Barrage Inga III et crise énergétique en RDC: enjeux, défis et perspectives

Alors que la RDC connait une grave crise énergétique, le développement du barrage d’Inga 3 est confronté à des défis politiques, géostratégiques et financiers, notamment la suspension du financement de la Banque mondiale en 2016. En raison du développement de l’électromobilité, les entreprises en aval entendent sécuriser le cobalt du pays. Les sociétés minières de la ceinture cuivre-cobalt pourraient ne pas répondre aux besoins des sociétés en aval, compte tenu de l’absence d’un approvisionnement énergétique fiable et abordable. Les recommandations politiques suggèrent qu’une plus grande transparence dans la mise en œuvre du Projet Grand Inga est nécessaire pour restaurer la confiance des donateurs ; tandis que le pays lutte pour la stabilité politique et le développement durable.


1. Introduction

Le déficit électrique en Afrique cause chaque année des centaines de milliers de morts, perturbe le fonctionnement des hôpitaux et des services d’urgence ; compromet les objectifs éducatifs et augmente le coût des affaires. Ce déficit peut être comblé par l’immense potentiel hydroélectrique dont une grande partie, estimée à plus de 44 000 MW de puissance garantie, est concentrée sur le site des chutes d’Inga (province du Kongo Central, en RDC (les ressources hydroélectriques du pays sont estimées à environ 100 000 MW). Ainsi, le projet Grand Inga a des dimensions régionales et continentales. C’est l’une des principales priorités de l’agenda 2063 de l’Union africaine (UA).

Cependant, la réalisation du projet dépend en grande partie de ressources financières adéquates à mobiliser à travers des investissements dans des partenariats public-privé et le pays a rencontré des difficultés pour libérer son potentiel d’énergie renouvelable.

2. Le secteur électrique en crise en RDC

Le potentiel hydroélectrique national est estimé à environ 100 000 MW, correspondant à 13% du potentiel mondial ou 66% du potentiel de l’Afrique centrale. En 2014, l’approvisionnement énergétique du pays ne représentait que 2 % du potentiel hydroélectrique. Par conséquent, la RDC est exposée à un déficit énergétique chronique.

2.1. Un réseau national obsolète en RDC

Selon la Banque mondiale, en 2017, le pays compte une population de 81,3 millions d’habitants [1]. C’est un État fragile, qui continue d’être affecté par l’insécurité dans les provinces de l’Est. Bien qu’il s’agisse d’une économie majeure riche en ressources en Afrique subsaharienne, la RD Congo figure parmi les pays les moins avancés (PMA). En 2017, l’hydroélectricité représentait plus de 90% de la production nationale d’électricité. Elle reposait principalement sur l’électricité produite sur le site d’Inga. En 2014, la capacité énergétique installée du pays était estimée à 2 442 MW, dont la capacité opérationnelle n’était estimée qu’à 1 281 MW.

2.1.1. Le rôle controversé d’une compagnie nationale d’électricité

De 1970 à 2014, la Société nationale d’électricité (SNEL)2, entreprise du secteur public (PSE), avait le monopole de la production, du transport, de la distribution et du négoce d’électricité. Il gérait le réseau national comprenant: (i) le réseau Ouest, (ii) le réseau Sud, et (iii) le réseau Est (Fig.1). Il a détaillé 50 centrales d’approvisionnement en énergie, dont 14 barrages hydroélectriques.

Fig. 1. Vue d’ensemble du National Grid en 2014.

Au fil des ans, le réseau national est devenu obsolète. La SNEL a surperformé en raison de plusieurs facteurs: (i) un manque d’entretien des réseaux électriques existants; (ii) une accumulation continue d’arriérés de paiement des principaux clients (l’État et les autres PSE); et (iii) la mauvaise gestion des fonds ([5];19[6];64). Dans l’ensemble, le service public d’électricité a rencontré des difficultés financières critiques l’empêchant de réhabiliter des centrales hydroélectriques ou d’investir dans de nouvelles infrastructures énergétiques. En 2011, le gouvernement a entamé la restructuration de la SNEL, qui est devenue une société à responsabilité limitée en décembre 2010.

