Nos malheurs, leurs causes et leurs remèdes (5/7) : État? Nation? République? Démocratie? La RDC en quête de sens

Cinquième de la série “Nos malheurs, leurs causes et leurs remèdes”, cette analyse commence par la présente introduction dans laquelle nous définissons les concepts qui font la trame de fond de l’organisation politique contemporaine. A la lumière de la précédente, la deuxième partie sera une analyse critique de la naissance, la construction et la faillite de l’État en République Démocratique du Congo. La troisième partie et dernière partie présentera ce que nous pensons être ce qu’il faut pour que la République Démocratique du Congo améliore son organisation politique. La quatrième est la conclusion. Notre but est de contribuer au débat sur ces questions dans notre pays. L’objectif général est de montrer la nécessité de rechercher un changement de paradigme de l’organisation politique en République Démocratique du Congo.


1. Introduction : définition des concepts

Depuis les anciens, les classifications des formes de gouvernement et des régimes politiques ont d’abord fait du nombre des détenteurs du pouvoir – un seul, quelques-uns, tous – le critère fondamental de leur différentiation sous l’angle formel. Cette démarche s’inscrivait néanmoins, dans le cadre d’une autre, essentiellement qualitative, et visant à distinguer les bonnes et les mauvaises formes de gouvernement, suivant que le pouvoir s’exerce au profit de l’ensemble de la communauté ou simplement de ses détenteurs. Aux bonnes, que sont suivant l’ordre considéré la monarchie, l’aristocratie et la démocratie, sont ainsi respectivement opposés la tyrannie, l’oligarchie et l’ochocratie (la populace au pouvoir). Mais celles-ci ne sont pas simplement considérées comme des antithèses, elles peuvent être aussi le résultat de la corruption des premières. Par la suite, ce sont, plus que des modes de gouvernement, les systèmes étatiques qui se sont vus distingués et opposés.

Si chaque mode d’organisation politique est porteur d’un ensemble des valeurs qui doivent être vécues et des limites qui doivent être comprises, il n’est pas toujours évident, en particulier dans le cas des notre pays, la République Démocratique du Congo, que la majorité de la population et des responsables politiques ait une connaissance claire de ce que sont et ce qu’impliquent les modes d’organisation politique qui sont nôtres. Dans le cadre des notre réflexion, commençons donc par nous poser la question de savoir ce que signifie les concepts qui constituent la colonne vertébrale de l’organisation politique en République Démocratique du Congo.

1.1 Qu’entend-t-on par État?

Une brève incursion du coté de l’étymologie permet de renseigner sur ce que signifie la notion d’État. Nombre d’expression ont longtemps désigné l’organisation politique, parmi lesquelles l’expression grecque Koinomia politike, ou les expressions latines res publica et civitas. Quant au signifiant État, il provient de l’expression latine status, de stare, qui signifie se tenir debout, et dont la généralité de la signification implique que son usage n’est en rien uniquement réservé à la désignation de l’État, contribuant passablement à la difficulté de compréhension de la notion. Dans ses Contributions à la théorie générale de l’État (1921), le juriste Carré de Malberg définit ce dernier comme une “communauté d’hommes, fixée sur un territoire propre et possédant une organisation d’où résulte pour le groupe envisagé dans ses rapports avec ses membres une puissance suprême d’action, de commandement et de coercition”. Il souligne ainsi la double acception de la notion, où l’État correspond : d’une part, à un mode d’organisation sociale historiquement et territorialement défini ; d’autre part, à un ensemble d’institutions caractérisées par la détention du monopole de l’édiction de la règle de droit et de l’emploi de la force publique.

A. En considérant l’État comme un phénomène historique, deux écoles s’affrontent dans la définition de la notion de l’État. L’une adoptant une conception extensive, considérant que toute organisation du pouvoir peut être qualifiée d’État; l’autre, plus restrictive, estimant que l’État ne constitue que l’une des formes particulières d’agencement du pouvoir. Seule cette dernière position permet de dégager une définition spécifique de l’État. Ainsi, entendu comme un mode d’être, visant notamment la condition sociale ou d’une communauté, ce n’est qu’au XVIe siècle que sa signification sera précisée. D’abord par Nicolas Machiavel dans Le Prince, et ensuite par Charles Loyseau qui confirmera l’utilisation du terme État, affabulé désormais d’une majuscule (Traité des seigneuries). Elle s’accompagne, et cette simultanéité ne doit rien au hasard, de l’apparition du phénomène étatique ainsi que de la systématisation de la notion, en Angleterre et en France. L’émergence de la notion résulte d’un tripe mouvement : la concentration du pouvoir, sa sécularisation et son abstraction (institutionnalisation).

B. Entendu comme une institution juridique, l’État est à la fois un créateur de droit et soumis au droit, auteur et sujet. Sa formation est subordonnée au respect d’un certain nombre de conditions déterminées par le droit international – les conditions d’émergence de la collectivité étatique – qui emportent, dès leur satisfaction par la collectivité, l’acquisition du statut d’État à l’ensemble des autres sujets de droit international. Ce sont : une population, sise sur un espace déterminé, et un appareil gouvernemental qui en assure la maitrise suffisante. La population constitue la dimension humaine de l’État, son fondement social. Son nombre et son unité ne constituent pas un élément discriminant et n’affecteront, ni ne conforteront d’ailleurs, l’égalité entre les États.

L’assise spatiale, qui sera qualifiée de territoire au terme du processus de création de l’État, sur laquelle la population doit être sise, constitue la deuxième condition d’avènement de la collectivité étatique. Cette assise n’a pas à satisfaire davantage à de rigoureuses conditions. Il faut, mais il suffit, que ses contours soient suffisamment précis. Enfin, l’État comme organisation politique postule une certaine structure organique. En conséquence, la collectivité humaine localisée doit disposer d’un appareil gouvernemental, qui est obligé, et c’est à peu près la seule exigence, d’assurer la maitrise de son pouvoir de commandement sur la population et sur l’espace considéré, tant à l’égard de la population, on parle de l’effectivité du pouvoir, qu’à l’égard de l’extérieur, soit des autres puissances, on parle alors d’indépendance.

