Accord de Lusaka et de ses pièges : les plans américains pour la division et la mise sous tutelle du Congo

Les «rebelles» et le gouvernement se sont rencontrés à Lusaka pour conclure un accord de cessez-le-feu le 10 juillet 1999 (comme par la suite, le Congo trahi, violé et volé, on appela dialogue intercongolais la discussion entre ses agresseurs, les criminels et les violeurs, on appela accord de paix entre congolais un accord où occidentaux, Kagame et Museveni dictaient les règles, on humilia notre pays pour mieux le piller). L’accord a confirmé la partition de facto de la RDC en trois parties : la zone contrôlée par le RCD/Rwanda, la zone MLC/Ouganda et la zone gouvernement/Angola/Zimbabwe. Il a également mis l’accent sur le déploiement des forces de l’ONU, la neutralisation des «forces négatives», telles que les rebelles rwandais et burundais opérant à partir du Congo, et le retrait des troupes étrangères. En outre, il a appelé à une solution politique à travers le Dialogue Inter-Congolais (Dialogue Inter-Congolais ou DIC) visant à régler les modalités de la transition vers un gouvernement démocratique et à la restauration de l’autorité de l’État sur l’ensemble du territoire congolais.

Avant les négociations de Lusaka, Kabila a fixé des principes de conduite clairs. Une déclaration gouvernementale du 24 juin affirme qu’un accord doit être basé sur la résolution 1234 de l’ONU, sur le retrait des «forces non-invitées» du territoire national et sur leur engagement de ne plus s’immiscer dans les affaires intérieures du Congo(Déclaration gouvernemental par Didier Mumengi, jeudi 24 juin 1999). Kabila estime que la force d’interposition aura uniquement deux objectifs précis: vérifier le retrait effectif des forces d’agression et assurer la sécurité des frontières du Rwanda et de l’Ouganda. Le ministre Mwenze Kongolo dit par ailleurs que l’accord de cessez-le-feu doit s’occuper uniquement du retrait des forces étrangères et ne pas aborder d’autres sujets.

Il ne doit pas traiter des questions de la démocratie et du débat national au Congo, sinon il faudrait aborder le même chapitre pour ce qui concerne le Rwanda. Et à ce propos on connaît aussi l’opinion de Kabila : seule la démocratisation de ces pays pourra instaurer dans la région des Grands Lacs la sécurité, la stabilité et la paix (Tempête des Tropiques, 25.06.99). Le gouvernement congolais refuse que les rebelles signent l’accord de cessez-le-feu parce qu’ils ne sont pas un Etat souverain (IRIN-CEA 30 june 1999 n° 704). La guerre oppose essentiellement trois Etats agresseurs au Congo et à ses Alliés. Le gouvernement s’oppose également à ce que les rebelles puissent, après l’arrêt des troupes sur le terrain, administrer les provinces actuellement sous occupation (IRIN-CEA 29 June 1999, n°703). Kinshasa refuse l’intégration des armées rebelles parce qu’elle placerait des traîtres à la patrie sur un pied d’égalité avec ceux qui se sont sacrifiés pour défendre l’indépendance (Donald G. McNeil jr. Johannesburg, 30.06.99).

Ces principes pourront être valablement défendus à la table des négociations, parce que tout le peuple Congolais continue à se mobiliser contre les agresseurs. Didier Mumengi a mis l’accent sur la nécessité d’approfondir ce mouvement de masse. «Nous devons nous mobiliser encore davantage à l’exemple des combattants Maï Maï. Dans les écoles, dans les champs et les usines, un seul mot d’ordre doit nous animer : l’ennemi ne passera pas. Les difficultés actuelles, dues à l’agression, ne doivent pas entamer notre moral et nous faire perdre de vue l’obligation sacrée de combattre avec détermination l’ennemi qui a envahi notre territoire.. Le Congo appartient aux Congolais. Tout Congolais doit s’engager personnellement et quotidiennement dans ce combat que nous devons gagner et que nous gagnerons parce que notre cause est juste» (Mumengi. Déclaration 28.06 dans Tempêtes des Tropiques, 29.06.99). «Le Congo prendra le temps pour une guerre longue, populaire et sacrée. Le peuple congolais le sait. Il est majeur. Il a compris : les sacrifices, les souffrances, les difficultés sont souvent le prix à payer pour être un peuple grand, digne et respecté. (Déclaration gouvernemental par Didier Mumengi, jeudi 24 juin 1999). La situation militaire et politique la veille de Lusaka.

Lusambo a été pris vers le 15 juin par les militaires rwandais. Les pertes parmi les soldats zimbabwéens et namibiens auraient été très importants. Des centaines de Zimbabwéens seraient toujours dispersés dans la brousse autour de la ville (Mail and Guardian, Johannesburg, Ivor Powell, 25.06.99). Les Rwandais avaient ensuite décréter un « cessez-le-feu unilatéral». Clinton les a immédiatement félicité et il a appelé Kabila à réagir positivement à ce fait nouveau. Mais on sait que chaque geste de «paix» de la part du régime rwandais sert à masquer les préparatifs d’une offensive à venir. Le colonel zimbabwéen Chancellor Diye a accusé le Rwanda d’avoir décrété un soi-disant «cessez-le-feu unilatéral» dans le seul but de cacher qu’au même moment il déployait 7.000 troupes supplémentaires sur le front de Mbuji-Mayi (NCN francophone 28 juin 1999). Puis Pierre Bigras rapporta le 23 juin qu’à Kigali le trafic des avions gros-porteurs en direction du sud-est du Congo «s’est intensifié de manière dramatique». Bigras résume la situation militaire et politique en deux phrases : «La rébellion espère donner le coup de grâce qui forcera Kabila à s’asseoir sans conditions avec les rebelles». «Ce n’est qu’après une défaite cuisante de l’une ou l’autre parties en présence que l’on ira négocier en position de force avec l’adversaire» (NCN-francophone, 23 juin 99).

Mugabe a dit à propos des négociations pour le cessez-le-feu qui devait commencé le 26 juin: «Le plus important pour nous est de renforcer nos forces de défense, de renforcer nos lignes défensives et d’empêcher que plus de terrain soit pris et occupé par les forces d’invasion». «Nous observons si le mouvement sur le terrain justifie une certain confiance de notre part, ou si nous sommes poussés de façon trompeuse dans des pourparlers de cessez-le-feu, alors que sur le terrain les faits montrent le contraire» (BBC, 27.02.1999 11:42 ; Reuters, Harare, Stella Mapenzauswa, 23.06.1999). La conclusion s’imposait. Le 25 juin, un journal sud-africain rapporte que le Zimbabwe aurait envoyé un nouveau contingent de 9.000 hommes pour renforcer la défense de Mbuji Mayi. L’Angola a dépêché trois bataillons de troupes d’élite, au total 1.000 hommes (NCN, 25.06.1999 16 :14 GMT citant Mail and Guardian). Du 24 au 26, de violents affrontements ont eu lieu à Kabinda, Mutoto et Dimbelenge. Les Forces Armées Congolaises déclarent que 240 agresseurs rwandais ont été tués dans ces batailles. Mwenze Kongolo dit que l’ennemi n’a pas réussi à gagner du terrain (NCN francophone 28 juin 1999). Le 28 juin, Mumengi affirme qu’à Kabinda, Lubao, Tshofa, Mpenge et Kamana la guerre fait rage et que les agresseurs utilisent la population civile comme bouclier humain. Des Congolais sont placés en première ligne comme chair à canon. Les femmes congolaises sont contraintes à porter armes et munitions. Des enfants sont pris comme auxiliaires des Rwandais (Mumengi. Déclaration 28.06 dans Tempêtes des Tropiques, 29.06.1999).

Pouvait-on estimer qu’il s’agissait d’un dernier effort des Rwandais pour arriver dans une position de force à la table de négociation? Non, ce n’est pas pour un objectif aussi limité que le Rwanda peut acheminer 7.000 troupes fraîches et des avions cargos pleins d’armes lourdes sur le front de Mbuji Mayi. Ce n’est pour un baroud d’honneur devant une ville de diamants qu’on sait hors d’atteinte. C’est réellement pour prendre Mbuyi Maji. Mais alors les «négociations pour un cessez-le-feu» apparaissent comme une drogue destinée à paralyser l’adversaire. Si Mbuji-Mayi tombe, l’armée rwandaise montera vers Kinshasa et exigera la capitulation pure et simple de Kabila. Les préparatifs du sommet de Lusaka, prévu pour les 26-27 juin, se faisaient donc dans un climattendu. L’affaire était mal entamée. L’impasse était si totale, que le ministre des affaires étrangères de la Zambie, pays hôte des négociateurs, déclara la veille de l’ouverture que «le sommet devrait logiquement être repoussé» (AFP, Lusaka, 25.06.1999). Le 25 juin encore, Rwandais et rebelles affichent presque ouvertement leur dédain pour ce n-ième sommet. Mazimhaka, ministre à la Présidence, affiche sa volonté de saboter les négociations : «Nous ne sommes pas à 100 % surs que Kabila veut faire un arrangement avec les rebelles et nous ne sommes pas sûrs qu’ils ont le courage de faire avec les Interahamwe et les ex-Far ce que nous voulons que soit fait. Il n’y aura certainement pas un accord signé en si peu de temps, il y a encore beaucoup de travail à faire» (Reuters, Kigali, Todd Pitman, 25.06.1999).

Et avec perfidie, Nyarugabo, le vice-président du RCD, déclare : «Nous nous apprêtons à négocier, mais Mugabe envoie encore 3.000 soldats au Congo. Pensez- vous que ce genre de personnes sont prêtes à négocier ? Nous, nous croyons en Lusaka. Mais vous savez que Kabila n’y croit pas.» (Reuters, Kigali, 25.06.1999). Le chef rebelle Nyarugabo se présente comme une colombe qui ne rêve que de négociations, tandis que l’abominable Kabila veut la guerre. C’est dans ce climat que le lundi 28 juin commencent les négociations à Lusaka. Elles débutent par un coup de théâtre. Le projet d’accord de paix soumis est fait sur mesure des rebelles. Il a apparemment été élaboré par la Zambie en étroite coopération avec l’Afrique du Sud. Bizima Karaha, le chef des services secrets de la rébellion, très méfiant il y a deux jours, est enchanté : «Le pacte est acceptable. Ca peut marcher. Nous voulons trouver une solution aujourd’hui» (Reuters, Lusaka, Manoah Esipisu, 28 juin 99). Yerodia, en revanche, est perplexe : «Tout le processus de paix a déraillé. On est retourné en arrière pour des raisons qui ne nous sont pas claires» (The Post of Zambia, Goodson Machona, 28.06.1999). Le 29 juin, le scepticisme sur la possibilité d’un accord est général. Un expert dit : « L’impression est qu’on va vers la panne. On n’en sortira pas» IRIN-CEA 29 juin 1999 n°703). Le 2 juillet encore, un responsable gouvernemental de Pretoria affirme : «même les négociateurs sud-africains ne croient pas qu’un réel progrès sortira des pourparlers. Même si quelque chose est signée, personne ne croit que cela sera honoré avec la guerre qui fait rage en parallèle» (Mail and Guardian, July,2,1999, Johannesburg, Ivor Powell).

