Congo, la patrie vampirisée : de Mobutu aux Tshisekedi

Cinquante ans de prédations et de misère programmée ou comment la République démocratique du Congo a été dévorée par ses élites et sacrifiée sur l’autel du néocolonialisme.


Qui, en son âme et conscience, oserait croire que cette effroyable tragédie des carnages à l’Est du pays aurait perduré si la République démocratique du Congo était gouvernée par un État responsable, armé de la volonté de protéger son peuple et son territoire ? La réponse est brutale : nul n’y croit. Car les massacres de Beni, de Rutshuru, d’Ituri ou de Bukavu ne sont pas des fatalités géographiques ni des malédictions ethniques. Ils sont les symptômes d’un abandon, d’un crime d’omission, d’une complicité d’État. La RDC, immense corps malade, agonise sous les convulsions sociales et les hémorragies militaires, pendant que ses dirigeants s’installent dans l’indifférence.

Dans les couloirs feutrés des palais présidentiels et dans l’opacité des ministères, les politiciens observent le désastre comme on contemple une pluie lointaine. Nulle urgence ne les presse, nulle responsabilité ne les accable. Les arriérés de salaires des fonctionnaires, l’effondrement des infrastructures, les hôpitaux désertés, la faim qui gronde dans les ventres : tout cela est devenu la normalité. Les deniers publics, dilapidés dans des festins cyniques, se dissolvent dans les comptes bancaires de quelques privilégiés, tandis que la nation, elle, s’épuise, étranglée par le désordre et l’anarchie. La RDC vit ainsi dans une forme de coma institutionnel, où les élites vampiriques prospèrent sur le corps exsangue d’un peuple qui ne sait plus s’il doit crier ou se taire.

Posons la question avec la froideur des logiciens : à qui profitent ces tueries ? À qui profitent les boucheries ? La réponse, elle aussi, ne laisse guère de doute. Les massacres de jeunes, d’intellectuels, d’artisans, de cultivateurs, sont autant de boucheries où se sacrifie l’avenir d’un pays. Chaque cadavre n’est pas seulement une vie volée, mais une bibliothèque incendiée, une invention détruite, une chanson étouffée. Or, derrière cette hécatombe, l’incurie et la cupidité des dirigeants trouvent leur compte. Comme si la guerre était devenue une rente. Les uns y voient des contrats miniers, d’autres des marchés d’armement, d’autres encore l’occasion d’asseoir leur domination politique en jouant sur la peur.

La guerre, cette faucheuse sinistre, nourrit la bourgeoisie prédatrice qui s’engraisse du sang des prolétaires. La classe politique congolaise, depuis l’indépendance, s’est donc transformée en caste de vampires. Elle vit des impôts du peuple comme on vit d’une moisson forcée, mais elle n’est pas rassasiée. Elle boit aussi le sang, elle dévore les rêves. Chaque décret, chaque contrat signé de gré à gré, chaque trafic de minerais est une morsure supplémentaire. Nos gouvernants n’aperçoivent la détresse du pays que lorsque leurs propres privilèges sont menacés. Tant que la mort ne touche que la jeunesse des campagnes et les familles prolétaires, le système se perpétue, insatiable.

Face à cette oligarchie prédatrice, il y a l’autre classe : celle des damnés de la terre congolaise. Une population enfermée dans la misère existentielle, corps et esprit enchaînés. Cette masse, immense et innombrable, cherche avidement ce qui pourrait la sauver — non dans dix ans, non même demain, mais aujourd’hui. Elle réclame du pain, de l’eau, un toit, des soins. Et que trouve-t-elle ? Des commérages parlementaires, des dialogues sans fin, des discours creux, des promesses évaporées. Les mères élèvent leurs enfants en disputant chaque jour leurs vies à la maladie et à la faim. Elles soignent, elles nourrissent, elles protègent. Mais à vingt ans, la patrie-marquise envoie leurs fils se faire tuer dans les guerres de l’Est, ou bien les condamne à errer dans une vie sans horizon. La patrie n’est plus une mère, elle est une marâtre, indifférente et cruelle. Sous Léopold II, sous Mobutu comme sous les Kabila et Tshisekedi, le Congo est le théâtre d’hécatombes silencieuses : massacres par balles et massacres par la faim. Le génocide humide et le génocide sec, tous deux orchestrés par un système qui a choisi la prédation contre la vie.

Ni les illusions financières des uns, ni les emprunts internationaux, ni les concertations nationales, ni les partages de pouvoir arrangés ne suffiront à sortir le pays de cette spirale. Car ce qui manque n’est pas une conférence de plus, mais une rupture. Le peuple est endormi par les calembredaines des marchands de phrases, par ces charlatans couronnés qui répètent mille fois les mêmes promesses. Leur art consiste à détourner l’attention, à effleurer la misère sans jamais y plonger les mains. Pendant ce temps, la société se fracture, s’anémie. Les « barrières idiotes » — ethniques, régionales, partisanes — divisent artificiellement le peuple, entretenant les haines pour mieux protéger les brigands couronnés.

Le peuple, étouffé sous les griffes de ses vampires, ne pourra indéfiniment suer des milliards d’impôts pour nourrir la voracité de quelques-uns. Rien n’est investi dans l’éducation, dans la santé, dans la reconstruction. Le crédit public est ruiné, la confiance anéantie. À l’heure du capitalisme sauvage et de la compétition mondiale, la RDC semble condamnée au statu quo, comme si toute alternative était devenue impossible. Pourtant, l’histoire enseigne que les peuples ne dorment jamais éternellement. La gangrène financière et politique avance, mais elle peut être stoppée par des esprits intrépides, des bâtisseurs de justice. Un invincible courant doit s’élever pour sonder les causes viscérales de ce mal, pour diagnostiquer la société congolaise comme un médecin sonde les organes malades. Et ce diagnostic ne peut qu’aboutir à un verdict : le crime de lèse-patrie n’est pas une abstraction, il est incarné dans l’actuelle classe politique, dans sa médiocrité, dans son mépris du savoir et de la science.

La jeunesse congolaise est appelée à une tâche historique : rompre avec ce système vampirique. Ne plus se laisser duper par les illusions électorales, ne plus se rendre complice des prédateurs. La révolution n’est pas un mot vide, mais l’ultime recours face à un régime qui a choisi la mort plutôt que la vie. Car l’histoire ne pardonne pas aux peuples qui acceptent trop longtemps leur propre mise en servitude. La RDC n’est pas condamnée à l’anarchie et à la misère. Elle peut redevenir une patrie vivante, un lieu où la culture scientifique, la créativité, la jeunesse et la dignité reprennent leurs droits. Mais ce basculement exige le courage, la lucidité et la révolte. Le règne des vampires ne peut durer qu’aussi longtemps que le peuple leur tend ses veines. La rupture, violente ou pacifique, finira par s’imposer. Et le Congo, tel un phénix, renaîtra peut-être de ses cendres — à condition que ses enfants choisissent enfin la lumière contre les ténèbres.

JOSEPH BARAKA B.

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