Le colonialisme est-il responsable de la richesse de l’Occident et des retards de développement du Tiers Monde ?

L’écart socio-économique entre les pays d’Occident et les pays du Tiers-Monde ne cesse d’augmenter. Pendant que les premiers se vautrent dans une économie toujours florissante, les seconds s’enlisent dans la misère et les conflits politiques. La colonisation de la plupart des pays du Tiers-Monde pas les puissances occidentales a-t-elle contribué à creuser le fossé des inégalités? En d’autres termes, le colonialisme est-il responsable de la richesse de l’Occident et des retards de développement du Tiers-Monde?

Par Caroline Thériault, Le passé composé, No4 – Mars 2002.


Le colonialisme et la richesse de l’Occident

La colonisation n’est pas un phénomène nouveau. En fait, elle s’étale sur une période allant du XVe siècle jusqu’aux années 1950. L’objectif des pays colonisateurs était fort simple : accroître la superficie du territoire national en s’appropriant des terres étrangères. Des pays perdaient donc leur souveraineté et ce, sur leur propre territoire, au profit de la métropole. C’est ainsi que commença la course à la colonisation (Grande-Bretagne : Inde, Afrique du sud ; Portugal : Brésil, Mozambique ; Espagne : côte ouest de l’Amérique du Sud ; France : Algérie, Maroc, Côte-d’ivoire, Viêt-Nam ; Belgique : Congo ; États-Unis : Cuba).

Le colonialisme est, en partie, responsable de la richesse de l’Occident. Bien qu’il n’ait pas engendré la révolution industrielle, il fournit aux métropoles une source supplémentaire de revenus. La révolution industrielle précoce des pays occidentaux est indubitablement une des raisons des écarts actuels de développement entre ceux-ci et les pays du Tiers-Monde, et la colonisation n’a pas provoqué la révolution industrielle. En fait, cette révolution technologique de la fin du XIXe a été possible grâce à l’accessibilité des ressources énergétiques sur le sol national. L’industrialisation s’est faite à partir des matières premières locales. Jusqu’à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, les puissances européennes s’autosuffisaient en énergie. D’ailleurs, un rapport de la Société des Nations écrit en 1930, affirmait qu’il était plus avantageux, économiquement parlant, pour les Européens d’exploiter l’énergie disponible sur leur territoire, que de l’importer1. La révolution industrielle joue un rôle non négligeable dans le développement rapide des pays occidentaux, mais cette révolution n’a pas été le fruit de la colonisation.

La colonisation a toutefois un rôle dans l’essor économique des pays européens et des États-Unis puisqu’elle leur a fourni un marché de plus pour écouler leur production. Certains auteurs affirment que les débouchés offerts par les colonies n’ont pas joué un rôle important dans le développement des industries, car les pays européens exportaient peu vers leurs colonies. Il est vrai qu’en moyenne, au XIXe siècle, les exportations des pays développés vers leurs colonies, ne représentait que de 1,3 à 1,7% de leur produit national brut2 .Mais cela n’est qu’une moyenne puisque certains pays, tels la Grande-Bretagne, exportait 40% de sa production vers ses colonies3. La prospérité britannique est due, en grande partie, aux exportations massives de coton dans son empire. De plus, au début du XXe siècle, suite à l’industrialisation des métropoles, celles-ci se mirent à exporter davantage de produits manufacturés. Jusqu’à 20% de la production totale de ces biens était exportée vers le Tiers-Monde. Le débouché offert par les colonies a rentabilisé les industries de la métropole puisque les colonies absorbaient le quart de leur production manufacturière. Donc, bien que les colonies du XIXe siècle ne constituent qu’un piètre débouché, les exportations européennes s’intensifièrent aux XXe et les colonies devinrent un débouché fiable.

Compte tenu du fait que les métropoles n’avaient pas de concurrents commerciaux sur leur empire, il leur était facile d’écouler leurs produits. Mais cela a toutefois un désavantage. Ce commerce facile et rentable ne favorisa pas le développement de nouvelles technologies. De ce point du vue, la colonisation peut être considérée comme un frein à l’essor économique des pays occidentaux. Cet argument pèse toutefois bien peu dans la balance, car les colonies ont contribué, de bien d’autres manières au développement de leur métropole. Par exemple, en Afrique, les métropoles exigeaient un impôt, de leurs colonies, par rapport au nombre d’habitants. De plus, elles ne payaient aucun droit de douane sur les produits qu’elles importaient. Ce n’est qu’en 1959 qu’un tarif douanier fut imposé à l’Europe par rapport aux importations indiennes.4 Les métropoles accumulaient donc les richesses de leurs colonies et ce, pour presque rien. D’autant plus que ces ressources naturelles, quand elles n’étaient pas tout simplement volées, étaient achetées à des prix extrêmement bas. Il ne faudrait pas oublier les entreprises occidentales qui vinrent s’installer dans les colonies, car quoiqu’elles fournissaient un salaire aux colonisés, les profits qu’elles engendraient retournaient à la métropole. Et puisque l’on parle des salaires, les métropoles utilisèrent une autre technique afin de minimiser les coûts de production, soit le travail forcé des indigènes (en Indonésie et quelques pays d’Afrique par exemple), et la traite d’esclave. Du point de vue économique, les colonies furent une bonne affaire pour les métropoles, elles y gagnèrent beaucoup plus qu’elles n’y perdirent.