A Lusaka, l’Occident a ses “conseillers” qui tournent autour des conférenciers. Pour les puissances impérialistes, l’accord de cessez-le-feu doit permettre de réaliser le but pour lequel elles ont organisé la nouvelle agression contre le Congo : liquider Kabila et le gouvernement nationaliste. «Si le gouvernement laisse encore traîner ce cessez-le-feu, il n’y aura plus grand-chose à négocier», dit un diplomate le jour où les négociations débutent (Financial Times, 28 June 1999). Dans les milieux diplomatiques de Kinshasa circule un point de vue largement partagé : «Kabila est foutu maintenant. A Lusaka, nous l’aurons sur deux points. Le retrait simultané de troupes étrangères et l’intervention d’une force d’interposition». A la question: «Elles interviendront aux frontières ou sur la ligne des fronts?», ils répondent : «Le plus important, c’est qu’il y aura des unités à Kinshasa». Ce qui suscite bien entendu l’étonnement: «Mais pourquoi? Il n’y a pas de guerre à Kin…». La réponse: «Une autre décision importante est de mettre en place un gouvernement d’unité nationale. Dans ce but, certains hommes politiques vont retourner à Kinshasa dont nous craignons que la population va s’attaquer violemment à eux. Ces personnalités doivent être protégées par une force armée à Kinshasa même».

Et alors, coup de surprise, le vendredi 2 juillet, après 6 heures de négociations, Yerodia et Karaha annoncent qu’ils ont réalisé un accord ! Le ministre congolais se dit «très satisfait». Pour Karaga l’accord est également «un grand pas en avant» ! Karaha donne ses raisons. «Une nouvelle armée nationale sera créée à partir des trois forces rebelles et de troupes gouvernementales». «Le territoire sous contrôle rebelle sera retourné au gouvernement après la création de l’armée nouvelle». «Les rebelles et le gouvernement ont aussi décidé d’organiser un “dialogue national” sur la situation politique du pays. Les rebelles garderont le contrôle sur leurs zones à l’Est du Congo jusqu’après la clôture du débat national» (Reuters, Lusaka, Buchizya Mseteka, 02.07.99). Au même moment, les agresseurs lancent une nouvelle attaque de grande envergure contre Kabinda ; elles auraient aussi l’intention d’attaquer Dimbelenge, avançant ainsi dans un mouvement de pinces sur Mbuji Mayi. Le soir, les FAC affirment qu’elles ont repoussé les attaquants jusqu’à 20 km de Kabinda suite à des combats d’une rare violence (La Référence Plus , 02.07.99 ; Reuters, Lusaka, Buchizya Mseteka, 30.06.99). Des ministres congolais, ayant pris connaissance des accords signés, laissent échapper des commentaires désabusés : «Yerodia a trahi… ». Beaucoup des nationalistes à Kinshasa ne comprennent plus rien. Ils se posent la question : comment Kabila peut-il signer des accords qui contredisent tous les principes que le gouvernement affirmait avec force la veille?

En fait, les Accords présentés à Lusaka sont un piège pour Kabila. Nous savons que les Rwandais ont amené beaucoup de troupes fraîches et d’armes lourdes devant Mbuji Mayi. Si Kabila refuse de signer au moment où un nombre croissant d’Etats africains veulent à tout prix la fin de la guerre, les Rwandais affirmeront que c’est bien la preuve qu’il ne veut la paix, alors qu’eux sont prêts à signer et à restaurer la paix. Les Américains donneront alors donné le feu vert pour l’attaque finale sur Mbuyi-Maji. Les agresseurs rwandais et ougandais sont toujours déterminés à continuer la guerre jusqu’à la prise de Kinshasa. C’est leur seule chance pour imposer à Kinshasa un gouvernement qui soit à leur service. Mais maintenant que Kabila a signé des accords qui sont, en fait, humiliants et inacceptable pour le peuple congolais, ceux qui voulaient «rouler» Kabila sont tombés dans leur propre piège. Il leur sera très difficile de lancer de nouvelles grandes offensives, sans voir se dresser contre eux tous les présidents africains …. Le temps pourrait donc jouer en faveur du Congo.

Mais de quoi cet accord était-il le nom?

Aujourd’hui, c’est l’existence même du Congo qui est en jeu. Ceci n’est pas une formule criarde pour semer inutilement la panique. C’est l’âpre réalité que le peuple congolais doit regarder en face. Ce sont les Américains qui ont lancé leurs alliés, l’Ouganda et le Rwanda, dans une guerre destructive contre le Congo. Le but était d’affaiblir encore plus un Etat qui, à la fin de Mobutu, n’existait presque plus. Des morceaux du territoire congolais sont maintenant sous le contrôle du Rwanda et d’autres de l’Ouganda, les territoires occupés sont divisés entre les rebelles de Bemba, ceux dirigés par Ilunga et de ceux qui suivent Wamba. En plus, les Américains veulent imposer les rebelles au sein des Forces Armées Congolaises pour faire éclater l’armée nationale.

La somalisation se met déjà en place. Ce n’est pas un hasard, c’est le résultat d’une politique conçue et voulue par Washington. A ce propos il existe un texte crucial qui a été discuté dans une commission du Sénat américain. Il faudrait que la RTNC le diffusent à maintes reprises, jusqu’à ce que chaque Congolais en connaisse le contenu par cœur. Ce texte dit en essence ceci. Il n’y a plus d’Etat au Congo, il y a un vide du pouvoir. C’est normal que d’autres pays y interviennent militairement. Quand l’Etat n’existe plus, les principes de l’indépendance et de la souveraineté ne s’appliquent plus. Kabila doit discuter avec toutes les oppositions pour remettre l’Etat sur pieds ou pour décider de la division du pays. Les Etats-Unis pourraient intervenir militairement pour retracer les frontières de l’Afrique et créer de nouvelles entités politiques. Mais ce serait coûteux. Il est mieux de laisser les guerres civiles africaines se développer et de permettre que certains pays africains, en l’occurrence le Rwanda et l’Ouganda, interviennent militairement dans d’autres pays, et plus particulièrement au Congo. Ainsi, les Africains eux-mêmes diviseront le Congo et l’Afrique centrale atteindra une nouvelle stabilité.

Voici textuellement la déclaration qu’on peut appeler criminelle de madame Marina Ottaway, co-directeur du Projet «Démocratie et Etat de Droit». Il s’agit de son témoignage devant la sub-commission de l’Afrique du Sénat américain, le 8 juin 1999. «Aussi longtemps que le vide du pouvoir continue au Congo, d’autres pays vont continuer à intervenir directement ou pour soutenir des insurrections armées pour sauvegarder leurs propres intérêts. … La clé, c’est la restauration d’un Etat au Congo. Cela n’arrivera pas avant que Kabila négocie avec les rebelles, les partis politiques et la société civile pour réaliser un accord comment on pourra éventuellement remettre le Congo sur pieds ou comment, si nécessaire, il peut être divisé. … Les Etats-Unis et d’autres acteurs non africains sont placés devant un choix important lorsqu’ils doivent traiter des conflits en Afrique centrale, notamment s’il faut intervenir massivement ou ne pas intervenir du tout. Beaucoup d’Etats qui ont émergé de la période coloniale ont cessé d’exister en fait, et les règles de l’OUA ne peuvent être appliquées à des Etats qui n’existent plus. Toute solution imposée par des non-Africains exigera une présence étrangère massive pour être appliquée. Les intentions peuvent être très louables, mais des interventions pour une partition du territoire africain et pour la création de nouvelles entités politiques et institutions, placeraient les Etats-Unis et d’autres puissances étrangères dans un rôle colonial. Ce qui n’est pas une décision à prendre à la légère. L’alternative, que je crois être plus appropriée pour le moment, est de laisser les pays africains trouver leurs propres solutions. Inévitablement, cela comprendra une continuation des combats internes et entre Etats et probablement la division de certains pays avant d’arriver à une nouvelle stabilité. Ce n’est pas une prospective réjouissante, mais il n’y a pas d’alternatives réalistes».

D’abord, le lecteur aura remarqué que les Américains peuvent «décréter» de la façon la plus arbitraire que dans tel ou tel pays, il «n’existe plus d’Etat» et qu’il y a un «vide de pouvoir». Et l’avoir «décrété» suffit pour justifier les agressions de pays voisins ou les insurrections que les Américains provoquent. Puisque, voyons- vous, lorsque les Américains «décrètent» que l’État congolais n’existe plus, et les règles de l’OUA ne sont plus d’application ! Tous les Congolais savent parfaitement qu’après la liquidation de l’Etat du temps de Mobutu, Kabila avait justement commencé à remettre l’Etat sur pied. Ce sont les progrès de cette reconstruction qui ont incité les Américains à «casser» le gouvernement nationaliste par la guerre, avant qu’il ne devienne trop fort. Marina Ottaway estime que le Débat nationale que les Américains veulent patronner, peut discuter deux options valables : remettre l’État congolais sur pieds ou le diviser. La division du Congo est désormais une option sérieuse et envisageable pour les Américains.

Les Américains évaluent la possibilité d’intervenir militairement et massivement au Congo «pour une nouvelle partition du territoire et pour la création de nouveaux Etats» ! Mais ils avouent que cela pourrait leur coûter cher, puisqu’ils verront probablement toute l’Afrique se dresser contre eux. Heureusement, l’impérialisme américain a une «alternative réaliste» qui peut également conduire à la division du Congo. Cette alternative est «plus appropriée» du moins «pour le moment» ! Cette alternative, c’est de laisser les armées ougandaise et rwandaise ainsi que leurs rebelles continuer leur guerre contre le Congo jusqu’à ce que le Congo soit complètement épuisé et exsangue. Le pays se laissera alors diviser par manque de forces. Les Congolais seront tellement meurtris et abattus, qu’ils résigneront à la partition de leur pays. Ainsi s’installera une «nouvelle stabilité» basée sur l’épuisement des populations congolaises. Les champions américains des « droits de l’homme » envisagent donc sans états d’âme de longues guerres au Congo, guerres qui vont sans doute coûter des centaines de milliers de vies congolais, des soldats tombés à la guerre, des villageois massacrés, des enfants décédés par la malnutrition, des hommes et des femmes fauchés par la misère et les maladies… Pour installer leurs domination sur le Congo, les « démocrates » américains sont prêts à marcher sur des tas de cadavres africains.

Ce document ahurissant se place dans toute une série de textes et d’études américains qui vont dans le même sens. Nous en citerons un qui provient de l’armée américaine et qui date du temps de Mobutu, du 5 juin 1996. L’auteur, Steven Metz, est professeur au U.S. Army War College. Il a enseigné à l’Académie de l’état-major de l’armée américaine. Il publia une étude approfondie de la situation du Zaïre en 1996 pour évaluer les types d’intervention qui peuvent être demandé à l’armée américaine. A propos de la division éventuelle du Congo, il écrit ceci: «Certains observateurs estiment que le Zaïre n’existe plus longtemps en tant que nation – le Kivu a dirigé l’essentiel de son économie vers l’Est de l’Afrique ; le Kasaï oriental refuse d’accepter la monnaie nationale ; le Shaba a été décrit comme une extension virtuelle de l’Afrique du Sud. La possibilité existe qu’une telle désintégration de fait, se transforme en sécession formelle. Les Etats-Unis n’auraient pratiquement pas d’autre choix que d’accepter tous les Etats nouveaux qui émergeraient du Zaïre, ils pourraient offrir du soutien diplomatique pour réduire au minimum la violence qui accompagnerait cette désintégration nationale et ils devraient ouvrir des canaux de communication avec les nouveaux Etats».

