Les causes de la crise au Congo indépendant (1960-1961) : I. Les richesses du Congo et les appétits occidentaux

Les Congolais pensaient que l’indépendance devait permettre de résoudre les problèmes du Congo. Mais, il s’avère que l’indépendance tant attendue est un cadeau empoisonné. En effet, alors que les lumières de l’indépendance et les chants ne sont pas encore définitivement éteints, éclate le désordre. Les appétits miniers font irruption dans la crise intérieure qui éclate, alimentée par la difficile mise en place des réformes attendues par le peuple. Ces appétits mettent tout en œuvre afin de faire plonger le pays dans la guerre civile. L’armée nationale qui dès l’indépendance s’est disloquée est incapable de jouer son rôle pour sauvegarder l’ordre. Les acteurs internationaux apparaissent sur la scène politique et militaire du pays. Une situation qui contribue à faire du Congo un territoire ouvert où toutes les expérimentations sont permises. Les mercenaires deviennent dans cette atmosphère, une verge sûre entre les mains des acteurs politiques et militaires internationaux. Cette partie étudie les acteurs des conflits armés au Congo-Zaïre. L’analyse a pour but de mettre en lumière les causes de la crise, mais aussi d’étudier la mise en place de l’action mercenaire au Congo et son développement.

La crise congolaise née au lendemain de l’indépendance provient de la position économique que le Congo représente au plan international. Pour parvenir à leurs fins, les acteurs miniers internationaux mettent tout en œuvre. Les velléités sécessionnistes qui s’expriment alors sont une autre manifestation de ces querelles minières. Des querelles dans lesquels, les autorités politiques congolaises sont des marionnettes aux mains des puissances étrangères. Les mercenaires une fois sur place ne quitteront jamais vraiment le pays.

1. Les richesses minières du Congo ou le Congo au cœur des enjeux du monde

La République Démocratique du Congo est un territoire très convoité. Bien avant la colonisation, il est l’objet de querelles entre la Belgique, la France, le Portugal, et la Grande-Bretagne. Le désaccord est résolu à la conférence de Berlin de 1885, où le roi des Belges, Léopold II s’engage à favoriser la libre navigation et les échanges internationaux sur le fleuve Congo. Mais cette promesse n’est pas respectée. Au moment de l’accession de la colonie belge à l’indépendance, les convoitises qui avaient été mises en sourdine reprennent de plus belle. Les ressources stratégiques n’ont pas échappé à deux nouveaux acteurs internationaux : les États-Unis et l’URSS cherchent à faire prévaloir leur hégémonie politique et économique sur les nouvelles indépendances africaines et partant sur le Congo. Ils sont également attirés par les richesses du Congo (il n’est besoin de préciser que le Congo est un pays au sous-sol très riche). Au lendemain de la proclamation de l’indépendance, le pays devient le centre d’une lutte que les puissances économiques entre les puissances du monde occidental et l’URSS.

Cet intérêt n’est pas seulement motivé comme l’on a toujours fait croire, par la crainte de voir le Congo sombrer dans la guerre civile au lendemain de son indépendance. Le souci d’asseoir un monopole sur tel ou tel secteur minier ou économique du pays est bien plus important que ces considérations politiques. Ces matières premières minières nécessaires aux industries occidentales sont utilisées dans plusieurs domaines. Il faut éviter que celles-ci tombent entre de mauvaises mains. Pour cela, il faut protéger les zones de productions. En fait, les vastes richesses minières du sous-sol congolais sont vitales pour les industries des pays développés et ces richesses ne doivent pas tomber entre les mains de n’importe qui. La lutte est alors engagée pour le contrôle de ces minerais. Une lutte plus feutrée et à coup de soutien voir, d’utilisation de mercenaires. Mais aussi de manipulations politiques.

1.1. Le Congo, un «scandale géologique»

Figure 2. Les richesses minières du Congo et zone de localisations (Atlas du continent africain, groupe jeune Afrique et édition du Jaguar, 2000, Nations unies, https://www.monde-diplomatique.fr/cartes/congomdv49, consulté le 08 août 2018).

Le Congo dispose de nombreuses richesses naturelles disséminées sur de vastes parties de son territoire. Celles-ci sont par ordre d’importance, les richesses minières, énergétiques et agricoles. Notre analyse porte uniquement sur les richesses minières qui sont les plus connues à travers le monde. Seulement, deux régions concentrent la majeure partie de celles-ci. Le Katanga, et le Kasaï. Elles contribuent à faire du Congo, un pays riche en matières minières. Le Katanga est la seule province qui renferme véritablement le plus grand nombre de ces ressources. En cela, elle fait figure de pionnière en ce qui concerne les richesses minières nécessaires aux pays développés. Elle se place loin au-dessus des autres régions et confère au Congo l’appellation de «Scandale géologique»“Le Congo apparait ainsi comme un géant de l’Afrique. Ses nombreux gisements miniers sont répartis sur près de 300 kilomètres entre Kolwezi et Lubumbashi (ex-Élisabethville), les métaux extraits sont, l’argent, le fer, le cuivre, le cobalt, le zinc, le plomb, le manganèse et l’étain. Les mines du Katanga recèlent aussi de métaux rares comme le cadmium, le wolfram, le colombo tantalite, le germanium, le radium et l’uranium”. (Marie-Christine Aquarone, Les frontières du refus: six séparatismes africains, Paris, Éditions du CNRS, 1987, p 65).

Le tableau suivant montre la répartition de ces richesses sur l’ensemble du territoire congolais (Ministère de l’Économie nationale du Congo Kinshasa, «Opportunités dans le secteur minier»).

Provinces Minéraux
Bandundu Diamant, pétrole, kaolin, argile
Bas Congo Bauxite,  pyroschite,  calcaire,  phosphate,  vanadium,  diamant,  or,  cuivre,  plomb, zinc, manganèse, marbre,granite noir et rose, sel gemme, fer, argile, gypse, talc, silice, kaolin, baryte, schiste bitumineux
Équateur Fer,  cuivre  et  minéraux  associés,  or,  diamant,  calcaire,  kaolin,  argile,  granite, niobium, ocre
Province orientale Or, diamant, fer, argent, argile, cuivre, kaolin, niobium, ocre, schiste bitumineux, talc
Kasaï oriental Diamant,  fer,  argent,  nickel,  étain,  argile,  cobalt,  platine,  cuivre,  fer,  kaolin, plomb
Kasaï occidental Diamant,  or,  manganèse,  chrome,  nickel,  argile,  cobalt,  platine, cuivre,  fer, kaolin, plomb
Katanga Cuivre  et  métaux  associés,  cobalt,  manganèse,  calcaire,  uranium,  charbon, niobium,  or,  platine,  lithium,  talc,  tantale,  wolfram,  zinc,  argile,  bismuth, germanium,   cassitérite,   fer,   granite,   monazite,   gypse,   kaolin,   saline,   béryl (émeraude), saphir
Nord Kivu Or,    niobium,    tantalite,    cassitérite,    béryl,    tungstène,    manganite,    argile, bastnaésite, charbon, granite, monazite, platine, wolfram, zinc, tantale
Sud Kivu Or,    niobium,    tantalite,    cassitérite,    saphir,    amblyogonite, argent,    argile, bastnaésite, béryl, bismuth, diamant, diatomite, monazite, wolfram, zinc, tantale
Maniema Étain,  diamant,  cassitérite,  or,  amblyogonite,  lithium,  argile,  cuivre,  fer,  kaolin, manganèse, colombium, plomb, talc, tantale, wolfram
Kinshasa Argile, silice, kaolin, grès arkosique

