M23, Rwanda, EAC, SADC et enjeux internationaux: vers la Troisième Guerre du Congo?

Depuis 1994, les provinces orientales riches en ressources de la République démocratique du Congo (RDC) ont servi de bases d’opérations à de multiples groupes armés. Aujourd’hui, l’instabilité causée par les milices d’autodéfense et les milices et armées étrangères dans l’est de la RDC a atteint des niveaux dangereux. Toutes les tentatives régionales et internationales de négocier un cessez-le-feu échouent. Les intentions du Rwanda et de l’Ouganda au Congo, dans un contexte mondial de capitalisme de prédation, poussent au bord d’une guerre ouverte.  En conséquence, la région est une arène de compétition ingouvernable entre ses voisins directs. La dernière itération des troubles a commencé en novembre 2021, lorsque le groupe militaire connu sous le nom de Mouvement du 23 mars (M23) a attaqué l’armée congolaise régulière au Nord-Kivu. L’offensive du M23 a ravivé une crise jamais interrompue, dont les causes profondes n’ont jamais été abordées. Elles sont multiples, évoluent en phases. Cette réflexion est un essai de mise en perceptive et nomenclature de la phase actuelle dans le cadre de la continuité historique. 


Contexte

En 1994, le génocide au Rwanda a déclenché un exode de 2 millions de réfugiés vers les pays voisins, la plupart vers le Zaïre (aujourd’hui la RDC).

En 1996, le Rwanda et l’Ouganda ont attaqué le le Zaïre et ont renverser le président zaïrois Mobutu Sese Seko (1965-1997) en soutenant Laurent Kabila pendant la Première guerre du Congo (1996-1997).

Une déstabilisation a suivi, et les groupes armés ont proliféré et sont devenus des agents de guerres par procuration dans la région. Pris ensemble, selon les estimations, pas moins de 120 groupes rebelles ont opéré dans les provinces les plus à l’est de la RDC.

Cette nouvelle phase, est-ce, après la Première guerre du Congo, la Deuxième guerre du Congo, la Guerre du Kivu, une suite de la guerre du Kivu? Une deuxième guerre du Kivu? Ou peut-elle être décrite comme la Troisième guerre du Congo?

Les acteurs

Les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR): Fondées au Congo en 2000 par d’anciens membres du régime génocidaire rwandais, elles visent à renverser l’actuel gouvernement rwandais. Kigali traite le mouvement comme une menace existentielle.

Le groupe rebelle M23: Créé en 2012 par des Tutsis congolais avec le soutien du Rwanda et de l’Ouganda, il vise officiellement à protéger les populations tutsi de l’Est du Congo. Il porte le nom de l’accord signé le 23 mars 2009 entre une milice armée (Congrès national pour la défense du peuple, CNDP) opérant au Nord-Kivu et le gouvernement congolais. En 2012, une faction du CNDP a accusé le gouvernement de violer l’accord et a pris le contrôle de la ville frontalière de Goma lors d’une offensive rapide. Le M23 a été vaincu en 2013 dans ce qui a été perçu comme un succès diplomatique et militaire. En mars 2022, les combats entre le M23 et l’armée de la RDC ont repris, malgré un cessez-le-feu négocié par l’Angola. Alors que certaines des principales parties au conflit bénéficieraient d’une stabilisation, une solution négociée semble de plus en plus improbable: de multiples acteurs aux agendas contradictoires sont impliqués et la violence ethnique est à nouveau en hausse. En plus de cela, la prochaine élection présidentielle en RDC ajoute un élément volatil.

Le Rwanda: Par superficie, le Rwanda est l’un des plus petits pays d’Afrique subsaharienne et la RDC est le plus grand. La population de la RDC dépasse actuellement les 100 millions d’habitants, tandis que celle du Rwanda dépasse légèrement les 13 millions. Les forces armées congolaises sont plusieurs fois plus importantes que les Forces rwandaises de défense. Cependant, le Rwanda est un État beaucoup plus fonctionnel et a une influence internationale importante. Le régime rwandais estime qu’il est responsable de la protection de tous les Tutsis, y compris ceux qui vivent en RDC et dans d’autres pays.

L’Ouganda: L’Ouganda a une motivation sécuritaire pour sa présence en RDC. Le groupe rebelle islamiste ADF, qui a récemment perpétré des attentats à la bombe à Kampala en novembre 2021, a des bases opérationnelles au Nord-Kivu et en Ituri. Le président ougandais Yoweri Museveni, de plus en plus en position de faiblesse, a négocié le déploiement des forces ougandaises en territoire congolais, ce qui a suscité l’inquiétude au Rwanda.