Le colonialisme et les problèmes de développement du Tiers-Monde

Mais qu’en est-il des colonies ? Le colonialisme est incontestablement responsable des retards de développement du Tiers-Monde puisqu’il a causé la désindustrialisation des colonies. En effet, puisque celles-ci se voyaient inondées par les produits manufacturés venant de la capitale, elles diminuèrent drastiquement leurs productions industrielles. Entre 1750 et 1913, donc en pleine période coloniale, la proportion de biens manufacturés dans le Tiers-Monde, passa de 73% à 8% de la production mondiale. Par exemple, l’Inde, dont le textile représentait sa première activité industrielle, se fit bombarder par le coton britannique. Mais pourquoi les colonies n’ont-elles pas rejeté les produits occidentaux ? Tout simplement parce que la métropole ne leur laissait pas le choix. Elle imposait souvent, une politique tarifaire extrêmement désavantageuse pour les colonies. La Grande-Bretagne imposa un droit de douane de 30 à 80% (dépendamment des produits) à l’Inde, pour ses exportations vers l’Europe5. L’Inde devait donc payer des frais supplémentaires imposants, à la métropole, pour pouvoir exporter ses produits. Il devint donc plus avantageux pour les colonies de se laisser envahir de produits plutôt que de les produire soi-même. La désindustrialisation est une conséquence directe du colonialisme qui est venue mettre un frein à l’essor des colonies.

De plus, par la désindustrialisation, le développement des colonies n’a pas seulement diminué, il a reculé. Une fois les industries fermées, la population s’est retrouvée au chômage; les colonies se tournèrent alors vers l’agriculture d’exportation. Cela aurait pu engendrer des profits pour elles, mais il en fut autrement. La métropole, qui exigeait les meilleurs produits agricoles, s’appropria les meilleures terres.  Les profits engendrés retournaient donc à la métropole. Pour leur part, les habitants des colonies se retrouvèrent avec des terres pauvres, donnant de piètres récoltes. Comment un pays peut-il se développer, et ce dans tous les sens du terme, si ses travailleurs sont contraints au chômage et qu’ils n’ont pas accès à des aliments de qualité ?

De plus, le colonialisme ne favorisa pas l’épanouissement des colonies puisque les métropoles obligèrent les colonies à se tourner vers une économie rentière, une économie orientée vers la vente de produits non transformés, tels les aliments et les produits miniers. Donc, des produits avec une très faible plus-value. De plus, ce type d’économie nécessite peu d’avancées technologiques. Les pays du Tiers-Monde, continuent donc, encore et toujours, de cultiver leurs terres et d’exploiter leurs sols, pratiquement comme ils le faisaient avant la colonisation. Le colonialisme n’a pas permis aux colonies de se développer, car celles-ci ont été contraintes, par les métropoles, à une économie rentière inefficace et à un développement technologique presque nul.

La colonisation eut aussi un effet dévastateur du point de vue politique dans les colonies. Les colonies, surtout celle d’Afrique, ont hérité avec l’assujettissement à la métropole, d’un système gouvernemental près de la dictature. Un système où celui qui détient le pouvoir, et ce par la force, accumule sans cesse le profit sur le dos de la population. En montrant aux colonies un système organisé autour de la force, les métropoles ont corrompu les gouvernements et ouvert la voie aux dictatures militaires. Un mauvais gouvernement peut difficilement mettre en place de bonnes politiques de développement si son principal objectif est d’accumuler des richesses pour son chef d’État.  La colonisation est responsable d’avoir engendré des systèmes totalitaires et répressifs dans les colonies, puisque celles-ci ne firent qu’imiter les systèmes utilisés par la métropole.

Il est donc juste d’affirmer que la colonisation est responsable du développement de l’Occident et des retards du Tiers-Monde, mais pas avec la même intensité. En fait, le rôle joué par le colonialisme dans le développement de l’Occident est indéniable, mais beaucoup moins important que celui qu’il a joué dans les colonies. Pour celles-ci, le colonialisme est directement responsable de leurs retards. Les colonies furent, pour les puissances occidentales, une source de revenus supplémentaires, tandis que la métropole n’apporta rien de bons pour ces colonies et freina drastiquement leur développement. La colonisation a aujourd’hui changé de visage, mais existe toujours. Les politiques d’ajustement structurel imposées par le FMI et la Banque mondiale aux pays les plus pauvres sont analogues aux politiques commerciales imposées aux colonies par leur métropole. Dans chacun des cas, les colonisés ont perdu leur souveraineté.

Notes

  1. BAIROCH, Paul, Mythes et paradoxes de l’histoire économique.  Édition La Découverte/Poche.  Collection Sciences humaines et sociales, Paris,1999.
  2. Idem.
  3. Idem.
  4. Idem.
  5. Idem.

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