À partir de ce tableau l’on remarque que les richesses du Congo sont non seulement nombreuses, mais très diversifiées. Elles sont réparties sur l’ensemble du territoire avec des zones de concentrations extrêmes. Ces richesses naturelles sont très prisées par les entreprises occidentales. Le pays est le premier producteur et exportateur mondial d’uranium dès les années 1940. Il fait partie des principaux exportateurs de cuivre, de Coltan, de cobalt et de diamants (dans ces deux domaines également, il est premier producteur mondial et également le premier producteur de cobalt des années 1960 et 1970). Nombre de ces minerais sont utilisés dans l’industrie lourde et militaire des grandes puissances mondiales. C’est le cas du Vanadium, du platine, du cuivre et de l’uranium. Le tantale et le niobium sont indispensables à la fabrication des têtes de fusée. Le vanadium est un métal assez rare utilisé pour la fabrication de l’acier, dont l’élasticité et la charge de rupture sont élevées. Il est également utilisé comme catalyseur dans la synthèse de l’anhydride sulfurique (Yao Kouassi, «La dislocation de l’URSS, l’effondrement du système Est-ouest et le processus de démocratisation en Afrique», Conférence prononcée le 8 juin 1993 à l’Université de Cocody). Le platine quant à lui, est un métal blanc grisâtre et précieux utilisé en bijouterie joaillerie. L’on extrait également dans cette région, 30% à 35% du chrome qui est utilisé pour la fabrication d’acier inoxydable et résistant à de hautes températures. Il est utilisé comme colorant, peinture en chimie et cimenteries (Colonel Trinquier, Jacques Duchemin Et Als, Notre Guerre Au Katanga, Paris, La Pensée Moderne, 1963, p 18 et p 38). Quant à l’uranium, il est utilisé par les industries d’armement et la production d’énergie.

Toutes ces richesses n’échappent pas aux puissances mondiales, surtout celles de l’OTAN. Elles n’ont qu’un seul désir, celui d’accaparer ces ressources stratégiques dont le contrôle et l’exploitation dans le contexte de la guerre froide sont d’une importance capitale. Si le cuivre, le diamant (le Sud-Kasaï en est le plus gros exportateur mondial au début des années 1960) et l’uranium sont intensément exploités depuis la période de l’État indépendant du Congo, les autres ressources le sont moins ou restent tout simplement à l’état de potentialités. Les différentes puissances cherchent à être présentes dans l’exploitation et la mise en valeur de ces richesses. Mais elles sont freinées dans leur élan par la Belgique. Mais en ce début d’indépendance, la porte est ouverte pour que ces rêves se réalisent. Les États-Unis et l’URSS qui sont restés loin de la vie coloniale du continent se signalent de plus en plus. Ils comptent bien avoir leur mot à dire dans l’exploitation de ces mines. La Belgique quant à elle est prête à tout pour conserver ses intérêts et même à les renforcer. Chacun cherche à imposer son influence dans les différentes régions réputées riches. Les deux provinces au Congo représentatives de ces richesses suscitent la convoitise et dès la proclamation de l’indépendance du Congo, ces régions font sécession, soutenue en cela par les intérêts miniers étrangers.

1.2. Le Katanga, au cœur du «scandale géologique»

Les richesses du Katanga ne sont pas seulement convoitées par les puissances européennes. Elles le sont aussi par les pays africains et les pays de l’Afrique blanche. Le Katanga fait frontière avec deux de ces colonies où la domination blanche est forte. Et ceux-ci n’ignorent rien du potentiel minier du sous-sol Katanga. Le Katanga à lui seul produit «60% de l’uranium du monde occidental, 73% de son (Congo)cobalt, des quantités importantes d’or, de calcium, de manganèse et enfin, et surtout 8% du cuivre mondial» (Colonel Trinquier, Jacques Duchemin et Als, op cit, p 18). En 1959, l’Union minière dont les mines de cuivre se trouvent en territoire katangais, «réalise un bénéfice de trois milliards et demi pour un capital de dix milliards en produisant 280 000 tonnes de cuivre. Ses réserves minières lui assurent au moins soixante-quinze ans d’exploitation» (Auguste Maurel, op cit, p 310). En 1960, la production de l’Union minière (UMHK) augmente considérablement et atteint, pour les différents minerais, des résultats satisfaisants. Il faut compter «300 000 tonnes pour le cuivre, soit 20 000 tonnes de plus qu’en 1959, 193 000 tonnes de concentré de zinc, le double de cadmium et une production identique de cobalt» (Auguste Maurel, op cit. p 310). Si le Katanga peut vivre sans le reste du Congo, ce n’est pas le cas du reste du pays qui se partage les revenus des riches régions et partant, celles du Katanga.

Toutes ces richesses n’échappent pas à la connaissance ni aux yeux avisés des entreprises des pays développés qui entendent participer à l’exploitation des ressources minières du Congo. La prospection du sous-sol Katangais est confiée à une société de droit britannique qui s’associe au Comité spécial du Katanga créé pour les besoins de l’exploitation des richesses minières de la province. Selon Jacques le Bailly, l’exploitation des richesses du Katanga est monopolisée par trois grandes sociétés que sont, «la compagnie du Katanga, l’Union minière du haut Katanga et la Société Générale de Belgique» (Colonel Trinquier, Jacques Duchemin, Als, op. cit,p16). Le comité spécial du Katanga (CSK) est le seul à octroyer des brevets de recherche pour prospecter le sous-sol de la province. Et il se trouve que les intérêts de l’Union minière sont répartis «entre la Société Générale de Belgique et des intérêts privés belges et américains (quand) 22,5% sont accordés au gouvernement du Congo» (Ibidem).

2. L’intervention des puissances étrangères au Congo

Les puissances étrangères et coloniales qui convoitent les riches gisements du Congo sont nombreuses et s’intéressent de plus près à ce qui se passe dans la nouvelle République. Ainsi, l’on voit intervenir la Belgique ancienne puissance coloniale, la France et les États-Unis et d’autres pays qui gravitent autour. Ces différents pays sont tous issus du bloc capitaliste et montrent que même au sein du capitalisme, il existe une sourde compétition entre eux. En effet, selon Mbuyi Kabunda, «la France, pour élargir son pré carré de l’Afrique francophone, dans sa lutte contre les États-Unis et la Belgique, soutient les leaders sécessionnistes» (Mbuyi Kabunda, Toni Jiménez Luque et Als, La République démocratique du Congo les droits humains, les conflits et la construction/déconstruction de l’État, Madrid, Fondaçio Solodaritat UB et Inrévés, 2009, p 36). Ainsi, les alliés sont en compétition au Congo. Les richesses du pays en sont l’enjeu principal. Mais à l’occasion, ils s’unissent contre l’ennemi commun.

2.1. Les manipulations belges

Nul ne peut reprocher à la Belgique d’être aux côtés du Congo dans les heures difficiles de la jeune république. Mais cette intervention est considérée comme un acte néocolonial. En effet, l’ambiguïté de ses soutiens au Katanga et à Léopoldville est malsaine. Le gouvernement belge joue un rôle important dans la présence mercenaire au Congo. C’est grâce à son intervention que la province katangaise a pu proclamer son indépendance et c’est avec la sécession katangaise que les premiers mercenaires émergents : anciens soldats de l’armée belge au Congo et anciens colons belges.

En effet, à l’époque, le gouvernement belge s’est investi dans la résolution du problème congolais par l’envoi de troupes militaires. Mais très vite, se dessine ce que l’on peut appeler l’aventure belge au Katanga. Dès la promulgation de la résolution onussienne du 14 juillet 1960, qui demande le retrait des forces militaires et paramilitaires belges du Congo, la machine mercenaire se met en place. Loin de répondre à l’injonction de l’ONU, le gouvernement belge demande à ceux qui le veulent de rester au Katanga. Ces derniers se mettent au service du gouvernement sécessionniste. À la suite de cet appel, un vaste mouvement de démission est observé au sein même des forces métropolitaines et des paras envoyés en mission de sauvetage dès le 9 juillet 1960.