Notons pour terminer que l’impérialisme américain garde toujours ouvert plusieurs options et que celle de la division du Congo n’est pas nécessairement l’Evangile des Pentecôtistes. En fait, l’option préférée des Américains reste celle d’un Congo uni, mais placé fermement aux mains de forces politiques pro-impérialistes. Devant la «menace» de voir émerger un Congo nationaliste possédant une industrie nationale forte et entraînant la région sur la voie de la lutte anti-impérialiste et du développement autocentré, ils pourraient finalement choisir la division. A condition, bien sûr, qu’ils trouvent suffisamment de politiciens qui veulent les suivre et qui sont capables d’entrainer des masses significatives derrière eux….

Les grands pièges de l’Accords de Lusaka

Le texte des accords de Lusaka contient de nombreux pièges dangereux pour le mouvement nationaliste congolais. Analyser froidement les pièges possibles, ce n’est pas céder à la panique. Au contraire, prendre conscience des pièges doit servir à définir des tactiques adéquates pour y échapper. Comprendre les pièges possibles, renforce la détermination dans la lutte politique et dans le combat militaire jusqu’à la victoire et au rétablissement de l’intégrité et de la souveraineté nationales.

Les Accords nient l’agression criminelle dont le Congo est la victime

Le texte de l’Accord nie la réalité qui caractérise toute la situation au Congo : l’agression flagrante dont la République Démocratique du Congo est victime de la part des agresseurs rwandais, ougandais et burundais. L’Accord ne connaît pas le mot «agression» ou «invasion» et «pilages». Il ne connaît que le mot «conflit», mot neutre qui place les deux belligérants sur un pied d’égalité. Les Parties qui signent ce document se disent «préoccupées par le conflit en R.D. du Congo» et plus loin elles reconnaissent «que le conflit en R.D. du Congo a une dimension à la fois interne et externe…» (Préambule de l’«Accord de cessez-le-feu»). Un Accord qui méconnaît l’élément essentiel qui détermine toute la situation du Congo, ne peut être qu’un piège. Depuis les premiers jours de la guerre, Kabila et le Congo parlent d’une guerre d’agression et d’une invasion rwando-ougandaise. Les Etats-Unis et le Rwanda parlent d’un «conflit» et plus particulièrement d’un «conflit interne». Les agresseurs ont même nié pendant trois mois qu’ils avaient des troupes au Congo, affirmant qu’il n’y avait que des «troupes rebelles» qui s’était insurgées contre la « dictature » de Kabila. Le texte de l’Accord mentionne en premier lieu « ladimension interne» du «conflit», alors que tout le monde sait que sans l’agression rwandaise, il n’y aurait jamais eu de rébellion.

Le «Protocole d’accord des négociations politiques» dit dans son préambule que les Parties «reconnaissent que l’exclusion politique a favorisé une crise politique qui a conduit au conflit armé en R.D. du Congo». Tout Congolais sait que ceci est un mensonge flagrant. La guerre d’agression a été planifiée et préparée par les Kabarebe, les Bizima Karaha, les Nyarugabo et les Bugera qui, loin d’être «exclus», figuraient à la tête de l’État. Le gouvernement du salut publique a bien organisé «l’exclusion politique» des chefs mobutistes et des inconditionnels de la CNS des fonctions supérieures de l’État. C’était une mesure salutaire et nécessaire pour empêcher que le mobutisme continue sans Mobutu et que le Congo s’enfonce encore plus profondément dans l’anarchie et l’insécurité que sept années de «transition» avaient installées. Pendant les premiers mois du gouvernement Kabila, le MPR, l’UDPS et leurs alliés ont à plusieurs reprises tenté de provoquer des émeutes. Les services d’ordre y ont mis fin à juste titre. La situation s’est stabilisée et les masses se sont pas à pas détournées de ces aventuriers qui cherchaient uniquement à retrouver leurs «postes» juteux d’antan. L’exclusion de ces nostalgiques du temps de la Conférence Nationale Souveraine – Haut Conseil de la République – Parlement de Transition n’a nullement provoqué une « crise politique » et certainement pas un «conflit armé». En plus, un nombre important de cadres de l’UDPS et même certains mobutistes ont été associés à l’exercice du pouvoir au cours de la première année du pouvoir de Kabila.

L’article III. 11. a. dit : «Le Conseil de sécurité sera appelé à constituer, faciliter et déployer une force de maintien de la paix afin d’assurer la mise en œuvre de cet accord … et lui confiera le mandat de poursuivre tous les groupes armés en RDC». Ce qui en langage clair veut dire ceci : les troupes de l’ONU ne viennent pas au Congo pour mettre dehors les troupes d’agression pourtant clairement identifiées par la résolution 1234 comme des «troupes non-invitées». Les troupes de l’ONU viennent se battre contre les Interahamwe. Tout le monde sait que ces Interahamwe sont justement le prétexte invoqué par les autorités militaires rwandaises pour agresser et piller le Congo ! L’Accord valide en quelque sorte l’argument utilisé par les Rwando-ougandais pour attaquer le Congo. Et en attendant les troupes de l’ONU, ce sont les agresseurs eux-mêmes, ensemble avec les troupes zimbabwéennes et autres forces alliées, qui sont en charge de faire la guerre aux Interahmawe !

L’article III.11.b. dit : «Les parties constitueront une Commission militaire mixte qui sera chargée d’exécuter les opérations de maintien de la paix jusqu’au moment du déploiement de la Mission des Nations Unies et de l’OUA». L’article III. 22. traite du même problème : il faut «désarmer les milices et les groupes armés y compris les forces génocidaires. Toutes les parties s’engagent à désarmer et assembler tous les membres des groupes armés en Rdc. Les pays d’origine s’engagent à faciliter leur rapatriement.» Ainsi, même les armées congolaise, angolaise et zimbabwéenne sont «officiellement» tenues à se battre contre les Interahamwe et donc d’accomplir les «tâches» qui les agresseurs se sont fixées en envahissant le Congo ! Grâce à l’Accord de Lusaka, le Rwanda et l’Ouganda ont donc réussi à impliquer leurs adversaires dans la chasse aux Hutus! Ainsi, à l’avenir, les agresseurs se trouveront dans une position avantageuse pour obtenir un plus large soutien international lorsque ils prétexteront d’une «nouvelle menace des Interahamwe» pour rester au Congo ou pour y rentrer !

Les Accords offrent aux Rwandais le prétexte pour continuer leur agression – les Interahamwe

Cinq jour avant la signature officielle des Accords, Kagame a lâché une de ces phrases cyniques qui caractérisent ce militariste. Il déclara que s’il reste des Interahamwe au Congo, il peut encore faire la guerre pendant des années dans ce pays. «La dictature au Congo pouvait avoir continué pendant des centaines d’années sans notre implication. Mais aussi longtemps que cette dictature arme les Interahamwe et les pousse à traverser nos frontières, ça veut dire que vous m’invitez sur votre territoire. Les Interahamwe doivent être désarmés, sinon nous n’avons pas d’autre alternative que d’aller les chercher et de les combattre. Nous avons un problème de sécurité qui vient du Congo et nous ne pouvons pas permettre que cela continue. Notre intervention au Congo peut continuer des années sans problème. Nous sommes habitués à combattre sans dépenser beaucoup d’argent. Nos hommes vont à pied et mangent peu» (AFP, 05.07.1999 16 :30 GMT ; IRIN-CEA, n° 707, 05.07.99).

L’Accord donne en quelque sorte le feu vert à Kagame pour quelques années de guerre supplémentaires au Congo. En effet, le document érige la question du «désarmement des Interahamwe et autres milices» en argument permanent pour défendre la continuation et l’intensification de la guerre d’agression rwando-ougandais au Congo. L’Accord dit son article III, point 22 : «Un mécanisme sera mis en place pour désarmer les milices et groupes armés, y compris les forces génocidaires. Dans ce contexte, toutes les parties s’engagent à localiser, identifier, désarmer et assembler tous les membres des groupes armés en RDC». A Lusaka, le jour de la signature de l’Accord, un diplomate occidental de haut niveau déclara à propos du désarmement des Interahamwe: «Ce sera un exercice difficile. S’il n’y aura pas vite des résultats, le Rwanda peut considérer que l’Accord n’est plus d’aucune utilité» (AP, Lusaka, Angus Shaw, 11.07.99).

En Angola, l’ONU a été incapable d’imposer un embargo sur les armes destinées à l’UNITA. Comment pourrait-elle réaliser une tâche autrement plus difficile et dangereuse qui est de désarmer les milices ? Un spécialiste des conflits africains dit: «Sauf si c’est volontaire, je ne vois personne capable d’imposer le désarmement. Dans cet environnement, dans ces forêts, c’est impossible à faire». (IRIN News Briefs, 12.07.99 : Angola, DRC : unita to be disarmed). Laurie Nathan, le directeur du Centre pour la Résolution des Conflits à Cape Town, Afrique du Sud déclare : « Si nous avons été incapables d’imposer des embargos sur les armes par manque de volonté ou de ressources, comment pourrait-on imaginer que nous allons réussir dans le désarmement physique ?» (Reuters, Johannesburg, Luke Baker, 14.07.99).

Des observateurs ont noté que le Rwanda a pris Israël comme modèle et que les Interahamwe seront donc une justification permanente pour intervenir militairement au Congo comme Israël le fait au Liban. (Mail and Guardian, Andrew Meldrum, 13.07.99). Lors des négociations de Lusaka, un diplomate disait : « Aussi longtemps que les Interahamwe ne sont pas sous contrôle, les Rwandais n’ont aucun intérêt à arrêter le feu. Nous allons avoir une autre longue guerre » (Reuters, Lusaka, Buchizya Mseteka, 11.07.99). Les rebelles et les Rwandais diront donc tôt ou tard qu’ils sont les seuls à pouvoir « garantir l’application des accords de Lusaka ». Aujourd’hui déjà, l’ONU leur tend cet argument. « Des membres du Conseil de sécurité disaient que les troupes de l’ONU ne seraient pas autorisées à poursuivre et combattre les Hutu dans le but de les désarmer» (Reuters, UN, New-York, Evelyne Leopold, 12.07.99).

D’ailleurs, Kagame a dit une dizaine de jours après la signature de l’Accord : «Ces groupes doivent être éliminés par tous les moyens, soit par nos troupes, soit par des troupes qui agissent au nom de l’Accord de Lusaka» (UN IRIN, cité dans NCN, 22.07.1999). Et Ndahiro, le porte parole de l’armée rwandaise a été encore plus explicite en affirmant qu’il n’y aura pas de paix aussi longtemps que les Interahamwe existent ! «La paix est impossible sauf si les Interahamwe sont désarmés et dissous» (The Guardian, Johannesbourg, 02.08.99). Et le lieutenant-colonel Rutayisire a fait comprendre que l’armée rwandaise compte rester encore pendant des années au Congo : «Les forces génocidaires des ex-FAR et Interahamwe doivent être désarmées et neutralisées avant même de chercher à négocier le retrait de nos troupes régulières du Congo» (UN IRIN 03.09.99). Alors, quand certaines forces de la société civile prétendent qu’il faut avoir confiance dans la bonne volonté de tous les signataires, n’est-ce pas de la complicité? D’ailleurs, on peut dire que toutes ces histoires d’Interahamwe sont devenues de la pure manipulation.

