Pouvons-nous produire suffisamment de nourriture pour nourrir 10 milliards de personnes ?

Source : Executive Intelligence Review, Volume 21, Number 29, July 22, 1994.

Par Rosa Tennenbaum.


Le Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA) a récemment publié une analyse de son vice-président John Bongaarts, publiée entre autres dans le numéro de mai du mensuel allemand Spectrum der Wissenschajt, sous le titre Genug Nahrung für zehn Milliarden Menschen? (Assez de nourriture pour 10 milliards de personnes ?”). Il est clair qu’il existe une opposition généralisée parmi les scientifiques agraires au mensonge selon lequel l’agriculture mondiale ne peut pas suivre le rythme de la croissance démographique mondiale. Mais puisque précisément ce mensonge joue un rôle clé dans les plans de réduction drastique du nombre de personnes, qui dominent l’ordre du jour de la Conférence internationale des Nations Unies sur la population et le développement au Caire en septembre, le Fonds pour la population tente de légitimer sa politique de contrôle de la population avec cette étude.

L’article met en balance les arguments des apôtres écologistes et de leurs acolytes en faveur d’une politique rigoureuse de réduction de la population, contre les arguments des scientifiques agraires selon lesquels nourrir le monde est un problème politique et non agricole. Au cours des trois dernières décennies, grâce à des efforts extraordinaires, d’énormes gains ont été réalisés dans les rendements des cultures, de sorte que l’offre de nourriture a augmenté plus rapidement que le nombre d’habitants de la Terre. Même dans le secteur en développement, les augmentations de rendement sont impressionnantes : les récoltes totales en 25 ans entre 1965 et 1990 dans les pays en développement ont augmenté en moyenne de 117 %, les succès en Asie étant particulièrement frappants.

En Afrique, en Amérique latine et au Moyen-Orient, les rendements ont augmenté plus lentement et l’approvisionnement alimentaire par habitant a chuté au cours de cette période. Le blâme pour cela ne réside pas dans le fait que davantage de personnes sont nées, mais dans la politique d’endettement des institutions internationales telles que la Banque mondiale et le Fonds monétaire international, qui travaillent tous deux en étroite collaboration avec les Nations Unies. Ils ont forcé les pays du secteur en développement à retirer leurs investissements de l’agriculture et à exporter davantage de produits agricoles afin de rembourser leurs dettes. La raison des pénuries n’est donc pas le nombre de personnes, mais plutôt les politiques d’endettement et d’intérêt des banques.

Optimistes contre pessimistes

Bongaarts décrit le point de vue des écologistes, qu’il qualifie à juste titre de «pessimistes». Selon eux, la catastrophe est déjà sur nous, et Bongaarts concède que leur point de vue est «largement diffusé par les médias». Leur apocalypse repose exclusivement sur l’affirmation selon laquelle l’agriculture nuit à l’environnement. Nourrir plus de gens signifierait «intensifier ces mêmes méthodes de culture qui ont déjà causé de lourds dégâts écologiques”, écrit-il. «Les ressources naturelles et les fondements de la vie, déjà mis à rude épreuve par la croissance démographique à ce jour, ne pourraient tout simplement pas supporter ce fardeau supplémentaire”. La «pression démographique sur les écosystèmes sensibles» est donc sans cesse rabâchée.

Les terres arables risquent de se raréfier, et on voit une «grande partie des terres fertiles restantes» menacée par l’érosion. Même les écologistes avouent que malgré tout, la Révolution Verte a pu multiplier par plusieurs les rendements à l’hectare, et que cet exemple peut toujours se répéter partout ; mais ils rétorquent que cela favoriserait l’utilisation d’engrais et de pesticides, et doit donc être rejeté. Il en va de même pour l’arrosage. Il serait certainement possible de rendre fertiles de larges étendues de terres par l’irrigation, disent les écologistes, mais ce serait «trop cher». En bref : Même les écologistes ne peuvent pas nier qu’il serait possible de nourrir plus de personnes, mais ils ne le veulent pas. Le mépris de ces gens pour l’humanité se résume dans l’image que Paul et Anne Ehrlich de l’Université de Stanford ont affichée dans leur livre, The Population Explosion, et que Bongaarts cite : «le remodelage de la terre en une gigantesque mangeoire humaine».