Le 16 juillet, le gouvernement belge dans un communiqué est informé de l’indépendance Katangaise. Il «constate aussi que le gouvernement Katanga demande la collaboration de techniciens belges. L’appui de notre collaboration est assuré au Katanga, comme dans toutes les autres régions du Congo où règnent la sécurité et l’ordre» (Jules Gérard-Libois, Benoit Verhaegen, Congo 1960 Tome I et II, Bruxelles C.R.I.S.P, 1960, p 410). C’est ainsi que Bruxelles justifie son engagement au Katanga. Dès le 22 juillet, le gouvernement belge envoie au Katanga sécessionniste une mission technique. Cette dernière a pour but d’aider le gouvernement Katangais à s’organiser et à mettre sur pied une armée. Cette mission reçoit le nom de Mission technique belge (MISTEBEL). Dès le 22 juillet, celle-ci est mise en place. Elle se révèlera une véritable organisatrice du recrutement de mercenaire pour le gouvernement Katangais. Cette aide militaire au Katanga connait des débuts timides. Mais à partir du mois d’août alors que le nord de la province est menacé par les révoltes Baluba et celles des troupes de l’ANC, elle rentre dans une phase accélérée. Les dispositions prises par le gouvernement belge à l’égard de la sécession sont, un témoignage de sa complicité dans l’internationalisation du conflit et l’arrivée des mercenaires.

La direction de cet organisme d’aide au Katanga est placée sous la direction du Comte belge Harold d’Aspremont Lyden (Harold d’Aspremont Lyden est le chef de cabinet du Premier ministre social-chrétien. Ce dernier est un fervent défenseur de la construction d’un Congo fédéral à partir du Katanga. Fédéralisme qu’il considère comme le seul rempart valable contre le communisme). Ce dernier s’emploie à mettre en avant la domination belge et la formation d’une force armée pour le compte du Katanga. ” Plusieurs officiers des forces métropolitaines restent dans la province du cuivre passant, dans l’assistance technique. Les anciens cadres de la Force publique sont encouragés à reprendre du service en Afrique, certains sont livrés via le Runda-Urundi et des militaires Katangais débutent leur formation en Belgique “ (Romain Pasteger, op. cit, p 16).  Les soldats belges, et les anciens de la Force publique qui sont sollicités à reprendre fonction ne peuvent à ce titre être que des mercenaires. Le gouvernement belge peut être alors perçu comme une société de prestation de services militaires privée. Les ex-soldats belges sont qualifiés de mercenaire, car, la Mistebel en elle-même n’a aucune assise officielle, c’est un service clandestin.

Pourtant, selon le traité militaire entre le Congo et la Belgique, il faut l’accord du gouvernement central congolais pour toutes interventions. Le gouvernement central n’a pas donné sa caution à la mise en place de cette entité au Katanga encore moins fait appel à une aide militaire belge dans les termes du traité d’amitié belgo-congolais. Selon ce traité, «toute intervention militaire des forces belges stationnées dans les bases du Congo ne pourra avoir lieu que sur demande expresse du ministre congolais de la Défense nationale» (CADN, Kinshasa Série 322PO/1/ Carton 60, «note pour la direction d’Afrique», ministère des Affaires étrangères, p 3). Ce qui n’est pas le cas. La Belgique s’est donc imposée militairement au Congo et ensuite au Katanga. C’est en violation de ce traité qu’elle a organiser cette présence militaire belge au Congo et particulièrement au Katanga.

À la demande d’intervention onusienne demandée par M. Patrice Lumumba et M. Kasa-Vubu, «la Belgique aurait indiqué à M. Hammarskjöld qu’elle considérait comme inutile la venue de troupes dans les régions non troublées, autrement dit au Katanga» (André Fontaine, «Un premier accord à Léopoldville, la France aurait assuré la Belgique de son appui total», Le Monde, n° 4818, 17-18 juillet 1960, p 2). C’est à juste titre qu’André Fontaine ajoute, «dont elle soutient le gouvernement séparatiste» (Ibidem). Faisant fi de la résolution des Nations unies, le gouvernement belge continue ces manœuvres militaires au Katanga. Le 19 juillet, «vingt-quatre parachutistes belges contrôlent la ville de Tshikapa où les militaires» avec le prétexte de protéger leur ressortissant alors même que l’opération de l’ONUC est déjà en marche (AFP, «les parachutistes belges contrôlent Tshikapa», Le Monde, 27 juillet, 1960, p 2). Ce que l’on observe le plus c’est que l’opération de secours militaire belge se concentre dans les agglomérations. Alors que l’intérieur du pays où de nombreux Européens possèdent des plantations et fermes ne reçoit pas la visite des soldats belges.

Les nombreux appels à l’ordre du groupe afro-asiatique de l’ONU, du comité consultatif sur le Congo et le secrétaire général lui-même, finissent par porter quelques fruits. Le gouvernement congolais n’est pas resté en marge de ces protestations et cela depuis le premier jour de l’intervention belge. Le 29 juillet, «le gouvernement belge décide (…) de retirer immédiatement 1500 hommes du Congo» (A.F.P., Bruxelles décide de retirer 1500 hommes du Congo, Le Monde, 30 juillet 1960, p 3). Entre temps, il verrouille bien son système d’aide militaire et technique au Katanga (1). Une fois la Mistebel mise en place, les actions officieuses belges se mettent également en place. La facilitation du recrutement des mercenaires et leur transfert au Congo se mettent en place. La Mistebel contrôle l’organisation des réseaux de recrutement.

Ce sont les officiers belges de la Mistebel qui conseillent à M. Moïse Tshombé de recruter des mercenaires pour le Katanga. La pression exercée dans le nord du Katanga par les troupes de la Balubakat et celles de l’ANC entraine une organisation militaire rapide et importante dans la province sécessionniste. Les anciens militaires au service déjà du Katanga constituent la fondation de cette nouvelle armée dont tout l’État-major est belge. Les forces katangaises dans la province étant en nombre insignifiant, les recrutements à l’étranger sont préconisés pour renflouer les troupes. Ils visent aussi à donner de la puissance à cette gendarmerie katangaise qui en a grand besoin. Le gouvernement belge ne reconnait pas officiellement le Katanga comme un État à part entière, cela ne l’empêche pas de laisser s’installer sur son territoire, une délégation katangaise qui pour le dire fait office d’ambassade. Cette délégation est installée au 30, rue Marie de Bourgogne. Elle joue un rôle très important dans le recrutement et l’acheminement des mercenaires au Katanga. Bien qu’il existe plusieurs bureaux de recrutement, c’est elle qui appose le sceau final pour la validation et le départ des mercenaires pour le Katanga. M.Harold d’Aspremon-Lyden coopère avec ce bureau afin, d’acheminer le personnel militaire étranger au Katanga.

Le gouvernement belge ne peut pas dire qu’il n’est pas informé de tout ce ballet de communications entre les membres de son gouvernement et les agents de ce bureau de recrutement. La coopération entre le gouvernement belge et la délégation katangaise répond au besoin de Bruxelles de contrôler les recrutements. Mais dans un premier temps, les recrutements sont gérés par les autorités katangaises. Les contacts sont de simples individus souvent anciens officiers du Congo. Mais ils attirent beaucoup l’attention des médias. Alors la Mistebel reprend les réseaux pour une meilleure organisation et opacité. Craignant ces «initiatives personnelles en ordre dispersé», le responsable de la Mistebel est favorable au contrôle du recrutement par le biais du gouvernement. Dans un «télégramme au Premier ministre, du 18 août, le ministre alors chef de la Mistebel (Harold D’Aspremont Lyden) prône la création d’un «bureau de recrutement belgo-katangais» (Romain Pasteger, op. cit, p 36).

Ainsi, le Ministère des Affaires africaines (Le Minaf), prend alors sur lui d’organiser ce bureau en fournissant le personnel nécessaire. En ce qui concerne les renseignements nécessaires sur les candidats au départ, c’est le Minaf qui s’en charge. En cela, Jules Loos joue un rôle de premier plan (Romain Pasteger, op. cit, p 39). C’est son service qui se charge de transmettre à la délégation et à l’état-major Katangais les informations tops secrètes nécessaires au sujet des candidats. Au passage, il est également important de signaler que l’installation de délégation katangaise en Belgique est financée par l’UMHK. Le recrutement qui se passe en Belgique est opéré sous le regard bienveillant du Ministère des Affaires africaines, mais aussi de la Primature, et du ministère de la Défense avec la Bienveillance des Affaires étrangères.