Le Burundi: Le Burundi est un autre voisin ayant des intérêts sécuritaires en RDC. Le président Félix Tshisekedi a récemment autorisé les forces burundaises à pénétrer sur le territoire congolais pour neutraliser RED-Tabara, le groupe rebelle le plus actif opposé au gouvernement burundais et responsable des attaques au Burundi.

Comprendre la guerre

Un pays riche pour rester paisible

Le Rwanda, l’Ouganda et le Burundi considèrent l’Est du Congo comme une extension de leurs propres territoires. Par le biais de groupes rebelles ou d’une présence militaire parrainée par l’État, ces pays ont tenté d’accroître leur influence régionale et de poursuivre des objectifs politiques.

Le conflit à l’Est de la République Démocratique du Congo a également en premier des aspects géoéconomiques. La RDC se trouve être extrêmement riche en cobalt, le métal brillant considéré comme essentiel à la transition énergétique et à la quatrième révolution industrielle. La RDC produit plus de 70% de l’approvisionnement mondial.

Pourquoi les tentatives de stabilisation échouent

Malgré les efforts de médiation régionale, il y a des signes inquiétants d’escalade. Le président rwandais Paul Kagame a accusé le gouvernement congolais d’avoir introduit dans la région des lanceurs de missiles multiples de l’ère soviétique bon marché mais mortellement efficaces (les BM-21) et de les avoir utilisés pour bombarder le territoire rwandais. En janvier 2023, un avion de chasse congolais aurait violé l’espace aérien du Rwanda.

Comme en 2011, le M23 progresse vers la ville de Goma dans la province du Nord-Kivu frontalière du Rwanda et de l’Ouganda. Mais alors qu’il y a 12 ans, le groupe a finalement été arrêté et qu’un accord négocié a été trouvé, l’offensive du M23 pourrait se terminer différemment cette fois.

Dans une région marquée par la violence ethnique et la fragmentation politique, les informations faisant état d’atrocités commises par les deux camps contre des civils, notamment des meurtres sommaires et des viols systématiques, alimentent le ressentiment et les craintes. Les discours de haine sont devenus plus courants au cours des derniers mois.

Des membres des communautés tutsi affirment qu’il y a eu une campagne d’intimidation pour les empêcher de s’inscrire pour voter lors des prochaines élections présidentielles de décembre. Cela alimente la perception que les Tutsis sont traités comme des citoyens de seconde classe dans la région et exposés à des explosions de violence cycliques, ce qui fournit aux actions du M23 une puissante justification. Les horreurs perpétrées par les rebelles du M23 contre les civils, à leur tour, alimentent la rage anti-tutsi, créant ainsi un cercle vicieux de violence.

Après des années d’échec systématique, les médiateurs régionaux et internationaux ont apparemment épuisé leur crédibilité. Les initiatives régionales visant à remplacer la “mission de stabilisation” des Nations unies en RDC (MONUSCO), de plus en plus impopulaire, ont d’abord été accueillies comme une mise en œuvre du principe des “solutions africaines aux problèmes africains”, mais cela s’est également avéré difficile sur le terrain. Deux processus parallèles sont en cours, chacun sous la direction d’une puissance régionale – le Kenya et l’Angola – ce qui ajoute encore plus de complexité à la situation déjà délicate. Des déploiements militaires accompagnent les efforts diplomatiques. Des troupes kenyanes et burundaises ont été déployées dans le cadre de la Force régionale de la Communauté de l’Afrique de l’Est, tandis que l’Angola enverra également des unités militaires. Des dynamiques similaires ont précédé la Seconde Guerre du Congo (1998-2002).

Enfin, le conflit peut être décrit comme une guerre par procuration entre deux rivaux régionaux de longue date. Il montre que Kinshasa et Kigali pourraient perdre leur capacité à influencer le M23, les FDLR et des dizaines d’autres groupes rebelles opérant dans la région. Par exemple, les Forces démocratiques alliées (ADF), qui ont prêté allégeance à l’État islamique et étaient responsables d’attaques terroristes en Ouganda, ont accru leur portée opérationnelle et sont désormais considérées comme le groupe le plus violent de la région.

