Zaïre, Zambie : le FMI passe à l’acte

On entend souvent dire qu’un vent de changement démocratique souffle sur l’Afrique. Mais derrière l’objectif louable de permettre aux citoyens africains de participer à la construction de leur propre avenir, se cache un autre objectif. Les cas du Zaïre et de la Zambie illustrent ce point. Ces deux pays, qui ont suivi des voies radicalement différentes vers la «démocratie», sont au bord d’une dictature imminente et renforcée par le Fonds monétaire international.

Comme l’ont noté de nombreux mouvements d’opposition en Afrique, coopter l’opposition au gouvernement pour imposer des thérapies de choc d’austérité sévères et peu acceptables est une tactique bien connue. Lorsque le président de longue date du Zaïre, Mobutu Sese Seko, a nommé pour la première fois l’opposant Etienne Tshisekedi au poste de Premier ministre en juillet, sa maison a été encerclée par des foules en colère menaçant de le tuer s’il acceptait le poste. Cet accord de cohabitation a été négocié à l’origine entre les deux parties par l’ambassadrice des États-Unis à Kinshasa, Melissa Wells. Ce n’est qu’après les pillages des 23 et 24 septembre que Mobutu a reconduit Tshisekedi dans ses fonctions, qui a accepté. Peu de temps après, Mobutu l’a lâché. Il prétend maintenant être l’élu du «peuple» – bien qu’il soit plus réaliste d’affirmer que ce sont les ambassadeurs des États-Unis, de France et de Belgique dans la capitale du Zaïre qui l’ont choisi.

Les pillages de septembre qui ont déclenché le chaos et la guerre civile potentielle qui menacent d’engloutir le Zaïre ont été perpétrés par une unité militaire spéciale qui est sous la supervision directe du gouvernement français et qui est payée. Selon le quotidien parisien Le Quotidien de Paris, ce sont les actions du gouvernement français (ou l’absence d’action dans la rémunération des soldats) qui ont déclenché les émeutes et les pillages. Malgré quelques différences apparentes, la France, la Belgique (ancienne puissance coloniale) et les États-Unis s’accordent sur un point : avec ou sans Mobutu dans un gouvernement «de transition», quel que soit le gouvernement qui émergera finalement, il devra accepter une dictature du FMI.

Le 6 novembre, s’exprimant devant la sous-commission du Sénat américain sur l’Afrique, le secrétaire d’État adjoint aux Affaires africaines, Herman Cohen, a coupé l’herbe sous le pied de Mobutu, l’allié des États-Unis, en déclarant qu’il « a perdu la légitimité de gouverner ». Il tourna en dérision la situation actuelle, affirmant qu’il y avait « trois gouvernements et aucun d’eux ne gouverne » (c’est-à-dire le président Mobutu, son nouveau cabinet et un cabinet fantôme formé par Tshisekedi). Cohen, comme les Français et les Belges, exigea la formation d’un gouvernement de transition, ajoutant : « Un tel gouvernement devra agir immédiatement pour placer les institutions financières du Zaïre sous un contrôle indépendant, transparent et acceptable par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international ». Quelques instants après le discours, des milliers d’exemplaires des recommandations de Cohen apparurent sous forme de tracts dans les rues de Kinshasa. Y eut-il des protestations contre cette demande arrogante du gouvernement américain ? Non. Tshisekedi annonça immédiatement une campagne de grèves et de désobéissance civile pour soutenir les exigences de Cohen.

Quelles sont les qualités de Tshisekedi en tant que leader de l’opposition ? Il a contribué à former et à diriger le Mouvement populaire pour la révolution, le parti unique avec lequel Mobutu a dirigé le Zaïre pendant 26 ans. Tout en fustigeant son ancien allié Mobutu pour s’être enrichi aux dépens des pauvres du pays, il conduit lui-même une Jaguar.
Le plus grand crime de Mobutu, selon les puissances européennes et américaines qui dirigent le système financier mondial, n’est pas d’avoir opprimé son peuple et de l’avoir maintenu dans la pauvreté, mais de ne pas avoir voulu lui mettre suffisamment la pression (ce que Cohen a appelé « l’indiscipline économique ») au nom des programmes d’ajustement structurel du FMI.

La Zambie a compris le message

Le président zambien de longue date Kenneth Kaunda a compris le message que Mobutu refuse obstinément d’entendre. Au lieu de se laisser pendre à un lampadaire, Kaunda a organisé les élections que le FMI et d’autres pays « donateurs » réclamaient. Après avoir lutté pendant des années pour suivre le programme d’ajustement structurel du FMI, le 13 septembre, la Zambie a annoncé qu’elle ne pouvait plus sucer une once de sang de son peuple pour rembourser une dette de 20 millions de dollars. Le FMI et les donateurs internationaux ont annoncé qu’ils coupaient les vivres à Kaunda, quelques semaines avant les premières élections multipartites du pays depuis près de 20 ans.

L’adversaire de Kaunda, Frederick Chiluba, a remporté une victoire écrasante. Chiluba, un dirigeant syndical qui a fait campagne sur un programme de libre entreprise et de droits de l’homme, a juré de vendre 80 % du secteur public (mines, etc.) à des mains privées. Après avoir prêté serment, il a envoyé la police faire une descente dans les bureaux exécutifs de la compagnie nationale de cuivre, à la recherche de preuves de corruption. Chiluba a promis des temps difficiles et un travail acharné. Immédiatement, les prix des denrées alimentaires de base comme le maïs vont augmenter. Ce sont les émeutes et le profond mécontentement suscités par ces mesures dictées par le FMI qui ont poussé Kanda l’année dernière à convoquer des élections. Les élections zambiennes ont vu des équipes d’observateurs internationaux des droits de l’homme et des experts en fraude électorale comme l’ancien président américain Jimmy Carter, envahir le pays.

Pas une seule voix ne s’est élevée au nom du droit fondamental des Africains au développement, à commencer par la nécessité d’annuler la dette extérieure de près de 300 milliards de dollars de l’Afrique. Près de 50 % des recettes d’exportation servent à payer le service de la dette. De quelle démocratie l’Afrique peut-elle bénéficier tant que cette question n’est pas réglée ?


Source : Dana S. Scanlon, Zaire, Zambia/ IMF moves in for the kill. EIR Volume 18, Number 45, November 22, 1991.

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