Crimes de guerre à Bukavu, RDC | Document d’information de Human Rights Watch, juin 2004

Depuis la mise en place du Gouvernement d’Unité Nationale à Kinshasa en juin 2003, la paix reste un vain mot pour les régions de l’est de la République Démocratique du Congo (RDC), particulièrement à Bukavu et dans la région étendue du Kivu, ainsi que dans l’Ituri et au Nord Katanga. Les combats qui ont eu lieu récemment à Bukavu ne sont que les derniers événements marquant une détérioration des conditions de sécurité et une longue série de violations massives du droit international humanitaire et des droits de l’homme. Pour des millions de citoyens congolais qui vivent dans la région orientale très peuplée et qui sont confrontés à la lutte quotidienne pour la survie, la paix n’existe pas.

Les factions rebelles des anciens groupes d’insurgés ainsi que d’autres groupes armés qui n’ont pas adhéré au processus de transition recourent à la violence pour s’opposer à l’incorporation au sein de la nouvelle armée de la RDC et pour contester l’autorité du fragile gouvernement de transition de la RDC. Il semblerait que les dirigeants des anciens groupes rebelles encouragent ou tolèrent ces actes alors même qu’ils participent au gouvernement transitoire, cherchant peut-être à se réserver des solutions alternatives si le processus de paix n’apportait pas les résultats escomptés. Les autorités de transition de Kinshasa n’ont pas été en mesure de relever les défis politiques ni de mettre un terme à la violence.

Les chercheurs de Human Rights Watch ont recueilli des informations étayées à propos de crimes de guerre et autres atteintes aux droits humains, notamment des exécutions sommaires dont certaines ont été commises pour des raisons ethniques, des viols et des pillages perpétrés par tous les groupes combattants depuis le 26 mai 2004 ainsi qu’au cours des mois précédents.

Les violences contre les civils à Bukavu, la capitale de la province du Sud-Kivu, ont éclaté suite aux affrontements du 26 mai entre les soldats fidèles au Colonel Jules Mutebutsi, un commandant du Rassemblement Congolais pour la Démocratie – Goma (RCD-G) qui avait été suspendu de l’armée nationale intégrée à la fin février 2004, et les forces pro-gouvernementales de la Dixième Région militaire, nouvellement créée, sous le commandement du Général Mbuza Mabe. Au moins un soldat des forces de Mabe a été tué lors des combats. Dans les deux jours qui ont suivi, d’autres soldats des forces de Mabe ont tué des civils appartenant au groupe ethnique minoritaire des Banyamulenge, apparemment pour se venger de la mort de leur compagnon. Il semble que certains Banyamulenge aient été pris pour cibles parce qu’ils appartenaient à la même ethnie que Mutebutsi. (1)

Les Banyamulenge sont des Congolais dont les ancêtres ont émigré du Rwanda et du Burundi pour s’établir sur les hauts plateaux du Sud-Kivu il y a plusieurs générations et ils sont souvent désignés sous le nom de Tutsis congolais. Les relations entre les Banyamulenge et les autres groupes congolais sont tendues et font l’objet de fréquentes manipulations de la part des politiciens tant au Rwanda qu’en RDC. Les six dernières années de guerre ont suscité de l’hostilité à leur égard car les autres Congolais les identifient de plus en plus à des “Rwandais”. Le Rwanda a souvent justifié sa présence en RDC en invoquant son souci de protéger les Banyamulenge bien que cette démarche ait été remise en question en 2002 lorsque les Rwandais ont attaqué les villages banyamulenge, tuant des dizaines de civils banyamulenge et en abattant certains depuis des hélicoptères rwandais.

Le Brigadier Général Laurent Nkunda, un autre commandant du RCD-G basé au Nord-Kivu, a déplacé un millier de ses soldats au sud pour aider Mutebutsi à prendre le contrôle de Bukavu le 2 juin. Nkunda a prétendu “vouloir protéger son peuple”. Des Banyamulenge avaient été assassinés, tout comme d’autres civils, mais il semble peu probable que les opérations militaires aient été motivées uniquement par ce souci. Dans la lutte actuelle pour le pouvoir à l’Est de la RDC, le facteur ethnique sert fréquemment de prétexte pour masquer d’autres motifs.