2.1.2. Les barrages Inga 1 et Inga 2 : première tentative de déblocage des énergies renouvelables sur le site d’Inga

Le réseau Ouest comprend la centrale hydroélectrique de Zongo 13 et le site d’Inga dans la province du Kongo Central (à 250 km de Kinshasa), qui a un potentiel de 44 000 MW. De 1937 à 1960, les premières études sur le site d’Inga sont lancées sous la colonisation belge. Sept ans plus tard, le président Mobutu a étendu le réseau de l’Ouest en construisant les centrales Inga 1 (351 MW) et Inga 2 (1424 MW), qui sont devenues opérationnelles en 1972 et 1982 respectivement. Ces barrages n’étaient pas pleinement opérationnels. Le développement du site d’Inga était associé à des risques financiers importants. La dette extérieure insoutenable du pays était en grande partie due à la construction du projet d’infrastructure d’Inga.

2.2. Conséquences des pénuries d’électricité en RDC

La crise énergétique aiguë a eu un impact négatif sur le développement socio-économique du pays. Elle a également renforcé les inégalités sociales en RD Congo, où le taux de pauvreté s’élevait à 63,4 % en 2012, selon le Fonds monétaire international.

2.2.1. Une industrialisation limitée

L’industrialisation minière a été héritée de la colonisation belge dans la ceinture cuivre-cobalt de l’ex-province du Katanga4. Dans les années 1980, le barrage Inga 2 et la ligne de transport Inga-Kolwezi ont été conçus pour alimenter la ceinture en énergie. Il est à noter qu’en 1986, la SNEL peinait à assurer la rentabilité de la ligne Inga-Kolwezi.

Depuis les années 2000, le secteur minier industriel connaît une insécurité énergétique dans l’ex-Katanga. En réponse, la SNEL a importé de l’énergie de la Zambie, membre du Southern Africa Power Pool (SAPP), via la ligne Luano-Karavia. Globalement, les goulots d’étranglement électriques ont contribué à la dégradation du climat des affaires. Elle a nui à la compétitivité du pays, entraînant un impact négatif sur la croissance économique.

2.2.2. Une population en constante recherche d’approvisionnement énergétique

La Banque mondiale souligne qu’en 2016, l’accès à l’électricité ne concernait que 17,1 % de la population, correspondant à 47,2 % de la population urbaine et 0,4 % de la population rurale. La population satisfait généralement ses besoins énergétiques grâce à des sources hors réseau, telles que la biomasse5 (charbon de bois et bois de chauffage). Au total, il est exposé à des conditions de vie difficiles dans un pays classé 176ème sur 188 pays en 2015, selon l’Indice de développement humain (IDH).

Conformément à l’ODD 7, l’amélioration de l’accès à l’électricité, notamment à l’énergie propre, contribuera à une croissance inclusive. En pratique, la mise en œuvre du projet hydroélectrique Inga 3 n’allouera que 1 000 MW à la population6. Il ne participera pas à l’apaisement des tensions sociales et à la réduction des inégalités d’accès à l’électricité.

3. Faits saillants de la réforme du secteur énergétique congolais

En 2014, la RDC a réformé la législation du secteur de l’énergie avec l’aide de la Banque mondiale. La libéralisation du secteur de l’énergie visait à fournir une énergie abordable et fiable à tous les consommateurs.

3.1. Priorités clés en matière de sécurité énergétique

Le 17 juin 2014, la loi électricité n° 14/011 a été promulguée. En mettant fin au monopole de 44 ans de la SNEL, elle a libéralisé la production, le transport et la distribution d’électricité pour libérer le potentiel énergétique du pays.

3.1.1. Aperçu de la loi sur l’électricité

Les principales innovations sont les suivantes : le rôle clé du secteur privé, le processus d’appel d’offres, la création d’entités, la décentralisation de l’électricité et les dimensions socio-environnementales.

– Partenariat Public-Privé (PPP). L’article 5 insiste sur le droit de chacun à accéder à l’électricité. L’État et les provinces7 organisent le service public de l’électricité, qui est géré par le secteur privé. Cependant, l’article 8 stipule que les sites de production hydroélectrique et géothermique appartiennent au domaine public.

– Le processus d’appel d’offres. Aux termes de l’article 39, l’octroi de concessions et de licences est soumis à la procédure d’appel d’offres.

L’Agence de l’Autorité de Régulation (ARE) sous la tutelle du Ministère de l’Énergie et des Ressources Hydrauliques. Les articles 90 et 93 prévoient la création de l’ARE chargée de la surveillance du secteur de l’énergie.

– La décentralisation de l’approvisionnement énergétique. L’article 91 stipule que le gouvernement mettra en place l’Agence nationale d’électrification rurale (ANSER) chargée de promouvoir et de financer l’électrification en milieu rural et périurbain.