Ainsi l’on comprend mieux la réaction du ministre Pierre Wigny. Le 6 octobre alors que les Nations Unies demandent une fois de plus le retrait des troupes belges et paramilitaires du Congo ce dernier veut connaitre le nombre des mercenaires belges servant sous les croisettes. Il insiste auprès du consulat belge à Élisabethville pour que ceux-ci soient dénommés comme «personnes engagées à titre personnel» (Ibidem). La demande du ministre laisse comprendre que ces mercenaires belges présents au Katanga ne le sont pas pour leur propre intérêt d’abord, mais pour ceux de l’État belge. Les mercenaires belges servant au Katanga sont des instruments de politique étrangère de la Belgique. Tout au long de la sécession, l’on remarque que la présence mercenaire au Congo permet à Bruxelles de garder un certain contrôle sur le Katanga d’une part, mais aussi de conserver des liens amicaux avec le gouvernement central.

Alors que Bruxelles demande à Élisabethville de financer elle-même ses fournitures et opérations militaires, elle n’hésite pas à octroyer à Léopoldville une aide de 500 millions de francs belges (Ibidem). Le gouvernement Katangais cherche à briser le monopole belge au Katanga. Il commence alors un rapprochement avec la France dont les premiers signes se manifestent par l’implantation d’un consulat français à Élisabethville. Le recrutement de mercenaires français à qui sont confiés des postes de responsabilités dans l’armée katangaise est un signal fort. Pendant ce temps du côté de l’organisation internationale, les mises en demeure n’en finissent pas de rappeler le gouvernement belge à l’ordre. Le 12 octobre 1960, la Mistebel quitte la province après une note de protestation du Secrétaire général de l’ONU à Pierre Wigny. Mais un autre organisme prend très vite sa place. Il s’agit du bureau-conseil dirigé par Jacques Lambert (Ibidem). Le bureau-conseil reprend les activités de la Mistebel avec beaucoup plus de discrétion.

Cependant face aux pressions incessantes de l’ONU, le gouvernement belge qui jusque-là consent à retirer une partie de ses troupes au Katanga doit, obéir. Craignant la fin de la gendarmerie katangaise à cause du retrait total des officiers belges, le bureau-conseil prend le relais afin de garantir toujours au Katanga, une aide militaire mercenaire. Il s’agit de continuer les recrutements mercenaires tout en restant discret. Dès 1961, le gouvernement Katangais quant à lui se tourne vers les Français (2). Mais il faut bien plus pour décourager le gouvernement belge. Le Ministère des Affaires africaines (Minaf) se tourne vers un autre recruteur qui par la suite devient le principal pourvoyeur d’Élisabethville. Il s’agit de l’organisation «le Clan des amis du Katanga»dont le responsable Adelin Marissal est un ancien du Congo et bien connu du Minaf. Le colonel Adelin est contacté au siège de la Fraternelle des agents parachutistes (le siège de cette association deviendra un autre bureau de recrutement à Bruxelles). Il est chargé par Harold d’Aspremont-lyden d’assurer le recrutement de mercenaire pour le compte du Katanga. «La Belgique a décidé de continuer le soutien au Katanga, mais ne peut le faire officiellement (…) Il faut donc trouver un nouveau modus operandi» (Romain Pasteger, op.cit, p 43). La mission marissal est née. Elle travaille de concert avec le Bureau-conseil. Ses activités se font dans la discrétion, la fidélité et un engagement total et patriotique selon les vœux mêmes du Minaf. La mission réussit à envoyer au Katanga plus de la moitié des mercenaires belges qui se trouvent dans la province.

Le Minaf continue de couvrir les activités des recruteurs et l’envoi des soldats de fortunes au Congo. Pour exemple, le 19 janvier 1961, 58 mercenaires s’envolent de Bruxelles pour le Katanga via Téhéran. Lors de l’escale à Téhéran, les mercenaires se font reconnaitre comme tels. Le gouvernement turc furieux adresse à Bruxelles son mécontentement. Ainsi, le gouvernement belge et tout le monde entier est-il informé que des mercenaires belges partent pour le Congo. Et pourtant, le gouvernement belge qui se dit ignorant de ces recrutements et départs ne fait rien pour empêcher les «Chiens de guerre»d’arriver au Katanga. Ces derniers rallient la province du cuivre dont, «ils foulent le sol le 20 janvier (1961)» (La rédaction de cette partie est basée sur les informations tirées du document de Romain Pasteger, op. cit, p 61-65). Ainsi comment juger de la bonne foi de ce gouvernement. Bien plus l’on se rend compte que le ministère des Affaires africaines, celui des Affaires étrangères et dans une certaine mesure le gouvernement entier ont favorisé la présence et le développement de l’activité mercenaire au Katanga. Une véritable rivalité nait entre les alliées du bloc capitaliste.

Avec l’affaire des mercenaires de Téhéran, il est difficile, voire impossible, d’ignorer l’organisation de recrutement en Belgique de soldats pour le Katanga. Cette question doit interpeller les différents protagonistes. Pourtant le gouvernement continue de clamer son ignorance concernant l’organisation de recrutements sur son territoire. Tout au plus, il essaie de justifier cette innocence en avançant des informations sur d’autres recrutements adverses. Les intérêts belges au Congo sont trop vitaux pour que l’ex-métropole se résigne à laisser le destin de son ancienne colonie aux mains d’autres intérêts89 (En l’occurrence, la France, la Belgique, les États-Unis, et la Russie). Il accuse également le «gouvernement de Stanleyville» (3) de recruter des mercenaires en Belgique. Ce qui vient confirmer que Bruxelles est informé des recrutements de mercenaires sur son sol. Son silence au sujet des mercenaires présents au Katanga, est une preuve de sa caution. Pour conclure, le gouvernement reconnait que des recrutements se pratiquent sur le sol belge, mais que ceux-ci sont le fait de groupements privés. Il se dit impuissant à lutter contre de tels groupements.  De façon maladroite, Bruxelles cherche à se disculper. Et c’est le gouvernement Katangais lui-même qui lève le voile sur l’implication de Bruxelles dans ces engagements. Pour justifier l’emploi de mercenaires, Élisabeth ville déclare que la plupart des jeunes États indépendants d’Afrique confient l’encadrement (de leur armée) à des Européens et conclut (…) qu’au Katanga, la plupart des officiers sont belges.

Outre l’action directe sur le terrain comme cela s’est jusque-là fait, il y a tout le tapage médiatique fait par le gouvernement de Bruxelles. En effet, l’intervention de l’ONUC au Katanga est fortement combattue par Bruxelles. Une ingérence qui se manifeste par le refus dans un premier temps du retrait immédiat de son personnel militaire du Katanga. Dès la mise en place de l’ONUC, Bruxelles s’oppose à son action sur le terrain au Katanga. Selon le gouvernement belge, l’ordre règne au Katanga et il n’est pas besoin que les troupes internationales entrent dans cette province. Mais surtout, le gouvernement belge soutient le Président autoproclamé d’Élisabethville, dans son refus de voir débarquer des soldats internationaux sur son territoire. Cette attitude de la Belgique qui est membre du Conseil de sécurité intrigue. Les autorités belges qui il y a peu annonçaient vouloir empêcher la propagation du communisme au Congo et éviter la balkanisation de son ancienne colonie, soutient un gouvernement dissident qui a fait sécession. L’aide à l’organisation politique et militaire de la province tend à faire de ce territoire, une nation à part entière. De telles attitudes favorisent le développement d’activités mercenaires.

