Le spectre de la maladie hépatique chronique comprend l’inflammation du foie (hépatite), la fibrose hépatique et la cirrhose hépatique. L’inflammation est un moteur essentiel de la progression de la maladie du foie vers la fibrose hépatique et finalement la cirrhose. Alors que la fibrose était auparavant considérée comme un processus pathologique irréversible, une meilleure compréhension de la physiopathologie et des facteurs de risque montre que la régénération du foie et la régression de la fibrose sont possibles. Une fois le diagnostic de cirrhose du foie posé, il est important de faire la distinction entre maladie compensée et décompensée. Les patients atteints de cirrhose du foie compensée sont souvent asymptomatiques et présentent une maladie indolente. La cirrhose du foie décompensée est caractérisée par des complications de l’hypertension portale, notamment une ascite, une péritonite bactérienne spontanée, une encéphalopathie hépatique, un syndrome hépatorénal, un syndrome hépatopulmonaire, et un saignement variqueux (hémorragie variqueuse œsophagienne), … Alors que la sévérité de l’hépatopathie chronique s’étend sur un continuum, la prise en charge est plus facilement différenciée entre cirrhose compensée et décompensée. Dans cette revue, nous discutons de la physiopathologie, des caractéristiques cliniques et de la prise en charge de la cirrhose et de ses complications courantes sur la base d’une revue de la littérature et des directives de pratique clinique actuelles de l’Association américaine pour l’étude des maladies du foie (American Association for the Study of Liver Diseases, AASLD).
1. Définitions
1.1. Le foie
Le foie est une glande abdominale brun rouge faisant partie du système digestif, d’un poids moyen de 1500g auxquels s’additionnent 800 grammes de sang, situé dans la région sous-phrénique droite, dans la partie supérieure de la région coeliaque et dans la partie attenante de la loge sous-phrénique gauche ; qui mesure en moyenne 28 cm de côté, 16 cm de haut et 8 cm d’avant en arrière ; et qui sécrète la bile et assure un grand nombre de fonctions métaboliques (plus de 300) indispensables à la vie dont trois principales : la fonction de stockage, la fonction d’épuration, et la fonction de synthèse.
Le foie reçoit le sang de deux vaisseaux majeurs : l’artère hépatique et la veine porte. En pénétrant dans le foie, ces vaisseaux se divisent jusqu’à former un très dense réseau de vaisseaux perfusant le foie : (1) l’artère hépatique qui naît du tronc coelique (courte artère issue de l’aorte) se divise en deux ou trois artères (selon les individus), elle va irriguer le foie en oxygène, et (2) la veine porte qui naît de la réunion de la veine mésentérique supérieure, de la veine mésentérique inférieure, et de la veine splénique. Le sang de la veine porte apporte donc des substances provenant de l’estomac, des intestins, de la rate et du pancréas, qui seront transformées au cours de leur passage dans le foie, C’est cette veine qui sera impliquée dans l’hypertension portale et son origine anatomique explique les symptômes associés. Le sang s’évacue via les trois veines sus-hépatiques qui se jettent ensuite dans la veine cave inférieure. Le foie est également parcouru par de nombreux canaux biliaires qui recueillent la production hépatique de bile, fusionnent dans le canal cholédoque pour déverser la bile dans l’intestin.
Illustration 1 : La Vascularisation hépatique.
1.2. La cirrhose
La définition de la cirrhose est histologique. C’est une affection irréversible et diffuse du foie caractérisée par une fibrose cicatricielle évolutive ou non qui désorganise l’architecture lobulaire normale et la formation de nodules et dont résulte trois conséquences (1) l’insuffisance hépatocellulaire, déficit fonctionnel lié à la diminution du nombre des hépatocytes et à la mauvaise qualité de leur vascularisation ; (2) l’hypertension portale, en amont du foie qui se comporte comme un obstacle réduisant le flux et augmentant la pression dans la veine porte d’où formation de voies de dérivation notamment de varices œsophagiennes à l’origine d’hémorragies digestives ; et (3) un état précancéreux: le développement d’un carcinome hépatocellulaire sur le foie remanié par la cirrhose est fréquent après 15 à 20 ans d’évolution. La gravité de la maladie est évaluée grâce à la classification de Child-Pugh qui se base sur des résultats cliniques et biologiques. On totalise des points selon le tableau ci-dessous : stade A: 5 à 6 points, B: 7 à 9, C: 10 à 15 points.
2. Étiopathogénie générale
Nous pouvons classer les causes de la cirrhose en quatre grands groupes : (1) les causes virales : hépatites virales B et C, (2) les maladies autoimmunes : cirrhose biliaire primitive et l’hépatite auto-immune (3) les maladies de surcharge : surcharge en fer pour l’hémochromatose et surcharge en cuivre pour la maladie de Wilson, et (4) l’alcool. Les principales causes de cirrhose de l’adulte sont : (1) l’alcool, dans 50 à 75 % des cas, associé dans au moins 10% des cas à une hépatite virale C, (2) l’hépatite chronique à virus C, dans 15 à 25 % des cas, (3) l’hépatite chronique à virus B, dans 5 % des cas. Les autres causes (5% des cas) sont plus rares: l’hémochromatose génétique, la cirrhose biliaire primitive, l’hépatite auto-immune, la maladie de Wilson, le déficit en α-1 antitrypsine, la cirrhose biliaire secondaire, etc.
Mais comment ces maladies conduisent-elles à la cirrhose? Normalement, la matrice extracellulaire hépatique est constituée de faibles quantités de collagène, de glycoprotéines non collagéniques, de protéoglycanes et de fibres élastiques, synthétisées par les cellules stellaires du foie. Il existe un mécanisme de régulation qui permet d’obtenir un équilibre entre la production de ces protéines naturelles (fibrogénèse) et leur dégradation (fibrolyse). En cas d’agression chronique du foie, il y a une destruction hépatocytaire (mort cellulaire des hépatocytes en réponse à une lésion hépatique). Cela conduit à l’activation des cellules étoilées hépatiques péri-sinusoïdales (cellules de Ito), qui se transforment en myofibroblastes qui commencent à déposer un excès de matrice extracellulaire fibreuse dans l’espace de Disse et l’espace porte (les cellules étoilées stimulées sont responsables d’une hyperproduction des substances fibrosantes précédentes dépassant les capacités de dégradation). Ce processus de guérison anormal est en outre entraîné par des cytokines inflammatoires et des espèces réactives de l’oxygène.