C. La collectivité étatique dispose dès son émergence d’un certain nombre des qualités qui ne dépendent ni de l’intervention d’une autorité extérieure, ni de la réalisation d’une procédure spéciale. En effet, ce qui distingue de manière radicale l’État de l’ensemble des autres sujets, réside dans un attribut discriminant et exclusif : la souveraineté, et sa capacité à préserver l’ordre social par la concentration des moyens de coercition à l’intérieur d’un territoire donné. Si la notion de souveraineté a précédée celle de l’État, elle a conforté les contestations relatives à son omnipotence. L’étymologie comme la définition contemporaine de la souveraineté pointent non pas le caractère absolu de la puissance, mais le degré de celle-ci. Dire d’une puissance qu’elle est supérieure, summa, ne signifie jamais qu’elle est illimitée, mais simplement qu’elle n’admet aucune autorité au-dessus d’elle ou, ce qui revient au même, qu’elle ne peut être hétéro-limitée. Pour le reste, on distingue deux faces de la souveraineté, l’une externe, la souveraineté de l’État qui se projette dans l’ordre international et dont la définition comme le régime dépendent en conséquence du droit international, l’autre, interne, la souveraineté de l’État telle qu’elle se déploie dans son ordre juridique.

Entendue comme puissance externe, la souveraineté se définit de manière strictement négative comme le fait pour l’État de n’avoir pas de supérieur, c’est-à-dire de n’être lié que par les règles auxquelles il a d’une manière ou d’une autre consenti. Entendue maintenant comme puissance interne, la souveraineté consiste toujours dans ce pouvoir suprême, mais apprécie cette fois dans l’ordre interne de l’État. Sa manifestation la plus topique réside dans la puissance de commandement du souverain que représente l’acte unilatéral, s’imposant à ses sujets et à ses destinataires. Cela dit, la souveraineté interne se différencie de sa face externe dans la mesure où il est possible d’en identifier le contenu, et donc de la définir positivement comme la somme d’un certain nombre de prérogatives dont celles dites régaliennes.

En effet, les constitutionnalistes appellent “fonctions régaliennes de l’État” les grandes fonctions souveraines qui fondent l’existence même de l’État et qui ne font, en principe, l’objet d’aucune délégation. Elles sont à quatre (mais les économistes libéraux contestent la quatrième) : (i) assurer la sécurité extérieure par la diplomatie et la défense du territoire ; (ii) assurer la sécurité intérieure et le maintien de l’ordre public avec, notamment, des forces de police ; (iii) définir le droit et rendre la justice ; (iv) définir la souveraineté économique et financière, notamment en émettant de la monnaie.  La notion de “sécurité” est au centre des prérogatives régaliennes, la fonction première de l’État étant de garantir les conditions de la vie en société. Cette notion a connu une extension récente en France du fait de l’introduction du “principe de précaution” dans la Constitution. On considère donc maintenant que relèvent de la sécurité : la protection contre les risques majeurs, la sécurité environnementale, la sécurité sanitaire et même la protection sociale (minimas sociaux).

D. Donner ainsi une consistance à la souveraineté de l’État, c’est admettre une possible identification des pouvoirs et des compétences qui la définissent et cela conduit inévitablement à s’interroger sur les fonctions de l’État (entendu ici comme appareil gouvernemental). D’emblée, disons que le trait commun aux idéologies et aux stratégies d’édification de l’État comme celle du développement, qu’elles soient d’inspiration libérale ou socialiste est d’assigner à l’État la responsabilité principale du développement. En l’absence d’un capitalisme indigène et d’une bourgeoisie nationale, c’est à l’État que revient non seulement la gestion, le mot est faible, mais l’initiation, la mise en œuvre et la direction du développement. On attend de l’État qu’il ne soit pas uniquement l’État gendarme, ni même le welfare state, mais qu’il soit aussi le démiurge du développement : l’État, en dehors et au-dessus de la société, doit véritablement fabriquer celle-ci.

En fait, l’État doit, c’est la raison pour laquelle il s’est formé, assurer un certain nombre des missions dont la consistance est éminemment variable selon l’état et les exigences de la société. Essentiellement, il s’agit de sortir de l’état de nature et la situation d’anomie qui l’accompagne la société, en assurant l’ordre et en privant notamment chacun du droit de se faire justice. Avec le temps, l’État a vu ses misions évoluer, l’État gendarme cédant le pas à l’État commerçant, interventionniste, médiateur, … De la diversité de ces figures résultent un certain nombre de conséquences, telle que la distinction opérée entre ces activités que l’État assure en tant que puissance souveraine, jure imperii, et celles que ne met pas en œuvre l’exercice de prérogatives régaliennes, les activités jure gestionis. Mais, quel que soit l’état de lieu des missions assumées par l’État, on identifie, pour qu’il les remplisse, les modes d’exercice du pouvoir, qualifiés de fonctions de l’État. Trois fonctions sont ainsi classiquement dégagées schématiquement depuis Montesquieu (Esprit des lois) : la fonction de faire la loi, celle de l’exécuter et celle de juger.

Ces fonctions revoient à la distribution des fonctions dans l’État : c’est la théorie de la séparation des pouvoirs. Ainsi, à ces trois fonctions correspond un mode d’aménagement ou de répartition dont le choix ressortit à la compétence exclusive de chaque État.  Cette distribution des pouvoirs est un des critères de l’État de droit. L’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 dispose ainsi que «toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de constitution». Cette distribution des fonctions conduit à dégager deux principes. Le premier consiste à opérer une dissociation nette entre la fonction et l’organe, le second, à prohiber la concentration de l’ensemble des fonctions au bénéfice d’un même organe. Pour le reste, les modalités particulières d’agencement emporteront la qualification doctrinale de régime présidentiel, parlementaire ou conventionnel, semi-présidentiel, primo-ministériel, etc., sans que l’une plutôt que les autres de ces hypothèses affecte en quoi que ce soit la nature de l’État.