Le ministère des Affaires africaines et celui des armées sont convaincus que le maintien de la paix et de la stabilité du Katanga est le seul moyen de sauver le Congo. Tous les Belges pensent et sont convaincus que la reconstruction du Congo passe par la paix au Katanga. Sauf que les moyens pour y parvenir ne sont pas légaux et laissent la porte ouverte aux activités de soldats privés. Des activités que Bruxelles et Élisabethville favorisent par la complicité dans le recrutement et les facilitations. La Belgique joue un rôle important dans la stabilisation du gouvernement sécessionniste du Katanga. En l’aidant dans son organisation politique et militaire, l’ancienne métropole s’est posée comme protecteur de la sécession. L’aide militaire et surtout l’organisation des recrutements mercenaires pour le compte du gouvernement sécessionniste et l’engagement de ses propres soldats dans les rangs de la gendarmerie katangaise sont des faits qui parlent bien plus que les mots. Ce soutien inconditionnel qu’il soit officieux ou officiel favorise l’implantation et le développement du mercenariat au Congo. Bruxelles mis au pied du mur par le Conseil de sécurité est obligé à partir de 1962, de se rallier à l’action générale de l’Organisation et du gouvernement central (mais officieusement, ses agents recruteurs continuent les recrutements pour le Katanga).

Aussi quand un recrutement de mercenaire est entrepris en France et dans les pays limitrophes, le gouvernement belge à contrecœur, accepte-t-il même s’il pose des limites à M. Moïse Tshombé (On se souvient de tout le tapage des Belges du Katanga et particulièrement ceux de l’État-major de la gendarmerie à propos l’engagement de Roger Trinquier par les autorités katangaises. Les autorités militaires et politiques belges demandent et obtiennent le retrait de ce dernier). D’un autre côté, Bruxelles tire profit de ces interventions étrangères, que la France se «mouille» à son tour, voilà ce qui détournera l’attention de l’ONU pour un moment. L’ambition hégémonique de la Belgique sur le Congo est préservée et Bruxelles peut continuer à jouir de ses bons offices aussi bien auprès du Gouvernement central que de celui du Katanga. Ce soutien prend fin en avril 1961 avec la formation d’un nouveau gouvernement belge. Ce dernier est opposé à la sécession katangaise.

2.2. L’implication de la France

Dans le problème congolais (avec en pointe la sécession du Katanga), la France joue un rôle ambigüe qu’il est bien d’analyser. Une Analyse qui permettra de connaitre les implications françaises dans le dossier de la sécession, mais aussi de la présence des mercenaires. La France au Congo mène deux politiques différentes, celle de la guerre froide et une politique d’intérêts nationale. D’un côté, elle travaille avec ses alliées du bloc occidental afin de combattre, la supposée menace communisme. Mais en même temps, elle s’oppose aux actions de certaines de ses alliées. En fait, si elle est intervenue aux côtés du bloc capitalise et prend part à certaines décisions ou actions, cela relève de ses propres intérêts.

La France ne voulait pas laisser le champ libre à des nations qui n’avaient pas eu de présence coloniale en Afrique (USA et URSS) et qui pourraient profiter de la situation du Congo pour prendre pied sur le continent. Une présence considérée par Paris comme une menace pour le précarré francophone d’Afrique. Ces craintes françaises sont confirmées par les propos de l’ancien patron des services de renseignement français, Maurice Robert; «le monde était dominé par la guerre froide et nous considérions que les Belges n’avaient pas la situation en main. Américains et Soviétiques s’adonnaient, en Afrique comme ailleurs, à une redoutable lutte d’influence. Nous ne voulions pas livrer l’Afrique francophone aux Américains ni la livrer aux appétits soviétiques. La forte sensibilité marxiste du Premier ministre, Patrice Lumumba nous préoccupait. De plus, le pays s’enfonçait dans l’anarchie la plus totale» (André Renault, Maurice Robert, «ministre» de l’Afrique, Lonrai, Seuil, 2004, p 163). Ces propos apportent un éclairage sur la position de la France dans le dossier Katanga à partir de 1961. La France dans le souci de préserver de son influence francophone, mais aussi de se tailler une zone d’influence au Congo, se range du côté des Katangais tout en maintenant des rapports cordiaux avec le gouvernement central.

En effet, alors que toute la communauté dite internationale se mobilise pour le retour de la paix au Congo par le moyen de l’opération des Nations unies, la France va adopter deux positions. Dans un premier temps ; elle affiche un neutralisme qui transparait par son désaccord avec l’intervention onusienne au Congo. Elle appuie dans ce cas la position du gouvernement belge qui refuse de laisser libre cours à l’intervention internationale au Katanga et de retirer ses troupes son ancienne colonie. Paris refuse de voter la résolution du 14 juillet et celle du 9 août 1960 demandant à la Belgique de retirer ses troupes du Congo. En fait, Paris redoute que cette résolution crée un précédent quant à elle-même sa propre position en Algérie. Mais à partir de 1961, alors que Bruxelles et le gouvernement Katanga font l’objet de nombreuses pressions de la part des Nations unies, la cellule Afrique et le ministère de la guerre et celui des Affaires étrangères français, adoptent une position plus expansive au Katanga.

Comme hier la Belgique, Paris se dit soucieuse de préserver au Congo l’héritage capitaliste. Mais aussi se convaint que la forme unitaire du Congo est inappropriée pour ce vaste territoire. Mais la construction d’un Congo fédérale ne peut passer que par un Katanga stable et prospère. C’est pour cette raison que certains membres du gouvernement français décident de mettre en place la politique d’implication dans le conflit congolais. Dès l’éclatement des troubles au Congo en juillet 1960, la France est présente par l’intermédiaire de son ambassade à Léopoldville. Après juillet 1960, elle envisage même l’ouverture d’un consulat à Élisabethville, capitale du Katanga cela après l’éclatement du conflit et la sécession du Katanga. C’est par le biais de son ambassadeur surtout de son consul que Paris mène sa politique d’intervention au Congo.

En 1961, le ministre de la Guerre Pierre Mesmer donne son feu orange au recrutement et à l’engagement de certains soldats français pour servir comme mercenaires au sein de la gendarmerie du Katanga. Même si certains dirigeants français sont opposés à cette idée, il n’en demeure pas moins que la présence de mercenaires français au Katanga fera l’affaire de la politique congolaise de la France. En effet, Maurice Robert précise que Robert Denard (Bob Denard) est engagé et instrumentalisé à son insu (Ibidem, p 161). Par la suite, il le saura, mais cela ne l’empêche pas de continuer à jouer le corsaire pour la France (Ibidem). Ce dernier parle lui-même de ses entretiens avec les membres de l’administration française. D’un côté afin de préserver sa réputation de Nation des droits de l’homme français, le gouvernement lance certaines actions de lutte contre le recrutement des mercenaires sur son territoire. Mais officieusement, il ferme les yeux. D’autre part, au Congo et au Katanga, elle se pose comme un soutien officieux de la politique militaire de M.Tshombé. Tout est fait pour que ce soutien soit le moins visible possible.

Dans l’affaire Trinquier, la France adopte une position catégorique en s’opposant à son engagement et à son entrée sur le territoire katangais. Cette opposition est en fait due à la publicité faite autour du recrutement des mercenaires par Trinquier, mais aussi autour de toute l’organisation de cette affaire. De ce fait, le gouvernement Katangais adresse en mars 1961 un message au Colonel Trinquier pour lui signifier qu’il est «persona no grata» au Katanga. Les termes utilisés sont les suivants : «intérêt Katanga et France rend présence Trinquier Katanga non souhaitable dans circonstances internationales actuelles (Stop). Dois quitter le Katanga vendredi dix mars. Plus tard, question pourra évidement être revue selon évolution situation internationale» (CADN, Kinshasa Série 322PO/1, carton 33 : «Katanga, Affaire trinquier», note des ministres Munongo et Kibwe et du colonel Weber, au Colonel Trinquier, Élisabethville, 1 mars 1961, p 1). Le Président Tshombé qui se trouve à Madagascar à la conférence de Tananarive sur le Congo envoie également un message à Trinquier reprenant les termes de ce télégramme.