Les nouvelles diffusées au Rwanda ont gonflé l’importance de la menace qui pesait sur les Banyamulenge, affirmant que des massacres avaient lieu et qu’un “génocide” était planifié. Certains membres de la communauté banyamulenge ont peut-être accueilli favorablement l’action de Nkunda et de Mutebutsi mais d’autres ont dénoncé les actions des deux commandants renégats, déclarant dans un communiqué de presse qu’ils n’avaient “aucunement besoin d’être défendus par ces criminels”. (2)

De graves crimes contre les droits de l’homme

Les chercheurs de Human Rights Watch ont recueilli des informations sur des atteintes aux droits humains généralisées et continues dans des zones importantes de l’Est de la RDC, notamment des crimes de guerre perpétrés à Bukavu au cours des deux dernières semaines par les soldats pro-gouvernementaux sous le commandement du Général Mabe et par les forces dirigées par le Général Nkunda et le Colonel Mutebutsi.

Cas d’atteintes aux droits humains commises par des soldats de la Dixième Région militaire sous le commandement du Général Mbuza Mabe

Entre le 26 et le 28 mai à Bukavu, des soldats de la Dixième Région militaire ont tué au moins quinze civils, dont la plupart ou la totalité étaient Banyamulenge. Ils auraient tué certains de ces civils lors de fouilles organisées pour trouver des armes cachées et des soldats banyamulenges. Dans plusieurs cas, ils ont rassemblé des petits groupes de jeunes Banyamulenge de sexe masculin et les ont exécutés sommairement; dans au moins un des cas, ils les avaient d’abord détenus dans un centre mobile situé Place de l’Indépendance, mieux connue sous le nom de ‘Place du 24’ dans le centre de la ville. Deux témoins affirment que le Général Mabe s’est rendu sur le lieu de détention les 27 et 28 mai. Par la suite, la MONUC a visité le centre de détention et l’a fermé après avoir libéré les quelques personnes encore en détention.

Des soldats de la Dixième Région militaire et certaines personnes non banyamulenges ont laissé entendre que les personnes tuées étaient armées et se préparaient à combattre dans les rangs du Colonel Mutebutsi. Mais ce n’était pas le cas dans les exemples cités plus bas ni dans d’autres où les victimes étaient des femmes et des enfants.

Tous les événements suivants ont eu lieu le 27 mai.

⚈ Aux environs de 10 heures du matin, des soldats ont emmené quatre jeunes étudiants universitaires banyamulenge, dont deux dirigeants estudiantins, de chez eux jusqu’à un grand carrefour de Bukavu. Peu de temps après, ils ont amené deux étudiants plus jeunes, également banyamulenge. Les soldats les ont déshabillés, ils les ont attachés ensemble et les ont battus violemment. Ils les ont ensuite emmenés dans un champ tout proche, apparemment pour que les forces de maintien de la paix de l’ONU ne voient pas ce qui se passait. Ils ont battu les étudiants à mort et ont jeté leurs corps dans une fosse peu profonde. Mahoro Ngoma, Mande Manege et Rushimisha Mahirwe Manege faisaient partie des victimes.

⚈ Des soldats ont exhibé deux jeunes garçons banyamulenge sans armes et habillés en civil près du même grand carrefour de Bukavu. Ils ont arraché les chemises de leurs victimes, leur ont attaché les mains derrière le dos et ont ouvert le feu sur eux. Un témoin oculaire a déclaré qu’ils les avaient littéralement transpercés de balles et avaient ensuite fait signe à la population locale que tout allait bien.

⚈ La même journée, tôt le matin, des soldats ont interrogé seize membres d’équipage d’un bateau qui était arrivé à Bukavu la veille dans l’après-midi en provenance de Goma. Selon un témoin, ils ont séparé les personnes d’origine banyamulenge ou tutsie du reste de l’équipage. Ils les ont battues et interrogées, notamment à propos d’armes. Ils ont ensuite abattu Tony Nsengumuremyi et ont emmené quatre autres personnes au centre de détention de la ‘Place du 24’.

⚈ Des soldats ont fouillé des maisons connues pour appartenir à des Banyamulenge dans le quartier de Nyawera, soi-disant pour chercher des armes, et ont forcé une cinquantaine de personnes à sortir de leur cachette. Une vingtaine de soldats ont escorté ces civils banyamulenges jusqu’au centre de la ville, prétendant qu’ils les emmenaient pour les protéger. Là, des soldats d’un autre groupe ont ouvert le feu sur les civils, tuant une fillette de trois ans qui s’appelait Ani Murama Nyabeyi, un garçon de treize ans répondant au nom de Ngabo Kabatiza, ainsi que deux hommes adultes. Au moins cinq autres personnes ont été grièvement blessées, dont deux filles, une femme et deux hommes. Certains se sont enfuis mais les autres ont été emmenés dans la maison vide d’un policier, lui-même banyamulenge. Les civils ont d’abord été placés sous surveillance, interdiction leur étant faite de quitter la maison, mais des représentants du groupe ont ensuite été conduits devant le Général Mabe qui a accepté de les remettre aux forces de maintien de la paix de l’ONU. Ils ont été emmenés à la frontière et se sont réfugiés au Rwanda.