– Aspects socio-environnementaux. L’article 12 précise que tous les projets énergétiques sont pré-soumis à une étude d’impact environnemental et social.

Quatre ans plus tard, l’ARE et l’ANSER ne sont pas pleinement opérationnels, ce qui n’aide pas à attirer les flux d’investissement direct étranger (IDE).

3.1.2. Vers la mise à niveau du réseau national

Au-delà du développement du projet du Grand Inga, le pays a opté pour la rénovation des barrages susmentionnés. Les bailleurs de fonds ont financé la rénovation du site d’Inga. L’appui de la Banque mondiale à la réhabilitation d’Inga 1 et d’Inga 2 s’est élevé respectivement à 45 millions de dollars et 55 millions de dollars. Le barrage de Zongo 1 a également été réhabilité.

Le gouvernement prévoyait d’étendre le réseau national en construisant des projets à petite et moyenne échelle, notamment le barrage de Zongo 2. Suite à la libéralisation du secteur de l’énergie, plusieurs projets hydroélectriques privés sont en cours à travers le pays, tels que le projet de barrage de Sombwe (150MW) dans le Haut Katanga et le projet hydroélectrique de Kinsuka (900MW) dans le Kongo Central. De plus, Tembo Power, un promoteur privé, prévoyait de construire de petites centrales hydroélectriques dans l’ex-province du Katanga.

4. Promotion des énergies renouvelables en RDC: le cas du projet hydroélectrique d’Inga (enjeux et limites)

Dans les années 1970, les premières études sur le Grand Inga sont lancées. Depuis lors, le projet hydroélectrique à grande échelle a accumulé plusieurs obstacles, qui n’ont cessé de retarder le lancement officiel du barrage Inga III.

Cette dernière a été conçue comme une infrastructure énergétique régionale, dans laquelle l’Afrique du Sud joue un rôle clé. L’ingérence politique croissante dans la gestion du projet Inga 3 s’est produite à un moment où l’État fragile s’est embarqué dans l’instabilité politique. Néanmoins, en 2019, les intérêts croissants pour le développement du projet Inga 3 ont été revitalisés sous l’impulsion du président Tshisekedi.

4.1. Des partenariats ratés au rôle clé des bailleurs de fonds

Faute de financement, le projet Inga 3 a impliqué plusieurs parties prenantes au fil des ans, dont l’Afrique du Sud, la Banque mondiale et la Banque africaine de développement (BAD).

4.1.1. Première tentative ratée de mobilisation des bailleurs

En 2004, le Western Power Corridor (Westcor) comprenant la RD Congo, l’Afrique du Sud, l’Angola, la Namibie et le Botswana a mis en place une intégration énergétique régionale pour la mise en œuvre du projet hydroélectrique Inga 3. À la suite de l’élection du président Kabila en 2006, le pays s’est lancé dans la reconstruction économique, en se concentrant sur cinq piliers de développement (infrastructures, création d’emplois, éducation, eau et électricité).

La construction du barrage Inga 3 est devenue une priorité nationale. Le 26 juin 2006, BHP Billiton SA (le géant minier australien) et la SNEL ont conclu un PPP, après un processus d’appel d’offres. BHP a accepté de construire le barrage Inga 3, estimé à 3,5 milliards de dollars.

En tant que principal acheteur de l’électricité produite, elle prévoyait d’obtenir 1600 MW sur 2000 MW, pour développer son projet d’aluminium. Cinq ans plus tard, Westcor n’a pas enregistré de progrès sur le projet Inga 3. Par conséquent, le retrait de la RD Congo de Westcor a mis fin à l’intégration régionale en 2009. Confrontée à de multiples défis, BHP s’est retirée du projet Inga III en abandonnant le projet de son usine d’aluminium en février 2012.

4.1.2. Intérêts croissants des bailleurs bilatéraux et multilatéraux

Malgré l’échec des partenariats, le pays a maintenu son intérêt pour le développement du projet Grand Inga, probablement estimé à environ 80 milliards de dollars. La méga infrastructure énergétique comprend le projet hydroélectrique d’Inga 3 (la chute basse Inga 3 et la chute haute Inga 3) et cinq autres barrages (l’Inga 4 à l’Inga 8). Le pays avait l’intention de devenir un exportateur majeur d’énergie en Afrique en fournissant de l’électricité à cinq réseaux électriques régionaux, dont le SAPP et le West African Power Pool (WAPP).