Le nouvel espace épaissi et congestionné de Disse sépare les hépatocytes du flux sanguin sinusoïdal. Il en résulte des îlots d’hépatocytes régénératifs entourés de tissu fibreux. Initialement, la fibrose hépatique reste limitée aux régions périportales ou périveinulaires. Comme les lésions chroniques favorisent la formation fibreuse persistante, la fibrose peut s’étendre pour traverser les lobules, entre les régions portes et/ou entre les régions portes et les veines centrales. À mesure que la fibrose progresse, le système vasculaire hépatique se déforme, entraînant une congestion hépatique, un mauvais flux veineux et une haute pression portale (il convient de noter que les schémas histologiques des nodules régénératifs, la perte de parenchyme et les schémas de cicatrisation peuvent différer en fonction de la maladie sous-jacente). C’est ce déséquilibre entre fibrogénèse et fibrolyse au profit de la fibrogénèse qui aboutit à la formation d’une fibrose extensive. Pour compenser la destruction des hépatocytes, il se produit une régénération des hépatocytes restants, mais du fait de la fibrose, cette régénération des hépatocytes n’aboutit plus à la reconstitution de lobules normaux, mais à la formation d’amas d’hépatocytes ayant perdu leurs connexions vasculaires et biliaires normales; c’est à ces amas d’hépatocytes qu’on donne le nom de nodules de régénération.
Il résulte de ce bouleversement architectural du foie d’une part une diminution de la masse fonctionnelle hépatique et de la qualité des échanges entre le système vasculaire et les espaces intercellulaires avec comme conséquence une insuffisance hépatocellulaire. Une diminution de la synthèse protéique dans le foie entraîne en premier lieu une hypoalbuminémie (mais aussi une hypocholestérolémie), avec pour conséquence la formation d’ascites, l’accumulation de liquide extracellulaire dans la cavité abdominale et l’apparition d’autres œdèmes. Ces phénomènes réduisent le volume plasmatique avec pour conséquence secondaire un hyperaldostéronisme qui conduit à une hypokaliémie, ce qui favorise à son tour l’apparition d’une alcalose. Par ailleurs, la réduction de la capacité de synthèse hépatique fait chuter la concentration plasmatique en facteurs de coagulation. Il se produit aussi une diminution des fonctions d’épuration et des fonctions biliaires du fait de l’insuffisance hépatocellulaire (d’où une choléstase), qui non seulement aggrave les lésions hépatiques, mais également la tendance aux saignements par hypoprothrombinémie (la carence en sels biliaires diminue la formation de micelles et donc l’absorption de vitamine K au niveau de l’intestin, si bien que la y-carboxylation des facteurs de coagulation, prothrombine (II), VII, IX et X, dépendante de la vitamine K, est réduite, en meme temps que l’on note une baisse de facteur V dont la synthèse est indépendante de la vitamine K1). Le manque en facteurs de coagulation actifs, la thrombocytopénie et la formation de varices prédisposent le sujet à des saignements sévères (AVC Hémorragique, .…).
D’autre part, une hypertension portable (hypertension porte, HTP) par bloc intrahépatique en rapport avec la fibrose et les phénomènes vasomoteurs intrahépatiques, qui conduisent à une diminution de la production intrahépatique de monoxyde d’azote (NO) (vasodilatateur) et augmentation de la synthèse intrahépatique d’endothéline (vasoconstricteur). Cette hypertension porte entraine (1) une circulation veineuse collatérale sous cutanée pouvant être porto cave supérieure, porto cave inferieure, mixte ou réaliser un aspect dit en “tête de méduse” ; (2) une aggravation de l’ascite à cause de la stase lymphatique dans le foie, (2) une thrombocytopénie conséquente à la splénomégalie liée à la stase portale, et (4) les signes fibroscopiques (à la fibroscopie) que sont les varices qui se développent au niveau du bas oesophage (varices oesophagiennes) ou de la grosse tubérosité gastrique et au niveau de l’estomac par une gastropathie hypertensive. Elles se développent lorsque le gradient de pression entre le système porte et cave dépasse 10mmHg. Les varices oesophagiennes apparaissent sous forme de cordons variqueux, habituellement au nombre de 4, naissant au niveau de la jonction des muqueuses gastrique et oesophagienne et se développant vers le haut jusqu’au niveau de la crosse de l’azygos. Les varices gastriques peuvent être associées aux varices oesophagiennes; elles sont visibles en rétro vision sous l’aspect de gros plis bleutés localisés au niveau de la région sous-cardiale et de la grosse tubérosité. La gastropathie de l’hypertension portale se manifeste fibroscopiquement par la présence au niveau du fundus d’un réseau réticulé blanchâtre délimitant des mosaïques érythémateuses. Ces varices présentent quelques fois des signes rouges à leur surface.
Finalement, l’hypertension porte provoque une entéropathie exsudative qui, d’un côté, augmente encore les ascites à cause de la perte d’albumine plasmatique et de l’autre, alimente les bactéries du gros intestin en protéines déversées dans la lumière intestinale. Il y a donc une augmentation locale de la libération d’ammoniaque (NH4-OH ou NH3), toxique pour le cerveau. Cette hyperammoniémie, en partie responsable d’une encéphalopathie (apathie, trous de mémoire, tremblements appélés astérixis, coma hépatique, …), sera renforcée par les faits que (1) les saignements gastro-intestinaux participent également à l’apport de protéines dans le côlon ; (2) le foie défaillant n’est plus capable de transformer de façon suffisante l’ammoniaque en urée ; (3) l’hypokaliémie mentionnée déclenche une acidose intracellulaire, ce qui fait augmenter la formation d’ammoniaque dans le rein et déclenche en même temps une alcalose systémique. Celle-ci présente de plus une composante respiratoire, lorsque le patient hyperventile à cause de son encéphalopathie. D’autres substances toxiques pour le cerveau, comme les aminés, les phénols et les acides gras à chaîne courte, qui en temps normal sont extraits par le foie, mais le contournent en cas d’hypertension porte, interviennent également dans cette encéphalopathie. Finalement, le cerveau synthétise de faux neurotransmetteurs (par ex., la sérotonine) à partir des acides aminés aromatiques qui apparaissent dans le plasma en plus grandes quantités lors d’une insuffisance hépatique.