1.2. Qu’entend-t-on par Nation?

Nous venions de dire que l’institution juridique État n’apparait que lorsqu’un certain nombre de conditions sont réunies, au nombre de trois : une population, sise sur un espace déterminé, et un appareil gouvernemental qui en assure la mesure suffisante. Nous avons dit que la population constitue la dimension humaine de l’État, son fondement social et que son nombre et son unité ne constituent pas un élément discriminant et n’affecteront, ni ne conforteront d’ailleurs, l’égalité entre les États. Être un état, ne veut donc pas nécessairement dire qu’on est une nation. En fait, on doit observer que c’est l’unité de la population qui emporte souvent la qualification de nation, et c’est en ce sens que l’on parle alors d’État-nation, plurinationale ou multinationale. Nous définissons une Nation comme l’ensemble des hommes et des femmes vivants sur un même territoire et partageant un passé plein des sacrifices et des échecs donc ils assument courageusement l’histoire, un présent remplit d’efforts immenses et harmonisés, une ferme volonté de vivre ensemble, volonté qu’ils traduisent dans la définition claire d’un idéal commun qui nourrit l’esprit national, leur unité et leur foi en leur commune destinée, destinée dont la réalisation progressive génération après génération devient le principe et la fin de tout engagement, de toute existence.

1.3. Qu’entend-t-on par République?

République (res publica, la «chose publique» des Romains) désigne, dans la philosophie antique et particulièrement dans Politique d’Aristote (4e siècle av. J.-C.), la participation d’un plus ou moins grand nombre de citoyens aux débats et aux processus de désignation et de décision qui concernent la cité. Les citoyens, entendus ici comme des magistrats – selon Aristote, un «citoyen au sens absolu ne se définit par aucun autre caractère plus adéquat que par la participation aux fonctions judiciaires et aux fonctions publiques en général» (Politique, III, 1) –, peuvent donc, par leur statut et leur activité, signifier la présence d’une démocratie, mais aussi dans certains cas d’une aristocratie. Selon le dictionnaire Larousse en ligne, le concept de République a trois sens : (1) La République est une Forme d’organisation politique dans laquelle les détenteurs du pouvoir l’exercent en vertu d’un mandat conféré par le corps social. (En ce sens «république» s’oppose à «monarchie», mais ne se confond pas avec «démocratie», dans l’hypothèse, par exemple, d’une restriction du suffrage) : République aristocratique, populaire ; (2) État, pays ayant cette forme d’organisation (avec majuscule) : La République française ; (3) Un sens Littéraire. Association de gens formant une sorte de confrérie : La république des esprits cultivés.

Au plan constitutionnel, une République est tout pays dans lequel la fonction de chef d’État n’est pas héréditaire. C’est un président élu, nommé ou désigné qui assume la fonction de chef d’État. Elle s’oppose donc à un royaume (ou monarchie) où l’on trouve un roi ou une reine qui assume le pouvoir par une filiation familiale. Quel que soit le mode d’accès effectif des dirigeants au pouvoir, une république repose généralement sur une prétention de représenter ou d’incarner le corps social. On peut considérer que le terme République possède également un sens normatif, lié à un jugement de valeur sur les possibilités du peuple d’exercer la souveraineté. Mais, une république n’est pas nécessairement démocratique puisque le président peut être désigné autoritairement.

De part la théorie de séparation des pouvoir sus mentionnée, une république peut avoir différents modes de fonctionnement : un régime présidentiel comme en Corée du Sud ou aux États-Unis, un régime parlementaire comme en Allemagne ou en Inde, ou un régime semi-présidentiel comme en France ou en Russie, un régime primo-ministériel, etc :

⚈ Un régime présidentiel est un régime politique respectant les principes de séparation des pouvoirs et caractérisé par la non-responsabilité de l’exécutif devant le législatif et l’interdiction de dissolution du législatif par l’exécutif. On parle de présidentialisme lorsque l’équilibre entre les pouvoirs est rompu, et que le régime consiste en l’hégémonie du président et la réduction des pouvoirs du Parlement.

⚈ À l’inverse, on parle de régime parlementaire lorsque les pouvoirs exécutifs et législatifs sont séparés mais exercent une influence mutuelle et équilibrée l’un sur l’autre (le Parlement peut engager la responsabilité politique du gouvernement et, à l’inverse, le gouvernement peut dissoudre le parlement) ; sa déviance est appelée régime d’assemblée, qui confère plus de pouvoir à une assemblée qu’au gouvernement.

⚈ Le régime semi-présidentiel ou régime semi-parlementaire est une catégorie de régime politique théorisée par le juriste français Maurice Duverger comme présentant des caractéristiques mixtes de deux autres grandes catégories : le régime parlementaire, caractérisé par une séparation des pouvoirs souple et par la responsabilité du gouvernement devant le parlement en contrepartie de pouvoirs du gouvernement sur le parlement, en particulier du droit de dissolution. Ainsi, le régime semi-présidentiel peut se définir par les critères suivants : (1) un président élu au suffrage universel direct ; (2) un chef d’état ayant des prérogatives propres ; (3) et un gouvernement responsable devant le parlement.

⚈ Le système primo-ministériel se caractérise par la prédominance du Premier Ministre et à son rôle essentiel dans la direction politique de l’État. En fait, c’est une variante du régime parlementaire. Le pouvoir est exercé par le Premier Ministre. Celui-ci détient le pouvoir exécutif. Il nomme les membres du Cabinet et peut les révoquer. Le chef de l’État n’a un rôle que protocolaire dans un système primo-ministériel. Toutes les prérogatives dont il dispose ne sont utilisées que sur demande du Premier ministre (par exemple la dissolution de la Chambre basse ou la nomination de hauts fonctionnaires). Le Premier ministre applique la politique du parti dont il est issu, il est à l’initiative des lois, bien que le Parlement puisse également émettre des propositions de loi. Le Premier ministre est issu de la majorité et assisté par celle-ci. Bien qu’il soit nommé par le Roi ou le Président, celui-ci ne choisit pas mais désigne le leader de la majorité de la Chambre basse (Exemple : Royaume Uni, Finlande, Italie).