⚈ Des assaillants fouillant des maisons dans le quartier d’Iranbo près du camp militaire de Saio, une zone de la ville à prédominance banyamulenge, ont abattu trois Banyamulenge dans trois maisons séparées. Les victimes étaient un garçon de huit ans, une femme de trente-quatre ans et un garçon de dix-sept ans. Dans l’un des cas, des membres de la famille ont déclaré que les assaillants étaient des civils armés qui se faisaient probablement passer pour des soldats pour mener leurs propres opérations sous le couvert des attaques de l’armée.

⚈ Le 26 mai, près de cinquante personnes ont trouvé refuge dans l’enceinte d’une église et elles ont été découvertes par des soldats le 28 mai. Ces derniers ont exigé que les Banyamulenge, qu’ils appelaient “Rwandais”, leur donnent de l’argent en échange de leur sécurité. Le groupe s’est alors réfugié chez un habitant du quartier qui n’était pas banyamulenge. Les soldats ont refait irruption et ont réclamé une nouvelle somme d’argent, laquelle a été versée par le propriétaire de la maison. La MONUC a évacué le groupe le lendemain.

Des représentants du Haut Commissariat de l’ONU pour les Réfugiés (HCR) ont annoncé que près de 3.000 civils, pour la plupart des Banyamulenge, avaient fui au Rwanda en raison des violences commises à Bukavu. Le HCR a déclaré que certains réfugiés avaient été blessés par balles et d’autres avaient reçu des coups de machette ou de couteau. Bien que toutes ces blessures ne peuvent être attribuées uniquement aux forces pro-gouvernementales, celles-ci sont plus que probablement responsables d’une grande partie d’entre elles.

A plusieurs occasions, des personnes qui n’étaient pas Banyamulenge sont intervenues pour sauver celles qui étaient prises pour cibles par les soldats, entre autres dans le cas cité plus haut et dans celui d’un soldat qui a protégé des Banyamulenge des attaques de ses compagnons d’armes.

Des agences internationales humanitaires ont également été attaquées par des soldats. Le 27 mai 2004, des soldats ont pénétré dans l’enceinte d’une organisation internationale basée à Bukavu. Un soldat a violé un membre de l’organisation de sexe féminin et en a abattu un autre avant de s’enfuir avec de l’argent et des téléphones.

Selon des sources locales, le Général Mabe aurait peut-être essayé de mettre fin aux meurtres de Banyamulenge après le 28 mai et de faire arrêter les auteurs de certains de ces actes. Human Rights Watch n’a pas confirmation de ces informations. Le Général Mabe se trouvait dans la région où les tueries et le viol ont eu lieu et il était en mesure de connaître ces actes, de les prévenir et de les punir.

Cas d’atteintes aux droits humains commises par les forces fidèles au Brigadier Général Laurent Nkunda et au Colonel Jules Mutebutsi

Les deux commandants renégats ont prétendu avoir pris le contrôle de Bukavu pour mettre un terme aux massacres de Banyamulenge mais leurs propres forces ont également tué des civils et se sont rendues coupables de violences sexuelles et de pillages généralisés. Alors que les soldats de Nkunda se rendaient de Goma à Bukavu, ils ont attaqué de nombreux villages sur leur chemin. Selon des sources locales, dans la ville de Minova ils auraient tué deux femmes et une fillette alors qu’à Babamba, ils auraient tué trois autres personnes. A Bukavu, des soldats rebelles ont tiré sur un homme de cinquante-cinq ans chez lui au cours du pillage de sa maison; l’homme serait décédé plus tard à l’hôpital. Plusieurs autres meurtres de civils ont été dénoncés pendant la période où ces commandants avaient le contrôle de la ville.

Selon des informations provenant de sources internationales et locales, les troupes dissidentes allaient d’une maison à l’autre, violant et pillant. Bon nombre de femmes et de fillettes craignaient tellement d’être violées qu’elles sont parties se cacher. Dans le quartier de Kadutu, une centaine de femmes et de filles ont trouvé refuge dans une église locale, portant sur elles de nombreuses couches de vêtements pour décourager les violeurs potentiels.

