Entrain de sauver le Congo? [La mission de l’ONU au Congo ou l’échec planifié]

Introduction

Le but de cet essai est, premièrement, d’évaluer quelles sont les caractéristiques essentielles des fractions en quête de pouvoir d’aujourd’hui au Congo, et leur compréhension du pouvoir qui est nettement différente de l’Occident (en grande partie en raison du retrait rapide de l’Occident après la décolonisation et un vide de pouvoir comblé par des opportunistes). Deuxièmement, le document tente d’expliquer comment l’un des plus grands défis actuels consiste à résoudre le problème de la résolution des attitudes préjudiciables des différentes communautés locales au niveau de la base et de leur méfiance générale à l’égard d’un État fort et unificateur. Troisièmement, ce document analyse également le rôle que l’ONU joue actuellement pour aider le Congo à aller de l’avant et si elle aide réellement l’État.

Faire face à un héritage colonial paralysé et à une culture sujette au néo-patrimonialisme violent

Avant d’aborder l’avenir du Congo, il faut d’abord commencer par son passé. Comme David van Reybrouck [Reybrouck 2015:227-267, 281-536] (ainsi que Roland Oliver [Oliver 2000:216-265]) le sous-tend dans son livre, la plupart des problèmes négatifs qui se produisent actuellement au Congo (corruption, raids, insurrection militaire) est le résultat de la cupidité et de la course au pouvoir de l’homme blanc il y a quelques siècles. Lorsque les puissances coloniales ont quitté l’Afrique, un vide de pouvoir s’est créé qu’il fallait logiquement combler. Trop fragiles pour créer et construire des démocraties solides, de nombreux États africains sont simplement devenus des no man’s land, sans histoire de gouvernements stables, d’élections libres ou de droits de l’homme pour les aider à se développer naturellement en pays démocratiques.

Après 1960, lorsque le Congo est devenu indépendant, une course s’est ensuivie (non seulement des groupes au Congo mais aussi de ses voisins) pour mettre la main sur les sites d’excavation de minéraux, aujourd’hui encore un élément clé pour devenir puissant dans la région. Une des choses que Louise Wiuff Moe souligne dans son rapport sur la fragilité des États africains est leur règle néo-patrimoniale typique (que les occidentaux ne semblent tout simplement pas comprendre ou reconnaître) [Moe 2010:12-13].

Wiuff déclare que ce type de règle mélange à la fois les sphères formelles et informelles, aboutissant souvent à ce que l’on appelle la politique des seigneurs de la guerre. Dans ce dernier cas, ce ne sont certainement pas les institutions étatiques qui détiennent le pouvoir réel. Wiuff continue dans son article à approfondir l’idée que la volonté de l’Occident d’implanter la démocratie occidentale en Afrique se heurte à l’absence souvent totale d’hégémonie au niveau local [Moe 2010:14-15]. Utiliser la violence d’un côté et récompenser de l’autre n’est pas susceptible d’inciter un pays à accepter les principes démocratiques. En essayant de proposer d’autres voies que la gouvernance démocratique libérale à l’image réaliste des États africains, Wiuff promeut par exemple l’idée d’ordres politiques hybrides [Moe 2010:20], qui permettent d’utiliser différentes logiques de gouvernance, et d’exploiter leurs avantages positifs potentiels. Wiuff conclut ainsi par sa remarque qu’en fait souvent certains acteurs non étatiques devraient être réunis autour d’une même table de négociation (sur la marche à suivre à l’avenir) au lieu de les exclure du discours de reconstruction.[Moe 2010:31]

Morten Bøås appuie et développe la même idée, déclarant que malgré plusieurs différences entre les États africains, l’un des problèmes clés dans beaucoup d’entre eux se résume au «discours local violent» [Bøås 2009:20], qui au lieu d’unir les gens et les peuples a l’effet tout à fait opposé. Lorsque l’autorité est donnée à des personnes qui sont réputées avoir un lien plus ancien ou plus étroit avec la terre que d’autres, alors évidemment, un tel état d’esprit ne peut que créer d’énormes problèmes en interne, entre groupes ethniques, villages, etc. Si un État ne donne pas à tous ses citoyens les mêmes droits à la propriété ou à la terre, encore une fois, l’inégalité et les conflits sont voués à céder la place à quelque chose de plus profond qu’une simple aversion entre différentes communautés. La citoyenneté contestée (et les droits accordés par la Constitution qui ont été rédigés en 1960, modifiés plus tard en 1972, puis à nouveau en 1981, ainsi qu’en 2005 permettant (ou réduisant) l’action discriminatoire envers certains groupes ethniques) au Congo reste un problème à partir duquel la plupart des autres problèmes en découlent.[Bøås 2009:27] De telles pratiques marginalisent et fragmentent naturellement les communautés les unes des autres, ce qui rend de plus en plus difficile la recherche d’un terrain d’entente.