3. Diagnosctic de la cirrhose
3.1. Clinique : histoire et examen physique
Pour les stades B et supérieurs de la classification de Child-Pugh, le diagnostic est assez aisé comme le montre le tableau des points attribués. Une cirrhose de stade A ne présente souvent pas de manifestations fonctionnelles ni de complications, elle est alors dite «compensée». L’examen au cours d’une cirrhose compensée trouve une hépatomégalie, qui n’est pas constante. Le foie est dur, à bord inférieur régulier et tranchant, indolore. Il existe des signes d’hypertension portale (splénomégalie de volume variable, inconstante et surtout circulation collatérale abdominale). Les signes les plus constants sont des symptômes cutanés d’insuffisance hépatocellulaire (nævus ou angiomes stellaires, siégeant dans le territoire de la veine cave supérieure, érythrose palmaire, agrandissement de la lunule de l’ongle). La maladie est détectée accidentellement par des examens de laboratoires, des examens physiques ou par imagerie. L’un des résultats courants est une élévation légère à modérée des aminotransférases ou de la γ-glutamyl transpeptidase (γ-GT) avec une éventuelle hypertrophie du foie (hépatomégalie) ou de la rate (splénomégalie) à l’examen. Cette compensation cache la dégradation hépatique qui se poursuit d’où la vitesse d’évolution du tableau clinique lors d’une décompensation.
Illustration 2. Caractéristiques cliniques de la cirrhose. (A) Nævus araignée (araneus) ou angiomes stellaires. (B) Ictère scléral sévère. (C) Ascite. © Perez IC et al, 2021. Il existe plusieurs signes de l’insuffisance hépatique avancée qui peuvent être visualisés à l’examen physique, notamment l’érythème palmaire, les naevus d’araignée (Figure 1A), la gynécomastie, l’ictère scléral (Figure 1B), la diminution des poils et l’atrophie testiculaire. L’érythème palmaire se caractérise par un rougissement des éminences thénar et hypothénar. Les naevus d’araignée et la gynécomastie sont liés à une augmentation des taux plasmatiques d’œstrogènes. La jaunisse résulte de la pigmentation biliaire dans les tissus et est observée dans la sclérotique avec des taux de bilirubine aussi bas que 2,5 mg/dL. Des découvertes supplémentaires telles que des caput medusae, des hémorroïdes et une splénomégalie peuvent être observées dans le cadre d’une pression portale accrue.
D’un autre côté, les patients atteints de cirrhose décompensée présentent généralement un large éventail de signes et de symptômes résultant d’une combinaison de dysfonctionnement hépatique et d’hypertension portale. Le diagnostic d’ascite (distension abdominale manifeste causée par l’accumulation de liquide dans la cavité péritonéale), d’ictère, d’encéphalopathie hépatique, d’hémorragie variqueuse ou de carcinome hépatocellulaire chez un patient atteint de cirrhose signifie le passage d’une phase compensée à une phase décompensée de la cirrhose. D’autres complications de la cirrhose comprennent la péritonite bactérienne spontanée et le syndrome hépatorénal, qui surviennent chez les patients souffrant d’ascite.
L’examen physique chez les patients atteints de cirrhose peut révéler des stigmates d’une maladie hépatique chronique (nævus ou télangiectasies en araignée, érythème palmaire, maladie de Dupuytren, gynécomastie, atrophie testiculaire), des signes d’hypertension portale (ascite, splénomégalie, caput medusae, souffle de Cruveilhier-Baumgarten-bourdonnement veineux épigastrique), des signes d’encéphalopathie hépatique (confusion, astérixis et fetor hepaticus) et d’autres caractéristiques telles qu’un ictère, une hypertrophie parotidienne bilatérale et une pilosité thoracique/axillaire rare. En fait, les signes sont sont :
A. Vasculaires : L’hypertension portale peut provoquer une ascite, une hépatosplénomégalie et un syndrome de Cruveilhier-Baumgarten (une proéminence des veines abdominales périombilicales due à une circulation collatérale importante avec, au niveau de l’ombilic, un aspect en «tête de méduse» ou caput medusae. La palpation peut retrouver un thrill et l’auscultation un souffle vasculaire continu, de type veineux, en regard du ligament rond).
La progression de la fibrose hépatique peut entraîner une aggravation de l’hypertension portale et la formation de shunts veineux portosystémiques, notamment des varices œsophagiennes, des varices gastriques et des hémorroïdes. Les varices se développent à un taux de 5% par an avec des taux significativement plus élevés chez les patients atteints de cirrhose décompensée. Ils sont présents chez environ 85% des patients présentant une cirrhose décompensée et un gradient de pression veineuse hépatique (HVPG) supérieur à 10 mmHg. Le risque d’hémorragie variqueuse dépend de la taille des varices (petites varices inférieures à 5 mm par rapport aux grandes varices supérieures à 5 mm), de la présence de marques rouges ou de taches rouge cerise sur les varices et de la gravité du dysfonctionnement hépatique tel qu’indiqué par le Score de Child-Pugh.
B. Hématologiques (Troubles hémorragiques et coagulopathie dans la cirrhose) : L’anémie peut survenir en raison d’une carence en folate, d’une anémie hémolytique (anémie à cellules souches dans les maladies alcooliques graves du foie) et d’un hypersplénisme. Il peut y avoir une pancytopénie due à un hypersplénisme dans l’hypertension portale, à une altération de la coagulation, à une coagulation intravasculaire disséminée et à une hémosidérose chez les patients atteints de cirrhose pour différentes causes.
De plus, les patients atteints de cirrhose présentent un déséquilibre hémostatique avec un risque accru de saignement en raison de déficits en facteur de coagulation, de thrombocytopénie, de dysfonctionnement plaquettaire et d’un système fibrinolytique altéré et un risque concomitant de thrombose de la veine porte en raison d’une stase veineuse accrue dans la veine porte). Le déficit en facteurs de coagulation affecte principalement les facteurs dépendants de la vitamine K : II, VII, IX et X. La séquestration splénique et la diminution des niveaux de production de thrombopoïétine entraînent une thrombocytopénie. De plus, la fibrinolyse se produit en raison de la coagulation intravasculaire accélérée et de la fibrinolyse (AICF), qui provoque la dissolution prématurée du caillot. À l’inverse, des déficits en protéine C et en protéine S avec des élévations du facteur von Willebrand peuvent conduire à un état d’hypercoagulabilité. Des niveaux élevés de facteur von Willebrand dérivé de l’endothélium et de facteur VIII dérivé de l’endothélium favorisent également l’hypercoagulabilité et peuvent contribuer à la progression de l’insuffisance hépatique par thrombose des petits vaisseaux dans le foie. Cela peut entraîner une ischémie et une atrophie dans un processus connu sous le nom d’extinction parenchymateuse.