Il est donc élu indirectement par le peuple car celui-ci connaît à l’avance qui sera le Premier ministre en cas de victoire du parti. Le Premier Ministre est responsable devant le parlement. Le président ne dissout l’assemblée nationale que sur demande du Premier Ministre (Pour rappel, en novembre 2020, lorsque le désaccord entre le FCC et le CACH arrivait au niveau, les caciques de deux camps en arrivèrent à l’interprétation constitutionnelle des textes pour départager les deux camps au pouvoir. Le professeur Evariste Boshab qualifia notre régime régime institutionnel de régime «primo-ministériel», estimant que la Constitution congolaise donne plus de pouvoir au premier ministre qu’il réduit le président de la République à un pouvoir protocolaire).

Ces régimes sont principalement différenciés selon l’existence ou non de remise en cause réciproque du pouvoir exécutif et du Parlement.

1.4. Qu’entend-t-on par Démocratie?

Le mot démocratie vient du grec dêmos, qui signifie «peuple» et de kratos, qui signifie «puissance», «souveraineté». Il s’agit en en clair d’un régime politique fondé sur le principe que la souveraineté appartient à l’ensemble des citoyens, soit directement (par des référendums) soit indirectement par l’intermédiaire de ses représentants élus. Les élections doivent se tenir au suffrage universel, de façon régulière et fréquente («Free, fair and frequent elections»). La démocratie suppose l’existence d’une pluralité d’options et de propositions, généralement incarnées dans des partis et des leaders ayant la liberté de s’opposer et de critiquer le gouvernement ou les autres acteurs du système politique. Une démocratie existe donc qu’en autant qu’on y trouve «une organisation constitutionnelle de la concurrence pacifique pour l’exercice du pouvoir» (Raymond Aron). La démocratie exige aussi que les grandes libertés soient reconnues : liberté d’association, liberté d’expression et liberté de presseJuridiquement, une démocratie s’inscrit dans un État de droit ; culturellement, elle nécessite une acceptation de la diversité.

Karl Popper, considère qu’un régime est démocratique s’il permet aux citoyens de contrôler ses dirigeants et aussi de les évincer sans recourir à la violence. Karl Popper a présenté cette théorie dans plusieurs ouvrages dont La leçon de ce siècle et Toute vie est résolution de problèmes. En démocratie, pense-t-il, le problème n’est pas de savoir «qui doit gouverner» mais «comment empêcher ceux qui ont le pouvoir d’en abuser». Le peuple a le pouvoir et le devoir d’évaluer les dirigeants, mais il est impossible que tout le monde dirige en même temps. Selon Francis Dupuis-Déri, dans une Démocratie, l’élection, mécaniquement, consiste à choisir les meilleurs pour des fonctions qui exigent des connaissances et elle est une procédure d’auto-expropriation du pouvoir par les citoyens, qui le confient aux élus. Pour nous, ces deux notions sont fondamentales, car elles renvoient à l’idée de la place de la qualité des hommes qui représentent le peuple et celle du peuple lui-même dans une vraie démocratie.

Le mot démocratie peut signifier tout Système de rapports établis à l’intérieur d’une institution, d’un groupe, etc., où il est tenu compte, aux divers niveaux hiérarchiques, des avis de ceux qui ont à exécuter les tâches commandées. Enfin, la Démocratie désigne aussi l’État ayant ce type de gouvernement. On oppose la démocratie à l’autocratie : tyrannie, aristocratie, monarchie, dictature et toutes les formes de pouvoir où la majorité est exclue du processus décisionnel (régimes autoritaire et totalitaire). Le terme est parfois utilisé d’une manière abusive ou trompeuse pour maquiller une dictature (exemple: «République populaire démocratique» de Corée du Nord).

2. Analyse critique de la naissance, la construction et la faillite de l’État en RDC

En tant que personne juridique, il existe bel et bien un État congolais, reconnu par le droit international parce que remplissant les conditions nécessaires, point n’est besoin d’y revenir. Mais alors, tenant compte des missions de l’État telle que décrite dans la première partie, existe-il un État en République Démocratique du Congo? Si non, qu’a-t-on à sa place? Si oui, correspond-il à une réalité ou à une fiction? Au vu des résultats, dans le cas de la République Démocratique du Congo, disons que les deux thèses s’affrontent avec les arguments plus convaincants les uns que les autres.

Pour se mettre d’accord, le mieux est de suivre J. P. Netti en considérant l’État d’abord comme une variable : l’État est une question de degré avant d’être une question de nature (J.-P. Netti, 1968). Partant du postulat que tout système politique est plus ou moins étatisé et ceci peut s’apprécier à partir de l’évaluation des capacités de l’État selon un certain nombre de dimensions, nous constatons, dans le cas de l’État congolais : (i) que le monopole de la force publique légitime n’est pas observé dans notre pays de façon proportionnelle et sur tout le territoire national, (ii)  que les capacités de pénétration et d’extraction sont limitées, (iii) que la capacité de régulation des comportements est très faible, et (iv) que la capacité de mettre en œuvre des politiques publiques quasi-nulle. De ce point de vue, si l’on compare l’État congolais à un État pleinement développé, on peut conclure, arguments à l’appui que ce n’est qu’une fiction. Pourtant, on peut aussi montrer inversement qu’il s’agit bien d’une réalité, le problème étant alors de savoir si notre réalité mérite le nom d’État.

En effet, avec J. Migdal, il faut affirmer fortement et l’existence de l’État et son inconsistance (J. Migdal, 1988) : un paradoxe. La réalité de notre État se manifeste d’abord comme lieu et comme enjeu de la lutte pour le pouvoir, le pouvoir au sens global et pas seulement le pouvoir politique, et ceci inclut la lutte pour les ressources rares, y compris la richesse nationale. Il existe aussi par l’impact considérable qu’il a exercé sur la société congolaise. D’ailleurs, même dans les cas limites où l’État ne parvient à contrôler ni son territoire ni sa population, il conserve une réalité symbolique, il existe dans la tête des gens. Pourtant, aucune amélioration ne montre à l’observateur externe une amélioration positive de la société qui laisse penser qu’il y a une force directrice positive interne à notre société. Autre paradoxe, notre État peut être décrit simultanément comme un État fort et un État mou. État fort, parce qu’État autoritaire reposant largement sur l’arbitraire et la violence exercée hors de tout cadre légal.

