« America’s Wars on Democracy in Rwanda and the DR Congo », fiche de lecture

PODUR, Justin, America’s Wars on Democracy in Rwanda and the DR Congo, Palgrave Mac Millan, Switzerland, 2020, 404 pages. Voir sur Amazon.


Ce livre examine les interventions américaines en République démocratique du Congo et au Rwanda – deux pays dont les histoires post-indépendance sont indissociables. Il analyse les campagnes américaines visant à empêcher Patrice Lumumba de transformer la RD Congo en une république souveraine, démocratique et prospère sur un continent où l’alliée de l’apartheid, l’Afrique du Sud, était hégémonique ; L’installation et le soutien de Mobutu par l’Amérique pour maintenir la région sous contrôle néocolonial ; et la préemption par l’Amérique du mouvement panafricain pour la démocratie multipartite au Rwanda et au Zaïre dans les années 1990 en soutenant le Front patriotique rwandais (FPR) de Paul Kagame. En outre, le livre aborde les concepts de développement africain, de démocratie, de génocide, de politique étrangère et de politique internationale.

Ce livre s’ouvre sur le fantasme qu’en 2020, Patrice Lumumba, toujours en vie, fêterait ses 95 ans. Le père du nationalisme congolais va connaître une retraite bien méritée, qui ne sera que l’heureuse fin d’une carrière d’ancien Premier ministre, président de la République et secrétaire général des Nations Unies. Le rêve d’une RDC unifiée et indépendante qu’il réclamait se serait réalisé, et c’est avec un esprit plus apaisé que ce Lumumba se serait sans doute retiré de la vie publique (inter)nationale. Cette description fictive de ce qu’aurait pu devenir la RDC sous la direction de Lumumba est le point de départ choisi par Podur pour écrire ce livre rempli d’informations historiques et de critiques pertinentes du colonialisme occidental en Afrique. Si Podur choisit la fiction pour décrire la trajectoire politique qu’aurait proposé Lumumba à son pays, c’est pour remettre en question les écrits des africanistes qui ont toujours douté de la capacité de Lumumba à réaliser ses projets d’unité et de prospérité dans une Afrique déchirée par la guerre et la corruption. Bien qu’écrivant sur l’Afrique, Podur se présente d’emblée comme ne faisant pas partie des experts africanistes pessimistes quant à l’avenir du continent.

Le reste du livre n’est pas fictif mais s’appuie sur une revue d’une littérature diversifiée, abondamment citée, réinterprétée puis critiquée par l’auteur. Les auteurs critiqués dans le livre ne seront pas forcément d’accord avec cette réinterprétation. La littérature sur laquelle s’appuie Podur est d’autant plus importante à déconstruire qu’elle constitue l’une des sources d’informations dans lesquelles les «Européens et Nord-Américains qui gouvernent le Congo à travers les sociétés minières, les opérations de contrebande, les institutions financières internationales, les ONG, les opérations des Nations Unies et programmes d’aide étrangère…»(p.20) forgent leur imaginaire sur eux-mêmes et sur l’Afrique. Par exemple, leurs écrits ont souvent présenté les Tutsi du Rwanda comme des aristocrates, tandis que les Hutu sont présentés comme d’habiles agriculteurs. Quant aux Luba du Kasaï, la taxonomie raciste belge les plaçait sur le piédestal des grands travailleurs du Congo (p.32), par opposition aux autres groupes ethniques.

L’enracinement de cette taxonomie sociale des groupes ethniques a non seulement alimenté les futurs conflits au sein de cette région, mais a également été exacerbé par le refus de l’ancien colonisateur de développer l’éducation au sein de ses anciennes colonies. Ce refus servit plus tard de subterfuge à la Belgique, lorsqu’elle s’opposa à l’indépendance, sous prétexte que ses colonies n’y étaient pas préparées (p.34). Selon Podur, les africanistes occidentaux, ainsi que les médias occidentaux, jouent un rôle central dans la fabrication de l’opinion publique sur l’Afrique. Cependant, Podur ne mentionne pas les amitiés, les contacts élèves-enseignants ou les interactions conjugales entre Africains et Occidentaux qui génèrent une opinion parallèle, voire contradictoire, à celle des médias et des africanistes.