Une complication grave et potentiellement mortelle de l’aggravation de l’hypertension portale est l’hémorragie variqueuse œsophagienne. Les patients les plus à risque d’hémorragie ont de grandes varices œsophagiennes (> 5 mm) avec une tension de paroi élevée. Les autres sources de saignement dans l’hypertension portale comprennent les varices gastriques et la gastropathie hypertensive portale. Ainsi, les patients cirrhotiques doivent subir une endoscopie diagnostique pour documenter la présence ou l’absence de varices et pour déterminer leur risque d’hémorragie variqueuse. Il convient de noter que l’atelier de consensus BAVENO VI a défini des critères pour identifier les patients atteints de cirrhose compensée chez qui l’endoscopie peut être évitée. Ceux-ci incluent une rigidité hépatique <20 kPa par élastographie transitoire et une numération plaquettaire >150 000/mm.
Illustration 3 : Varices œsophagiennes. (A) Varices hémorragiques. (B) Statut de varice hémorragique après baguage. © Perez IC et al. (2021), doi : 10.2147/HMER.S278032 C. Rénaux : Les patients atteints de cirrhose sont susceptibles de développer un syndrome hépatorénal secondaire à une hypotension systémique et à une vasoconstriction rénale, provoquant un phénomène de sous-remplissage. En effet, l’hypertension portale et la vasodilatation splanchnique, secondaires à la libération d’oxyde nitreux par les cellules endothéliales, entraînent une diminution du volume circulatoire effectif. Cette diminution du volume imite un réglage d’hypovolémie qui active le système rénine-angiotensine-aldostérone, active le système nerveux sympathique et libère l’hormone antidiurétique (ADH) entraînant une rétention de sodium et d’eau et une constriction vasculaire rénale. Cependant, cet effet n’est pas suffisant pour vaincre la vasodilatation systémique provoquée par la cirrhose, conduisant à une hypoperfusion rénale et aggravée par une vasoconstriction rénale avec comme critère d’évaluation une insuffisance rénale.
Ainsi, le syndrome hépatorénal est une complication grave d’une insuffisance hépatique aiguë ou chronique. Le syndrome hépatorénal est un diagnostic d’exclusion répondant aux critères majeurs suivants : cirrhose avec ascite, créatininémie supérieure à 1,5 mg/dL, pas d’amélioration de la créatininémie (≤ 1,5 mg/dL) après arrêt des diurétiques et réalisation d’un challenge albumine 3 jours (1g/ kg, max quotidienne est de 100g), absence de choc ou d’exposition à des médicaments néphrotoxiques, et absence de maladie rénale parenchymateuse. Une hyponatrémie symptomatique avec confusion, nausées, vomissements, troubles de la marche et crampes musculaires peut survenir si les niveaux de sodium chutent en dessous de 125 mEq/L. L’hyponatrémie sévère a été associée à de pires résultats et coïncide souvent avec une ascite réfractaire, une paracentèse fréquente à grand volume, une encéphalopathie hépatique, une PAS, un syndrome hépatorénal et une insuffisance hépatique chronique aiguë.
D. Pulmonaires : Les manifestations de la cirrhose comprennent le syndrome hépatopulmonaire, l’hypertension portopulmonaire, l’hydrothorax hépatique, une diminution de la saturation en oxygène, une inadéquation ventilation-perfusion, une capacité de diffusion pulmonaire réduite et une hyperventilation.
Illustration 4 . Radiographie thoracique démontrant un hydrothorax hépatique. © Perez IC et al. (2021), doi : 10.2147/HMER.S278032.E. Cutanés : Les nævus d’araignée (artérioles centrales entourées de multiples vaisseaux plus petits qui ressemblent à une araignée, d’où son nom) sont observés chez les patients atteints de cirrhose secondaire à une hyperestrogenémie. Un dysfonctionnement hépatique entraîne un déséquilibre des hormones sexuelles, provoquant une augmentation du rapport œstrogène/testostérone libre et la formation de naevus araignées. L’érythème palmaire est une autre manifestation cutanée observée dans la cirrhose et est également secondaire à l’hyperestrogenémie. La jaunisse est une décoloration jaunâtre de la peau et des muqueuses observée lorsque la bilirubine sérique est supérieure à 3 mg/dL et en cas de cirrhose décompensée.
F. Endocriniens : Les patients atteints de cirrhose alcoolique du foie peuvent développer un hypogonadisme et une gynécomastie. La physiopathologie est multifactorielle, principalement due à l’hypersensibilité des récepteurs aux œstrogènes et aux androgènes observée chez les patients cirrhotiques. Un dysfonctionnement hypothalamo-hypophysaire a également été impliqué dans le développement de ces affections. L’hypogonadisme peut entraîner une diminution de la libido et une impuissance chez les hommes avec perte des caractéristiques sexuelles secondaires et féminisation. Les femmes peuvent développer une aménorrhée et des saignements menstruels irréguliers, ainsi que l’infertilité.
G. Phanères : On observe un clubbing, une arthropathie hypertrophique et une contracture de Dupuytren. D’autres changements d’ongles incluent les lunules azur (maladie de Wilson), les ongles de Terry et les ongles de Muehrcke.
H. Neurologiques (encéphalopathie hépatique) : L’encéphalopathie hépatique (EH) est un diagnostic clinique associé à un dysfonctionnement cérébral dû à une insuffisance hépatique, une hypertension portale, un shunt portosystémique et un gonflement des astrocytes. L’encéphalopathie hépatique se présente dans un éventail de manifestations neurologiques et psychiatriques non spécifiques (troubles du sommeil, coma, …). Le fetor hepaticus (haleine douce et moisie due à des niveaux élevés de sulfure de diméthyle et de cétones dans le sang) et l’astérixis (tremblements battants lorsque les bras sont étendus et les mains sont en flexion dorsale) sont deux caractéristiques de l’encéphalopathie hépatique qui peuvent être observées dans la cirrhose.
Selon la sévérité des manifestations, l’encéphalopathie hépatique peut être classé comme suit: Minime (Détecté uniquement lors des tests neuropsychiatriques), Grade 1 (Le patient est orienté vers la personne, le lieu, l’heure et la situation mais présente un retard psychomoteur (ralentissement de la parole, diminution des mouvements, altération de la fonction cognitive)), Grade 2 (Le patient est désorienté par rapport au temps et présente un astérixis (caractérisé par un tremblement des mains)), Grade 3 (Le patient est somnolent et désorienté par rapport à la personne, à l’heure, au lieu et à la situation), Grade 4 (Le patient est dans le coma et ne répond pas aux stimulations douloureuses).
