que jamais un intérêt économique : la Chine, les États-Unis, l’Arabie saoudite et bien d’autres pays s’assurent l’accès au pétrole, aux pierres précieuses et à d’autres matières premières. Le dernier développement va encore plus loin : d’immenses superficies de terres agricoles africaines sont rachetées par des sociétés ou des États étrangers afin d’y cultiver des denrées alimentaires. Compte tenu de l’augmentation de la population mondiale et de la diminution des superficies cultivées en raison du changement climatique et de la pénurie d’eau par endroits, il s’agit d’une activité rentable. Mais tout cela se fait au détriment des africains. Nous présentons dans cette réflexion les enjeux de cette nouvelle ruée néocoloniale et les perspectives pour l'Afrique.

Après avoir détruit la dynamique politique et le commerce africains à coups de sabotages de ses leaders dont nombreux furent assassinés après les indépendances et à coups subventions et de mauvaises conditions commerciales, le monde a une fois de plus jeté son dévolu sur l’Afrique après la chute du Mur de Berlin. En effet, la nouvelle ruée vers l’Afrique ou new scramble for Africa, est encours depuis au moins deux 25 ans maintenant. Il y a beaucoup à dire dans cette course, notamment la mainmise de la Chine, des Etats-Unis, et de l’Union Européenne pour contrôler les ressources de pétrole, minières et en terres rares, etc. En plus de ces éléments traditionnels de l’exploitation coloniale, ce qui est nouveau dans cette nouvelle course, c’est l’appropriation du sol africain lui-même pour l’agriculture et dans le cadre des accords de compensation carbone. Comment les Africains profitent-ils dans ce jeu d’exploitation et d’accaparement de terres ? L’Afrique peut-elle répondre efficacement à cette nouvelle course ? Les signes ne sont pas encourageants, mais il existe une solution.

Nouvelle ruée, opportunité ou menace ? La question des terres

En 2008, la société sud-coréenne Daewoo Logistics a signé l’un des contrats d’achat de terrains les plus controversés. Un contrat de location signé personnellement par le président Marc Ravalomanana a assuré à Daewoo les droits sur 1,3 million d’hectares de terres malgaches pendant 99 ans, soit environ la moitié de la superficie fertile de l’île.1 Lorsque l’accord a été rendu public, de grandes manifestations ont eu lieu qui ont finalement contribué à l’éviction du président. Mais l’accord de Daewoo à Madagascar, annulé par le nouveau président, ne fait pas exception. Déjà en 2009, un rapport de la FAO fait état de la vente de 2,5 millions d’hectares de terres en Éthiopie, au Mali, à Madagascar, au Soudan et au Ghana depuis 2004. Il s’agit notamment du contrat de location de 50 ans de GEM BioFuels pour 450 000 hectares à Madagascar, de la location de 45 000 hectares en Tanzanie par le groupe britannique de bioénergie CAMS, de l’accord de la société indienne Varun Agriculture SARL pour 170 000 hectares au Mozambique et de l’appropriation de 400 000 hectares des terres agricoles au Soudan du Sud par la société d’investissement américaine Jarch Capital.2

Officiellement, ces nouveaux développements dans le secteur agricole promettent des perspectives positives pour certains pays africains. Les pays dont l’économie a stagné depuis la décolonisation pourraient désormais devenir des pôles d’investissement en raison de l’abondance apparente de terres cultivables. Mais, les États africains, évaluent-ils vraiment l’impact des ventes de terres sur les producteurs locaux et les communautés qui dépendent de l’agriculture de subsistance pour leur subsistance ? Evaluent-ils correctement les contrats, qui contiennent un nombre presque déroutant de réglementations relatives à l’achat de terrains?

Les conséquences possibles incluent le déplacement des petits agriculteurs (en particulier si la production future est à forte intensité de capital), la dégradation de l’environnement et même un changement dans l’importance traditionnelle et culturelle de la terre elle-même. Par contre, le changement dans la production alimentaire garantira la sécurité alimentaire des pays investisseurs, mais il laissera une traînée de faim et de pénurie alimentaire pour la population locale. Dans le contexte d’une pauvreté abjecte, d’une croissance démographique croissante, de la faim, de la pénurie d’eau et de la dégradation de l’environnement, on ne peut que spéculer sur l’impact de ces investissements sur le climat sociopolitique fragile de l’Afrique. Ainsi, ceux qui vantent les progrès de l’agriculture africaine grâce à l’appropriation des terres par des étrangers doivent comprendre que cette nouvelle course se fait également aux dépens de l’intégrité territoriale et de la souveraineté de l’Afrique. Cela accroît la marginalisation du continent et conduit à une nouvelle forme de colonialisme : si cela continue, un nouveau cycle de violence est inévitable.

Il est difficile de reprocher aux gouvernements étrangers de tenter de sécuriser leurs importations alimentaires. Cependant, leurs actions en Afrique révèlent un écart énorme entre la politique proclamée et la pratique réelle. Par exemple, les plans d’action pour les accords de partenariat entre l’UE et les États africains font souvent référence aux objectifs de développement durable et appellent à une plus grande implication des petits agriculteurs et des organisations non gouvernementales, à une meilleure politique agricole et à une augmentation de la sécurité alimentaire régionale. C’est une farce compte tenu de l’implication de nombreux pays étrangers dans les récents achats de terres. Par ailleurs, la question des terres agricoles est souvent discuté lors de plusieurs sommets du G7, des COP sur le climat, etc. Cependant, cela reste un problème complexe et tendu étant donné le manque d’informations, les conséquences difficiles à prévoir sur le terrain et les options limitées dont disposent les gouvernements étrangers pour promouvoir des investissements socialement responsables compte tenu de la situation politique en Afrique. Cela rend difficile l’élaboration de réglementations contraignantes pour les investisseurs et leur application presque impossible.

La voie de l’avenir : pessimisme ou optimisme?

Le développement et l’Afrique grace à son potentiel humain, agricole, minier et énergétique dépend uniquement de la qualité de son leadership. Pourtant, les gouvernements africains sont de plus en plus impuissants à garantir la stabilité des prix alimentaires dans leurs pays. Ainsi, 125 ans après la Conférence africaine de Berlin, la majorité des États africains restent dans la stagnation sociale et politique. Si les Africains veulent devenir véritablement indépendants et sortir vainqueur de ce jeu mortel, ils doivent couper les racines des puissances qui ont gravé dans le marbre leur oppression historique et actuelle pendant plus de 500 ans. Cela nécessite une vision panafricaine radicale, un leadership tourné d’abord et avant tout vers les intérêts de nos peuples et Africains dans la complémentarité, ainsi qu’une société civile avant-gardiste.

Baraka B. Joseph

Notes

  1. BURNOD, Perrine, et al. «De la crise politique aux échecs des projets d’investissements agricoles à grande échelle». Afrique contemporaine, 2014/3 n° 251, 2014. p.152-154.
  2. Lorenzo Cotula, Sonja Vermeulen, Rebeca Leonard and James Keeley. Land grab or development opportunity? Agricultural investment and international land deals in Africa. FAO, IIED and IFAD, 2009.

    Note : La version finale de cet article paraîtra dans Conscience Africaine, numéro 2, de janvier-mars 2025. Ce dossier est destiné à fournir des analyses et in-formations générales sur les événements critiques marquant le 140e anniversaire de la Conférence de Berlin. Il s’agit d’une production conjointe de l’Institut Patrice Lumumba et de la rédaction de LaRepublica.

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