Négliger la dynamique ascendante

Comme le soutient Séverine Autesserre dans son article [Autesserre 2012], l’un des nœuds gordiens majeurs pour comprendre l’Afrique, mais aussi dans le cas du Congo, consiste à répéter et donc à recréer de « grands récits » en oubliant les plus petits et les plus spécifiques. Si les premières peuvent souligner quelques problèmes généraux ou questions à traiter, elles diminuent en même temps l’importance d’autres très tangibles et concrètes. Et il arrive donc en pratique que réparer quoi que ce soit devient très difficile si l’idée est de copier-coller un kit SOS standardisé dans des pays très différents en Afrique. Ce point même est l’un des principaux reproches critiques dont Autesserre accuse l’ONU.

Dans un autre article qui suscite la réflexion, Autesserre pose la question de savoir pourquoi l’ONU n’est pas capable d’empêcher de nombreuses atrocités commises au cours des deux dernières décennies au Congo.[Autesserre 2015] Autesserre fait remarquer que bien que les acteurs internationaux aient contribué à faire passer le Congo d’un État belliciste à un État pacifique entre 2003 et 2006, une nouvelle opposition militaire et une guerre ont éclaté.[Autesserre 2015:2-3]. Autesserre rejette la responsabilité de l’inefficacité sur l’incapacité des aides extérieures à empêcher les actions au niveau local. Elle note que la prévention des crises (à travers ses trois grands principes (1) réaction précoce aux signes de trouble, (2) une approche globale et équilibrée pour atténuer les pressions qui déclenchent un conflit violent, et (3) un effort prolongé pour résoudre les causes profondes sous-jacentes de la violence) [Autesserre 2015:3] était un dogme important de l’ONU dans les années 1990, le tout faisant partie du slogan de la responsabilité de protéger. Pourtant, le problème est qu’on ne peut tout simplement pas appliquer un modèle d’un tel dogme à un endroit vulnérable spécifique. Et donc Autesserre soutient que dans le cas du Congo en 2006, bien qu’au niveau national ou international, des mesures préventives pour maintenir l’état stable et pacifique aient été prises, aucune mesure de ce type n’a été appliquée au niveau local, où les conflits sont souvent mûrs pour l’exploitation [Autesserre 2015:4].

Et donc, il n’est pas étonnant qu’en 2008, les troubles au Congo se soient intensifiés précisément à cause du pouvoir et de la domination sur les antagonismes locaux (principalement liés à la propriété foncière) et à la réticence à comprendre pourquoi la rébellion de Laurent Nkunda avait de nombreux partisans (mauvaises relations entre Congolais et Congolais d’origine rwandaise). Morten Bøås conclut également que le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP) de Laurent Nkunda fait évidemment partie du puzzle compliqué de la citoyenneté et des droits dans le pays, et ne doit donc pas être considéré comme un groupe insurrectionnel simplement avide d’argent [ Bøås 2008:6]. Au lieu de cela, Bøås rappelle que les questions et les problèmes du genre du Nord-Kivu font toujours partie d’un réseau complexe d’histoire et de présent d’un pays, et doivent être abordés, ainsi que considérés comme tels [Bøås 2008:6-7 (Bøås & Hentz 2013:9)].

Les mandats de l’ONU … un manège ?

Comme nous le savons tous, des acteurs extérieurs continuent de jouer un rôle au Congo. Il se trouve que l’ONU a utilisé ces dernières années plus de puissance physique que jamais auparavant dans le pays. Comme le soulignent Giulio Bartolini et Marco Pertile [Bartolini & Pertile 2015, non seulement il y a eu des «opérations offensives ciblées» contre différents groupes d’insurgés (comme le M23), mais aussi l’utilisation de drones a été approuvée pour recueillir des informations dans la région. La Brigade d’intervention de l’ONU (qui peut se vanter de succès et qui a déployé quelque 20 000 soldats au Congo) pourrait bien devenir la nouvelle règle pour contrôler les États africains par l’ONU. Cela signifie également que nous verrons à l’avenir des missions de l’ONU beaucoup plus équipées physiquement et militairement. Mais une plus grande présence militaire aidera-t-elle réellement? Pas à long terme car à quoi bon les employer un temps puis les éliminer, laissant derrière eux un État fragile sans justice solide ni armée intégrée? Comment peut-on croire que l’on peut avoir (ou même s’attendre à) une intervention solide au niveau macro sans évaluer les antagonismes au niveau micro et les traiter d’abord?