Il est important de noter que si l’ammoniac est un marqueur de substitution de l’encéphalopathie hépatique chez les patients atteints d’insuffisance hépatique aiguë, les taux d’ammoniac dans le sang sont peu corrélés au degré d’encéphalopathie hépatique chez les patients atteints d’hépatopathie chronique et de cirrhose. Ainsi, le test des taux d’ammoniaque dans le sang n’a aucune valeur diagnostique et n’est pas recommandé. L’Encéphalopathie hépatique peut survenir spontanément ou en précipitant des conditions telles qu’une infection, des saignements, une surdose de diurétique, des troubles électrolytiques et la constipation. Il est essentiel d’identifier l’existence de facteurs déclenchants car près de 90 % des patients peuvent être traités avec succès en corrigeant uniquement la cause sous-jacente.
I. Ictère : Dans la majorité des cas, il est en rapport avec l’aggravation de l’insuffisance hépatocellulaire: soit spontanément, de mauvais pronostic surtout s’il est intense et persistant; soit au décours d’une autre complication : hémorragie digestive, infection, etc… Cependant il faut toujours rechercher une autre cause: hépatite alcoolique surtout, hépatite virale (surtout B ou C), carcinome hépatocellulaire, lithiase de la voie biliaire principale (la lithiase biliaire, le plus souvent pigmentaire étant deux fois plus fréquente chez les cirrhotiques que dans la population générale), hémolyse (déformation érythrocytaire, auto-anticorps).
J. Infectieux (péritonite bactérienne spontanée, …) : Les germes en cause sont souvent des bacilles Gram négatif, mais également le pneumocoque, le staphylocoque, les anaérobies et parfois le bacille de Koch. Ces infections concernent le plus souvent le liquide d’ascite, les urines ou le poumon et s’accompagnent souvent d’une bactériémie ou d’une septicémie. Elles peuvent entraîner un syndrome hépatorénal, une hémolyse, une fibrinolyse, une encéphalopathie hépatique, une hémorragie digestive. Elles doivent être traitées immédiatement par des antibiotiques à large spectre couvrant les bacilles gram négatif.
Les patients cirrhotiques présentant de la fièvre, des douleurs abdominales et des lésions rénales aiguës doivent être évalués pour une péritonite bactérienne spontanée, une infection du liquide d’ascite. Il existe des altérations spécifiques du système immunitaire associées à la cirrhose qui rendent ces patients très sensibles aux infections. La péritonite bactérienne spontanée est diagnostiquée en effectuant une paracentèse et en examinant le liquide pour une numération des cellules neutrophiles et une culture bactérienne. Le critère diagnostique est un nombre de neutrophiles ≥ 250 cellules/mm3 et/ou une culture bactérienne positive.
K. La sarcopénie : La sarcopénie au cours des maladies du foie est définie comme une réduction généralisée de la masse musculaire et de la fonction musculaire due à une hépatopathie aiguë ou chronique. Les recommandations actuelles préconisent d’inclure une évaluation de la sarcopénie dans l’évaluation nutritionnelle chez tout patient ayant une hépatopathie chronique. Les mécanismes physiopathologiques impliqués sont l’autophagie, l’hyperactivation du système ubiquitine/protéasome et l’activation de la voie mTOR. L’installation de la sarcopénie est multifactorielle, liée à la présence d’une hyperammoniémie, la diminution du taux sanguin de testostérone et de facteurs de croissance ou d’acides aminés ramifiés. La mesure de la sarcopénie peut être effectuée de façon fonctionnelle ou morphologique ; la technique la plus répandue d’évaluation de la sarcopénie et source de plusieurs publications est le calcul de la surface musculaire squelettique au scanner (skeletal muscle area) au niveau de la troisième vertèbre lombaire avec des seuils fixés à < 50 cm2/m2 chez l’homme et < 39 cm2/m2 chez la femme. La mesure du diamètre ou de la surface du muscle psoas par tomodensitométrie a été considérée par plusieurs groupes d’auteurs comme une alternative simple et fiable. L’impact pronostique négatif de la sarcopénie chez les patients en attente de transplantation hépatique ou en post-transplantation hépatique est bien établi. De plus, la sarcopénie est également un facteur pronostique péjoratif décrit au cours du carcinome hépatocellulaire développé sur cirrhose.
L. La cirrhose peut aussi entraîner une circulation hyperdynamique, des crampes musculaires et une hernie ombilicale.
M. Carcinome hépatocellulaire : L’incidence du carcinome hépatocellulaire dans la cirrhose est comprise entre 1 et 8 % par an.
3.2. Bilans biologiques et imagerie
A. Précautions : L’évaluation du risque hémorragique chez les patients atteints de cirrhose avant les procédures à haut risque est complexe et nécessite une collaboration entre différents spécialistes. De nouvelles directives émergent pour les meilleures pratiques de gestion de la coagulation chez les patients atteints de cirrhose. Actuellement, avant les procédures à haut risque, les plaquettes doivent être comprises entre 30 et 50 × 109/L. Dans l’attente de discussions avec des spécialistes, il peut être nécessaire de corriger l’INR avec de la vitamine K. Le plasma frais congelé pour la correction d’un INR élevé n’est pas recommandé. De faibles niveaux de fibrinogène peuvent indiquer la gravité d’une insuffisance hépatique. Pour les procédures électives, les agonistes de la thrombopoïétine ont été approuvés. Les agents de deuxième génération, l’avatrombopag et le lusutrombopag, entraînent une augmentation plus modeste des plaquettes par rapport aux agents de première génération et évitent les complications thrombotiques. Enfin, un traitement antifibrinolytique doit être envisagé en cas de saignement des surfaces muqueuses ou des sites de plaies perforantes exposés à la salive et à l’ascite, car ces substances accélèrent la fibrinolyse.
B. L’exploration fonctionnelle hépatique peut être normale, ce qui n’exclut pas le diagnostic de cirrhose ou révéler une baisse du temps de coagulation (temps de Quick), une thrombopénie, des marqueurs d’intoxication alcoolique, ou d’infection virale, une cytolyse, inconstante, traduisant généralement la persistance de la cause (cirrhose “active”), une augmentation des γ-glutamyl transpeptidase (γ-GT), ou des phosphatases alcalines, une hypergammaglobulinémie et parfois un bloc bêta-gamma (bloc ß-γ).