⚈ Le 3 juin à Bukavu, des soldats ont violé une mère et sa fille de trois ans dans le centre de la ville. La mère a été violée par six soldats sous les yeux de son mari et de ses autres enfants tandis que sa petite fille était violée par un autre soldat. Après le viol, les soldats ont pillé la maison, emportant la plupart des biens de la famille.

⚈ Une organisation locale a rapporté douze cas de viol commis du 2 au 4 juin, notamment de trois fillettes de trois ans et de cinq adolescentes. Dans l’un des cas, le 3 juin, des soldats ont fait irruption dans une maison où se cachaient quatre adolescentes. Ils ont réclamé de l’argent, ont demandé à quelle ethnie elles appartenaient et les ont interrogées pour savoir où se trouvaient les troupes pro-gouvernementales. Toutes les quatre ont été violées à plusieurs reprises.

⚈ Dans un autre cas, douze femmes et filles avaient trouvé refuge ensemble dans la même maison. Le 4 juin dans la soirée, six soldats sont entrés dans la maison. Ils ont dit aux femmes: “nous allons vous montrer que ces filles sont des femmes comme vous”. Ils ont alors violé deux fillettes de trois ans et n’ont pas violé les autres.

Un témoin a décrit un cas typique de pillage commis par les troupes dissidentes : “Le jeudi 3 juin, deux soldats banyamulenge sont venus chez moi. Ils ont braqué leur arme sur ma tête et ont exigé de l’argent. Nous étions cinq hommes dans la maison et mes petites sœurs étaient dans la pièce arrière. Ils ont réclamé des téléphones et 100$ à chacun des hommes. Je leur ai donné 75$ et un téléphone parce que j’avais entendu dire qu’il y avait eu d’autres meurtres… Ensuite, ils ont enfermé les hommes dans une pièce et sont allés dans la pièce des filles. Ils ont attaqué ma sœur de dix-sept ans. Je l’ai entendue crier… Un soldat est revenu dans la pièce et a dit: “Le calme ne reviendra à Bukavu que lorsque vous considérerez que les Banyamulenge sont des Congolais. Mbuza Mabe a tué nos mères, nos sœurs et nos oncles. Nous vous confions ce message…”.

Human Rights Watch a expliqué en détail dans un rapport antérieur que les brutalités à l’encontre des civils, et plus particulièrement la violence sexuelle, fait partie intégrante de la guerre à l’Est de la RDC.(3) Les soldats responsables d’actes de violence sexuelle ont commis des crimes de guerre. Pourtant, ceux qui se rendent coupables de telles exactions doivent rarement répondre de leurs actes. Aussi longtemps que le climat d’impunité persistera à l’Est de la RDC, les femmes et les filles continueront d’être prises pour cibles, comme l’illustrent les événements de Bukavu.

En tant que commandants de ces forces dissidentes, le Général Laurent Nkunda et le Colonel Mutebutsi ont la responsabilité de prévenir, d’investiguer et de punir les exactions perpétrées par leurs troupes et ils sont donc responsables des crimes de guerre commis.

L’implication du Rwanda

Le Rwanda a été le principal soutien du RCD-Goma depuis que le mouvement a entamé sa rébellion contre le gouvernement congolais en 1998. Le Général Nkunda a été formé au Rwanda et entretenait des liens étroits avec les Rwandais tout en servant dans les rangs du RCD-Goma. En octobre 2002, le Rwanda a retiré ses troupes de RDC mais les témoignages continuent à mettre en avant l’implication ininterrompue des forces rwandaises dans l’Est de la RDC. Le 21 avril 2004, une patrouille de la MONUC au Nord-Kivu a été arrêtée par 400 soldats rwandais et priée de retourner à sa base. (4) Le Rwanda a nié la présence de ses troupes dans l’Est de la RDC.

L’activité dissidente d’éléments du RCD-Goma soulève une nouvelle fois la question de l’étendue du soutien politique et militaire rwandais apporté aux groupes de la région Est de la RDC. A Bukavu, des sources locales ont affirmé que des éléments de l’armée rwandaise étaient présents lors des récents événements. Elles ont prétendu avoir identifié des commandants qu’elles connaissaient de l’occupation rwandaise précédente et ont également déclaré avoir pu reconnaître les véhicules, armes et uniformes utilisés par l’armée rwandaise. Suite à ces informations, le Président Kabila a accusé le Rwanda de collusion avec les rebelles qui tentaient de s’emparer de Bukavu. Le gouvernement rwandais, en colère, a rejeté ces accusations et a fermé ses frontières avec la RDC le 6 juin.