Associated Press écrit : «Sans un mécanisme de contrôle efficace, le Rwanda craint qu’il sera impossible d’identifier et de traquer les miliciens hutu qui peuvent facilement mettre des uniformes congolais et zimbawéens» (AP, Hrvoje Hranjski, Bukavu, 27.07.1999). Le porte parole de l’Armée rwandaise, le major Ndahiro, avait d’ailleurs déjà accusé le Zimbabwe «d’entrainer activement des membres des ex-FAR et de la milice Interahamwe» (Reuters, Kigali, 22.07.1999). Et Mazimhaka avait enchaîné quelques jours plus tard : «Ils les entraînent, même après avoir signé l’accord» (AP, Bukavu, 27.07.1999). Le Rwanda a donc déjà fabriqué un prétexte pour continuer à faire la guerre aux armées congolaise et zimbabwéenne : elles auraient engagé des Interahamwe… Et puis, pour Kagame, il y a de bons et de mauvais Interhamwe. Les bons Interhamwe sont ceux qu’il sort des prisons et qui vont se battre du côté des agresseurs tutsi rwandais. Les mauvais Interhamwe sont ceux qui se battent sur le territoire congolais contre des envahisseurs. Kabila a souligné à juste titre : «Quand monsieur Kagame envoie des Hutus de la prison sur le front pour qu’ils se battent pour lui, c’est là encore un autre génocidaire qui, lui, est libre. Alors, qui a les Interahamwe ? C’est d’abord lui» (ACP, 14.07.99, interview Kabila radio RFI, 13.07.1999). Que signifient encore ces groupes en face de l’armée redoutable dont dispose la bourgeoisie tutsie rwandaise ? Kabila a bien compris que l’argument «nous ne partirons pas avant que tous les Interahamwe sont désarmés et neutralisés» sert uniquement à perpétuer l’agression et l’occupation. Kabila a dit au sommet de la francophonie à Moncton, Canada : «Les Rwandais occupent les régions où sont les soi-disant Interahamwe. Mais alors, ils doivent les avoir exterminés, parce qu’ils en ont l’habitude et la tradition. Ils doivent avoir exterminé tous les Interahamwe là où ils sont. Dans d’autres parties du pays, on n’a pas d’Interahamwe. Mais les Rwandais ne partiront pas d’eux-mêmes, tôt ou tard, on les fera partir de force» (RFI, interview de Kabila à Moncton, 06.08.1999).

Pour conclure, disons encore que les Etats-Unis ont déjà pris à leur compte le prétexte des Interahamwe pour justifier à l’avance les nouvelles agressions et les nouveaux crimes contre le Congo que Kagame prépare. Clinton a déclaré le lundi 12 juillet : «Nous espérons que la mise en œuvre intégrale de l’accord, y compris le désarmement de ceux qui sont responsables du génocide au Rwanda, mettra fin au cycle de la violence dans la région. » (AFP, Washington, 13 juillet 99). Et ajoutons à cela qu’aux yeux de Kagame le combat les Interahamwe implique le combat contre le «protecteur» des Interahamwe, c’est à dire, Kabila. Kagame déclare: «Le Conseil de sécurité ne peut pas se limiter à condamner les criminels, il doit aussi condamner ceux qui travaillent avec les criminels» (The East African, 07-13 July 1999). Les Rwandais vont certainement argumenter que les « milices et groupes armées » impliquent aussi les Maï Maï qui sont les « alliés » des Interahamwe. Dans ce cas, les FAC auraient le «devoir» de désarmer les forces d’auto-défense congolaises. Mais comme l’Accord parle du « pays d’origine» des « groupes armés », on peut affirmer que cet article ne concerne pas les Maï Maï qui sont des Congolais. D’ailleurs les «Modalités» mentionnent nommément les différents groupes armés : « les Ex-Forces Armées rwandaises (ex-Far), l’Adf, le Lra, l’Unrf II, les milices interahamwe, le Funa, le Fdd, le Wnbf, le Nalu, l’Unita ».

Il n’est pas question des Maï Maï. Une autre ambiguïté se retrouve aux « Modalités », Chapitre 8, h. qui charge la Commission militaire mixte, donc les agresseurs y compris, « de vérifier le désarmement de tous les civils congolais qui sont en possession illégale d’armes ». Les Rwandais et leurs laquais prendront les Maï Maï pour des civils à désarmer, d’autant plus qu’ils les considèrent comme des auxiliaires de génocidaires interahamwe. En revanche, les «Modalités» Chapitre 10 abordent ce sujet différemment en parlant de la «formation d’une armée nationale intégrée». Il y aura «un mécanisme qui tiendra compte notamment du dénombrement des armes de guerre distribuées dans le cadre des institutions gouvernementales parallèles de défense populaire». Ce qui ouvre une porte pour faire entrer les Maï Maï dans la nouvelle armée… C’est d’ailleurs une revendication qui s’impose. Tout le monde se rappelle que Kabila a dit le 17 mai passé: «Il est plus que temps de prendre la guerre au sérieux en tant que question de vie ou de mort. Il est plus que temps de suivre l’exemple héroïque des populations du Kivu qui continuent à résister courageusement et à s’opposer farouchement aux envahisseurs. Le peuple congolais dans son ensemble, doit s’inspirer de l’exemple des citoyens du Kivu, promus ainsi à la dignité d’interprètes de la détermination de notre peuple à bouter dehors les envahisseurs rwando-ougando-burundais». (ACP, Kinshasa, 20 mai 1999).

Les Accords facilitent la liquidation du régime nationaliste de Kabila

Le texte des «Modalités de mise en œuvre de l’accord» impose, au chapitre 5, points 5.1. et 5.4. des «négociations politiques inter-congolaises devant aboutir à la mise en place d’un nouvel ordre politique», «des négociations inclusives devant aboutir à la réconciliation nationale». L’Occident, qui a imposé ces accords, n’est apparemment pas content avec l’ordre politique nationaliste que Kabila s’efforce – avec beaucoup de difficultés – d’organiser. L’impérialisme veut, au nom de la «réconciliation», une place encore plus importante au sein des institutions pour ses agents mobutistes et tshisekedistes. Seront convoqués au dialogue national : «le gouvernement, le RCD et le MLN, l’opposition politique ainsi que les représentants des forces vives de la Nation». Le chapitre 5, points 5.2. b. et c. dit que «tous les participants bénéficieront d’un statut identique» et que «toutes les résolutions adoptées … lieront tous les participants».

L’impérialisme et la droite congolaise veulent ainsi préparer un coup d’État «parlementaire». Leur intention est de façonner, complètement en dehors de la volonté populaire, une majorité artificielle des mobutistes et d’adeptes de la CNS dans l’intention de renverser Kabila. Selon les «Modalités» dans son chapitre 5, point 5.4.b. un facilitateur neutre sera chargé «d’organiser, en concertation avec les parties congolaises, les consultations en vue d’inviter les principales organisations et formations de l’opposition politique, ainsi que les principaux représentants des forces vives de la Nation». On sait que le gouvernement Kabila a pris, en toute souveraineté, la décision de convoquer un Débat National. Apparemment cette souveraineté est rompue, les Américains considèrent déjà le Congo comme un pays sous tutelle. Le danger existe que c’est un non-Congolais, un « facilitateur neutre » qui choisira les personnes qui décideront de l’avenir du Congo. Le destin du Congo ne serait alors plus entre les mains du gouvernement légitime, issu de la révolution anti-mobutiste du 17 mai 1997, mais entre celles d’un médiateur étranger et d’une éventuelle majorité néocoloniale qu’il imposera lors du dialogue nationale.

Le Dialogue décidera du « nouvel ordre politique en RDC, en particulier des institutions devant être mises en place en vue de la bonne gouvernance en RDC». On sait que les Américains ne veulent pas que les institutions de la révolution du 17 mai 1997 puissent organiser les premières élections libres depuis des décennies. Ces élections risquent de dégager une majorité nationaliste, comme cela a été le cas avec les élections de 1960, gagnées par Lumumba et les nationalistes. Le texte des Accords insinue que les institutions mises en place par Kabila n’assurent pas «la bonne gouvernance», mais que le retour des escrocs qui ont régné du temps de Mobutu et de la CNS fera apparaître par un coup de baguette magique cette fameuse «bonne gouvernance». Or, tout Congolais sait qu’au cours de la première année de pouvoir nationaliste, l’Etat congolais a été progressivement remis en place et que l’économie redémarra. Les Américains ont dirigé en coulisse la guerre d’agression rwando-ougandaise justement dans le but de casser cette «bonne gouvernance» que le pouvoir nationaliste était en train de réussir.

Le «nouvel ordre politique» que l’Occident veut imposer au Congo sera le rétablissement de l’ancien ordre néocolonial de la CNS où la plupart des politiciens étaient de mèche avec les Américains et les Français. Plus grave encore, les rebelles interprètent ce passage sur « le nouvel ordre politique » comme le feu vert pour l’élimination de Kabila de la présidence ! Karaha déclara immédiatement après la signature des Accords : «Yerodia était d’accord que les parties vont décider ‘par consensus’ d’un nouveau président, d’un nouveau gouvernement et de nouvelles institutions» (AP, Angus Shaw, cité par NCN, 09.07.1999 23h45 GMT). En fait, l’accord ne dit rien de tel. Les rebelles veulent intoxiquer les grands médias internationaux pour que leur interprétation farfelue des accords soit considérée comme la seule possible. Et dans sa fourberie, Karaha tente de «compromettre» Yerodia avec ses intrigues contre le nationaliste Kabila ! Si l’accord voulait déclarer vacante la fonction de la Présidence, il l’aurait bien sûr stipulé explicitement. Parlant des «institutions devant être mises en place», il ne peut s’agir que d’un gouvernement d’union nationale et d’une Assemblée nationale. Face à ce double complot américain et rwandais, il faut dire en toute clarté que, dans les circonstances actuelles, seul le président Kabila incarne à la fois la légitimité du pouvoir et l’unité du Congo.

Kabila incarne la seule légitimité possible du pouvoir au Congo au seuil du troisième millénaire. En effet, après sept années de “transition” vers le désastre et la destruction, transition qui aboutit en décembre 1996 à la réhabilitation de Mobutu, seul Kabila a réussi à débarrasser le Congo de Mobutu et du système mobutiste. Le peuple congolais lui en sera toujours reconnaissant. Ensuite, seul Kabila symbolise la héroïque résistance du peuple congolais contre l’agression perfide et cruelle lancée par les armées rwandaise et ougandaise. Tout Congolais sait que sans la clairvoyance, l’énergie et la détermination de Kabila, les Rwandais et Ougandais seraient aujourd’hui maîtres de Kinshasa. C’est Kabila qui lança l’idée d’une guerre populaire et c’est effectivement le peuple de Masina, de Ndjili, de Kimbanseke qui a sauvé Kinshasa et le Congo. C’est encore Kabila qui a réussi à mobiliser le Zimbabwe et l’Angola en défense de l’indépendance congolaise. L’intervention de ces alliés à mis en échec la stratégie de la guerre-éclair des agresseurs. Dans ces conditions, chasser Kabila par une sorte de coup d’Etat parlementaire de la Présidence, c’est plonger l’État congolais dans l’anarchie la plus totale. Ce sera la guerre en règle pour le pouvoir suprême entre toutes les grandes nullités qui ont marqué le mobutisme et la CNS-HCR-PT au cours des années quatre-vingt et nonante. Cette anarchie facilitera la division du Congo et fera éclater l’unité du Congo.