Fig. 2. Vue d’ensemble du grand projet Inga dans la province du Kongo Central. Source: L’auteur sur la base de [19].

Initialement, le pays prévoyait d’étendre le réseau Ouest en construisant le barrage Inga 3 d’une capacité projetée de 4800MW8: (i) 2500MW pour l’Afrique du Sud ; (ii) 1300MW pour les sociétés minières opérant dans l’ex-Katanga ; et (ii) 1000MW pour la population. Le projet Inga 3 était évalué entre 12 et 14 milliards de dollars. Il sera développé sur la base du modèle PPP, les investissements publics étant limités en raison des contraintes de capacité d’endettement. Cependant, la coordination des donateurs est devenue plus difficile que prévu.

Le rôle clé de l’Afrique du Sud dans le développement du projet Inga 3

Compte tenu de la crise énergétique, l’Afrique du Sud était désireuse de sécuriser l’énergie propre et à faible coût que le site d’Inga pouvait produire. Ainsi, l’Afrique du Sud et la RD Congo ont progressivement renforcé leur coopération dans le secteur de l’énergie. Le 12 novembre 2011, ils ont signé un protocole d’accord sur le projet Grand Inga. Le 29 octobre 2013, l’ancien président Kabila et l’ancien président Zuma ont signé un traité de 10 ans sur l’Inga III. Le 9 septembre 2014, un accord bilatéral sur l’énergie a également été signé. Le 21 novembre 2014, la RD Congo a autorisé la ratification dudit traité.

L’Afrique du Sud a manifesté un intérêt vital pour le projet Inga 3, qui contribuera à réduire le déficit électrique national ([21]; 1–12). Par le biais d’Eskom (la compagnie nationale d’électricité), elle deviendra également le plus grand importateur d’électricité produite au barrage d’Inga 3 (initialement 2500 MW) pour soutenir le développement économique du pays. Le projet Grand Inga constitue un puissant outil géostratégique.

L’implication des bailleurs multilatéraux dans le projet Inga 3

Les bailleurs ont manifesté un réel intérêt pour le développement du projet Inga 3. Premièrement, en 2010, la BAD a fourni un appui technique de 15 millions de dollars. En 2013, elle a octroyé 33,4 millions de dollars pour créer une structure en charge du projet Grand Inga et pour assister le gouvernement dans la sélection des promoteurs d’Inga 3. Deuxièmement, le 20 mars 2014, la Banque mondiale a approuvé un projet d’assistance technique (AT) sur le développement hydroélectrique d’Inga 3 et de taille moyenne, financé par une subvention de l’Association internationale de développement (IDA) de 73,1 millions de dollars. Des fonds ont été alloués aux études d’impact environnemental et social, qui étaient essentielles avant la construction du barrage Inga 3. Cependant, en avril 2015, la Banque mondiale a fait part de ses inquiétudes quant à la gestion du projet.

4.2. Ingérence présidentielle et ses conséquences

Alors que la RD Congo commençait à connaître une grave crise politique, le président Kabila a renforcé son leadership sur le projet Inga 3. Il a donné la priorité aux relations bilatérales avec l’Afrique du Sud. Le changement inattendu d’options a finalement généré une crise majeure avec la Banque mondiale, car la gouvernance d’un projet d’une telle envergure fait toujours l’objet d’un examen minutieux.

4.2.1. Principaux moteurs de la crise entre l’État congolais et la Banque mondiale

Bien que le projet de loi sur Inga ait été soumis au parlement, le 13 octobre 2015, le président Kabila a signé deux ordonnances:

  • La création de l’Inga Development Authority (ADPI), unité spécialisée9 au sein de la présidence de la République chargée du suivi de la mise en œuvre du projet Inga III.
  • La nomination de M. Kapandji Kalala, ancien ministre des Ressources hydrauliques et de l’Electricité (MRHE), à la tête de l’ADPI.

Indépendamment des préoccupations de la Banque mondiale, la stratégie présidentielle10 a conduit les acteurs du projet Inga 3 à traiter directement avec la présidence. Une situation similaire s’est produite avec la construction des barrages Inga 1 et 2 sous l’ère Mobutu. Plus important encore, l’ancien président Kabila a démontré sa détermination à accélérer la mise en œuvre attendue depuis longtemps du barrage Inga 3. La stratégie présidentielle a désigné l’Afrique du Sud comme un donateur bilatéral stratégique. Il s’agissait d’intérêts géopolitiques et financiers vitaux11 dans un contexte pré-électoral tendu.

