L’OMS mise en cause dans plus de 80 cas de violences sexuelles en RDC

L'OMS a été gravement mise en cause par une commission d'enquête sur les violences sexuelles commises par ses employés contre des dizaines de personnes en République démocratique du Congo, qui dénonce des "défaillances structurelles" et des "négligences individuelles". Ces abus sexuels ont été commis par des membres du personnel, aussi bien embauchés localement que par des membres internationaux des équipes chargées de lutter contre l'épidémie d'Ebola qui a sévi en RDC entre 2018 et 2020, notent les enquêteurs qui ont interrogé des dizaines de femmes s'étant vu proposer du travail en échange de rapports sexuels ou victimes de viol.

Le scandale remonte à l’épidémie d’Ebola de 2018 en République démocratique du Congo. Aujourd’hui, une enquête indépendante a identifié plus de 80 allégations d’abus – impliquant une vingtaine d’employés de l’OMS. Dans les propos liminaires, la commission d’enquête indépendante – lancée en octobre 2020 par le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé Tedros Adhanom Ghebreyesus – dresse un tableau très sombre de la situation sur place. Elle constate « l’ampleur des incidents d’exploitation et d’abus sexuels lors de la riposte à la 10ème flambée d’Ebola, toute chose ayant contribué à accroître la vulnérabilité des victimes présumées, lesquelles n’ont pas bénéficié de l’aide et de l’assistance nécessaires qu’exigeaient de telles expériences dégradantes ».

« La première chose que je tiens à dire aux victimes et aux survivants c’est que je suis désolé. Je suis désolé, désolé de ce qui vous a été imposé par des personnes qui étaient employées par l’OMS pour vous servir et vous protéger », a déclaré le directeur général de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, lors d’une conférence de presse, après la publication du rapport, promettant des « conséquences sévères » aux responsables. « C’est ma priorité absolue que les auteurs ne soient pas excusés mais tenus responsables », a-t-il ajouté. « C’est un sombre jour pour l’OMS », a reconnu le directeur général, qui brigue un second mandat à la tête de l’organisation, une candidature pour laquelle il a eu la semaine dernière un soutien de la majorité des pays de l’Union européenne mais aussi du Kenya.  Quand une journaliste lui a demandé s’il avait l’intention de démissionner, il a esquivé. « Je suis allé sur place 14 fois et ce problème n’a pas été soulevé. Peut-être que j’aurais dû poser des questions », a-t-il toutefois reconnu.

La commission a identifié 83 auteurs présumés, dont 21 étaient des employés de l’OMS. L’organisation a mis fin, dès la publication du rapport, au contrat de quatre d’entre eux qu’elle employait encore et les autres avaient des contrats de courte durée, a expliqué le docteur Tedros. Ils se verront bannir de tout emploi futur. En outre, l’OMS transmettra les allégations de viol aux autorités nationales en RDC pour qu’elles enquêtent, ainsi que dans les pays d’origine des auteurs présumés. Deux hauts responsables ont été placés en congés administratifs « et nous prenons des mesures pour nous assurer que d’autres personnes susceptibles d’être impliquées soient temporairement déchargées de tout rôle décisionnel » dans cette affaire, a-t-il détaillé. Le patron de l’OMS a aussi indiqué qu’un organisme externe sera chargé d’identifier les manquements individuels au sein de son organisation.

De fait, la commission relève aussi, après avoir procédé à des dizaines d’entretiens, « la perception d’impunité du personnel de l’institution de la part des victimes présumées » tout comme le fait que face à des dizaines de victimes qui se sont présentées, il y a « une absence totale de signalement de cas » au niveau institutionnel. « Les entretiens des principaux responsables de l’organisation conduits par l’équipe d’examen démontrent bien que l’organisation, concentrée principalement sur l’éradication de l’épidémie d’Ebola, n’était pas du tout préparée à faire face aux risques/incidents d’exploitation et d’abus sexuels », souligne le rapport. Fin mai, une cinquantaine de pays membres de l’OMS avaient fait publiquement état de leur frustration face à la lenteur des enquêtes et le manque de transparence.

Ils avaient exprimé leur inquiétude après des informations de médias suggérant que la direction de l’OMS était au courant de cas d’exploitation sexuelle, d’agressions et de harcèlement sexuel et avait omis de les rapporter comme l’exige le protocole de l’ONU et de l’OMS, tout comme les allégations selon lesquelles des membres du personnel ont tenté d’étouffer ces affaires. L’affaire n’a éclaté que grâce au travail d’enquête de The New Humanitarian et de la Reuters Foundation.

Joseph Baraka.

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