On peut bien sûr toujours blâmer le manque de fonds pour un reformatage ascendant à grande échelle. Pourtant, Autesserre souligne nettement que «prévenir les crises nécessite généralement moins de moyens que d’y réagir» [Autesserre 2015 : 14]. En général, on peut conclure qu’à partir de maintenant, la culture générale de consolidation de la paix à l’ONU est vouée à faire face à des échecs encore et encore puisqu’elle ne traite que de problèmes au niveau macro et de situations où quelque chose de mal a déjà été exécuté. Sans le personnel de l’ONU qui a effectivement reçu une formation spéciale pour travailler au niveau local, il n’y a pas grand-chose à dire ou à faire.

Conclusion

En conclusion, il faut dire que la construction de l’État dans sa forme authentique peut et doit être promue au niveau local (par l’ONU) mais aussi dans un format accessible également à plusieurs acteurs non étatiques, pour avoir une vision plus générale et un impact tangible au niveau local. À moins que cela ne devienne une coutume et une pratique pour les gens d’avoir réellement foi et d’aider à une micro-échelle pour lutter contre la corruption, coopérer davantage, ne pas stigmatiser d’autres groupes ethniques en raison de préjugés, etc. ne fera tout simplement pas disparaître toutes les pratiques négatives de la société et, à un moment donné, elle se fissurera encore et encore et encore. Si l’ONU est intéressée à promouvoir la stabilité au Congo, elle devrait commencer à revoir rapidement l’ensemble de son système d’aide et être plus en contact avec les personnes réelles sur le terrain (la formation d’experts spéciaux, traitant de la prévention des conflits, pourrait être la première mesure réaliste), se précipiter ne servira à rien non plus, comme le suggère Africa Report [Africa Report 2015:1-8, 28 (de l’International Crisis Group)]. Deuxièmement, la reconstruction de la société congolaise doit aller de pair dans tous les domaines (à la fois macro et micro) pour être durable et valable à long terme. Si l’ONU (respectant d’abord et avant tout un autre type de gouvernance que la démocratie occidentale à 100%, à la manière de ses retombées potentielles au Congo) peut aider à cette tâche énorme – rassembler tout le monde et inviter toutes les différentes parties à se parler au même table, alors cela servira déjà un bon objectif et le Congo peut être sauvé, sinon, alors la «lutte contre les incendies» toujours tardive ne sera que contre-productive à long terme.

Bibliographie

  1. Autesserre, S. (2012) Dangerous Tales: Dominant Narratives on the Congo And Their Unintended Consequences. African Affairs, 00/00, 1–21. (9 February 2012)
  2. Autesserre, S. (2015): The responsibility to protect in Congo: the failure of grassroots prevention, International Peacekeeping. (1 October 2015)
  3. Bartolini, G.; Pertile., M. (2015) The MONUSCO Intervention Brigade: A test-case for the application of International Humanitarian Law and International Criminal Law to a robust UN peace-keeping operation. QIL. (18 March 2015)
  4. Bøås , M. (2009) “New” Nationalism and Autochthony – Tales of Origin as Political Cleavage, in: Africa Spectrum, 44, 1, 19-38.
  5. Bøås, M. (2008) African Conflicts and Conflicts Drivers: Uganda, Congo and the Mano River. Fafo – Institute for Applied International Studies. FOI – NAI Lecture Series on African Security 2008:2. Nordiska Afrikainstitutet.
  6. Bøås, M.; Hentz, J. J. (2013) African security in 2013: a year of disequilibrium? NOREF Report (April 2013).
  7. Moe, L. W. (2010) Addressing state fragility in Africa. A need to challenge the established ‘wisdom’? FIIA Report 2010, nr 22.
  8. Oliver, R. (2000) The African Experience : from Olduvai Gorge to the 21st century. London: Phoenix Press.
  9. Reybrouck, D. van. (2015) Congo : the epic history of a people. (transl. by Sam Garrett) London : Fourth Estate.
  10. Congo: Is Democratic Change Possible? Africa Report N°225. (5 May 2015).

Source : Tiina Veikat, Saving Congo?, Estonian School of Diplomacy, April 2016. | Cette traduction a été faite par notre rédaction et n’a pas de caractère officiel.

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