4.2.2. Le point de vue de la Banque mondiale sur la crise

La Banque mondiale n’était pas d’accord avec un processus dirigé par la présidence, compte tenu d’un manque de transparence et de responsabilité. Le projet Inga est exposé à un risque élevé de mauvaise gestion des fonds. Le donateur multilatéral n’a reconnu la lettre de politique signée par le Premier ministre Matata Ponyo que le 12 novembre 2013. Selon ladite lettre, l’ADPI était une «autorité de développement cantonnée» autonome chargée de mobiliser des fonds et de faire rapport au Premier ministre.

Dans un effort d’atténuation de la crise, le 17 décembre 2015, la Banque mondiale a demandé aux autorités congolaises de restructurer le projet en fournissant des précisions sur le processus de sélection pour l’attribution de la concession et l’implication de l’Afrique du Sud dans le projet Inga 3. En l’absence de clarification, le 25 juillet 2016, la Banque mondiale a suspendu le décaissement du financement du projet d’assistance technique sur le développement d’Inga 3 et de la centrale hydroélectrique de taille moyenne, qui n’a pas suivi les «bonnes pratiques internationales». En septembre 2016, il a mis fin au projet après avoir déboursé 3,11 millions USD, soit 4,3 % des fonds. Bien que la décision de la Banque mondiale ait envoyé un signal négatif aux investisseurs, l’Afrique du Sud, la BAD et d’autres bailleurs de fonds ont maintenu leurs engagements envers le projet Inga III.

4.3. Le projet Inga sous l’égide de l’ADPI

Le projet hautement politisé du barrage du Grand Inga a exercé une pression supplémentaire sur les autres parties prenantes. Pendant ce temps, combler le déficit énergétique dans l’ex-Katanga est un problème crucial pour les opérateurs miniers, y compris les sociétés minières chinoises.

4.3.1. Un long processus d’appel d’offres public

En 2010, le gouvernement a lancé un processus de sélection d’un promoteur. Cinq ans plus tard, six candidats étaient présélectionnés. Au 10 mai 2016, il ne restait que trois promoteurs candidats: (i) la Sinohydro-Three Gorges Corporation (le Consortium chinois); (ii) les Actividades de Construccion y Servicios (ACS); et (iii) Eurofina et EEA (le consortium espagnol). L’ADPI a pris acte du retrait de Daewoo-Posco et de SNC-Lavalin (un consortium sud-coréen et canadien) de la procédure d’appel d’offres. Le 13 juin 2017, l’ADPI a demandé la fusion des deux consortiums restants (Groupement ProInga et Groupement Chine d’Inga12) pour produire une offre unique.

En juillet 2017, elle a annoncé une mise à niveau de la capacité projetée du barrage Inga 3.13 Cela a conduit à plusieurs ajustements: (i) une revue des études techniques et des études techniques complémentaires; et (ii) un examen de la viabilité financière du barrage Inga III. Enfin, le 16 octobre 2018, le gouvernement et les consortiums d’entreprises chinoises et espagnoles susmentionnés ont signé un contrat pour la construction du barrage Inga 3 de 11 000 MW d’un coût de 14 milliards de dollars. De plus, une ligne de transport d’électricité, estimée à 4 milliards de dollars, sera construite. Dans l’ensemble, cela constitue une étape majeure car cela permet à ces entreprises de lever des fonds pour le projet. Dès 2024, le barrage pourrait devenir opérationnel. Il convient de mentionner que le continent africain tente principalement de libérer son potentiel d’énergie renouvelable à travers deux méga projets d’infrastructure énergétique: le projet de barrage hydroélectrique du Grand Inga et le projet de barrage Grand Ethiopian Renaissance (6000 MW).

Après avoir érigé l’ADPI en agence étatique14, le 2 mars 2018, les autorités congolaises ont appelé à redynamiser un partenariat avec la Banque mondiale pour bénéficier de son expertise.

4.3.2. Une nouvelle impulsion pour le développement du projet de barrage Inga 3 sous l’ère Tshisekedi

Un regain d’intérêt pour le développement du barrage Inga III est apparu suite à un changement de régime politique fin 2018. Le 2 mars 2019, le président nouvellement élu Tshisekedi a lancé un programme d’urgence pour les 100 premiers jours de son mandat. Entre autres, il a donné la priorité à la réactivation de la politique énergétique nationale en vue de s’attaquer au déficit énergétique. Concernant le projet du barrage Inga III, sa stratégie a consisté à mobiliser de nouveaux bailleurs de fonds, tout en renforçant les partenariats existants pour répondre aux préoccupations de viabilité financière du projet.