Les «optimistes», au contraire, ne nient pas les immenses problèmes auxquels est confrontée l’agriculture mondiale, mais ils veulent les aborder avec vigueur. Bongaarts affirme d’un ton surpris : «Un tel optimisme découle avant tout de l’extrapolation du même développement que d’autres chercheurs voient comme un signe alarmant d’une catastrophe imminente». Les chercheurs agraires soulignent les succès dans l’amélioration de l’approvisionnement alimentaire qu’ils ont obtenus dans un passé récent, et Bongaarts écrit : «Les statistiques montrent en fait que dans les pays en développement, entre 1965 et 1990, l’approvisionnement alimentaire quotidien moyen par habitant a augmenté de 21%». Même l’approvisionnement en protéines essentielles s’est nettement amélioré. «Si nous suivons les optimistes, la situation alimentaire mondiale pourrait encore s’améliorer considérablement comme au cours des dernières décennies», admet le dirigeant du Fonds des Nations unies pour la population.

Pour étayer leur argument, les scientifiques agraires prétendent que seule une fraction du sol arable a été cultivée jusqu’à présent. «Près de trois fois les terres arables et les pâturages d’aujourd’hui [pourraient] être ouverts à l’agriculture … soit 1,4 milliard d’hectares». Les réserves de terres arables extrêmement fertiles, notamment en Afrique et en Amérique latine, sont immenses. «Mais même là où les terres agricoles ne peuvent peut-être être étendues que dans une mesure limitée (comme au Proche-Orient et en Asie), plus de récoltes pourraient être récoltées au cours de l’année qu’actuellement… Toutes les régions sont capables d’amélioration. De plus, des rendements plus élevés sont atteignable pour les monocultures, surtout en Afrique et au Moyen-Orient». Grâce à l’utilisation de variétés à haut rendement et aux apports d’engrais et de pesticides, les rendements pourraient être multipliés. Pourtant, en Afrique, seulement un cinquième, en Amérique latine deux cinquièmes et au Moyen-Orient, un peu moins de la moitié est récolté, par rapport à l’Europe ou à l’Amérique du Nord, par unité de surface. Ces «fans d’une révolution verte permanente», comme Bongaarts appelle ces scientifiques, sont convaincus que les terres cultivées dans les pays en développement pourraient être fortement augmentées rapidement, et que la plupart des pays du secteur en développement pourraient se nourrir en peu de temps, car leur densité de population est très petit en règle générale.

«Afin de fournir 4 000 kilocalories brutes par jour (y compris ce qui se perd lors de la récolte, du stockage et du transport), par habitant même en l’an 2050 pour les 8,7 milliards d’habitants des pays en développement (donc pour le double d’habitants aujourd’hui), l’agriculture doit produire 112 % de plus», calcule Bongaarts. «Pour 5 000 kilocalories brutes, ce qui est légèrement en dessous de la moyenne mondiale de 1990, il faudrait une augmentation de 218 %, et pour environ 10 000 kilocalories brutes (comme dans l’industrie pays à l’époque), soit une augmentation d’environ 430%». Si les pays en développement sont autosuffisants en alimentation de base et peuvent en même temps améliorer l’approvisionnement de leurs populations, alors ils devraient augmenter leurs récoltes «Ceci est certainement impossible, si aucune percée décisive dans la biotechnologie de la production alimentaire n’est réalisée», conclut Bongaarts.

Mais c’est tout à fait possible, comme le prouvent les rendements à l’hectare qui ont été atteints en Europe. Et en Europe, les conditions climatiques ne permettent pas plusieurs récoltes par an, comme c’est le cas dans la plupart des pays en développements.

