Autour du chef de l’État, plusieurs tentent de convaincre Félix Tshisekedi de rompre les liens avec Vital Kamerhe. A l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), le parti présidentiel, certains n’ont jamais accepté le rapprochement avec celui que l’on surnomme le «caméléon». «Le dircab avait formé un cabinet parallèle et n’hésitait pas à critiquer le président dans son dos», confie un proche du chef de l’État.
«Se refaire une santé financière»
Mais on ne se sépare pas d’un allié politique de ce calibre aussi facilement. « Il fallait attendre que Vital Kamerhe s’expose, pour éviter de donner l’impression d’un simple règlement de comptes politique », ajoute cette même source. Les échecs du programme des «100 jours » exacerbent les griefs et la rivalité politique. «On savait très bien que l’accord de Nairobi était mort et enterré dès que Félix Tshisekedi est arrivé au pouvoir», raconte l’entourage du directeur de cabinet déchu. «Vital avait besoin de se refaire une santé financière pour se présenter seul en 2023», confie un de ses amis, qui reconnaît «quelques détournements».
Depuis son élection, Félix Tshisekedi est également sous pression constante de Washington, son principal allié diplomatique. Lors de leur première rencontre fin janvier 2019, l’ambassadeur américain Mike Hammer a rappelé au président sa promesse de campagne : la lutte contre la corruption. Les États-Unis ne s’en cachent pas, ils voient dans ce nettoyage l’occasion pour Félix Tshisekedi de rompre définitivement avec le camp de l’ancien président, Joseph Kabila, dont plusieurs membres sont sous sanctions américaines depuis des années.
«Pour l’exemple»
Plusieurs diplomates et spécialistes américains de la lutte contre la corruption sont dépêchés à Kinshasa. Avec le président, ils évoquent régulièrement l’idée d’une première condamnation «pour l’exemple», proposent une aide technique pour les enquêtes et s’engagent à soutenir la future agence de lutte anticorruption à hauteur de 10 millions de dollars. «L’influence des Etats-Unis est telle qu’il a été difficile de reculer», reconnaît un proche du président. Les enquêtes avancent, des juges sont saisis. «Les magistrats étaient sous pression, mais cette pression était populaire, pas politique», assure Gaël Yimbi, du syndicat de magistrats JUSI. Plusieurs collaborateurs du président Tshisekedi sont même entendus. «Quand j’en ai parlé au chef de l’Etat, raconte l’un d’eux, il m’a dit: “Prépare ta valise si tu dois dormir en prison”.»
Finalement, ce ne sont pas les sauts-de-mouton qui feront tomber Vital Kamerhe, mais un autre volet du programme des « 100 jours » : la construction de 4 500 maisons préfabriquées. Un chantier à 114 millions de dollars, pour lequel l’Etat congolais avait déjà décaissé 59 millions de dollars. Le volet «le plus simple à instruire», selon une source judiciaire, car «tous les éléments étaient là: les preuves de décaissement, les relevés bancaires et les interventions répétées de Vital Kamerhe». Le directeur de cabinet est arrêté le 8 avril, le procès s’ouvre le 11 mai, la condamnation tombe le 20 juin. «Il fallait aller vite, poursuit cette même source judiciaire. Jusqu’à la dernière minute, on a eu peur que quelqu’un accepte de l’argent pour enterrer l’affaire. Des juges se sont vus proposer 5 millions de dollars.» Dans l’entourage du directeur de cabinet, on dénonce un procès bâclé et partial: «Comment peut-on penser que Vital Kamerhe était le seul à se servir?», s’interroge un proche.
Joseph Kabila éclaboussé?
Mais d’autres questions restent en suspens. Quel rôle a joué l’ancien président Joseph Kabila dans cette affaire par exemple ? A Kinshasa, on dit que « rien ne peut se faire sans qu’il donne son accord », affirme une ancienne diplomate. Une source judiciaire raconte avoir été contactée plusieurs fois par des « connaissances » du FCC pour voir «comment les choses se passaient» pendant le procès. Au mouvement de l’ancien président, on dément formellement toute intervention.
Sur le plan politique, la condamnation et l’incarcération de Vital Kamerhe arrange le camp Kabila puisque, en perdant son allié, Félix Tshisekedi se retrouve un peu plus isolé et fragilisé. Mais l’ancien président doit-il craindre d’être éclaboussé par la campagne de lutte contre la corruption? Avec sa famille, il est à la tête d’un empire qui génère des centaines de millions de dollars de revenus, selon une étude datée de 2017 réalisée par le Groupe d’étude sur le Congo de la New York University. Peu après la condamnation de Kamerhe, des députés du FCC ont déposé trois propositions de lois visant à renforcer les prérogatives du ministre de la justice. Elles permettraient par exemple à ce dernier de suspendre un magistrat en cas de faute, un pouvoir aujourd’hui réservé au Conseil supérieur de la magistrature.
Si, du côté du FCC, on se défend de vouloir mettre la justice sous tutelle, la réforme est très contestée par le camp présidentiel ainsi que par l’opposition et une partie de la société civile. Samedi 11 juillet, le ministre de la justice, Célestin Tunda Ya Kasende, un fidèle de Joseph Kabila, a finalement présenté sa démission, la première au sein de ce gouvernement. Il aurait transmis à l’Assemblée nationale l’avis favorable du gouvernement sur ces propositions de loi sans avoir reçu l’autorisation du conseil des ministres, provoquant l’ire du président Tshisekedi. Dans son discours pour commémorer le 60e anniversaire de l’indépendance, le 30 juin, ce dernier s’était ouvertement opposé à des textes qui «viendraient porter atteinte à des principes fondamentaux régissant la justice». Il a dit espérer que le procès Kamerhe «tourne définitivement la page de la longue série de projets et programmes qui, à travers l’histoire, ont donné lieu à d’importants coulages de ressources publiques en toute impunité.»
Joseph Baraka.