La liquidation de Kabila est le premier point à l’ordre du jour de l’impérialisme américain. Les Etats-Unis avaient donné en juillet 1998 le feu vert pour « une guerre éclair » qui renversera Kabila. Le plan a lamentablement échoué. Après une année de guerre, de terreur et de massacres, les agresseurs ont irrémédiablement perdu la partie, tellement ils sont haïs par l’ensemble du peuple congolais. La stratégie américaine se trouve dans l’impasse. Mais elle reste fixée sur son objectif numéro un : éliminer Kabila. Un diplomate belge le confirme, parlant de l’instauration de la paix et de la démocratie au Congo, affirme: “Un des préalables est qu’on mette en place une sorte d’arrangement qui oblige le président Kabila soit de quitter le pouvoir, soit de voir ses pouvoirs diminués de façon substantielle” (NCN, 03.08.1999).

Regardons maintenant qui se présente au Congo pour exécuter cette volonté des puissances occidentales. Le mobutiste et agent ougandais Bemba, un homme qui est en train de s’enrichir de façon fabuleuse en pillant des richesses des territoires occupés, a dit : «Nous pouvons chasser Kabila par des moyens politiques» (New Vision, Kampala, 04.08.1999). Le dimanche 1 août il déclara que le dialogue national donnera une dernière chance à Kabila «de s’en aller de façon pacifique et de laisser son fauteuil présidentiel». «Nous allons nous battre pour établir une réelle démocratie que Kabila a refusé au peuple congolais. Il a réduit le peuple en esclavage». Ce grand voleur nous donne une belle leçon sur le sens réel des mots que les radios périfériques répètent jour et nuit. Bemba, le mobutiste endurci, se présente comme le représentant de « la démocratie réelle » tandis que Kabila, qui lutta 32 ans pour renverser la dictature mobutiste, devient l’homme qui « a réduit le peuple congolais en esclavage » ! Ceci exprime bien le sens réel que prennent les mots dans la bouche des impérialistes et de leurs hommes de paille : le néo-colonialisme, devient le régime de la «démocratie réelle», tandis que le nationalisme, devient un régime de « l’esclavagisme ». Les Congolais d’un certain âge se rappellent que c’était déjà ainsi en 1960, lorsque les forces du mal s’acharnaient contre Lumumba.

Ils se rappellent les paroles virulentes que monseigneur Malula, l’évêque de Léopoldville et l’homme du colonisateur belge, adressa à Lumumba. Cela se passait exactement 18 jours après l’Indépendance ! Malula déclara : «Depuis 18 jours, une propagande bien orchestrée déferle sur notre pays, par une information dirigée, contrôlée, dénaturée. Non, le mensonge n’a pas les même droits que la vérité. Quand dans un pays, la liberté d’information n’existe plus, on ne parle plus de démocratie mais de dictature. Or, la dictature mène à l’esclavagisme». (Congo 1960 Tome II, CRISP, Bruxelles, 1961, p. 683-684). Une partie de la propagande de Bemba est exclusivement destinée aux oreilles américaines. Bemba sait parfaitement quel genre d’intoxication fait sursauter ceux qui se proclament les « maîtres du monde». Ainsi, Bemba a déclaré que 127 Nord-Coréens sont en RDC sur invitation de Kabila pour extraire de l’uranium d’une mine locale dans l’intention de fabriquer une bombe atomique. «Qui est-ce qu’il veut tuer, Kabila ? C’est un crime que Kabila veut commettre sur la population civile au Congo. Mes troupes vont réagir immédiatement». (PANA, Lusaka, 01.08.99).

Au moment de signer les Accords de Lusaka, Emile Ilunga déclara : «Nous signons mais nous sommes prêts à toutes les éventualités qui peuvent se produire. On ne peut pas avoir confiance en Kabila». «Kabila doit se mettre de côté et entrer dans les pourparler comme n’importe quel Congolais. Il ne peut pas venir comme président du pays. Cela est simplement inacceptable et non négociable» (Reuters, Buchiza Mseteka, Lusaka, 01.09.99). Le bras droit d’Ilunga, Lambert Mende, défend ce point de vue américain et rwandais avec encore plus d’arrogance. Tous ces individus sans la moindre légitimation populaire, veulent balayer les institutions que la révolution du 17 mai 1997 a créées et qu’elle est en train de mettre sur pieds. Mende : «Cet Accord (de Lusaka) n’est pas une manière pour garder Kabila au pouvoir afin qu’il puisse diriger le pays comme avant. Nous devons avoir un nouvel ordre politique, ce qui veut dire que nous devons renouveler toutes les institutions du gouvernement, la présidence, le parlement, la justice» (The Guardian, Chris McGreal, Johannesburg, 31.08.1999).

La fraction de la «société civile» qui est payée par les Américains, défend bien sûr le point de vue de ses maîtres et elle se trouve ainsi sur la même longueur d’onde que les rebelles lorsqu’il s’agit de «liquider» Kabila. Le 1 septembre 1999, Le Potentiel semble faire écho aux paroles d’Iluga et de Mende, prononcées la veille : «Le président Kabila a toujours soutenu qu’après la fuite de Mobutu, le pouvoir n’était pas dans la rue mais plutôt au bout du fusil. Cette fois-çi, avec le Dialogue «intercongolais», il est remis en jeu et sa légitimité dépend du consensus politique qui se dégagera des négociations intercongolais. Cela ressort de l’Accord de Lusaka qui appelle la mise en place d’un nouvel ordre politique» (Editorial 01.09.1999 : Le Pouvoir remis en jeu).

Les Accords facilitent la division et la partition du Congo

Les Accords de Lusaka consacrent la division du Congo en quatre morceaux, le pays étant désormais partagé entre le gouvernement légal et légitime de Kabila et les trois «gouvernements» fantoches de Ilunga, de Bemba et de Wamba qui doivent leur existence à l’occupation rwandaise et ougandaise. L’article I – 3.b. de l’Accord de cessez-le-feu ordonne la cessation de : «toute tentative d’occupation de nouvelles positions sur le terrain et de mouvement des forces et des équipements militaires d’un endroit à l’autre sans accord préalable des parties» Ainsi, les Forces armées congolaises ne peuvent plus se déplacer et transférer du matériel militaire sur la moitié du territoire national. C’est la partition de fait du Congo.

On risque même d’assister à l’élargissement du contrôle des Rwandais et des rebelles sur l’Est. En effet, la plus grande partie du territoire à l’Est échappe aux agresseurs et est sous le contrôle de la population et des Forces d’auto-défense populaire. Les Rwandais pourront intensifier leur contrôle sur les territoires occupés sous prétexte de combattre et de désarmer des Intarahamwe. L’idée de la partition de fait du Congo ressort aussi de l’article III,18 qui stipule : «A l’issue des négociations politiques inter-congolaises, l’Autorité administrative de l’Etat sera rétablie sur l’ensemble du territoire national de la RDC». Ainsi, jusqu’à la fin du Débat nationale, le gouvernement légal n’a donc plus autorité sur la moitié de son territoire. La «rébellion», ce nid de crabes qui n’existe que par la grâce des armées rwandaise et ougandaise, y exerce l’autorité administrative.

Les «modalités» dans leur chapitre 6 point 6.2. affirment que «des opérations ou des actions qui relèvent de l’intérêt général» pourront être menées «sur l’ensemble du territoire national», entre autres dans les domaines de la santé et de l’éducation «par un mécanisme de concertation entre les Parties congolaises». Ainsi, pour toute la période du Dialogue national, le «gouvernement» rebelle est mis sur un même pied que le gouvernement légitime ! D’où les trois «gouvernements rebelles» tirent-ils leur légitimité? Certainement pas du peuple congolais qui les haï comme la peste. Ils tirent leur « légitimité » uniquement de la présence armée rwandaise et ougandaise et cette « légitimité » d’origine criminelle semble maintenant « consacrée » par les Accords de Lusaka ! Le Congo est partagé de fait et le gouvernement légal de Kabila vit sous le chantage permanent des agresseurs et de leurs «rebelles». En effet, les Rwandais, Ougandais et rebelles peuvent bien conduire le Débat National dans l’impasse et l’échec et alors la division du Congo se prolongera. Ou encore, ils peuvent prendre prétexte des Interahamwe pour se maintenir à l’Est et pour intensifier la division. Plus la division dure, et plus les agresseurs ont la possibilité de consolider leur contrôle économique, administratif et politique sur l’Est.

Un autre élément qui peut accélérer le processus de division du Congo est consignée dans l’article III, 20. qui déclare : «Aux termes de cet Accord et à l’issue du dialogue national, il y aura un mécanisme pour la formation d’une armée nationale restructurée et intégrée, incluant les forces des parties congolaises signataires, sur base des négociations entre le gouvernement de la RDC, le Rassemblement congolais pour la démocratie et le Mouvement pour la Libération du Congo». Cet article constitue non seulement une atteinte à la souveraineté du Congo, mais aussi aux prérogatives du Dialogue national. Le Dialogue national peut très bien décider de ne pas intégrer les rebelles dans les FAC ou de sélectionner ceux qui seront intégrés. On sait aussi que les «rebelles» n’auraient jamais existé sans la puissance de feu et de frappe des armées d’agression rwandaise et ougandaise. La rébellion est une simple création de l’agression. Mais à la table de négociation, les agresseurs ont pu imposer que leurs marionnettes soient traitées d’égaux à égaux avec les FAC ! Ce qui veut dire que les hommes des Rwandais et Ougandais, ceux qui ont massacré, affamé, plongée dans la misère des millions de Congolais seront introduits comme un immense cheval de Troie dans l’armée nationale. Quel soldat patriotique qui s’est donné corps et âme pour la guerre contre l’occupant, qui a vu ses camarades tués, amputés d’une jambe ou d’un bas, pourra accepter une telle humiliation et une pareille menace ?

En plus, on sait qu’il y a toujours de sérieux problèmes de discipline au sein des FAC. Faire entrer dans cette armée des éléments criminels qui ont pratiqué la terreur contre leur propre peuple sous la direction d’officiers rwandais et ougandais, c’est créer les conditions de l’éclatement de l’armée. Et il est probable que le Rwanda et l’Ouganda mise justement sur l’éclatement de l’armée congolaise pour pouvoir réaliser leur plan de l’annexion de fait de l’Est du Congo. Toujours à propos de l’armée, Emile Ilunga affirme le 4 juillet qu’il y avait un accord sur «la question d’un état-major général intégré des Forces armées» (Tempête des Tropics, 05.07.99). Ainsi, les Rwandais et leurs rebelles ont l’intention de mettre à la tête des Forces Armées Congolaises quelques nouveaux James Kabarehe qui ne tarderont pas à préparer un nouveau coup d’Etat.