En même temps, cet absolutisme va de pair avec une grande inefficacité que cet État fort qui est en réalité largement impuissant, malgré sa capacité de nuisance, car il est incapable de traduire les objectifs qu’il se donne en politique effective. On peut également soutenir deux autres thèses à première vue contradictoires : l’État congolais est un État sur-développé, mais aussi un État sous-développé. Un État sur-développé quantitativement, par rapport à la société : l’appareil d’État occupe un espace considérable et emploie un personnel pléthorique. Ses administrations sont très différenciées et démultipliées sur le territoire. Sa capacité de coercition est forte. D’un autre côté, on peut soutenir que l’impuissance caractéristique de cet État relève de la notion de sous-développement : il s’agit d’un État sous-développé. Là encore, il n’y a pas contradiction : l’État est sur-développé quantitativement et structurellement, il est sous-développé du point de vue qualitatif et fonctionnel.

2.1. L’État congolais et la société : prédation et parasitisme

Nous avons dit que l’État (gouvernement) doit, c’est la raison pour laquelle il s’est formé, assurer un certain nombre des missions dont la consistance est éminemment variable selon l’état et les exigences de la société. Nous entendons cette exigence doublement : non pas seulement comme un degré de dépassement inhérent aux défis à relever pour l’avancement de la société, mais aussi comme pression qu’exerce les citoyens sur les gouvernants pour les résultats, dans la cadre d’exigence de la redevabilité et de responsabilité en cas de problème.  Dans le cadre de la dernière considération, nous pensons que c’est entre autre dans la relation dialectique entre l’État congolais et société que se trouve la clé de compréhension des paradoxes précédents, mais tout en ouvrant à un autre paradoxe. En effet, pour comprendre quelle est la nature de l’État congolais, il faut souligner son caractère prédateur à l’égard de la société.

En fait, tout État a nécessairement une base économique, il ne peut exister que s’il parvient à extraire de sa société ou de l’extérieur des ressources. C’est ainsi qu’on a pu parler avec raison d’État parasite, kleptocrate, État fantoche, etc. État prédateur tout simplement parce que se nourrissant de la société, il ne rend pas à cette dernière des services suffisants pour justifier son existence. De plus, la ponction prélevée par les agents de l’État congolais est perçue comme prédation parce qu’ils la prélèvent à leur profit personnel et non à celui de l’État. Chacun exploite sa position publique comme une prébende.  Ceci montre en premier lieu que l’État congolais n’est pas qu’une fiction puisqu’il est possible d’extraire des ressources à partir de positions publiques qui préexistent à leur titulaire.

Mais se limiter à cette considération n’est là encore qu’insister que sur l’un des termes de la relation. Parce qu’à y voir de près, ont voit aussi que dans un certain sens, l’État prédateur est lui-même prédaté, l’État parasite est lui-même parasité. Il est prédaté par le politicien-entrepreneur ou big man, qui, en se constituant un système personnel de pouvoir au sein même de l’État, crée une situation très particulière du double point de vue de son accumulation personnelle de pouvoir et du développement de l’État.

La logique du big man est la suivante : accumuler des richesses dans une perspective de consolidation de son pouvoir et de sa survie politique. D’une façon plus générale, il accumule et il contrôle les accès aux ressources matérielles afin de pouvoir redistribuer et, par le patronage, accumuler un capital symbolique de nature politique. Les ressources qu’il cherche à accumuler sont d’ordre politique et économique : il fait fructifier ses ressources économiques par ses ressources politiques et inversement. Il peut s’enrichir grâce à la politique, mais il veut être riche pour continuer à faire de la politique.  Là où il gagne, le pays perd. Il y a donc là une contradiction entre la logique de la survie politique du big man et la logique de l’institutionnalisation de l’État : la politique des prébendes et du patronage s’oppose à celle d’un développement institutionnalisé de l’État.

Ainsi, si l’État congolais joue de sa position stratégique de médiateur entre l’extérieur et l’intérieur pour se brancher sur les flux économiques liés à l’extraversion, cet même État est lui-même capturé par ceux qui agissent en son nom et le font fonctionner à leur propre profit.  C’est la raison pour laquelle tous les chefs d’États congolais ont été et sont encore les premiers fossoyeurs de l’État : la priorité qui est pour eux la survie politique passe souvent par l’affaiblissement de l’État. Le big man est amené ainsi, rationnellement, à détruire l’État au fur et à mesure qu’il exerce son pouvoir et quant né en lui le comportement du politicien-entrepreneur, qui est lui non rationnel, il commet des lourdes fautes, entraîné qu’il est par la pulsion de la politique du ventre.

Ces «agents de l’État», à leur tour, sont souvent eux-mêmes capturés par leur famille, leur village et leur clientèle. L’État congolais en tant que système est ainsi détourné par ses agents, au sommet d’abord mais aussi à tous les niveaux. Chacun se crée un système personnel de pouvoir qui parasite l’État, raison pour laquelle l’État congolais semble toujours se confondre avec le système de pouvoir personnel de ses tenants. Le politique, l’économique, le sociétal et particulièrement le domestique s’interpénètrent : le degré d’institutionnalisation est faible. La prédation aboutit alors à la ruine de l’État et de la société. La boucle est ainsi bouclée. Pour mieux comprendre cette réalité, un regard sur l’histoire sera décisif.