Du point de vue du laboratoire, il existe plusieurs méthodes de notation qui utilisent des marqueurs sériques spécifiques pour dépister la fibrose hépatique et la cirrhose. L’APRI (AST-Platelet Ratio Index) et le FIB-4 (Fibrosis-4) sont les plus couramment utilisés dans l’hépatite B, l’hépatite C et le VIH/hépatite C. Un score APRI> 1 a une sensibilité de 76% et une spécificité de 72% pour la cirrhose. De même, un score FIB-4> 3,25 a une valeur prédictive positive de 82% pour la fibrose avancée et une spécificité de 98% pour la cirrhose.
Tableau 1. Évaluation non invasive de la fibrose hépatique/cirrhose
Tabelau 2. Scores de rigidité du foie en élastographie par ultrasons
Dans l’ensemble, ces scores sont utiles aux médecins pour évaluer la progression de la maladie et identifier les patients atteints de cirrhose du foie. L’imagerie sous forme d’élastographie ultrasonore (Fibroscan) a également été utilisée comme méthode non invasive pour évaluer le degré de rigidité du foie. L’élastographie échographique a été la plus validée dans l’hépatite C chronique, l’hépatite B chronique et l’hépatopathie alcoolique avec des valeurs seuils respectives recommandées pour la détection de la cirrhose de 12,5 kPa, 11 kPa et 12,5 kPa. Dans la stéatohépatite non alcoolique (non-alcoholic steatohepatitis ou NASH), un score de 14,9 est corrélé à une spécificité de 90 % pour la cirrhose régnante.
De plus, deux modèles prédictifs sont utilisés pour déterminer le pronostic des patients atteints de cirrhose du foie, le score de Child-Pugh et le score MELD (modèle pour la maladie hépatique en phase terminale calculé comme suit : MELD = 3,8xloge (bilirubine totale en mg/dl) + 11,2xloge(INR) + 9,6,2xloge (créatinine en mg/dl) + 6,4). Le score de Child-Pugh est basé sur le degré d’ascite, la concentration de bilirubine et d’albumine, le temps de prothrombine et le degré d’encéphalopathie. Elle est associée au degré de dysfonctionnement hépatique et à la probabilité de développer des complications de la cirrhose du foie. Les patients avec un score de 5 ou 6 ont une cirrhose de Child-Pugh A (bien compensée), ceux avec un score de 7 à 9 ont une cirrhose de Child-Pugh B (dysfonctionnement hépatique important), et ceux avec un score de 10 à 15 ont une cirrhose de Child-Pugh C (cirrhose décompensée). Le score MELD comprend la créatinine, la bilirubine et le temps de prothrombine. Il est principalement utilisé pour prédire les taux de mortalité à 30 jours chez les patients atteints de cirrhose du foie et prioriser les patients pour une transplantation hépatique.
C. Échographie abdominale : Elle permet (1) de préciser les caractères du foie: atrophie, aspect bosselé; (3) de montrer des signes d’hypertension portale, (4) de montrer l’augmentation du calibre de la veine porte et sens du flux en Doppler, les collatérales porto-systémiques, la splénomégalie, l’ascite même minime, (5) Elle peut surtout dépister un carcinome hépatocellulaire sous forme d’un ou plusieurs nodules.
Selon les directives AASLD 2018, les patients atteints de cirrhose Child-Pugh A ou B doivent être systématiquement dépistés par échographie tous les 6 mois avec ou sans obtention d’un taux d’α-fœtoprotéine (AFP). Les lésions ≥ 10 mm et un AFP > 20 ng/mL doivent inciter à une évaluation plus approfondie avec une imagerie diagnostique non invasive telle qu’une TDM multiphase ou une IRM. Le système de rapport et de données d’imagerie hépatique (LI-RADS), un système de rapport et de classification normalisé créé par l’American College of Radiology, est intégré aux critères de diagnostic non invasif de l’AASLD pour le carcinome hépatocellulaire. Les caractéristiques d’imagerie diagnostiques du CHC définitif sont celles compatibles avec une lésion LI-RADS 5. Une lésion ≥ 20 mm est classée LI-RADS 5 s’il existe un hyperrehaussement de la phase artérielle et un ou plusieurs des éléments suivants : augmentation de la taille d’une masse de ≥ 50 % en ≤ 6 mois (seuil de croissance), capsule de rehaussement ou non lavage périphérique. Une lésion entre 10 et 19 mm répond aux critères d’une lésion LI-RADS 5 si au moins deux des critères précédents sont remplis, ou s’il existe un hyperrehaussement de la phase artérielle avec soit un lavage non périphérique, soit un seuil de croissance.
D. Biopsie hépatique : Seul l’examen anatomopathologique du foie (quoique rarement nécessaire au diagnostic de cirrhose), permet de poser le diagnostic de cirrhose avec certitude. Au niveau macroscopique, le volume du foie cirrhotique peut être augmenté (cirrhose hypertrophique avec un foie pesant 2 à 3 kg), normal ou diminué (cirrhose atrophique de Laennec avec un foie pesant moins de 1 kg), parfois mixte (cirrhose atropho-hypertrophique). Sa consistance est ferme, son bord inférieur tranchant avec une coloration variable pouvant aller du brun au roux par imprégnation biliaire, parfois jaune claire (due à la stéatose associée). Sa surface est irrégulière, déformée par les nodules. Selon la taille des nodules on distingue: les cirrhoses micronodulaire (nodules < 3mm), les cirrhoses macronodulaires (nodules > 3mm) et les cirrhoses mixtes associant macro et micronodules. Cependant la cirrhose micronodulaire peut évoluer vers celle macronodulaire. Au niveau microscopique, la cirrhose se définie en anatomopathologie par l’association de trois lésions : (1) les lésions hépatocytaires, (2) la fibrose mutilante et (3) la présence de nodules de régénération toujours associés à cette fibrose. Ces lésions fondamentales sont diffuses à toute la glande bouleversant profondément l’architecture vasculaire du foie. La présence d’une stéatose hépatocytaire, de foyers d’hépatite alcoolique aiguë et/ou de corps de Mallory est en faveur de l’origine alcoolique d’une cirrhose.
E. Endoscopie digestive haute : elle recherche des varices œsophagiennes ou cardio- tubérositaires, d’une gastropathie congestive (avec aspect en “mosaïque”), d’un éventuel ulcère gastro-duodénal associé.