S’agissant de ce point, certains documents s’accordent pour dirent que les pressions belges sur le Moïse Tshombé sont à l’origine de cette volte-face. Mais il faut reconnaitre que dans la situation, internationale du moment (annonce de la mort de Patrice Lumumba au Katanga), la France ne pouvait risquer de se salir et dévoiler la présence de certains de ses nationaux au sein des forces katangaises. Cela explique pourquoi, les termes du télégramme Katangais vis-à-vis de Trinquier alors qu’il reste muet au sujet des autres officiers français au Katanga (La médiatisation de l’engagement de Trinquier a jeté les projecteurs de la presse sur ce dernier. De ce fait, les autres mercenaires français sont passés inaperçus. Ils peuvent alors mener tranquillement leurs activités au Katanga). Dès le début, les politiques français ne sont pas vraiment opposés à l’action de Roger Trinquier. Selon, l’ancien patron du service de renseignement, lorsque «Trinquier a présenté son projet aux autorités françaises, elles ne s’y sont pas opposées (…). La France était favorable à la sécession et personne ne l’a dissuadé de monter son opération… tout au moins dans un premier temps» (André Rénault, op. cit, p 162). Ce n’est qu’après l’annonce de la mort de Patrice Lumumba que la France s’oppose ouvertement à l’intervention de Trinquier au Katanga.

La France continue cependant à soutenir le Katanga via la présence mercenaire. Mieux encore elle l’assure de son soutien sans faille et crée sur place dès juin 1961 un consulat à Élisabethville. En avril 1961 «le gouvernement français charge François bistros, lié au Général Grossin, le patron du SDECE, d’assurer à Tshombé, via une lettre, l’appui officieux de Paris» (Romain Pasteger, op. cit, p 123). Alors même que l’affaire Trinquier est en cours en mars, François Bistros est mandaté au Katanga afin de se renseigner sur les compagnons de Trinquier resté au Katanga (Romain Pasteger, op. cit, p 123). Cette mission répond au besoin de la France de préserver son image sur la scène internationale quant à son implication dans la présence mercenaire au Katanga, mais de s’assurer que ces derniers ne se feront pas remarquer comme leur chef. C’est pour faire bonne figure que cette commission d’enquête est diligentée. Paris a toujours préservé sa position de neutralité officielle dans le dossier Katangais aussi, il ne souhaite pas que son «aide» soit dévoilée. La France n’a jamais marqué son accord officiel pour une quelconque intervention militaire au Katanga fut-il même des Nations unies.

Elle profite de la présence de mercenaires français pour s’informer et mieux aiguiller sa position sur l’échiquier politique et économique français. Et pour cela, personne ne doit savoir que la mission Trinquier a reçu le «feu orange» de Paris. Dans l’affaire des mercenaires français au Katanga, il faut savoir analyser à quel moment la politique interventionniste prend le pas sur le neutralisme de Paris. Dans un premier temps, l’implication des autorités françaises se situe plus au niveau politique. Elle ne concerne que certains organes de l’État. Face à la faiblesse belge et aux manifestations des appétits miniers américains, la France veut s’imposer comme acteur clé au Katanga dans un seul but économique. Roger Trinquier, dans ses propos ne dis pas qu’il a reçu un accord formel, mais plutôt que le ministre Pierre Mesmer ne l’a pas empêché de monter ce recrutement de mercenaires. Et comme M. Maurice Robert le dit, c’est plutôt un «feu orange» qui est donné par l’Élysée à l’action mercenaire au Katanga.

Ce n’est que bien plus tard vers la fin de l’année 1961 que les services spéciaux français s’impliquent dans le conflit. Toujours selon M. Maurice Robert, le S.D.E.C.E. ne lâche pas les soldats français au Katanga et tente de les utiliser pour le mieux. Il surveille les activités des mercenaires, mais dans un but différent, celui de recruter une personne de confiance. C’est par ce biais qu’en 1962, Bob Denard est repéré par ce service et suivi de près par le Monsieur Afrique de l’Élysée. Dans le dossier Katangais, l’intervention de Paris se manifeste suivant plusieurs voies et canaux. Lorsqu’en 1961, il devient évident que la pression internationale sur Bruxelles commence à faire effet, le gouvernement Katanga par le biais de George Thyssen (conseiller belge de Moïse Tshombé) entreprend de recruter des mercenaires français.  Ce dernier prend contact avec des soldats français, dont Roger Trinquier. C’est le début de l’implication de Paris dans la question des mercenaires au Katanga. Lorsque Roger Trinquier est contacté, ce dernier présente la demande katangaise aux autorités françaises en l’occurrence,le ministre des armées, Pierre Mesmer. Ce dernier sans donner un accord formel d’engagement ou de soutien, ne s’oppose pas pour autant à ce projet. De cette manière, Trinquier reçoit «le fameux feu orange» de Paris (André Renault, op.cit, p 162).

De plus, il lui propose une alternative, celle de mettre en retraite provisoire les officiers volontaires. Roger Trinquier installe son bureau de recrutement rue Cambronne dans le quinzième arrondissement de Paris. Il tient également une conférence de presse, pour annoncer officiellement ses nouvelles fonctions au Katanga avec la bienveillance du gouvernement. Il se met alors en quête de ses recrues. Le gouvernement laisse faire pendant un moment. Tout simplement parce que «la France était favorable à la sécession et personne ne l’a dissuadé de monter son opération… Tout au moins dans un premier temps» (André Renault, op.cit, p 162). Il rentre en contact avec certains de ces anciens camarades d’armes ou de son unité en Algérie. Ainsi le Capitaine de la Bourdonneray, le Colonel Roger Faulque, le Capitaine Égée et bien d’autres sont contactés. Pour simplifier les choses, des facilités leurs sont accordées, car les autorisations de retraites leur sont directement remises. Ceci dans le but ne pas retarder leur engagement au Katanga. De cette façon, le gouvernement français marque son implication dans la question des «soldats de fortunes» au Katanga. Il semble que le feu orange donné par le gouvernement soit devenu un «feu vert».

Avec ces facilités accordées aux potentiels volontaires pour se rendre au Katanga il est plus que normale de parler d’une implication du gouvernement français. La mise en retraite facilite l’enrôlement des candidats dans les rangs de la gendarmerie katangaise. Aucune action policière n’est organisée pour empêcher ces derniers de prendre l’avion pour le Katanga. En février 1961, Roger Trinquier arrive en Rhodésie avec ses recrues. De là, ils prennent l’avion pour le Katanga alors que Trinquier lui est retenu, empêché de rentrer dans la province. L’Élysée bien qu’informé de ses recrutements ne fait rien pour dissuader les potentiels candidats et recrues de se rendre au Katanga. Il faut attendre l’annonce de la mort de Patrice Lumumba et les plaintes congolaises avant que le gouvernement français par la voix de son ministre des affaires étrangères et celle de son ambassadeur au Congo demande l’arrêt des recrutements en France. Le gouvernement Katanga informe le mercenaire que pour des raisons de politique internationale et vu les derniers évènements, il est préférable que Trinquier ne rentre pas dans la province. Mais dans le même temps, ces compagnons qui sont également des soldats de fortune sont invités à rejoindre le Katanga (CADN, Kinshasa Série 322PO/1 carton33 : «Katanga, Affaire trinquier», note des ministres Munongo et Kibwe et du colonel Weber, au Colonel Trinquier, op. cit, p 1).

En décembre 1961, un ancien officier de l’armée française, Paul Ropagnol (ancien officier militaire français de 32 ans. Après l’ébruitement de son activité de recrutement à Toulouse, il est jugé et écope d’une peine de prison avec sursis) mandaté par M. Moïse Tshombé ouvre un bureau de recrutement clandestin à Toulouse (CADN, Kinshasa Série 322PO/ 1, carton 16, «Affaire katangaise», Agence congolaise d’information 6 juillet 1962). Son officine clandestine est vite fermée. La police alertée met aux arrêts ledit officier et son complice un Belge Marcel Hambursin (Ibidem, note Paris le 10 janvier 1962). Mais dans l’intervalle, 24 hommes ont pu quitter la France pour la province cuprifère (Ibidem). Mais, ils sont refoulés en Rhodésie et doivent retrouver en France où, la police informée de leur identité les met aux arrêts. Ces actions interviennent au moment où la situation politique internationale est tendue. Le gouvernement central donne de la voix au sujet de cette présence française au Katanga. En effet, les autorités centrales congolaises sont au courant que le Katanga a mandaté des agents pour un recrutement de «chiens de guerre» en France.