2.2. Comprendre les raisons de l’Échec de l’État en Afrique et en République Démocratique du Congo

2.2.1. Le poids de l’histoire

Avant l’arrivée du colonisateur, les empires et royaumes en Afrique étaient sur la voie ou étaient déjà devenus des vrais États-nations. Pour la plupart d’entre eux, le processus de construction de l’État reposait sur des régimes politiques centralisés et des échanges commerciaux. Après des siècles de déracinement (esclavage et colonisation), en tant qu’africains la question lors de l’accession à l’indépendance devrait être de savoir si ayant rejeté l’impérialisme occidental, quels étaient les pour et les contre pour adopter ou pas une forme d’organisation politique, ou plus précisément, de savoir dans quelle cadre comme vision du monde allions-nous nous organiser politiquement : il avait suffit de nationaliser l’État colonial en lui donnant une allure congolaise. L’État n’était pas repenser pour être mieux fait.

Ainsi, plus de soixante ans après ce qu’on a appelée à tort ou à raison notre indépendance, si l’on veut faire un bilan, il faut bien constater le double échec et du développement et de l’État; c’est devenu un lieu commun de le dire. En se plaçant dans la longue durée, on pourrait certes discuter ce constat, mais si l’on se situe dans la durée qui est la nôtre et qu’on se place dans la perspective que mettaient en avant les dirigeants et les experts, la cause est entendue. Dans cet échec du développement, l’État congolais n’est pas le seul en cause, mais sa responsabilité paraît d’autant plus lourde que c’est en lui que tous les espoirs avaient été fondés. L’échec du développement et l’échec de l’État sont intimement liés et c’est sur cette liaison qu’il nous faut nous interroger.

L’intérêt du détour historique proposé ci-dessus est moins dans la présentation des séquences que dans l’éclairage qu’il permet de jeter sur les trajectoires africaines postcoloniales. Autrement dit, on peut se demander si la colonisation a introduit une rupture fondamentale dans la trajectoire des pays africains ou si elle n’a été qu’une parenthèse n’ayant affecté que superficiellement leurs formes et leurs pratiques politiques. La thèse de la parenthèse est probablement celle qui résiste le moins à l’analyse, que ce soit d’un point de vue empirique lorsqu’on observe les sociétés africaines ou d’un point de vue théorique, notamment lorsqu’on adopte une approche institutionnelle et, plus particulièrement, les perspectives postulant la force des institutions et des politiques ainsi que leur capacité à remodeler les contextes dans lesquels elles sont implantées (Patrick Quantin, 2005, p. 65-84).

La thèse de la rupture introduite par la colonisation, basée sur l’explication institutionnelle, est plus satisfaisante, car elle montre qu’une fois implantées, les institutions coloniales laissent leurs traces dans le présent africain. Mais Mamoudou GAZIBO (2010) pense qu’il faut, d’une part, se garder de penser que cette rupture a été totale puisqu’on ne fait jamais table rase du passé en matière de changement politique, ce qui implique des phénomènes d’hybridation. Il convient, d’autre part, d’être attentif au fait que la portée de cet héritage varie selon les espaces concernés en raison des différences de modalités d’organisation territoriale et d’exercice du pouvoir dans les espaces africains pré-coloniaux, qui sont loin d’être homogènes (Rien que sur le territoire qui va devenir la RDC, nous pouvons avoir quatre zones aux contextes et organisations politiques différentes). Par ailleurs, les domaines dans lesquels cet héritage peut être mis en évidence sont nombreux, qu’il s’agisse de la démographie, de l’économie, de la politique, des relations internationales, des politiques publiques… Nous nous limitons ici à la dimension politique à travers deux domaines, soient les institutions et les pratiques politiques qui constituent, avec les conflits, les enjeux de gouvernabilité retenus dans cet exposé.

Mamoudou GAZIBO (2010) postule ainsi que l’impact le plus évident de plusieurs siècles de contact avec l’Europe a été de reconfigurer la conception de l’organisation territoriale et de l’exercice de l’autorité en Afrique, plus particulièrement en RDC. De ce contact entre les sociétés africaines et occidentales, sont nés, après les indépendances, des États et des formes institutionnelles dont l’extériorité a pu amener certains auteurs à les qualifier de «produits de pure importation». En réalité, tout en reconnaissant la prépondérance des États et institutions d’origine européenne, on est obligé de remarquer que la réalité actuelle de ces organisations montre plutôt des phénomènes d’hybridation. Une telle perspective appliquée à l’étude de l’impact de la colonisation se retrouve, par exemple, chez Crawford Young (1994), qui a bien mis en évidence l’importance de l’héritage colonial dans l’État postcolonial africain, son organisation et ses pratiques politiques. Young postule la grande capacité de reproduction de l’État colonial et ceci, malgré le volontarisme des élites nationalistes qui, aux indépendances, étaient déterminées à retrouver une authenticité africaine et de nouvelles formules institutionnelles et politiques rompant avec le système colonial.

Dans ces conditions, d’une part, la thèse de la parenthèse coloniale ne tient pas et, d’autre part, au lieu d’introduire une rupture fondamentale par rapport à l’État colonial, l’État postcolonial en a gardé la plupart des traits : «Bula Matari», ou «celui qui broie les roches» comme on surnommait l’explorateur Stanley, puis l’État colonial au Congo belge pour traduire leur caractère écrasant (Crawford Young, 1994, p. 2), a reproduit l’essentiel de ses logiques dans l’État postcolonial après avoir bouleversé les anciens équilibres en détruisant les aristocraties et favorisé l’émergence de nouvelles élites. Toutefois, il ne s’agit pas de s’en tenir ici à l’idée que l’État contemporain est une simple reproduction de l’État colonial. C’est en ce sens que, selon Jean-François Bayart, «si l’État postcolonial a hérité d’une histoire coloniale et précoloniale singulière […] lui-même n’a pas tardé à produire à son tour de l’histoire» (Jean-François Bayart, 1991, p. 221).