Il a appelé les États-Unis à participer audit projet, lors d’une visite aux États-Unis du 3 au 5 avril 2019. Par ailleurs, l’UA a réaffirmé son vif intérêt pour le développement du projet hydroélectrique Inga 3, comme l’a souligné, le 18 mai 2018, le visite de M. Raila Odinga, Haut Représentant de l’UA pour le développement des infrastructures, en RD Congo. Le 18 juin 2019, M. Akinwumi Adesina, président de la BAD a réitéré l’engagement financier de la banque envers les infrastructures énergétiques. Le même jour, il a informé que la banque avait déboursé 73 millions de dollars pour mener des études de faisabilité du projet Inga III. Cela a conduit à l’implication d’une grande banque dans un projet énergétique africain.

4.3.3. Le secteur de l’énergie en RDC sous la pression du développement des technologies vertes

En 2016, le déficit énergétique de la ceinture cuivre-cobalt de l’ex-Katanga était estimé à 900MW. En plus du déficit d’électricité, un système de transport insuffisamment fiable a affecté le développement de projets miniers industriels. En conséquence, les pénuries d’infrastructures ont considérablement augmenté les coûts d’investissement. A court et moyen termes, la SNEL et les sociétés minières ont conclu des PPP pour construire15 et réhabiliter des infrastructures énergétiques. Les goulots d’étranglement de l’électricité ont affecté les opérations minières chinoises à l’étranger dans la ceinture.16

La construction du barrage Inga 3 garantira l’approvisionnement énergétique adéquat pour assurer une production minière industrielle durable, sachant que la RD Congo est un important producteur de cobalt. De plus, le pays est susceptible de devenir un producteur de lithium émergent. Plusieurs projets de lithium sont en phase d’exploration dans le Sud-Est de la RD Congo. Le pays est à l’avant-garde du développement des technologies vertes, en particulier la révolution des véhicules électriques (VE), grâce à l’augmentation des investissements miniers chinois dans la ceinture cuivre-cobalt. Compte tenu de l’Accord de Paris sur le changement climatique de 2015 favorisant l’électro-mobilité, la RD Congo, joue un rôle clé dans la transition vers une économie bas carbone.

5. Conclusion et recommandations politiques

Il est essentiel de combler le déficit d’infrastructures pour attirer de nouveaux flux d’IDE vers la RD Congo. À cet égard, le projet Grand Inga joue un rôle essentiel dans la libération du potentiel d’énergie renouvelable du pays. L’extrême politisation du projet a éclipsé les aspects techniques, financiers, sociaux et environnementaux du projet.

De 2015 à 2018, les troubles politiques ont retardé le lancement officiel du barrage Inga 3. Elle a également révélé des incertitudes sur la viabilité financière du projet Grand Inga. Le rétablissement de la stabilité politique est une condition préalable pour préserver la confiance des bailleurs de fonds et du secteur privé pour assurer le financement du projet Grand Inga à long terme. Dans ce contexte, le nouveau paysage politique, issu de l’élection présidentielle de 2018, a ouvert de nouvelles fenêtres d’opportunités aux investisseurs et bailleurs de fonds pour développer le projet de barrage hydroélectrique du Grand Inga sous l’impulsion du président Tshisekedi.

Toutefois, les investisseurs privés et les agences nationales ayant des intérêts et des priorités divergents pour le projet, le gouvernement de la RDC doit faire preuve de beaucoup d’intelligence pour la coordination et le soutien de toutes ces parties, pour l’avancement et la réalisation de cet ambitieux projet.

Références

  1. Salomon Salumu Zahera, Musandji Fuamba, “Grand Inga as One of the Solutions for Africa Energy Deficit”, in Comprehensive Renewable Energy (Second Edition), Elsevier, 2022, Pages 441-459, doi: 10.1016/B978-0-12-819727-1.00088-1
  2. Laure Gnassou, Addressing renewable energy conundrum in the DR Congo: Focus on Grand Inga hydropower dam project, Energy Strategy Reviews, Volume 26, 2019, 100400. doi: 10.1016/j.esr.2019.100400.

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