L’identité des 24 mercenaires recrutés par Paul Ropagnol est diffusée aux postes-frontière pourtant, les mercenaires réussissent à quitter le territoire français pour le Katanga. M. Maurice Robert dans son interview annonce être informé que Bob Denard cherche à se rendre au Katanga où il arrive par ses propres moyens. Un autre fait est intrigant. Alors que ses ressortissants sont signalés dans le conflit au Katanga, le gouvernement français envoie une mission du S.D.E.C.E pour enquêter sur les activités de ces derniers (CADN, Kinshasa Série 322PO/1/, carton 16, «Fiche 252293/295» du 10 avril 1961 adressée à Léopoldville, NR 1054, Diplomatie. Il faut noter que Marcel Hambursin fait partie du bureau de recrutement belge, la Mission Marissal. Ce bureau étend ses recrutements en France). Mais cette enquête ne débouche sur aucune arrestation. Il est pourtant facile pour le gouvernement français de lutter contre les recrutements et les départs. Il ne leur fut pas difficile d’obtenir des informations sur les 24 mercenaires recrutés par Ropagnol. Au contraire, la présence mercenaire française est mise à profit pour obtenir bien de renseignements afin de mieux orienter la politique française au Congo.

Ainsi, aucun des mercenaires français présents au Katanga n’est inquiété par des mesures juridiques. On se souvient que lors de l’arrestation de Paul Ropagnol, l’article 85 de l’ancien Code pénal français est invoqué. Selon cet article, il est interdit tout recrutement de français pour le compte d’armées étrangères (4). Cet article est un instrument juridique qui peut permet de lutter contre de telles actions. Et pourtant jusqu’à la fin de la «république du Katanga» en janvier 1963 aucun mercenaire n’est inquiété. Certains mercenaires français comme Bob Denard, Tony de Saint Paul, le Capitaine Égée, et bien d’autres sont encore présents au Katanga. Ils sont fortement impliqués dans des actions militaires contre l’ONUC et l’ANC. Mais les autorités françaises par ces actes veulent montrer qu’elles luttent contre les mercenaires et prouver sa neutralité. Selon elles, «le gouvernement français a depuis l’origine de la crise congolaise, toujours préconisée la réintégration pacifique du Katanga dans l’ensemble congolais» (CADN, Kinshasa Série 322PO/1, carton, 16, «Attitude du Gouvernement français à l’égard du Katanga», Note a/s. n°/AL, du 6 octobre 1961). Pourtant, certains de ces services sont en complicité avec des acteurs mercenaires qui interviennent au Katanga. C’est le cas de M. Lambroschini le consul français à Élisabethville, est informé des activités de M. Bistos. Ce dernier pourtant envoyé en mission par le gouvernement français, propose non seulement de fournir des armes, mais aussi 36 mercenaires au Katanga (Ibidem, «Affaires katangaise», Ambassade de France à Léopoldville, 22/01/1962).

Mais il n’est pas inquiété pour autant. Il semble que le gouvernement français laisse certains individus servir sa cause dans la province.Il promet également «que le Capitaine de la Bourdonnaye serait maintenu à Élisabethville pour les recevoir» (CADN, Kinshasa Série 322/PO/1, carton 16 «Affaire katangaise», note du 22 janvier 1962, Ambassade de France à Léopoldville, p 1). Ce Capitaine se trouve effectivement au Katanga dans les rangs de la gendarmerie. Il fait partie des mercenaires recrutés par Roger Trinquier. Il reste au Katanga pendant toute la durée de la session. Le gouvernement français se défend dans une mise au point, le 16 septembre 1961. «Le gouvernement français depuis l’origine de la crise congolaise a toujours préconisé la réintégration pacifique du Katanga dans l’ensemble congolais et souhaité le succès des efforts du gouvernement central congolais pour y parvenir» (Ibidem, «Attitude du Gouvernement français à l’égard du Katanga», op.cit, p 1). Dans le même document, l’ambassadeur reconnait la présence de mercenaires français dans la gendarmerie et cite même des chiffres. Dans le cas Trinquier, lorsqu’il décide de se rendre au Katanga en février 1961, le Premier ministre Pierre Debré le lui interdit et le fait garder par des policiers. Mais, il obtient la levée de cette mesure le 23 février en se plaignant auprès de Pierre Messmer, ministre des armées. Le 27 février, il part pour le Katanga via la Rhodésie.

Le constat que l’on fait, est que le dispositif juridique français n’est pas appliqué dans le cas des recrutements mercenaires pour le Katanga. Il est insuffisant pour venir à bout des mercenaires. Sur la question de l’engagement de mercenaires français au Katanga, le gouvernement français est divisé. Si le ministre des armées donne sa caution à l’action de Trinquier, le ministre des Affaires étrangères préfère la prudence (5). Quant à l’ensemble du gouvernement, il préfère jouer également la carte de la prudence. Et pour cela, bien qu’il donne son feu orange à l’action, il se met à l’abri de toute compromission en cas de pépin. C’est ce qui explique la mise en retraite des candidats pour le Congo. À ce niveau, la complicité est nette. Ainsi, l’implication de la France dans l’action mercenaire au Congo est-elle à considérer sous plusieurs angles. Paris n’a jamais donné un accord formel à aucune action mercenaire. La présence de ces mercenaires français au Katanga joue en faveur de l’influence de Paris dans la province. Au vu de l’accueil réservé par les populations aux mercenaires français, Paris mesure sa cote de popularité et probablement l’occasion d’étendre son influence dans la province. Cette présence mercenaire est un moyen pour les autorités françaises de faire valoir leur savoir-faire militaire au Congo. Mais, leur action se résume simplement à une manipulation des mercenaires français sur le terrain.

Selon M. Maurice Robert, «manipuler»dans le jargon du renseignement «est employé lorsque l’on veut obtenir des renseignements d’une personne bien placée pour les fournir. (…) Il s’agit de recueillir par son intermédiaire des informations qu’elle est en situation de se procurer dans le cadre de ses activités ou auprès de son entourage, dans sa sphère privée ou professionnelle» (André Renault, op. cit. p 161). C’est ce qui se passe au Katanga. Les mercenaires sont plus des pions, des instruments de renseignement pour l’Élysée et souvent à leur propre insu. L’essentielle de l’aide au Katanga passe surtout par la République du Congo (Brazzaville) séparé du Congo ex-belge parle fleuve. Selon, Pellissier Pcité par Romain Pasteger, le Général de Gaulle dans un échange avec le chef du S.D.E.C.E, le général Grossin, aurait dit ceci «Dites Grossin (…) il est bien ce Tshombé, ce Moïse a de la gueule, il faudrait l’aider. Nous le faisons, par l’intermédiaire de l’abbé Fulbert Youlou» répondit Grossin (Pellissier P. cité par Romain Pasteger, op. cit, p 100). Et en vérité, c’est ce qui se passe. L’essentiel des mercenaires et même de toutes actions de la France en faveur du Katanga passe, par Brazzaville (Ibidem, p 100-101).

La capitale du Congo français devient la plaque tournante dès 1961 de toutes actions de la France en faveur du Katanga. Cela démontre que la supposée lutte contre le recrutement de mercenaire français est une action purement destinée à tromper l’opinion internationale. La déchéance de nationalité brandie au moment du recrutement de Trinquier n’est pas employée. Elle ne l’a jamais été, dans aucun des cas signalés de mercenariat. Le gouvernement français dans une large mesure laisse faire. Selon M. Maurice Robert, comme dans le cas de Bob Denardles mercenaires sont des pions importants dans le dispositif de la politique étrangère. Il représente une aubaine pour le dispositif de la politique africaine sinon congolaise de la France. De ce qui précède, on se rend compte que la France tient à son prestige, à son influence et à sa présence en Afrique. Elle ne tient pas à voir cette influence balayée ou mise à mal par les États-Unis encore moins par l’URSS. C’est pourquoi alors même que la Belgique se prépare à accorder son indépendance à sa colonie, Paris fait valoir son droit de préemption datant de 1884 (6). Il faut aussi dire que dans cette lutte de soutien au Katanga sécessionniste, les dirigeants français toujours fiers de l’héritage et de l’influence de la francophonie sont opposés aux desseins anglo-saxons. Le gouvernement français ne tient pas à voir une république katangaise francophone, passer sous l’influence britannique ou américaine.