En ce qui a trait aux formes d’organisation politique introduites à la suite de la colonisation, elles sont exemplifiées par la cristallisation du concept de souveraineté. La territorialité tel qu’on la voit se cristalliser à travers le principe de la souveraineté n’a manifestement pas été la pierre angulaire de l’organisation politique en Afrique précoloniale (Jeffrey Herbst, 2000), ce qui ne signifie pas que les royaumes ou empires africains n’avaient pas leur forme de structuration. Luc Sindjoun montre à la suite de J. Herbst que «le royaume Bamoun [au Cameroun], par exemple, au moment de la rencontre coloniale au début du XXe siècle a un roi cartographe, le sultan Njoya, qui dessine les limites de son autorité et représente le centre du pouvoir» (Luc Sindjoun, 2002, p. 57).

Il demeure cependant que la conséquence politique principale de la colonisation a été l’effondrement des modes d’organisation traditionnelle au profit de l’émergence de formes occidentales, notamment l’État moderne. Ce dernier n’a pas effacé complètement les anciennes structures, mais C. Young montre à quel point l’État colonial, qui a duré pourtant moins d’un siècle, a néanmoins complètement remodelé les espaces politiques, les hiérarchies et les clivages sociaux, ainsi que les modes de production. Lors des indépendances, les logiques de l’État colonial étaient ainsi profondément ancrées dans les nouvelles entités politiques, contribuant à déterminer leurs mécanismes internes de fonctionnement. L’État est ainsi devenu la forme d’organisation officiellement prépondérante.

2.2.2. Conséquences de l’histoire

A. La faillite de l’État postcolonial  : Basil Davidson (1992) estime que, d’une part, il ne semblait pas possible de rejeter cet héritage (ce mode d’organisation politique que l’État) de façon significative, et, d’autre part, il n’y avait pas de perception suffisante de ce que cet héritage impliquait. Pour reprendre la puissante image de C. Young, en se métamorphosant (indépendances), la chenille (l’État colonial) est devenu un papillon (l’État postcolonial) sans perdre son essence. De la sorte, poursuit Young, même si l’on décrit les entités africaines indépendantes comme «de nouveaux États», ceux-ci sont les produits du régime colonial dont ils ont hérité les structures, les routines et pratiques quotidiennes, ainsi que les normes officieuses de gouvernance.

Par ailleurs, parce qu’il n’était pas le produit d’une dynamique endogène, parce que le processus colonial avait formé hâtivement des États africains renfermant dans leurs frontières des populations qui n’ont pas vraiment pris part à cette dynamique, il n’est pas étonnant, comme le montre J. Iliffe, «que les Africains mettent l’accent sur leur localité, leur région, leur continent ou leur race […] les frontières et les identités territoriales ayant peu de chances d’être pertinents dans de futurs États» (John Iliffe, 1995). C’est pourquoi Guy Nicolas (1990), travaillant sur le Nigeria, a proposé le concept de «nations à polarisation variable» pour montrer la diversité des identités et des allégeances possibles des Africains, l’allégeance à l’État, qui est au cœur de la citoyenneté occidentale, n’étant dans la plupart des pays africains qu’un niveau d’allégeance parmi d’autres comme la région ou l’ethnie. Réussir l’édification d’États-nations était alors pour la plus part des cas, impossible.

D’ailleurs, puisque l’État comme toute autre œuvre ne peut aucunement se développer tout seul (il ne peut le faire que sous l’impulsion de ses agents entraînés par la compétition politique), comment un État qui n’existait pas vraiment dans l’imaginaire de ses animateurs comme principe et comme vision pouvait-il faire la société et se faire? Pour mener à bien sa vocation, il aurait fallu que l’État puisse être un pur instrument au service de la raison technocratique de ses dirigeants, eux-mêmes animés par le souci de l’intérêt général, que ces dirigeants soient donc suffisamment détachés et extérieurs à la société pour la modeler à leur aise. Un tel État n’a jamais existé au Congo, mais c’est sur un tel État imaginaire qu’on a cru pouvoir fonder le développement de l’État lui-même et de la société.

B. L’autoritarisme  : Les pays africains ont rapidement sombré dans l’autoritarisme après les indépendances des années 1960. La généralisation des autoritarismes impose que l’on en recherche la source. Mamoudou GAZIBO (2010) pense qu’une explication plus satisfaisante consiste à chercher plutôt comment ce phénomène se comprend mieux si on le place à l’intersection des dynamiques endogènes et exogènes en Afrique. Dans cette optique, Crawford Young montre que, pour les Congolais, «Bula Matari» (ou l’État colonial belge) signifiait la terreur. En effet en République Démocratique du Congo, les autorités coloniales ont introduit la centralisation en obligeant les populations à vivre dans des entités plus faciles à contrôler. La colonisation a conduit à une modification des enjeux liés au pouvoir, y compris dans les sociétés acéphales qu’il a fallu soumettre, en instaurant presque partout,  le principe du «commandement» fondé sur l’autoritarisme et une «culture de la chicotte».

Là où il n’y avait pas de chefferie traditionnelle, le colonisateur en a inventé pour mieux contrôler la population et là où elle existait déjà, il l’a transformée, destituant certains chefs et en nommant d’autres selon leur docilité. Les chefs traditionnels sont devenus des auxiliaires chargés de collecter les impôts et de mobiliser les populations pour les besoins de l’autorité coloniale, fomentant des renversements de dynastie si le tenant du trône ne collaborait pas. Ces stratégies ont engendré une intensification des luttes de factions pour accéder à ces postes, phénomène qui se poursuivra dans la période suivant immédiatement l’indépendance avec la succession des coups d’État inaugurée par Joseph Mobutu au Congo (premier coup d’État en Afrique).

Ce nouveau rapport au pouvoir était pourtant contraire à la tradition africaine. Car, tel que le montre Daniel Bourmaud, chez les Luo du Kenya, par exemple, “un chef ne donnait pas d’ordres. Il écoutait les anciens, les rencontrait au cours de consultations et, quand il disait ‘telle est ma décision’, il ne prononçait pas un verdict personnel, mais un point de vue déjà accepté”. Joseph Ki-Zerbo (1972) propose une généralisation de ce principe dans les sociétés africaines qui rappelle l’arbre à palabre à partir du royaume de Samori Touré, illustre résistant à la colonisation jusqu’en 1898, en soutenant que «comme très souvent en Afrique, le pouvoir sous des apparences autocratiques revêt un caractère profond de collégialité». C’est en tous cas le cas dans les royaumes, empires et sociétés de ce qui va devenir la République Démocratique du Congo.

