La deuxième guerre du Congo et ses acteurs : chronique d’une lutte sans merci

Les clivages idéologiques de la guerre froide finis, la guerre contre la République Démocratique du Congo, déclenchée le 02 août 1998, a bouleversé le système d’alliances en Afrique, provoquant des antagonismes et des alliances inattendues. Le pays sera à jamais marqué de ce conflit : mort de plus de 4 millions de ses filles et fils, viols, massacres, déportations et pillages. Terminée sous sa phase chaude officiellement en 2004, cette lutte pour le contrôle des richesses du Congo et de son territoire continue sous une autre forme, sournoisement, de groupes armés en groupes armés, par procuration. Dans cet article, nous revenons sur les premiers acteurs qui ont été impliqués dans cette guerre.


Introduction

Déçu par leur poulain, Laurent-Désiré Kabila, auquel ils ont confié la succession de Mobutu quinze mois plus tôt, le Rwanda et l’Ouganda entrent en guerre contre Kinshasa le 02 août 1998. En l’espace de quelques semaines s’organisent sur le plus vaste terrain d’opérations milliaires qu’ait jamais connu le continent africain, deux coalitions se disputant le contrôle de l’ex-Zaire.

Les alliés de Kinshasa

Les Forces armées congolaises (FAC), appuyées par des milices Hutu Rwandaises et des guerriers mai-mai, reçoivent le soutien officiel de l’Angola, de la Namibie, du Tchad (jusqu’en juin 1999) et du Zimbabwe. La Libye et le Soudan font figure d’alliés officieux. Dans le camp d’en face, trois groupes rebelles se partagent le terrain repris aux forces de Kabila. Ils sont parrainés par Kampala, et Kigali dont les troupes interviennent directement sur le territoire congolais, le Burundi y poursuivant, pour sa part, les extrémistes Hutus des Forces de défense de la démocratie (FDD). Les marchands d’armes voient s’ouvrir des nouveaux et fructueux marchés. De multiples contrats sont négociés. En dépit de la confidentialité qui entoure ce genre de transactions, Georges Berghezan et Félix Nkundabagenzi, deux experts du Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité (GRIP), une organisation belge indépendante, ont tenter de dresser l’inventaire. Les résultats de leurs recherches ont été publiés au mois d’octobre à Bruxelles.

Kinshasa n’a jamais manqué de bonnes âmes pour lui livrer du matériel nécessaire aux opérations militaires. Toutefois, Laurent-Désiré Kabila a trouvé en Robert Mugabe l’allié idéal. Les deux chefs d’État entretiennent des liens d’amitié qui ont conduit le président zimbabwéen à fournir à Kinshasa un soutien déterminant en troupes et en armes. Cout de l’opération : 3 millions de dollars par mois, déclare officiellement Harare (voir J.A No 2022), la RDC devant assumer le gros de ces dépenses. Un chiffre que nombre d’observateurs affirment inférieur à la réalité.

Autre allié, autre fournisseur … La Namibie, qui dément officiellement l’information, aurait expédié 21 tonnes d’armes vers la mi-août 1998 depuis la base militaire de Grootfontein à destination de Lubumbashi, grâce au concours de deux appareils angolais. Le rapport du GRIP fait également mention de la livraison aux FAC de neufs hélicoptères armés d’origine indéterminée ainsi que de vedettes dotées de mitrailleuses. En outre, plusieurs tonnes d’armes fournies par la Libye auraient été transportées par des Illiouchine ayant transité par la base d’Abéché, au Tchad. Hormis le renfort apporté par les divers contingents alliés dépêchés en RDC, d’autres concours plus ou moins conjoncturels ont été relevés. Ainsi, des mercenaires de la firme sud-africaine Executive Outcomes ont très certainement contribué, avec les troupes angolaises, à la reprise du barrage d’Inga tenu par un commando rwandais, en aout 1998. Au même moment, des soldats blancs francophones et des dizaines de sud-africains ont été vu à Lubumbashi. Parallèlement, les FAC «semblent avoir recruté, équipé et entrainé des anciens membres des Forces Armées Rwandaises (FAR) et divers miliciens hutu rwandais», notamment les fameux Interahamwe. Enfin, le pentagone a noté récemment la présence de centaines de conseillers militaires nord-coréens au Katanga.

Du coté des alliés de Kinshasa, l’approvisionnement en armes ne pose aucune difficulté. Le Zimbabwe fait partie des rares pays africains à disposer d’une industrie d’armement. La firme Zimbabwe Defense Industries (ZDI), qui produit notamment des munitions et des mines terrestres, serait à la recherche d’investisseurs. «C’est à cette fin que la pop star Michael Jackson a visité le pays en novembre 1998. Il a notamment été reçus par les hauts responsables des ministres des affaires étrangères et de la défense», précise le rapport du GRIP. Cette activité manufacturière n’empêche pas le pays de poursuivre ses importations. On parle notamment de l’achat de dix hélicoptères à la Russie. Cette acquisition, évaluée à 25 millions de dollars, serait cofinancée par la RDC. Des pilotes seraient partis suivre une formation à Moscou.

Fin 1998, ce sont une douzaine d’avions de combat F7 qui auraient été achetés à la Chine pour un montant de 100 millions de dollars. L’Afrique du Sud figure également sur la liste des fournisseurs d’Harare. Luanda pour sa part consacrera près du tiers de son budget 1999 à sa défense. Les forces armées angolaises ont été massivement équipées au cours de trois dernières années grâce à la rente pétrolière (Voir JA No 2022). Avions de chasse et chars d’assaut d’organe russe, pièces d’artillerie de gros calibre importé du Biélorussie, hélicoptères de combat du Kazakistan, … les FAA ne manquent pas de moyens. Les stocks d’armes détenus en Angola après 25 ans de guerre civile et les multiples filières d’approvisionnement qui alimentent le pays en font certainement la mieux armées de puissances impliquées au coté de Kinshasa.