4. Prise en charge de la cirrhose
4.1. Traitement de la cirrhose Compensée. Le traitement associe (1) le traitementd de la maladie causale (arrêt de l’alcoolisme, si possible traitement d’une hépatite B ou C, corticothérapie dans une maladie auto-immune, saignées dans une hémochromatose, …). Ces mesures améliorent la fonction hépatique et la présence d’ascite de manière importante, (2) la surveillance et le traitement préventif des complications de l’hypertension portale (endoscopie, bêta-bloquants), (3) le dépistage et le traitement de maladies liées (cancers ORL et œsophagiens chez un alcoolique, neuropathie, diabète, pancréatite), (4) la diététique équilibrée: aucun aliment n’est nocif, le régime doit être équilibré, pas de restriction sodée à ce stade, (5) l’arrêt de certains médicaments : aspirine et AINS (risque d’hémorragie et d’insuffisance rénale), aminosides (insuffisance rénale), (6) le épistage du carcinome hépatocellulaire (échographie, dosage de l’α-fœtoprotéine).
4.2. Traitement de la cirrhose décompensée : plusieurs traitements seront possibles selon les cas : médicaments, TIPS, greffe, etc.
A. Shunt porto-systémique intra-hépatique transjugulaire (TIPS) : Le TIPS est utilisé depuis deux décennies pour atténuer les complications de l’hypertension portale. Ce shunt fournit une voie alternative pour le flux sanguin à travers le système porte dans la veine cave inférieure. Les indications du TIPS comprennent l’ascite réfractaire, l’hydrothorax hépatique réfractaire, les hémorragies variqueuses œsophagiennes ou gastriques non contrôlées et les saignements incontrôlés de la gastropathie hypertensive portale sous bêtabloquants non sélectifs. Les contre-indications absolues du TIPS comprennent l’insuffisance cardiaque congestive, l’infection systémique, l’hypertension pulmonaire sévère, les kystes hépatiques multiples et l’obstruction biliaire non soulagée. Le score MELD peut être utilisé pour prédire le risque de mortalité à 3 mois après la création du TIPS, qui était son objectif initial avant l’attribution des organes. En tant que clinicien, il est important d’être conscient des complications qui peuvent découler du TIPS. La complication la plus fréquente est l’apparition ou l’aggravation d’une encéphalopathie hépatique (incidence de 20 à 31%). Une autre complication est le dysfonctionnement du TIPS, défini comme une sténose ou une occlusion. La perméabilité du TIPS peut être évaluée par échographie Doppler et cette étude d’imagerie doit être envisagée lorsqu’un patient cirrhotique décompense. L’utilisation étendue des stents recouverts de polytétrafluoroéthylène (ePTFE) a réduit les complications de l’occlusion et de la sténose en maintenant la perméabilité du shunt.
B. Greffe du foie : La transplantation hépatique doit être envisagée chez les patients présentant des complications d’une maladie hépatique en phase terminale réfractaire au traitement médical. Ceux-ci comprennent l’ascite réfractaire, la perte de sang récurrente due à la gastropathie hypertensive portale, l’hémorragie variqueuse réfractaire, le syndrome hépatorénal, le dysfonctionnement hépatocellulaire avec un MELD ≥ 15, l’encéphalopathie hépatique réfractaire et le CHC non métastatique. L’attribution des greffes est réglementée par le United Network for Organ Sharing (UNOS) et la hiérarchisation des patients est basée sur une version modifiée du score MELD, MELD-Na, car des études ont montré que l’hyponatrémie est corrélée à des taux de mortalité plus élevés sur la liste d’attente. L’identification et l’orientation précoce des patients vers des centres de transplantation sont essentielles pour une évaluation complète de leur candidature.
4.3. Traiment des complications de la cirrhose :
Tableau 3 : Recommandations générales pour les complications courantes de la cirrhose décompensée. © Perez IC et al. (2021), doi : 10.2147/HMER.S278032 A. Hémorragie variqueuse : En fonction du risque individuel d’hémorragie variqueuse, une prophylaxie primaire avec des bêta-bloquants non sélectifs et/ou une ligature endoscopique peut être indiquée. L’utilisation de ß-bloquants non sélectifs réduit la pression portale et le risque d’hémorragie variqueuse. Le carvédilol est généralement préféré en raison de l’activité intrinsèque des récepteurs anti-α-1 et d’une plus grande réduction de la pression portale, mais d’autres bêta-bloquants non sélectifs tels que le propranolol et le nadolol peuvent également être utilisés.
B. Varices œsophagiennes : Les patients atteints de varices œsophagiennes nécessitent une escalade des soins vers une unité de soins intensifs pour une surveillance plus étroite de l’hémodynamique et l’examen de l’intubation pour la protection des voies respiratoires. Les étapes initiales de la prise en charge comprennent l’établissement d’un accès intraveineux de gros calibre, la réanimation liquidienne avec des liquides cristalloïdes et la vérification du groupe sanguin pour les transfusions afin d’atteindre un taux d’hémoglobine de 8 g/dL. Des taux d’hémoglobine plus élevés sont contre-productifs car une transfusion excessive peut aggraver l’hypertension portale et ses résultats. Les patients atteints de coagulopathie sévère et de thrombocytopénie peuvent bénéficier de transfusions de plaquettes. Un traitement vasoactif par l’octréotide, un vasoconstricteur splanchnique, doit être instauré avant l’évaluation endoscopique afin de réduire l’incidence des saignements actifs au cours de l’endoscopie. Les vasoconstricteurs splanchniques doivent être poursuivis pendant 5 jours pour réduire le risque de re-saignement. L’objectif final est de contrôler le saignement avec une ligature endoscopique.
La thérapie de sauvetage pour les saignements incontrôlés comprend le tamponnement par ballonnet si la création d’un shunt portosystémique intrahépatique transjugulaire (TIPS) est prévue dans les prochaines 24 heures. Les patients avec un HVPG supérieur à 20 mmHg sont les plus exposés au risque de saignement incontrôlé, de re-saignement précoce et de décès. Pour la prophylaxie secondaire des hémorragies variqueuses, un traitement combiné avec des bêta-bloquants non sélectifs et une ligature endoscopique est recommandé. Les patients atteints d’hémorragie variqueuse sont également à haut risque d’infection, comme la pneumonie, la péritonite bactérienne spontanée et l’infection des voies urinaires. Une antibioprophylaxie par la ceftriaxone pendant 7 jours diminue le risque d’infection, aide à contrôler les saignements et améliore la survie globale.