Alors que la violence s’intensifie et que les élections en RDC se rapprochent, le dialogue direct entre le gouvernement congolais et le M23 – tel qu’envisagé dans le plan de médiation kenyan – est devenu invraisemblable.

Les tensions mondiales contrecarrent les efforts diplomatiques

Sur le front extérieur, les tensions diplomatiques s’accroissent et impactent la dynamique de coopération régionale. Depuis son arrivée au pouvoir en 2019, le président de la RDC Tshisekedi s’est efforcé d’accroître le poids de la RDC dans les organisations régionales et sous-régionales, ouvrant ainsi un autre domaine de concurrence avec le Rwanda. Ses efforts ont porté leurs fruits: le président Kagame a récemment accusé la RDC d’avoir exclu le Rwanda du sommet de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale, qui s’est tenu dans la capitale congolaise.

Les principaux acteurs extérieurs, dont les États-Unis et l’Union européenne, se sont abstenus de condamner ouvertement le Rwanda. Cependant, il existe un consensus sur le fait que le M23 est indirectement soutenu par Kigali, qui fournit aux rebelles des armes, des munitions et une aide logistique. Dans le même temps, les services de renseignement rwandais affirment que l’armée congolaise coopère étroitement avec les FDLR, une force qui comprend certains des responsables du génocide contre les Tutsis. Le groupe, qui opère sur le territoire congolais depuis 1996, n’a jamais été désarmé et, selon le Rwanda, est utilisé par Kinshasa comme agent mandataire pour attiser les troubles dans la région instable.

De manière significative, Pékin s’est abstenu d’avancer des initiatives diplomatiques avec ses diplomates mais a augmenté son assistance militaire à la RDC au cours des dernières années.

Alors que la communauté internationale se concentre sur la guerre en Ukraine, les événements récents dans l’est du Congo ont sonné l’alarme au-delà de la région. Après l’échec des tentatives de mise en œuvre d’un cessez-le-feu, une délégation du Conseil de sécurité de l’ONU s’est rendue en RDC. L’UE a lancé une opération humanitaire pour transporter de l’aide à Goma.

Perspectives

À ce stade, compte tenu de l’échec récent d’une autre médiation régionale, des niveaux croissants de violence ethnique et des élections présidentielles de décembre en RDC, deux scénarios se dessinent.

Une autre guerre régionale éclate

Dans le premier scénario, nous voyons une hostilité croissante et des provocations de tit-for-tat conduisant à un conflit militaire de grande envergure accompagné d’une violence odieuse contre les civils. Cela déstabiliserait la région africaine au sens large à un moment où les flux de réfugiés gagnent en force.

Deux facteurs en font le scénario le plus probable. L’un est le nombre croissant d’acteurs régionaux opérant, des forces régionales à de multiples groupes armés avec des chaînes de commandement peu claires. L’autre aspect, les prochaines élections en RDC, ajoute à un environnement peu propice à des négociations efficaces. Par exemple, l’intégration des forces du M23 dans l’armée congolaise (l’une des revendications du groupe rebelle) pourrait nuire à la réputation du président Tshisekedi et avoir des conséquences électorales.

La raison froide prévaut de manière inattendue

Le deuxième scénario a beaucoup moins de probabilité. Il voit la violence contenue par Kigali et Kinshasa et la désescalade du conflit par des moyens diplomatiques éclairés par des besoins de sécurité et des intérêts économiques équilibrés. Le président Tshisekedi considère la stabilisation comme la meilleure solution alors qu’il prépare sa candidature à la réélection. Dans le même temps, le président Kagame accepte que la coopération économique avec la RDC et d’autres voisins profiterait à l’économie rwandaise. Il sait que le scénario opposé de suspension de l’aide ou de sanctions occidentales pourrait bouleverser sa trajectoire de développement réussie. Cependant, ce scénario souhaitable est peu probable car la RDC et le Rwanda ne contrôlent plus les groupes armés opérant dans la région.

En RDC, au Mali ou en République centrafricaine, les efforts des pays occidentaux n’ont pas réussi à stabiliser, que les Européens et les Américains aient agi par le biais de l’ONU ou d’approches régionales assistées. Alors que la RDC a voté contre la Russie dans plusieurs résolutions de l’Assemblée générale des Nations Unies, et que le président Tshisekedi semble déterminé à rassurer Washington et Bruxelles, la politique ne semble pas avoir beaucoup de soutien aux niveaux gouvernemental et populaire. Les prochaines élections pourraient déclencher des changements stratégiques.

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