L’éclatement des FAC et la guerre civile entre soldats congolais en seraient la conséquence, au plus grand profit des régimes rwandais et ougandais et de leurs maîtres américains. On trouve la même idée dans la bouche de Nyarugabo, le chef politique des rebelles : «Nous avons accepté, malgré notre incontestable supériorité militaire, de participer à la création d’une nouvelle armée nationale dans un esprit d’équité. Nous avons donc renoncé au processus d’absorption des troupes gouvernementales» (Nuances, Belgique, Jacqueline Biklovsky, repris par NCN, 08.07.1999). Nyarugabo a ainsi trahi ses véritables intentions : ces gens entreront dans l’armée congolaise «intégrée» dans le but d’éliminer les nationalistes, dans le but d’«absorber» les FAC dans leur armée contre-révolutionnaire.

Trois autres points des Accords seront utilisés par les Rwandais et Ougandais pour précipiter l’éclatement de l’Etat congolais et faciliter la division du Congo. Le « protocol d’accord » parle dans sa préambule de « la nécessité de la mise en place d’un nouvel ordre politique en R.D.C. » et « de la mise en place de nouvelles institutions ». Son article 4 traite « des négociations inter-congolaises inclusives devant aboutir à la réconciliation nationale ». Les hommes de paille des agresseurs, les groupes de Ilunga, Bemba et Wamba, interprètent ces généralités dans un sens très précis : le Congo doit avoir un nouveau président et un gouvernement d’union nationale où figurent les rebelles, les mobutistes et les hommes de la CNS. Une grande partie de l’«opposition démocratique » partage ces points de vue. Nous avons déjà évoqué le plan américano-rwandais pour éliminer Kabila et précipiter ainsi l’éclatement du Congo. Les « négociations inclusives » et « la réconciliation nationale » stipulées dans les Accords risquent également de conduire à une situation de pagaille intégrale au sein du gouvernement futur.

Pendant toute la période de la CNS-HCR-PT, l’appareil d’Etat a été paralysé et s’est effondré à cause de la rivalité entre les grands « chercheurs de postes » rivalisant pour les fauteuils ministériels. Si les grands mobutistes et les vedettes de la CNS-HCR-PT reviennent aux affaires, les luttes pour l’enrichissement individuel éclateront avec une vigueur redoublée, la paralysie et l’affaiblissement de l’Etat s’accentuera encore et les conditions se créeront pour la division du Congo. Le Débat national traitera de la Constitution à soumettre au référendum. Dans ce domaine, les Rwandais et les Ougandais poussent leur marionnettes à avancer des plans pour introduire le fédéralisme au Congo. Ainsi Bemba a dit: «Il faut un Etat fédéral où chaque province aura son leader et où l’administration sera décentralisée» (The Times of Zambia, dans NCN, 08.07.1999).

C’est la tactique des Etats-Unis pour réaliser la division du Congo et « réorienter » les différents morceaux vers les « pôles de développement» tenus par les Américains : vers l’Ouganda, vers le Rwanda et vers l’Afrique du Sud. On sait que les Etats-Unis ont propagé pendant de longues années la «fédéralisation» de l’Union Soviétique et de la Yougoslavie. Ensuite ils ont prôné une «large autonomie » pour les Etats fédéraux comme voie transitoire vers l’éclatement total de ces deux pays. Ils appliquent cette même tactique à tous les pays potentiellement puissants qui suivent une ligne indépendante : la Russie, la Chine, L’Irak et le Congo.

L’après Lusaka : les Américains veulent mettre pied au Congo

L’organisme appelé «The United States Institute of Peace» a publié le 31 août 1999 un «Rapport Spécial sur la République Démocratique du Congo», rédigé par deux de ses responsables, John Prendergast et David Smock (Special Report The Democratic Republic of Congo, by John Prendergast and David Smock). Cet Institut travaille pour le Congrès américain. Les membres de son Conseil d’Administration sont nommés par le Président des Etats-Unis. Ses analyses font autorité dans les cercles du pouvoir. Pour faire ce rapport, les auteurs ont eu des entretiens avec 200 responsables à Kinshasa, dans les territoires occupés à l’Est du Congo, au Rwanda, en Ouganda et au Burundi, aux États-Unis et en Europe, à l’ONU et à l’OAU. Les grandes lignes de ce Rapport sont claires et sans nuances, elles reflètent le consensus que les auteurs ont rencontré chez les responsables américains interrogés. Ce rapport nous livre donc une esquisse de la stratégie américaine après les Accords de Lusaka.

La théorie américaine de la «souveraineté limitée» du Congo

Voyons d’abord comment les deux auteurs américains posent le problème du Congo au moment des Accords de Lusaka. Au Congo se pose la nécessité d’une «campagne de contre-insurrection contre les acteurs non étatiques (les milices)». Mais il se pose également la question du «maintien de la souveraineté et intégrité territoriale du Congo». Prendergast et Smock affirment que «deux principes de portée internationale sont entrés en conflit». D’un côté, «l’obligation internationale de combattre le danger pour la paix et la sécurité internationales et la menace de génocide posées par les ex-FAR et Interahamwe». De l’autre côté «il y a la nécessité de maintenir la souveraineté et l’intégrité territoriale du Congo». Or, affirment les deux Américains, le gouvernement congolais n’a pas abordé sérieusement les problèmes posés par les milices rwandaises. «En réponse à cet absence de sérieux, l’Ouganda et le Rwanda ont piétiné le second principe en faisant une tentative de renverser le gouvernement congolais». En clair : les Américains comprennent parfaitement que les Rwandais et Ougandais ont voulu renverser Kabila et son gouvernement de salut public qui n’ont pas combattu comme il fallait les génocidaires hutu. La guerre que mènent le Rwanda et l’Ouganda contre leur voisin congolais est donc compréhensible et justifiée. Il s’en suit, selon les deux auteurs américains, que le Congo doit être soumis, aujourd’hui, à un régime de «souveraineté limitée»!

Textuellement ils déclarent : «L’Accord de cessez-le-feu de Lusaka reconnaît que l’intégrité territoriale du Congo ne peut pas être complètement restaurée aussi longtemps que son territoire est utilisé par les génocidaires comme une base pour lancer des attaques». Les auteurs du rapport nient donc catégoriquement que le Congo est la victime d’une agression caractérisée de la part du Rwanda et de l’Ouganda et que cette agression est le facteur qui détermine toute la situation en Afrique centrale. Prendergast et Smock reprennent ainsi la position exprimée de façon constante par le gouvernement américain depuis le déclenchement de l’agression. Tout en niant l’agression rwando-ougandaise, les auteurs estiment que «la guerre va probablement continuer» s’il n’y a pas «une solution pour l’héritage du génocide et à la crise de légitimité de l’Etat congolais» (Special Report The Democratic Republis of Congo, by John Prendergast and David Smock). En d’autres termes, les Américains souscrivent déjà aux prétextes avancés par les agresseurs rwandais pour continuer l’agression et l’occupation.

Selon le rapport américain, le Congo doit «harmoniser» ses intérêts avec ceux du Rwanda et «adopter un agenda commun», sinon «la région restera en guerre avec des conséquences de plus en plus dures pour les populations civiles» et le Congo «pourra dégénérer vers une situation de non-Etat irréversible» (Ibidem, p.2). Bref : le Congo doit capituler devant les agresseurs rwandais, sinon l’Etat congolais disparaîtra et le pays éclatera. Nous venons de souligner que la négation de l’agression flagrante du Congo par le Rwanda et l’Ouganda est à la base de ce rapport et de toute la politique américaine. Nous mentionnons deux preuves supplémentaires à l’appui de cette affirmation. Les auteurs reconnaissent que le Rwanda et l’Ouganda pillent les richesses du sous-sol congolais : «Le Rwanda exporte du tantalium et d’autres minerais et l’Ouganda exporte de l’or et des diamants». Mais ils enchaînent : «Il y a un terrible sentiment anti-Tutsi partout au Congo. Aujourd’hui, dans le Kivu, des dirigeants locaux de la société civile, y compris des responsables de l’Eglise, utilisent cette arme dangereuse et exploitent le ressentiment contre l’occupation rwandaise» (Ibidem, p.7).

En clair : au Congo le problème essentiel, déterminant, n’est pas celui de l’agression, de l’occupation et du pillage par les troupes rwandaises et ougandaises, mais le problème de la haine et de la guerre ethniques contre les Tutsi. A nouveau, les responsables américains reprennent simplement les thèses des agresseurs rwandais. En réalité, les Congolais ne se battent pas contre « les Tutsi », mais contre les agresseurs venus du Rwanda, de l’Ouganda et du Burundi. Seconde preuve de la négation de l’agression. A Kisangani, en plein cœur du Congo, a éclaté le 14 août 1999 la guerre entre les deux agresseurs, le Rwanda et l’Ouganda. L’impérialisme américain a immédiatement dépêché Gayle Smith, le conseiller du président Clinton pour la sécurité nationale, secteur Afrique, à Kampala et Kigali. Un diplomate américain à Kigali déclara : «Nous sommes très préoccupés par ce développement de la situation au Congo entre le Rwanda et l’Ouganda et, surtout, nous ne comprenons pas très bien ce que cela signifie. L’Ouganda et le Rwanda sont des amis et alliés traditionnels des États-Unis dans la région» (AFP, Kigali, 15.08.1999).

C’est incroyable, n’est-ce pas, comment ces gens qui pérorent du matin au soir sur «l’État de droit» et «la démocratie» peuvent se démasquer avec une telle désinvolture ! Aucun Congolais n’a oublié ce que ces «grands démocrates» ont fait le 2 août et le 26 août 1998. Ces deux jours, la guerre d’agression lancée par le Rwanda et l’Ouganda frappait Kinshasa même, le Congo risquait de tomber sous une dictature militaire étrangère, mais les Américains n’ont rien vu et n’ont rien su. Ils n’ont pas dépêché un envoyé de Clinton à Kinshasa. Au moment où l’agression rwando- ougandaise menaçait Kinshasa, les Américains « comprenaient très bien ce que cela signifiait », puisqu’ils n’ont pas jugé nécessaire que Gayle Smith fasse un petit déplacement vers la capitale congolaise. Guerre d’agression rwando-ougandaise contre le Congo? Les Américains ne connaissent pas. Guerre en territoire congolais entre les armées rwandaise et ougandaise, entre deux pays agresseurs alliés aux Etats-Unis? Les Américains sont immédiatement mobilisés pour y mettre fin !

Lusaka : feu vert pour l’ingérence américaine au Congo ?