C. Ascite : Le traitement de première ligne de l’ascite consiste en une restriction sodée à moins de 2 g par jour, tandis qu’une restriction hydrique peut en outre être recommandée si un patient présente une hyponatrémie concomitante. Les prochaines étapes de la prise en charge comprennent l’initiation de diurétiques qui se composent généralement de furosémide et de spironolactone. Par rapport aux autres syndromes de surcharge hydrique, l’utilisation de la spironolactone est essentielle car elle bloquera l’hyperaldostéronisme dans la cirrhose. Les diurétiques sont souvent commencés à des doses quotidiennes de 40 mg de furosémide et de 100 mg de spironolactone et titrés en utilisant un rapport de 1:2,5. Les patients qui deviennent intolérants ou réfractaires aux diurétiques en raison d’un dysfonctionnement rénal peuvent nécessiter une série de paracentèses à grand volume et/ou envisager un shunt portosystémique intrahépatique transjugulaire (TIPS). Une fois qu’un patient reçoit une paracentèses à grand volume, il est important de ré-augmenter le volume intravasculaire avec de l’albumine (la dose recommandée est de 6 à 8 g d’albumine par litre de liquide retiré si ≥ 5 litres sont retirés) pour prévenir un dysfonctionnement circulatoire induit par la paracentèse, un complication qui survient en raison d’une diminution de la résistance vasculaire et de l’hypovolémie avec activation ultérieure du système rénine-angiotensine-aldostérone et du système sympathique.
L’albumine est recommandée aux jours 1 (1,5 g/kg) et 3 (1 g/kg) sur la base d’un essai historique montrant une diminution significative de la mortalité de 29 % à 10 % avec l’administration d’albumine. L’albumine diminue également le risque d’insuffisance rénale car des études ont montré que la perfusion d’albumine est particulièrement efficace chez les patients ayant une créatinine sérique ≥ 1 mg/dl et une bilirubine sérique ≥ 4 mg/dl. Après un épisode de péritonite bactérienne spontanée, les patients doivent être sous prophylaxie secondaire avec des options telles que la ciprofloxacine, la norfloxacine et le bactrim pour réduire le risque de récidive et de mortalité. La prophylaxie primaire de la péritonite bactérienne spontanée est indiquée chez les patients présentant une protéine du liquide d’ascite inférieure à 1,5 g/dL et au moins l’un des éléments suivants : score de Child-Pugh ≥ 9 et taux de bilirubine sérique ≥ 3 mg/dl, créatinine > 1,2 mg/dL, azote uréique sanguin ≥ 25 mg/dL ou sodium sérique ≤ 130. Il convient également de noter que les inhibiteurs de la pompe à protons, fréquemment utilisés chez les patients atteints de cirrhose, peuvent augmenter le risque de PAS et doivent être limités à ceux avec une indication claire.
D. Péritonite : Le traitement initial de la péritonite bactérienne spontanée comprend des antibiotiques empiriques à large spectre, de préférence une céphalosporine de troisième génération intraveineuse jusqu’à ce qu’il y ait une spéciation des études de culture et des sensibilités aux antibiotiques disponibles.
E. La thrombose de la veine porte : Elle est fréquemment observée chez les patients atteints de cirrhose avancée en raison d’une stase veineuse accrue dans la veine porte. Un bilan d’hypercoagulabilité n’est généralement pas nécessaire chez les patients sans antécédents de coagulation. Une anticoagulation doit être administrée aux patients symptomatiques et aux candidats à une greffe de foie pour favoriser la recanalisation et prévenir la progression. L’héparine intraveineuse et l’héparine de bas poids moléculaire sont des options pour la thrombose aiguë de la veine porte, et les agents d’anticoagulation directe (AOD) sont considérés comme des options sûres et efficaces pour la thrombose de la veine porte chronique aux premiers stades de la cirrhose. Chez les patients atteints d’une insuffisance hépatique avancée en phase terminale, la comparaison des risques et des avantages doit être prise en compte avant d’instaurer un traitement anticoagulant. Avant le début de l’anticoagulation, les patients doivent être dépistés et traités pour les varices oesophagiennes si nécessaire.
F. Hydrothorax hépatique : La prise en charge est similaire à l’ascite qui comprend une restriction sodée et des diurétiques. La thoracentèse est indiquée chez les patients symptomatiques et en cas de suspicion d’empyème bactérien spontané. L’insertion d’un drain thoracique est contre-indiquée en raison de complications infectieuses et d’une mauvaise cicatrisation.
G. Hyponatrémie : L’hyponatrémie sévère a été associée à de pires résultats et coïncide souvent avec une ascite réfractaire, une péritonite bactérienne spontanée, une paracentèse fréquente à grand volume, une encéphalopathie hépatique, un syndrome hépatorénal et une insuffisance hépatique chronique aiguë. Les traitements initiaux comprennent la restriction hydrique (1,5 à 2 litres par jour), l’arrêt des diurétiques, l’administration d’albumine et l’utilisation de solution saline hypertonique dans les cas graves et symptomatiques. Les vaptans ne sont pas recommandés pour la correction de l’hyponatrémie en raison de rapports de lésions hépatiques d’origine médicamenteuse.
H. La sarcopénie : Un certain nombre d’études ont suggéré le rôle bénéfique de l’exercice physique avec une amélioration de la sarcopénie chez le patient cirrhotique. L’aspect nutritionnel est majeur au cours de la prise en charge de la sarcopénie, puisque la dénutrition en est un facteur déclenchant et d’entretien important de la sarcopénie. Un patient cirrhotique devrait avoir un apport énergétique d’au moins 35 kcal/kg/j et un apport protéique entre 1,2 et 1,5 g/kg/j auxquels s’ajoutent une collation nocturne et éventuellement une supplémentation en acides aminés ramifiés.
5. Conclusion
La cirrhose est une affection irréversible et diffuse du foie caractérisée par une fibrose altérant ainsi les fonctions hépatiques, L’ascite en est la complication la plus fréquente, elle est dite réfractaire en cas de non réponse au traitement médicamenteux par diurétique. On s’occupera en premier lieu de la pathologie causale (alcool, hépatite,…). Dès l’apparition d’ascite, on mettra en place un régime hyposodé et des diurétique. En cas d’échec, on réalise des paracentèses de volume important ou on pose un alfapump. On pourra enfin poser un TIPS ou réaliser une greffe de foie dans certaines conditions. En dernier recours des soins palliatifs seront mis en place. La survenue d’une infection chez les patients cirrhotiques est fréquente et de mauvais pronostic. On traitera généralement par une céphalosporine de première génération et de l’albumine pour préserver les reins. Un traitement prophylactique est administré selon certains critères.