La coalition contre le Congo

Animée par Kigali et Kampala, elle dispose d’une logistique et d’une expertise militaire pour le moins éprouvées. Le Rwanda, officiellement, poursuit comme objectif l’éradication des opposants Hutus (ex-FAR fidèle au régime d’Habyarimana et miliciens extrémistes Interahamwe), repliés en RDC. Pour sa part, le président ougandais Yoweri MUSEVENI dit chercher à combatre au moins 4 mouvements hostiles à son régime. Amnesty International évoque en septembre 1998 un véritable ballet aérien à destination du Kivu, l’aéroport de Goma recevant chaque jour une vingtaine d’appareils son identifiés qui déchargent des troupes ougandaises et rwandaises, mais aussi des blindés et des armes lourdes.

Quelques mois plus tard, après la chute de Kisangani, c’est cette ville qui sera ainsi ravitaillée durant les trois premières semaines de janvier 1999. Environ 1800 tonnes de matériel, dont des chars T-55, auraient été expédiées d’Ouganda à bord de gros-porteurs. «Ces mêmes appareils auraient également parachutés des armes légères et des munitions au Kasai, au nord de Mbuji-Mayi et près de Kaliémie». Un stock de 315 tonnes d’armes légères, explosifs et munitions commandé par Kinshasa à la Chine semble avoir été détourné au profits des «rebelles». Arrivé à Dar es-Salaam, à bord d’un d’un cargo de la compagnie Ocean Shipping Line, le fret aurait transité par l’Ouganda pour être finalement livré à Goma. Autre source d’approvisionnement importante pour les fronts d’agression : les prises de guerre. Lors de la conquête de Gbadolite par le Mouvement de Libération du Congo (MLC) au mois de juillet, le leader du mouvement Jean-Pierre Bemba déclara y avoir saisi d’importants stocks d’armes et de munitions. Idem pour le RCD : lors de la chute de Kindu, Bizima Karaha, l’un des chefs de fil de la rébellion-agression de Goma, indiquera que ses troupes ont mis la main sur un «dépot d’armes extraordinaire». Selon lui, le stock comprenait notamment des orgues de Staline, des missiles balistiques sol-air, des fusées katiouchia, des canons à longue portée et des lances grenades.

Il n’en demeure pas moins que la majorité des armes viennent de Kigali et de Kampala. Mais, qui les parraine à leur tour? Huit firmes sud-africaines, dont Armscor, fournissent la majorité de l’armement au Rwanda. L’armée patriotique rwandaise (APR) a bénéficié, au moins jusqu’en 1998, du soutien de militaires américains pour son entrainement. Depuis le début de l’année 1999, le pays tente de se doter d’une force aérienne offensive, notamment en achetant des Mig 21, ainsi que d’autres appareils, en Europe de l’Est. Des pilotes et des mécaniciens rwandais reçoivent une formation en Israël. Tout comme l’armée ougandaise, l’APR semble également dotée d’hélicoptères russes Mi-24 destinés à la lutte anti-insurrection. Enfin, toujours dans ce domaine, «Kigali a conclu en juin 1999 un contrat avec la firme américanise Northrop Grumman Corporation portant sur la fourniture d’un radar de surveillance aérienne ARSR-70 et des installations associées», précise de GRIP.

L’équipement de l’armée ougandaise est assuré en premier lieu par les trois usines implantées son territoire national. Il s’agit d’Ottoman Engineering Ltd, société indépendante, de Saracen, appartenant au trust Strategic Ressources Corporation (lui-même lié à Executive Outcomes), et de Nakasongola Army Factory, contrôlée par des intérêts chinois. Cette dernière, qui produit des munitions et des mines terrestres depuis 3 ans, se lancerait dans la fabrication d’armes légères «grâce à une assistance chinoise et nord-coréenne», souligne le GRIP. Une autre firme locale serait également chargée de la production et de la réparation de pièces de rechange pour la soixantaine de chars T-55 d’occasion importés d’Ukraine à la fin de l’année 1998.

Quant au débarquement dans le port tanzanien de Dar es-Salaam, la majorité des armes livrées prend la direction de Kampala, une autre va vers Kigali ou vers les zones tenues par les «rébellions» parrainées par ces deux capitales. En outre, le bloc tutsi (Rwanda, Ouganda, RCD-Goma) aurait reçu plusieurs transports blindés fabriqués en Afrique du Sud. Le contrat aurait été conclu par l’intermédiaire d’un réseau contrôlé par d’anciens membres de l’armée sud-africaine et d’extrémistes de droite.

Le comportement conciliant des grandes puissances anglo-saxonnes à l’égard de ces achats peut paraitre surprenant. Explication de Georges Berghezan et Félix Nkundabagenzi, «Selon certaines analystes, le financement et les achats massifs d’armement par Kigali et Kampala (….) ne peut s’expliquer que par un “OK venu d’ailleurs”. Par réseaux occultes interposés, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne approvisionnaient leurs «poulains» en puisant notamment dans les surplus des anciens pays communistes. A l’appui de cette thèse, retenons les informations selon lesquelles la tentative de la «rébellion» et de l’armée rwandaise pour s’emparer du Bas-Congo et de Kinshasa en aout 1998 aurait été assistée par deux navires américains croisant au large la RDC».

Références

  1. “La guerre du Congo-Kinshasa. Analyse d’un conflit et tranferts d’armes vers Afrique centrale”, de Georges Berghezan et Félix Nkundabagenzi, édité par le Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité (GRIP), Bruxelles, octobre 1999, 56 pp).

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