Quelle est maintenant l’appréciation de l’impérialisme américain des Accords de Lusaka ? Les deux auteurs américains estiment que les Accords constituent « une réalisation formidable ». Cette réalisation, on la doit surtout à la Zambie, la Tanzanie, le Mozambique et l’Afrique du Sud. Le lecteur aura remarqué que ce sont tous des Etats pro- américains… Prendergast et Smock soulignent d’ailleurs que « les Etats-Unis ont également joué un rôle important derrière les coulisses pour soutenir la médiation africaine ». Aujourd’hui, il s’agit pour les Etats-Unis de tirer tout le profit de ces accords. «Il est nécessaire que les Etats-Unis soient activement engagés de façon permanente avec toutes les parties» pour réaliser les différents points de ces accords. Ce travail incombe aux ambassades américaines dans tous ces pays et à l’envoyé spécial Howard Wolpe. Il doit être réalisé, si possible, en étroite coopération avec Aldo Ajello, l’envoyé de la Communauté européenne (Special Report, p. 9). Aux yeux des Américains, qu’est-ce qu’ils ont de si «formidable», ces accords de Lusaka ? Ils estiment qu’ils leur offrent une base juridique pour pratiquer ouvertement une politique d’ingérence et de recolonisation à l’endroit du Congo. Les accords de Lusaka ouvrent aux Américains un certain nombre de pistes qu’ils espèrent suivre jusqu’au bout. Mais bien sûr, entre le rêve et la réalisation il y aura des obstacles qui s’appellent Kabila, le peuple nationaliste congolais et… les contradictions entre les alliés américains.

Accord de Lusaka : feu vert pour aider les agresseurs rwandais

Dans le «Rapport Spécial», les deux auteurs américains parlent de «la crise de légitimité de l’Etat congolais» et encore du «vacuum congolais». Comme, selon eux, l’Etat congolais n’existe pratiquement plus, les milices rwandais et ougandais peuvent y opérer librement et préparer de nouveaux génocides contre les Tutsi congolais et rwandais. Pour cette raison, la communauté internationale (lisez : les Etats-Unis et leurs alliés) doivent intervenir au Congo. Le rapport dit : «La communauté internationale doit concevoir l’Accord de Lusaka une excellente occasion pour assumer, même si c’est tardivement, ses responsabilités. Elle a une opportunité pour aider à combattre la menace permanente de génocide et d’instabilité régionale en apportant son soutien complet à l’Accord de Lusaka» (Special report, p.1 et 2). Ainsi donc les Etats-Unis pourront, enfin, prendre leurs responsabilités devant le grand problème qui ravage l’Afrique centrale. Il s’agit de «la menace permanente de génocide» contre les Tutsi, bien entendu.

Parce que les Américains ne connaissent ni l’agression, ni l’occupation, ni la terreur, ni les massacres que subit le peuple congolais, ils ne voient pas de «menace de génocide» de ce côté-là. Justifiant en fait l’interventions militaire du Rwanda au Congo, le rapport dit : «L’accord de Lusaka affirme que tous les États ont une obligation collective de rompre avec les génocidaires et de les combattre. Le Rwanda croit que cet accord offrira la légitimité internationale nécessaire à ses efforts pour affronter les génocidaires où qu’ils soient» Special Report, p.13). Nous avons vu que le Rwanda estime que les accords de Lusaka lui donnent le droit d’éliminer les Interahamwe où qu’ils soient et donc d’opérer sur le territoire congolaise pendant des années, s’il le faut. Les Américains appuient cette interprétation. En revanche, dans l’optique des auteurs du rapport, le Congo du nationaliste Kabila apparaît comme la source principale «d’instabilité régionale», parce que ce pays nourrit, semble-t-il, toutes les milices rwandaise, ougandaise et burundaise. On a compris. Lorsque l’impérialisme américain affirme qu’il prendra ses responsabilités, cela veut dire qu’il interviendra activement en Afrique centrale pour combattre le Congo nationaliste et soutenir l’agression rwandaise.

Accord de Lusaka: «garantir» la nationalité aux ennemis du Congo !

Les accords de Lusaka offrent une deuxième piste aux Américains : ils permettent à leurs agents rwandais d’obtenir la nationalité congolaise. Le Rapport affirme : «La question de la nationalité des populations tutsi congolaises reste explosive. Il faut à ce sujet élaborer une stratégie globale dans le domaine social, légal et économique, y compris des conférences dans les communautés sur la coexistence, la liberté de mouvement des personnes, le développement économique. Les préoccupations plus générales dans le domaine de la sécurité des populations tutsi doivent être adressées» (Special Report, p.9). Si la question de la nationalité des Tutsi congolais est à nouveau évoquée, c’est uniquement à cause de la guerre d’agression lancée par la grande bourgeoisie tutsi du Rwanda. Au cours de la première année de son pouvoir, Kabila a reconnu la nationalité congolaise aux Tutsi habitant le Congo en 1960, il leur a fait confiance et leur a confié des responsabilités importantes. La «question de la nationalité» a resurgi parce qu’au début de l’agression, le peuple a vu se présenter des tutsi «congolais» avec des passeports rwandais ou comme agents des agresseurs rwandais.

La nationalité des Tutsi congolais patriotes n’est pas contesté à Kinshasa. Ce qui est à l’ordre du jour est de faire la distinction entre les Tutsi loyaux et les Tutsi qui ont agi au service d’une force d’agression barbare. La préoccupation majeure des deux auteurs américains est de «garantir» la nationalité congolaise à ces ennemis du peuple congolais. Cela ressort aussi des perspectives politiques qu’ils développent pour les Kivu. «Dans les deux Kivu des populations locales parlent de l’importance de la cohabitation et de la coexistence pacifiques et même de la réconciliation». «D’autres efforts sont entrepris par les communautés du Kivu pour séparer les populations locales et les groupes armés et pour inviter les groupes armés à déposer les armes. Dans ce contexte, des représentants de la communauté internationale devront contacter des dirigeants des Maï Maï. … Au Nord-Kivu, une institution appelée Barza – Conseil des sages – à laquelle les huit groupes ethniques de la région participent, a été remise en activité. Les participants ont décidé qu’aucune communauté n’a le droit de mettre en question la nationalité d’une autre communauté» (Special Report, p.10).

Ainsi, pour les Américains, il n’est pas question au Kivu d’agression et d’occupation rwandaise, ni de contrôle sur les populations ou de pillages des richesses par les agresseurs. La grande question est «la cohabitation et la coexistence»… qui sont immédiatement liées au désarmement des Maï Maï ! Or, cela est justement la tactique politique utilisée par les agresseurs pour s’imposer et popur imposer leurs hommes. Ce que visent en réalité les occupants rwandais et les Américains, c’est la «coexistence» et la «réconciliation», non pas avec les Tutsi congolais patriotiques, mais avec les Tutsi agresseurs, agents de l’expansionnisme rwandais ! Les «Barza» dont les auteurs font l’éloge, sont les « assemblées provinciales » que les occupants ont imposées au Sud-Kivu et au Nord-Kivu. Elles regroupent une trentaine de « notables » autoproclamés qui ont été réunis avec les plus grandes difficultés : les Rwandais ont dû débourser entre 3.000 et 10.000 dollars pour obtenir l’accord de certains. Un des trente élus de Bukavu, monsieur Aloys Muzalia, a écrit une lettre au gouverneur, datée du 9 août 1999 dans laquelle il dit: «J’ai été désagréablement surpris d’apprendre que vous m’avez nommé membre d’une pseudo-assemblée. Je n’ai jamais cru dans une paix durable imposée par les armes». (Nouvelles du Kivu, Kambale Katahwa, 10.08.1999).

Comme l’agression rwandaise est le facteur déterminant, les Tutsi congolais se divisent inévitablement en deux camps : ceux qui sont patriotes congolais et qui prennent leur distance de l’agression rwandaise et ceux qui délibérément servent les agresseurs. Bien sûr, le danger existe que des Congolais posent également le problème en termes ethnique et opposent les Tutsi en tant que « ethnie étrangère » aux ethnies autochtones. Mais c’est une erreur commise par des populations qui ont raison de s’opposer à une agression qui est essentiellement l’œuvre de militaires tutsi rwandais. Au cours de l’actuelle guerre de résistance nationale, il y a des traîtres dans presque toutes les ethnies du Congo. Comme partout ailleurs, il s’agit de faire la distinction entre les Tutsi congolais patriotes et les Tutsi congolais traîtres qui travaillent pour l’agresseur. C’est en reconnaissant pleinement les droits des Tutsi congolais, qu’on pourra efficacement isoler et neutraliser les agents de l’ennemi.

Accord de Lusaka : faciliter la fédéralisation et la partition

Si les Américains veulent faire reconnaître au Kivu «la nationalité congolaise» à des Rwandais et à des collaborateurs des Rwandais, cela cadre dans leur plan pour détacher progressivement cette province de Kinshasa. On sait que les agresseurs rwandais veulent réaliser pour les Kivu une «large autonomie» par rapport au gouvernement central. Les auteurs américains les suivent sur cette voie de la sécession. Le «Rapport Spécial» affirme: «Le dialogue national sera une grande opportunité pour aborder les questions de la reconstruction de l’Etat. Le RCD va développer un certain nombre de questions lors du dialogue, y compris celles du fédéralisme, de l’autonomie régionale et des droits de citoyens pour les populations banyamulenge» (Ibidem, p.13). Il est bien connu que les Américains et les Allemands ont développé cette tactique pour faire éclater l’Union Soviétique et la Yougoslavie. Au Congo, le fédéralisme servira essentiellement à mettre les Kivus sous contrôle rwandais et la Province orientale aux mains des Ougandais. Les auteurs américains écrivent : «Sur le plan régional, pendant la période de l’application de l’Accord de Lusaka, des efforts concertés doivent être faits pour progresser dans la planification économique régionale ; il faudra réunir les gouvernements de la région pour réfléchir ensemble à des initiatives pour attirer des investissements étrangers, pour développer les infrastructures et promouvoir le commerce dans la région. Par exemple, l’Ouganda est depuis longtemps en faveur de la construction d’une autoroute Beni-Kisangani pour lier les océans atlantique et indien» (Ibidem, p.13).

On constate ici que les Américains espéraient aller vite : pendant que l’application de l’Accord était encore en cours, ils voulaient déjà réaliser une perçée dans l’orientation de l’économie de l’Est du Congo vers le Rwanda et l’Ouganda. Ici apparaît en toute clarté le sens du «fédéralisme» : le Kivu et la Province Orientale «autonomes» seront simplement intégrés dans la «planification économique» du Rwanda et de l’Ouganda. Les Américains utiliseront leur «aide au développement» pour pousser ces provinces congolaises à l’intégration dans la sphère d’influence du Rwanda et de l’Ouganda. «Dans les mois qui suivent la signature de l’Accord de Lusaka, il sera essentiel, spécialement pour la réhabilitation de l’économie du Kivu, d’accorder des ressources pour le développement et l’investissement qui peuvent vite être libérées». Le rapport cite un grand nombre de services américains qui peuvent libérer des fonds, allant du Bureau pour les Initiatives de Transition à certains fonds du Pentagon. Mais cette «aide au développement» n’a strictement rien à voir avec le développement économique du Congo : cet argent sert essentiellement à imposer une politique américaine et rwandaise au Kivu.

Cet argent sert à faire marcher la population du Kivu contre les Interahamwe (et donc pour l’armée rwandaise…). Les auteurs notent : «La population doit voir rapidement des bénéfices économiques de la campagne réussie contre les ex-FAR et Interahamwe». Cet argent sert aussi à corrompre les populations et les amener à accepter la présence des Rwandais et des agents rwandais. «Les initiatives humanitaire et de développement doivent créer des occasions pour les communautés voisines de coopérer et de se mélanger pour des raisons économiques et sociales» (Ibidem, p.13). Les Américains offriront quelques sous aux Congolais du Kivu pour qu’ils sortent de la misère inhumaine… à condition qu’ils s’entendent avec les occupants rwandais et leurs agents… Bien sûr, une fois le contrôle du Rwanda sur les Kivu solidement assuré, la générosité américaine s’arrêtera tout net.