2.3. Les implications américaines et britanniques

Dans le Congo troublé des années 1960, les États-Unis et la Grande-Bretagne vont laisser leur empreinte. M. Moïse Tshombé dès la proclamation de l’indépendance du Katanga fait une déclaration dans laquelle il demande aux puissances occidentales une aide militaire. Si pour le gouvernement américain, la crise congolaise est un moyen par lequel il prend pied au Congo, ce n’est pas le cas pour l’Angleterre. La couronne britannique est depuis longtemps unie au Katanga à travers l’Union minière du haut Katanga dans laquelle, la Tanganyika concession Ltd est actionnaire (Supra p 38-39). L’intervention britannique ici n’en est pas vraiment une. En fait, la couronne reste intransigeante sur sa position dans le conflit congolais. Dans ses colonnes un quotidien français, donne la position du gouvernement britannique. Selon lui, Londres rejette en effet, la demande d’assistance et «d’aide militaire formulée par M. Moïse Tshombé» («Londres contre la sécession du Katanga; M. Macmillan rejette l’appel à l’aide de M. Tshombé», Le Monde, n, 4813, 12 juillet 1960, p 3). À la Chambre des communes le 12 juillet 1960, le Premier ministre Roy Welensky britannique réitère une fois de plus la position de son pays. «M. Tshombé a été informé que dans le cas étudié, il ne serait pas possible d’envoyer des troupes britanniques à la requête de qui que ce soit, hormis le gouvernement central constitué légalement» (Londres pense que l’ONU doit sauver l’Afrique centrale du Chaos», Le Monde, n° 4814 du 13 juillet 1960, p 2). La Grande-Bretagne est catégoriquement opposée à la sécession de la province cuprifère et désire par la même occasion marquer à son représentant Sir Roy Welensky en Rhodésie du Nord (territoire britannique d’Afrique centrale) son désaccord pour une intervention militaire au Katanga.

Le Premier ministre britannique exerce aussi d’énormes pressions sur le président de la Rhodésie pour empêcher celui-ci d’envoyer des militaires ou d’apporter une quelconque aide à la province du Katanga (Cette injonction n’empêche par la Rhodésie de devenir la plaque tournante du transit et de l’aide mercenaires au Katanga). Pourtant, la Grande-Bretagne est responsable de la politique étrangère de la Rhodésie qui est en fait une de ses possessions d’Afrique centrale. Il est difficile de trouver des traces d’une intervention directe, ou officieuse confirmée de l’implication de Londres dans le développement des activités mercenaires au Katanga. Seulement ce que l’on peut avancer comme un plaidoyer de l’implication de la Grande-Bretagne dans l’activité mercenaire au Congo, c’est le silence de son gouvernement face à l’activité et l’enrôlement de nombreux ressortissants de sa possession dans les rangs de la gendarmerie katangaise. Londres assiste impuissante à l’implication rhodésienne au travers des mercenaires dans le conflit congolais. Mais le pays dispose de plusieurs moyens de pression sur la Rhodésie du Nord pour l’amener à cesser toute aide au Katanga.

C’est ce qui se passe certainement quelque temps plus tard. Quand l’ONU entame de façon concrète, sa lutte contre la sécession, le territoire commence à refouler les mercenaires venus d’Europe. Ses propres nationaux qui sont engagés dans la province congolaise ne renouvellent pas leur contrat à la fin du premier. Il en va de même également pour les États-Unis. Le pays est fortement impliqué dans le problème congolais. Mais quant à son implication ou son soutien à une activité mercenaire au Katanga, cela reste difficile à prouver. Les gouvernements américains qui se sont succédés durant la période du conflit congolais ont tous une ligne de conduite qui ne s’éloigne pas vraiment de celle des Nations Unies. La politique de l’ONU au Congo est fortement marquée et dominée par la position des États-Unis. Le pays bien qu’il a adopté une position conciliante envers Moïse Tshombé, n’a jamais reconnu la sécession. Il l’a soutenu plus dans la cadre de la guerre froide et non dans le désir de voir s’installer une «république du Katanga». Washington n’est pas en ce temps là pour une balkanisation du Congo et donc est opposée à la sécession du Katanga.

Les richesses minières du Congo sont en grande partie la cause de toutes ces aides. La diversité des richesses attise les convoitises du monde occidental. Les pays du monde occidental sont trop conscients de l’importance de ces richesses. Chaque clan cherche à s’accaparer les richesses et à s’imposer dans le pays comme soutien principal. Ce que l’on remarque ici c’est que les pays qui interviennent au Katanga ont tous un objectif commun : Celui de faire main basse sur les ressources du sous-sol et d’influencer économiquement et politiquement le Congo. Si les approches sont différentes, l’utilisation des mercenaires pour arriver à leurs fins reste le meilleur moyen.

Notes et références :

(1) Pour avoir une idée des interactions politico-militaires belges au Congo, il faut se référer au document très intéressant de Romain Pasteger, op.cit. Ce document explique les intrigues et les connexions entre le Katanga et le gouvernement belge, et ce même avec les changements de gouvernement intervenu en mars 1961 en Belgique.

(2) Bruxelles voit dans le recrutement de mercenaires français, une ingérence de la France dans les affaires de la Belgique. La mission du colonel français Roger Trinquier échoua à cause de cette rivalité entre ces deux pays. Bruxelles par le biais de son ministre des Affaires étrangères fait savoir au gouvernement français son mécontentement tout en précisant que la Belgique ne se mêle pas des affaires de la France dans ses colonies ou ses anciennes possessions. L’État-major belge au Katanga posa de tout son poids pour que Roger Trinquier ne soit pas gardé au service de la province. Ses amis qui y sont acceptés doivent se contenter d’un poste moins prestigieux et de salaire en dessous de ce qui est écrit dans leur contrat.

(2) En décembre 1960, les partisans de Patrice Lumumba rallient la province orientale après leur éviction du gouvernement. Ils y créent une République populaire du Congo. Nous en parlons pas, car cette sécession ne fit pas long feu et les mercenaires sont absolument absents de cette province ainsi que les conflits armés.

(4) «Sera puni d’un emprisonnement de un à cinq ans et d’une amende de 3.000 F à 40.000 F quiconque, en temps de paix, enrôlera des soldats pour le compte d’une puissance étrangère, en territoire français», consulté le 27/08/2020.

(5) Le recrutement de Roger Trinquier par le gouvernement Katangais est à l’origine de nombreuses tensions entre le gouvernement français et celui de la Belgique d’une part et entre l’État-major belge de la gendarmerie et le gouvernement Katangais, mais aussi met au grand jour les manipulations de divers genres et le jeu sinon, la lutte d’influence qui se jouent sous le paravent de l’action des mercenaires et du conflit au Katanga. Pour une meilleure compréhension lire l’ouvrage de Romain Pasteger, op. cit, p 100-118.

(6) La France bénéficie, depuis 1884, d’un droit de préemption sur l’État indépendant du Congo de Léopold II. Oublié par les juristes du Quai d’Orsay depuis 1911, ce droit stipule qu’en cas d’échec de la colonisation belge au Congo, ce territoire devra échoir en priorité à la France. Réclamé en février 1960, il sera à l’origine d’un incident entre Paris et Bruxelles. Lire à ce sujet, Vincent Genin, «La réclamation du droit de préemption de la France sur le Congo belge au printemps 1960», Revue d’histoire diplomatique, 127ème année, N°1, 2013, p 23.

Source :

Roseline Amenan KOUAME, “Les mercenaires dans les guerres civiles en Afrique, le cas duCongo-Zaïre 1960-1997”, Thèse présentée et soutenue à l’Université de Nantes le 07 décembre 2020Unité de recherche : CRHIA.

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