Podur va encore plus loin, estimant qu’il existe une tendance parmi les africanistes à manipuler les faits historiques et à insulter les dirigeants africains. Il décèle une telle propension à l’insulte, par exemple, chez Michela Wrong, Jason Stearns et Roméo Dallaire. Les deux premiers critiquaient l’apparence physique de Laurent Désiré Kabila en termes de «grosses têtes» et de «drôle de tête potelée», tandis que le troisième présentait «la violence au Rwanda comme une forme d’art local» (p. 55). Au-delà des polémiques, Podur analyse plusieurs événements historiques en RDC et au Rwanda, soulignant le rôle joué par les colonisateurs européens, ainsi que par les États-Unis, dans leur survenue. Parmi ces événements figure le rôle joué par la sécession du Katanga, alimentée par la France, le Portugal, la Belgique, les États-Unis et les Nations Unies. Une sécession que Lumumba a voulu empêcher en vain. Mais une fois Lumumba assassiné, l’idée d’unité en RDC qu’il soutenait a été paradoxalement encouragée par les mêmes puissances occidentales.

Cependant, la poursuite de la lutte nationaliste révolutionnaire post-Lumumba au Katanga et à Stanleyville n’a pas porté ses fruits, malgré l’implication de Che Guevara. Les mercenaires néocoloniaux, les militaires occidentaux et l’armée de Mobutu ont eu recours à une violence massive, incendiant les maisons, violant les femmes («ce qu’ils considéraient comme un buffet sexuel», p. 101), détruisant les récoltes, de sorte que les villageois n’avaient absolument plus rien à manger. La frustration des villageois a ainsi privé les nationalistes révolutionnaires de leur base populaire, ce qui aurait pu les aider à mieux combattre leurs opposants. La rébellion congolaise (terme utilisé par Podur), qui peut aussi être décrite comme un exemple de nationalisme révolutionnaire, a finalement été vaincue, malgré la résistance de Guevara. Selon Jean Claude Marlair, officier belge, cité par Podur à la page 106, la «rébellion» a fait plus de 200 000 morts côté congolais, contre 300 combattants tués du côté des forces occidentales.

Le travail des puissances occidentales en RDC et au Rwanda, mais aussi au Burundi, ne s’est pas limité à la répression, mais a également consisté à choisir les dictateurs avec lesquels elles devaient collaborer. Après Mobutu en RDC, le choix des Occidentaux s’est porté sur Paul Kagame. Par exemple, ils ont accompagné Mobutu dans son processus de répression contre les rebelles et ont facilité son accès à la Banque mondiale et au FMI, l’incitant ainsi à piller son pays, car ils étaient pleinement conscients de la mauvaise gestion qui a prévalu au Congo sous sa direction. Une partie de cette mauvaise gestion trouve son origine dans la loi Bakajika de Mobutu, qui obligeait toutes les entreprises européennes à établir leur siège social au Congo, au risque de voir leurs actifs confisqués. Ayant acquis la direction de certaines sociétés extractives comme l’Union minière du Haut Katanga (p. 152), l’autocrate a mis en place une économie de prédation qui a ruiné la RDC, la plaçant sous la dépendance des institutions de Bretton Woods. Les mauvaises performances économiques, associées à une accumulation de dettes, n’ont pas effacé le soutien occidental au dictateur de la RDC.