On peut aussi «affirmer à juste titre que la production alimentaire mondiale dans les prochaines décennies va augmenter considérablement», admet-il. Ce qu’il faudrait, c’est «une politique bien pensée, qui garantisse l’approvisionnement en engrais et autres moyens de production nécessaires, une solide construction d’infrastructures et un accès au marché pour les producteurs… La question centrale ne sera alors plus plus longtemps, comment obtenir plus de nourriture, mais comment introduire des méthodes permettant d’espérer une augmentation de la production alimentaire».

Tout va bien : Il n’y a pas de problèmes objectifs qui nous empêchent de nourrir une population mondiale croissante, tout peut être facilement mis à notre portée. Ce qui manque, c’est la volonté politique de le faire, et on la chercherait en vain auprès du Fonds des Nations Unies pour la population.

Une catastrophe écologique ?

Bongaarts insiste sur les problèmes écologiques à la fin de son article, car il est facile de faire de la politique avec le mot «écologie». «Un problème difficile est de savoir comment réaliser ces avancées technologiques à des coûts écologiquement durables. Ici, les arguments qui ont un poids particulier sont ceux qui prédisent une catastrophe environnementale». Puis il consacre un chapitre aux «Effets du réchauffement climatique». Mais là encore, il faut admettre qu’une telle «écocatastrophe» aurait de multiples effets positifs sur la croissance des plantes, l’allongement des saisons de végétation, etc. Il lui faut donc tirer un autre argument : «les coûts écologiques». À l’avenir, ceux-ci seraient ajoutés aux prix des produits agricoles, affirme Bongaarts. Cela ferait, bien sûr, monter en flèche les prix des denrées alimentaires, dit-il, sans aucun fondement, puisque le sol, l’eau et l’air ont été utilisés depuis que l’homme existe.

Mais on pourrait même «limiter les futures hausses de prix, si les ressources agricoles inutilisées en Amérique du Nord et ailleurs étaient mises en production», dit Bongaarts, soulignant ainsi indirectement l’importance des agriculteurs et des décideurs agricoles dans les pays industrialisés. Les hausses de prix n’auraient en fait qu’un faible effet si la production agricole des pays à haut rendement était accrue. Il est bien connu que c’est exactement la politique inverse qui est suivie, comme les agriculteurs des pays et les consommateurs du secteur en développement en font l’expérience quotidienne.

«Techniquement, il est possible de mieux approvisionner une population mondiale croissante en nourriture, qualitativement et quantitativement», conclut Bongaarts. «Pour de nombreux pays pauvres, cependant, les coûts économiques et écologiques qu’une forte augmentation de la production entraîne avec elle, pourraient être absolument insoutenables… En tout cas, les tâches de l’avenir seront plus faciles à résoudre si nous parvenons à ralentir la croissance de l’espèce humaine», dit l’auteur dans son résumé politique, et non scientifique, où il se range du côté des «pessimistes», ceux qui prônent une politique de dépeuplement du Tiers-Monde. Il n’y a pas d’arguments scientifiques ou économiques valables contre la croissance de la population mondiale ; il n’y en a plutôt que des idéologiques et politiques. Et ils peuvent être vaincus.

Et ainsi, même la publication du Fonds des Nations Unies pour la population, auquel appartiennent les défenseurs les plus catégoriques du mensonge de la surpopulation , a prouvé qu’une population mondiale en croissance constante peut non seulement être nourrie, mais que même un niveau élevé de nutrition peut être assuré. Cela prouve aussi que ceux qui veulent pousser à une réduction drastique de la population mondiale, par exemple à la conférence du Caire, veulent le faire exclusivement sur des bases politiques et racistes. Ils se rallient ainsi volontiers à ceux qui fournissent de l’eau au moulin du plus grand génocide de l’histoire.


Note : Nous n’avons pas repris dans ce texte les tableaux d’illustration de la publication originale. Ils peuvent être vus dans le fichier PDF.

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