Justice et responsabilité pour les crimes du passé

Les nombreuses atteintes aux droits humains ne prendront pas fin aussi longtemps que ceux qui les commettent ne répondront pas de leurs actes. Un récent rapport du Secrétaire Général de l’ONU sur la protection des civils dans les conflits armés déclarait que les sociétés en conflit attendaient et méritaient les fruits de la paix, pas seulement la fin des combats. Il ajoutait que la justice est un facteur capital pour cette paix; l’impunité risque d’être une formule dangereuse pouvant provoquer le retour du conflit. (5) Le gouvernement de transition de la RDC a soumis le dossier des graves crimes contre les droits de l’homme en RDC au bureau du procureur de la Cour Pénale Internationale.

Les exactions commises à Bukavu démontrent ce qui peut arriver lorsque les crimes du passé restent impunis. Comme l’expliquait un rapport de Human Rights Watch publié en août 2002, le Général Nkunda était l’un des officiers en charge du commandement des soldats du RCD-Goma qui ont aveuglément tué des civils et commis de nombreux viols et pillages à Kisangani. (6) En dépit de la condamnation de ces crimes par Mary Robinson, alors Haut Commissaire de l’ONU aux Droits de l’Homme, ni le Général Nkunda ni les autres officiers n’ont fait l’objet d’une enquête ou d’une quelconque inculpation. Au contraire, le RCD-Goma a proposé que Nkunda aide à diriger l’armée unifiée, à l’instar d’un certain nombre d’officiers d’anciens autres groupes rebelles qui avaient été impliqués dans des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité au cours des années précédentes. Les dirigeants militaires nationaux ont accepté la proposition, alors que Nkunda lui-même refusait de se placer sous les ordres de Kinshasa. Même s’il n’a pas assumé cette fonction, le message qui en est ressorti est que les auteurs de ces crimes seraient récompensés par des postes au sein du gouvernement et qu’ils ne seraient pas punis.

La réaction de la MONUC face aux événements

Les troupes de maintien de la paix de l’ONU ont besoin de moyens plus importants pour gérer efficacement l’escalade de la violence. A Bukavu, les forces onusiennes ont secouru des centaines de personnes menacées de violences en les réinstallant ailleurs mais elles n’ont pas pris d’autres mesures prévues aux termes du Chapitre VII relatif à leur mandat. Le Conseil de Sécurité de l’ONU a mandaté la MONUC pour, entre autres, “assurer la protection des civils et des agents humanitaires sous la menace imminente de violences physiques” et pour “utiliser tous les moyens nécessaires pour s’acquitter de son mandat”.(7) Les forces de la MONUC ont réalisé un nombre limité de patrouilles à Bukavu mais n’ont mené aucune action militaire pour empêcher les commandants renégats de prendre le contrôle de la ville qui étaient aux mains des forces pro-gouvernementales. Avec seulement quelque 700 soldats présents à Bukavu, les officiers de la MONUC semblent avoir fait une lecture restreinte de leur mandat tel qu’établi au Chapitre VII.

Au cours des derniers mois, le Secrétaire Général de l’ONU et son Représentant Spécial au Congo, l’Ambassadeur William Swing, ont souligné les lacunes du processus de paix au Congo et ont exprimé leur inquiétude pour l’avenir. En mars 2004, ils ont signalé que les progrès opérés dans le sens de la paix en RDC n’étaient pas encore irréversibles et que les divisions croissantes en factions au sein des membres du gouvernement de transition étaient alarmantes. Ils ont pressé la communauté internationale, les donateurs et l’ONU de faire plus. Leurs préoccupations ont juste provoqué quelques réactions voilées alors que l’attention de la communauté internationale se détournait sur l’Irak et Darfour. La plupart des gouvernements continuent à se réjouir de “la paix au Congo” et ferment les yeux sur les obstacles restant à surmonter. L’accord laborieux sur le partage du pouvoir et la méfiance entre les groupes participant à la transition – ainsi que des groupes qui n’y participent pas – risquent d’aboutir à de nouvelles violences et atteintes aux droits humains à l’avenir.

