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Qu’est-ce qui cause l’effondrement de la RDC? Argument IV: La “multiplicité institutionnelle”

Pourquoi la République Démocratique du Congo s’est-elle effondrée? Les réponses à cette question varient considérablement selon les différentes théories; et pourtant, la nature de la réponse devrait fournir des informations sur la manière d’aborder la reconstruction présente et future du pays, ou de l’État lui-même. Nous présentons ici le cinquième argument, celui de la multiplicité institutionnelle. Étant donné que nous travaillons dans le cadre élargi des transformations sociétales de sociétés précapitalistes en sociétés capitalistes, nous suggérons l’utilisation d’un nouvel outil pour l’observation de changements institutionnels qui ne sont pas nécessairement linéaires. Afin d’appréhender, sur des horizons temporels courts, des changements intermédiaires ou des changements qui interviennent à un microniveau, nous proposons de nous intéresser de près à l’évolution temporelle de la multiplicité institutionnelle.

Qu’est-ce que la ”multiplicité institutionnelle”?

Le terme «multiplicité institutionnelle» vient d’un article de Di John pour le Crisis States Research Centre. La multiplicité institutionnelle peut être définie comme: «situations de revendications multiples à la gouvernance dans lesquelles d’autres acteurs que l’État s’engagent dans la fourniture de services de base, la fourniture de la sécurité et le règlement des différends, etc.»*. En soi, cette situation n’a pas de sens politique; l’existence d’une prestation de services non étatique dans ce cas ne dénotant pas automatiquement une concurrence ou un conflit avec l’État. Cependant, dans le contexte d’un État en sortie de crise, le fait de la multiplicité institutionnelle peut prendre sens et prendre de l’importance dans le processus de formation de l’État.

La multiplicité institutionnelle diffère de la gouvernance parallèle en ce qu’elle n’a pas de dimension politique – la gouvernance parallèle consiste à entrer en compétition avec l’État dans l’espoir de le déplacer. Ces structures varieront selon leur contexte, par exemple elles peuvent être financées par la diaspora, des ONG étrangères ou une puissance étrangère et cela affectera à la fois ce qu’elles représentent et leur fonctionnement. Des structures parallèles et multiples se retrouvent plus souvent en marge de l’État: «En marge, l’institutionnalisation de l’État est incomplète et l’État est provisoire, un projet parmi des projets concurrents de gouvernance et d’ordre». La présence de multiples institutions affectera la façon dont les gens voient et vivent l’État, et dans le contexte post-conflit se pose la question de la place de ces structures dans la formation de l’État.

Ce concept repose sur l’hypothèse sous-jacente selon laquelle des phénomènes apparemment anarchiques ou chaotiques peuvent en fait correspondre à une situation dans laquelle les individus adoptent un comportement rationnel, étudient les alternatives, et utilisent la raison pour choisir entre des options institutionnelles concurrentes. L’État bureaucratique n’est donc qu’un des nombreux principes organisateurs que nous pouvons observer dans des situations, telles que celle de la RDC, où de multiples institutions sont en concurrence. Dans la sphère politique, ces institutions peuvent inclure les autorités traditionnelles, dont la légitimité procède d’un statut de naissance et de connexions spécifiques avec la terre ancestrale détenue collectivement. Ces autorités ont comme rivaux les réseaux néopatrimoniaux, dont la légitimité procède de la richesse ou du pouvoir militaire. Ces réseaux peuvent prendre la forme d’organisations militaires, de réseaux économiques ou de partis politiques.

De plus, des principes organisateurs rivaux sont également introduits par la communauté internationale dont les interventions fragmentées et protéiformes, qu’elles proviennent d’organisations financières, de bailleurs de fonds bilatéraux, d’ONG ou de multinationales, comportent souvent l’utilisation d’outils particulièrement efficaces pour imposer des règles de comportement et des critères de légitimité aux hommes forts congolais.

Chacun de ces principes organisateurs fonctionne dans le cadre de règles qui peuvent être imposées aux membres des organisations concernées. Les différentes institutions interviennent dans des sous-secteurs de l’État, et souvent à un niveau infranational. Alors que ces institutions se chevauchent et exigent des individus qu’ils jouent un rôle dans différentes sphères simultanément, on peut observer des transferts entre leur pouvoir relatif et celui de l’État bureaucratique lors de différentes phases du déclin et de la reconstruction de l’État.

Interprétations et portée

L’effondrement de l’État et sa reconstruction peuvent dès lors être analysés comme la contraction ou l’expansion du pouvoir bureaucratique et de l’économie capitaliste, mais ils peuvent également être observés dans les différents sous-systèmes de l’activité économique et politique ayant lieu simultanément dans une multitude d’institutions rivales.

* Cette définition de concept a été développée à la suite des travaux menés lors de la conférence internationale Post-crise state transformation: Rethinking the foundations of the state à Linköping, en Suède, qui s’est tenue du 1er au 5 mai 2009. Cette conférence a été organisée par Modus Operandi en collaboration avec l’Université Pierre Mendès France (Grenoble, France) et la Fondation européenne de la science.

Joseph Baraka.

Références:

  1. Gabi Hesselbein.Essor et déclin de l’État Congolais. Un récit analytique de la construction de l’État.”  Document de travail No21, Novembre 2007. Crisis States Research Centre.
  2. Van der Haar, G. (2010) “State formation in dispute: Local governance as an arena in Chiapas”, Mexico in Rethinking the state: Understanding the processes of post-crisis state transformation Bruylant: Brussels.
  3. Di John, J. (2008). “Conceptualising the Causes and Consequences of Failed States: A Critical Review of the Literature Working paper”. No25, London, Crisis States Research Centre.

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