Le soutien occidental aux dictateurs n’a pas non plus fait défaut à Paul Kagame. Ce soutien a été apporté dès le départ à travers le soutien logistique, géographique et géopolitique apporté à Kagame par Yoweri Museveni. Après être revenu sur la promesse qu’il avait faite à Juvénal Habyarimana en octobre 1990 de mettre fin à l’offensive du Front patriotique rwandais (FPR), Museveni entreprit plutôt d’aider le FPR à déstabiliser son régime. Après avoir été formé par les Américains aux États-Unis et par Museveni, Kagame s’est lancé dans une guerre sans merci contre le régime de Habyarimana, dans un contexte qui lui était favorable, dans lequel «ses sponsors américains et Dallaire (le commandant des forces de l’ONU) avaient tous décidé à ce moment-là que le FPR devait arriver au pouvoir par la force des armes» (p. 187). Podur affirme également que Kagame a orchestré le massacre de centaines de milliers de Rwandais tant au Rwanda que dans les camps de réfugiés de l’est de la RDC. Il ressort de l’analyse de Podur que le génocide rwandais ne peut être rendu intelligible dans tous ses aspects historiques sans prendre en compte les massacres pré-génocide et post-génocide commis par Paul Kagame et ses patrons américains.

Dans le soutien inconditionnel qu’il recevait des Américains, Kagame se tournait toujours vers Washington chaque fois qu’il était en difficulté, notamment militairement (p.345). Ce recours a par exemple été observable lors de la guerre qui l’opposait à son ancien allié Kabila en 1998. Lorsque ses soldats menés par Kaberebe perdaient contre les armées de la RDC, du Zimbabwe et de l’Angola qui se rangeaient du côté de Kabila, les Américains ont exercé une pression énorme sur ces pays pour qu’ils renoncent à la bataille, explique Podur. Ce répit accordé à Kagame lui a donné l’opportunité de repartir en guerre, en s’unissant à l’Ouganda, pour mieux dominer ses adversaires, et installer une économie de pillage des ressources congolaises estimées aujourd’hui à plusieurs milliards de dollars. Cette économie de pillage n’est pas toujours mise en avant dans certains écrits africanistes, qui préfèrent présenter le dirigeant rwandais comme un homme d’État qui a reconstruit son pays après la guerre, malgré le manque de démocratie qui y règne.

L’ouvrage de Podur a le mérite de s’engager dans une revue majeure des travaux scientifiques publiés sur le Congo et le Rwanda depuis l’indépendance. Un tel chantier analytique est nécessaire dans un univers africaniste où plusieurs ouvrages se chevauchent, se contredisent et se critiquent, sans toujours donner l’occasion aux étrangers à l’univers africaniste de donner leur point de vue. C’est dans le contexte de ce type d’analyses externes que les écrivains africanistes examinent leurs positions scientifiques et politiques à l’égard de l’Afrique. Cependant, Podur ne parvient pas à prendre en compte la réalité de la non-existence de «l’africanisme en tant que communauté épistémique».(1) La qualification d’africaniste est probablement à attribuer à la fois à Podur et aux auteurs qu’il critique. Par ailleurs, la violence meurtrière, qui est l’une des caractéristiques fondamentales des «États fétichistes»(2), n’est pas seulement l’apanage de Paul Kagame. Elle est inhérente à l’histoire globale des sociétés contemporaines, dans lesquelles les chefs d’État, bien que coupables de crimes, ont souvent bénéficié d’une surprenante immunité dans le concert des nations. Par ailleurs, l’existence de violences meurtrières à l’échelle mondiale n’exonère pas les régimes de la RDC et du Rwanda des désastres politiques provoqués dans la région des grands lacs.

Note

  1. ATENGA, T, « L’Africanisme dans les sciences de l’information et de la communication: de l’utopie (?) d’une communauté épistémique », Histoire de la recherche contemporaine, Tome VIII, n°2, 2019, pp. 200-207.
  2. EBOUSSI BOULAGA, F, Les conférences nationales souveraines en Afrique, une affaire à suivre, Paris, Khartala, 1993

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