Recommandations :

⚈ Au gouvernement transitoire de la RDC : Enquêter immédiatement à propos des crimes de guerre et autres violations du droit international des droits de l’homme et du droit humanitaire commis dans l’Est de la RDC – dont certains ont été décrits dans ce document d’information – et demander des comptes, conformément aux normes internationales de justice, à ceux qui en sont tenus responsables. Chercher à recourir à l’aide et aux compétences de la communauté internationale dans cette démarche, y compris éventuellement à la Cour Pénale Internationale, s’il y a lieu.

⚈ A la MONUC : Mener à terme le plus rapidement possible l’enquête de la MONUC sur ces violations des droits humains et publier les résultats. Reconsidérer de toute urgence les règles de l’engagement de la MONUC en RDC afin d’assurer une interprétation élargie de son mandat aux termes du Chapitre VII, lequel mandat consiste à assurer la protection des civils et à contribuer à l’amélioration des conditions de sécurité.

⚈ Aux membres du Conseil de Sécurité de l’ONU : Accroître le nombre de soldats de la MONUC en RDC lorsque le mandat de cette dernière sera revu en juillet 2004. Demander instamment à tous les Etats, en particulier ceux de la région, de s’abstenir d’appuyer des groupes armés dans l’Est de la RDC comme le prévoit la Résolution 1493 du Conseil de Sécurité de l’ONU qui stipule qu’aucune assistance, conseil, formation ou arme ne devrait être fournie aux groupes armés opérant au Nord ou au Sud-Kivu et en Ituri.

⚈ Aux Etats membres de l’ONU, au Département des Opérations de maintien de la paix (DPKO) et aux bailleurs de fonds internationaux : Fournir à la MONUC plus de soldats sur le terrain au lieu simplement d’officiers d’élite et accroître le soutien logistique à la MONUC, notamment au niveau des capacités de surveillance aérienne. Fournir un soutien technique et financier pour que le gouvernement de transition mènent des enquêtes sur les crimes de guerre commis à Bukavu, notamment un soutien pour la mise sur pied d’une équipe mobile d’enquêteurs s’il y a lieu, afin de traduire en justice les auteurs de ces crimes et rompre avec la culture de l’impunité. Accroître le soutien technique et financier à la MONUC pour ses opérations d’analyse et de recueil d’informations.

⚈ A l’armée nationale unifiée, au RCD-Goma et à tous les anciens groupes rebelles : Exercer un contrôle accru et instaurer la discipline au sein des éléments armés, remplir pleinement les engagements pris envers le processus de transition lors du Dialogue intercongolais de décembre 2002, et respecter pleinement le droit international humanitaire. Passer au crible les soldats prêts à rejoindre la nouvelle armée intégrée afin de veiller à ce qu’aucune personne impliquée dans de graves violations du droit international humanitaire ne soit incorporée dans la nouvelle armée.

⚈ Au gouvernement congolais, à la MONUC et au HCR : Faciliter le retour volontaire, dans le calme et la dignité, des Banyamulenge et autres réfugiés congolais se trouvant au Rwanda dès que les conditions de sécurité le permettront.

Notes

  1. Le Brigadier Général Laurent Nkunda est un Tutsi congolais du Nord-Kivu, l’un des groupes considérés comme Banyarwanda et non comme Banyamulenge. Le Colonel Jules Mutebutsi appartient aux Banyamulenge, un groupe pastoraliste qui parle une variante du Kinyarwanda. Il s’agit d’un sous-groupe distinct dont l’histoire diffère de celle des Tutsis congolais du Nord-Kivu qui ont émigré au Congo plus tard.
  2. “RDC Province de Sud Kivu Communiqué Shikama/Banyamulenge”, Enock Ruberangabo Sebineza, Membre de l’Assemblée Nationale, distribution par courrier électronique, le 2 juin 2004.
  3. Voir Human Rights Watch, “The War Within The War: Sexual Violence Against Women and Girls in Eastern Congo”, juin 2002.
  4. “La mission de l’ONU dit que les troupes rwandaises sont entrées ‘illégalement’ en RD du Congo”, Agence France Presse, le 24 avril 2004.
  5. Rapport du Secrétaire Général au Conseil de Sécurité sur la protection des civils dans les conflits armés, S/2004/431, le 28 mai 2004.
  6. Voir le rapport succinct de Human Rights Watch sur la RDC, “War Crimes in Kisangani: The Response of Rwandan-backed Rebels to the May 2002 Mutiny”, vol. 14, No. 6, août 2002.
  7. Résolution 1493 du Conseil de Sécurité de l’ONU, 28 juillet 2003.

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