Selon les auteurs du rapport, les Etats-Unis, doivent remettre des moyens financiers à ceux qui soutiennent leurs objectifs, mais ils doivent aussi sanctionner ceux qui leur résistent. Selon les auteurs du rapport, les Etats-Unis, la Communauté européenne et la Banque Mondiale doivent immédiatement dégager des moyens financiers nécessaires pour soutenir l’Accord de Lusaka. «L’aide doit constituer un stimulant pour appliquer les décisions de Lusaka». Mais il faut aussi « exercer des pressions … et (appliquer) des sanctions spécifiques et graduelles contre chaque partie qui viole les termes de Lusaka. Chaque pays qui viole l’accord en offrant des armes ou un refuge aux acteurs non-étatiques doit être sanctionné» (Special Report, p.8). Ainsi, les Américains se rangent derrière la politique défendue par les deux Etats agresseurs au Congo : le gouvernement congolais sera obligé à mener la guerre aux rebelles rwandais et ougandais qui se trouvent sur son territoire et cela sous peine de sanctions.

Accord de Lusaka : instaurer le contrôle militaire des E.U sur l’Afrique centrale

Revenons d’abord un instant sur les «développements positifs» dans le domaine politique que les Américains décrivent au Kivu et que nous avons déjà mentionnés: séparer les groupes armés de la population, contacter les Maï Maï pour les reconvertir, créer des conseils de «réconciliation entre les ethnies», utiliser l’aide au développement et l’aide humanitaire pour faire «accepter les Tutsi (rwandais)» Tout cela correspond exactement aux méthodes des opérations contre-insurrectionnelles que l’armée rwandaise a mise en pratique dans le Nord-Ouest du Rwanda contre les Interahamwe et leur «sympathisants». Prendergast et Smock écrivent : «Les éléments des ex-FAR et Interahamwe, l’ADF et d’autres groupes doivent être séparés de la population civile et désarmés. Pour conduire avec succès des campagnes contre-insurrectionnelles, les stratèges doivent utiliser des moyens militaires, judiciaires, politiques, sociales et économiques. Au Nord-Ouest du Rwanda, le gouvernement rwandais a transformé avec un succès ce qui avait commencé par une offensive militaire brutale contre les ex-FAR et Interahamwe et leurs sympathisants en une opération contre- insurrectionnelle plus correcte et équilibrée» (Special Report, p.9).

Cette «opération plus correcte» est sans aucun doute le résultat de l’intervention directe de spécialistes américaines du domaine de la guerre contre-révolutionnaire. On se rappelle qu’au Nord-Ouest du Rwanda, plus de 600.000 Hutus ont été déplacés dans des villages sous haute surveillance. Les deux auteurs américains appellent cette opération un franc succès et en énumèrent les éléments principaux : la création de groupes d’auto-défense locaux, l’éducation populaire contre les Interahamwe, la réintégration d’un grand nombre ex-FAR dans l’armée, l’aide humanitaire, l’organisation d’élections locales, la séparation agressive entre les éléments armés et non armés parmi les Hutu. En fait, nous voyons réapparaître ici au Rwanda tous les éléments de la stratégie anti-Vietcong mis en œuvre par l’armée américaine pendant la guerre du Vietnam. Et les auteurs de «l’Institut pour la Paix» (!) de conclure : «La Commission Militaire Mixte doit adopter une stratégie intégrée pareille» (Ibidem, p.9). L’impérialisme américain demande donc simplement aux militaires congolais, zimbabwéens et angolais de «pacifier» l’Est du Congo en copiant la stratégie contre-révolutionnaire que l’armée rwandaise a utilisé contre les Hutu dans le Nord-Ouest du Rwanda ! Nous sommes ici au cœur même de la stratégie américaine pour contrôler militairement l’Afrique centrale en s’appuyant sur le Rwanda et l’Ouganda.

Les Etats-Unis espèrent amener les armées congolaise, zimbabwéenne et angolaise à soutenir les efforts rwandais pour traquer et désarmer les Interahamwe et autres milices et entrer ainsi dans une sorte de «pacte de sécurité collective» ! Les Américains rêvent que la Commission Militaire Mixte deviendra le noyau d’un tel «pacte de sécurité». Mais, pour y arriver, ils doivent évidemment empêcher que les contradictions entre leurs deux alliés, le Rwanda et l’Ouganda, s’approfondissent. Le Rapport Special dit : «Il faut institutionnaliser les canaux de communication (entre ces deux pays) et les Etats-Unis peuvent y contribuer par une assistance technique. La Commission Militaire Mixte pourra devenir un forum pour une coopération militaire régionale» (Special Report, p. 9). Comme cette Commission travaillera en étroite collaboration avec les officiers de l’ONU, nous voyons ici s’esquisser un plan américain pour ‘avoir des entrées’ dans toutes les armées de la région.

Or, on sait que la «recolonisation militaire» est un objectif majeur de la politique africaine des Etats-Unis. C’est bien une intégration militaire autour de l’axe Kigali-Kampala que les Etats-Unis veulent «proposer à la région. Ils l’affirment d’ailleurs en toute clarté. «Formaliser le cadre sécuritaire régional réunifierait la région autour d’une plate- forme commune contre les acteurs non-étatiques qui minent l’intégrité territoriale du Congo. Sur cette question, avant l’accord de Lusaka, les Etats-Unis ont joué un rôle particulièrement important dans les coulisses». «La Communauté internationale (lisez : les E.U.) doit intensifier ses efforts pour construire des ponts entre les belligérants. La Commission Militaire Mixte est la clé du succès pour le cessez-le-feu et la consolidation de la paix. Elle doit identifier, rassembler, registrer et désarmer les milices non-étatiques. Ceci implique une rupture des alliances tactiques actuelles de ces milices avec les gouvernements congolais et zimbabwéen».

En s’appuyant sur les accords de Lusaka, les Américains veulent offrir aux armées rwandaise et ougandaise une victoire militaire complète qu’elles n’ont pas pu obtenir sur le champs de bataille. Le « pacte sécuritaire régional » qui doit lier le Rwanda, l’Ouganda, le Congo, le Zimbabwe et l’Angola contre les milices, permettrait aux Américains d’infiltrer toutes les armées de la région et d’y recruter des agents secrets. Le «Rapport Spécial» affirme que le «soutien international» sera important pour assurer «les besoins logistiques de la Commission Militaire Mixte, pour apporter un soutien en matière de transport et communications à la CMM, pour mettre sur pieds un réseau de renseignements et d’informations». «Le réseau d’information … fonctionnera au niveau technique entre les officiers militaires, bien à l’écart des politiciens qui pourraient utiliser l’information de telle façon qu’une ou plusieurs parties se retirent du mécanisme» (Ibidem, p.14). Mais comme il est peu probable que Kabila mordra dans cet hameçon, les Américains devront encore trouver un autre prétexte pour «superviser» et infiltrer l’armée congolaise. Le voici : «Intégrer les forces (armées) gouvernementales avec celles du RCD et du MLC sera aussi une tâche difficile qui exigera … une supervision internationale» (Ibidem, p.15).

Les Américains viendront «développer les futurs dirigeants » du Congo…

Les Etats-Unis ont donc entamé une grande offensive pour étendre leur contrôle politique et militaire sur le Congo sous le drapeau des « accords de Lusaka». Le «Rapport Spécial» expose très clairement la stratégie et les tactiques que les Américains veulent utiliser pour dominer le Congo post-mobutiste. Les Etats-Unis ont déjà annoncé une campagne de charme en direction des partis de l’opposition dite « démocratique » et des organisations de la société civile. Ils ont annoncé que des émissaires de leurs «Instituts pour la Démocratie» débarqueront bientôt à Kinshasa, Lubumbashi, Kisangani, Goma et Bukavu dans le but de recruter des Congolais qui sont prêts à servir les intérêts américains. En fait, c’est le modèle de la contre-révolution nicaraguayenne. Au Nicaragua, les Américains ont financé, entraîné et dirigé les « contras », ces milices non- étatiques qui combattaient le pouvoir nationaliste des Sandinistes par les armes et la terreur. Ce rôle est joué au Congo par l’alliance entre les Rebelles, le Rwanda et l’Ouganda. Au Nicaragua, les « Instituts de la Démocratie » ont organisé d’innombrables séminaires sur les questions de la démocratie et des élections, séminaires qu’ils ont utilisé pour créer une opinion publique anti-sandiniste. Par la guerre contre-révolutionnaire, les Américains ont créé la misère et le désespoir dans le peuple; par des flots de dollars, les Américains ont payé la propagande électorale des partis réactionnaires. Militairement et politiquement affaiblis, les forces nationalistes du Nicaragua ont finalement été renversées « par la voie électorale».

Au Congo aussi, les Américains suivent cette voie. Voici ce qu’en dit le Rapport Spécial : «Les Etats-Unis et d’autres gouvernements devraient régulièrement et collectivement avoir des rapports avec le RCD, le MLN, des responsables des partis politiques et de la société civile dans les zones contrôlés par les rebelles pour discuter toute une série de questions concernant la démocratie et les droits fondamentaux. Cela fait partie du processus de transition, lié à l’application de l’accord de Lusaka. Il faut planifier maintenant que les instituts américains pour la démocratie entrent pendant la période de transition en contact avec les représentants des partis et de la société civile aussi bien l’Ouest qu’à l’Est du Congo. … Un objectif majeur dans tout le Congo est le développement de dirigeants futurs» (Special Report, p.11). Les «démocrates» américains qui vont bientôt descendre sur Kinshasa, Gbadolite, Goma et Bukavu ont donc aussi pour tâche de « développer les dirigeants futurs » du Congo !

Ce qui rappelle qu’en 1960, Karl von Horn, le général suédois travaillant pour les services américains, dirigea les troupes de l’ONU envoyées au Congo. Dans ses mémoires, publié en 1966, il se vante d’avoir combattu Lumumba et d’avoir «découvert» le seul homme capable de diriger le Congo : Mobutu. Il écrit : «Contrairement à Lumumba, Mobutu me semblait un patriote authentique qui ne perdait pas son temps à jouer avec des théories communistes». (Karl von Horn: Soldat de la Paix, éd Presses de la Cité, Paris, 1966, p. 228.). Les Américains «développèrent» les Bomboko, Ndele, Cardoso, Tshisekedi et Boboliko, pour ne nommer que quelques commissaires du gouvernement installé après le premier coup d’Etat de Mobutu, le 14 septembre 1960, puis des Mulamba, Bomboko (encore !), Kidicho, Bolikango, Tshisekedi (encore !) pour ne mentionner que quelques ministres du gouvernement du second coup d’Etat de Mobutu, le 24 novembre 1965.

Source :  Ludo Martens : Analyse de l’Accord de Lusaka et de ses pièges : Les plans américains pour la division et la mise sous tutelle du Congo, septembre 1999.

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