CONGO 1960-1961, cockpit bruyant : l’impossible naissance d’une Nation

Dans la soirée du 14 septembre 1960, à Léopoldville, la capitale du Congo, le colonel Mobutu prend la parole à la radio. Le chef de l’armée annonce la  » neutralisation  » du président Kasa-Vubu et du Premier ministre Lumumba. C’est le début d’une guerre ouverte, une guerre coloniale. Le Congo fait alors appel à l’ONU. Les premiers Casques bleus arrivent au Congo le 16 juillet. La crise congolaise devient internationale. Le Congo sombre. Cette période de troubles va mener le Congo à la guerre civile, et va conduire à l’assassinat du Premier ministre Lumumba, le 17 janvier 1961.


Combien de nations compte le Congo ? Un, dit le président Joseph Kasavubu à Léopoldville. Deux, dit le président Moise Tshombe de la province séparatiste du Katanga. Trois, insiste Albert Kalonji, qui affirme que son État minier du Kasaï est tout aussi séparé que le Katanga de Tshombe. La semaine dernière, une nouvelle voix en a fait quatre. A Stanleyville, le communiste Antoine Gizenga, vice-premier ministre du cabinet de Patrice Lumumba, a déclaré que la province de l’Est était un État indépendant et qu’il en était le président.

 

Dag Hammarskjöld, secrétaire général de l’ONU, mort dans le crash suspect de son avion en septembre 1961, près de la frontière congolaise © UNNews.

De retour à Manhattan, l’ONU était divisée presque autant qu’elle luttait pour faire face au gâchis du Congo. Alors que les États-Unis et beaucoup d’autres ont défendu Kasavubu, Mobutu & Co., un assortiment d’Africains et d’Asiatiques exigeait toujours que l’ancien premier ministre emprisonné Patrice Lumumba soit libéré. Certains, sans candidat clair en tête, ont vaguement insisté sur des pouvoirs accrus pour le secrétaire général de l’ONU, Dag Hammarskjold. Les Soviétiques, d’autre part, ont exigé que tous ses pouvoirs lui soient retirés. A l’Assemblée générale, la déléguée soviétique Valériane Zorine en a profité pour demander s’il n’est pas temps de retirer le secrétaire général du commandement de la force de l’ONU et de donner le commandement à ces personnes qui bénéficieront de la confiance du peuple congolais.

Dag Hammarskjöld à l’ONU: «La présence des troupes belges est la cause du danger»

Le 8 août, le secrétaire général de l’ONU, Dag Hammarskjöld exige avec une extrême fermeté le retrait des troupes belges du Katanga,  » car leur présence est la cause principale du danger qui subsiste « . Et il dénonce :  » Au Katanga, l’opposition aux Nations Unies se manifeste à l’ombre de la présence continue des troupes belges « . L’armée belge se maintient, avec encore 570 officiers belges jusqu’à la fin du mois d’août. Elle évacuera ensuite  » sans hâte excessive « , comme l’a décrit un journaliste belge à l’époque. Et elle laissera ses armes à la gendarmerie katangaise. En contrepartie du retrait belge, Dag Hammarskjöld accepte implicitement de ne pas menacer le gouvernement katangais.

Question de famine

Mais le problème le plus grave d’Hammarskjold est venu des six pays – la République arabe unie, Ceylan, le Maroc, l’Indonésie, la Guinée et la Yougoslavie – qui ont soudainement annoncé leur intention de retirer complètement leurs unités militaires de la force de l’ONU Congo parce qu’ils n’aimaient pas la façon dont les choses étaient en cours d’exécution. Cela menaçait clairement de déchirer tout le projet de Dag Hammarskjold. Car les six représentaient près de 5 700 des 20 000 soldats de l’ONU disponibles pour maintenir la paix au Congo.

Répondant à ses détracteurs au Conseil de sécurité, Hammarskjold a averti que si l’ONU devait quitter le Congo,  »je suis convaincu que la conséquence serait une guerre civile immédiate, dégénérant en conflits tribaux menés de la manière la plus décomplexée. Une telle situation pourrait durer pendant années. » Citant un exemple frappant, Hammarskjold a déclaré : « Aujourd’hui, nous sommes confrontés à une situation où entre 250 000 et 300 000 personnes meurent de faim dans le sud du Kasaï, avec environ 200 personnes qui meurent chaque jour de faim pure. »

Au-delà des gros titres

Mieux que n’importe quel homme, Dag Hammarskjold savait que tandis que les gros titres faisaient la une des querelles stridentes sur ce que l’ONU devrait faire à propos des Lumumbas et des Kasavubus, la véritable mission de l’ONU au Congo était de maintenir le pays en marche. Il n’y avait pas de feux de la rampe pour les médecins de la Croix-Rouge canadienne de l’ONU qui ont tranquillement, désespérément maintenu ouvert l’hôpital des lépreux de brousse, pour l’expert en secours alimentaire de l’ONU qui a lancé un vaste programme de distribution, pour le spécialiste haïtien de l’ONU qui a filtré les de l’eau et du DDT pulvérisé sur les marécages impaludés autour de Luluabourg, ou pour les deux douzaines de techniciens de l’ONU de plusieurs pays qui ont assuré le contrôle du trafic aérien dans tous les grands aéroports du Congo. Si les troupes qui les protègent étaient retirées, beaucoup de ces techniciens partiraient et les projets s’effondraient.

Très probablement, les nations qui menaçaient de rentrer chez elles ne faisaient que bluffer. Malgré ce que les gouvernements nationaux annonçaient avec tant d’indignation, aucun des contingents nationaux au Congo n’avait jusqu’à présent reçu d’instructions pour commencer à faire ses bagages.

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