Mais, au sortir du système colonial, ce rapport collégial traditionnel  au pouvoir n’a pas survécu, c’est plutôt une tradition autoritaire que le colonisateur belge a construit, en paternaliste, au-delà des institutions démocratiques formelles qu’il a voulu édifier dans la dernière année de la colonisation, alors qu’il refusa de le faire des décennies durant. Aux indépendances, les élites africaines, fortes de l’esprit colonial, développèrent de nouvelles stratégies pour maintenir l’État et conserver le pouvoir contre leurs adversaires. La combinaison de ces logiques a mené à la constitution d’une «autocratie patrimoniale» au point d’intersection entre logique coloniale et intérêts des nouvelles élites dirigeantes. Le résultat est ce que Crawford Young appelle «l’État intégral», cette tentative de construction d’une domination sans restriction sur la société. Les manifestations concrètes de cet autoritarisme sont diverses. Cet autoritarisme va de pair avec un ensemble de pratiques politiques que l’expression néopatrimonialisme en est venue à résumer, et qu’on peut également expliquer en lien avec l’héritage historique.

2.3. Acculturation avortée et néopatrimonialisme

Les chercheurs ont développé le concept de néopatrimonialisme pour rendre compte de cette situation. Ce concept est une adaptation d’un des sous-types de la domination traditionnelle proposés par Max Weber. Celui-ci distingue en effet trois types de domination légitime selon que l’autorité est acceptée en vertu de la coutume (domination traditionnelle), des qualités personnelles du chef (domination charismatique), ou enfin de la loi (domination légale-rationnelle). Au sein de la domination traditionnelle, Weber (1971, p. 308.) estime qu’«avec l’apparition d’une direction administrative (et militaire) purement personnelle du détenteur du pouvoir, toute domination traditionnelle incline au patrimonialisme et, à l’apogée du pouvoir du seigneur, au sultanisme». Le patrimonialisme se caractérise donc essentiellement par l’absence de distinction entre domaine public et domaine privé, puisque «le chef patrimonial traite toutes les affaires politiques, administratives ou judiciaires comme s’il s’agissait d’affaires personnelles, de la même façon qu’il exploite son domaine, comme s’il s’agissait de propriétés privées», (Jean-François Médard, 1991). Le néopatrimonialisme mène à la personnalisation du pouvoir et donc à un déficit d’institutionnalisation, mais aussi à l’arbitraire et à la tendance à l’autoritarisme.

La notion de néopatrimonialisme a pour nous l’intérêt d’être moins normative que celle de corruption et plus comparative que celle de la politique du ventre. Le mérite principal que nous trouvons à cette notion est précisément la raison pour laquelle d’autres la rejettent : sa généralité. Dans le cas de notre pays, il arrive à faire la caractérisation difficile que nous avons tenter de faire au point 2.1 : la confusion du public et du privé est en effet le commun dénominateur à tout un ensemble de pratiques caractéristiques de l’État congolais et de sa logique de fonctionnement, à savoir, la corruption, qu’elle soit purement économique ou liée à un échange social, ou encore le clientélisme, le patronage, le copinage, le népotisme, le tribalisme, le prébendalisme … Toutes ces notions qui ne sont généralement abordées qu’isolément sont résumées par le recours à la notion de néopatrimonialisme, sans perdre pour autant leur spécificité. Le néopatrimonialisme n’est pas un type isolé mais un type mixte, traditionnel et faussement démocratique, qui rend le mieux compte de l’État en Afrique, plus particulièrement au en RDC : un État dont la finalité n’est ni le développement ni même son propre développement mais l’accumulation des ressources politiques et économiques de ses agents.

Dans ce contexte, l’État moderne instauré à l’issue du processus colonial occupe une place centrale et toutes les stratégies des élites sont orientées vers la conquête et la conservation du pouvoir, car «rechercher le pouvoir, c’est aussi rechercher la richesse, et rechercher la richesse, c’est aussi rechercher le pouvoir puisque l’un mène à l’autre et réciproquement» (Jean-François Médard, 1991).  Ainsi, depuis 1960, on peut se résigner à remuer le fatras des annales politiques de la RDC et de ses intrigues, à reprendre par le détail les actes et législatures et des pouvoirs que nous subissons : on rencontrera constamment les mêmes crises ministérielles, les mêmes accouplements de hasard, les mêmes votes de surprise, les mêmes perturbations intérieures, les mêmes pratiques de corruption. Hier comme aujourd’hui, on ne s’est avisé de songer aux fondamentaux. On consolide les pouvoirs personnels non sur les besoins ou les aspirations du pays, mais simplement sur les nécessités variables de la situation présidentielle et des centres d’influence et d’intérêts. L’important, était hier comme aujourd’hui que la classe qui dirige et possède garde la direction souveraine et le monopole exclusif du pouvoir et des avantages. De tout temps l’ordre possédant et des opportunistes fait le désordre.

2.4. Le régime politique et le rapport des forces

Si tout cela brise, cela laisse aussi vite poser la question de savoir comment se fait-il que 60 ans après l’indépendance nous ne soyons pas sorti du piège néopatrimonial? Et puisque l’histoire ne fait que se répéter, comment expliquer que le triomphe du néo/patrimonialisme ne perde du terrain, même après l’avènement de la Troisième république et sa démocratie? Notre réponse ici, est que la qualité des hommes et la dynamique du système politique est décisive. C’est dire, d’une part, que le trait de cupidité chez un leader peut expliquer son manque d’éthique et de compétence, et que, d’autre part, s’il y a des organisations politiques qui limitent la prise en otage de l’État, il y en a aussi qui la favorisent, comme celles dans lesquelles il y a peu de pour prévenir les abus de pouvoir.

Notre thèse ici, est que dans un environnement mental autoritaire et d’exploitation comme celui hérité de la colonisation, seule la conjonction de la qualité des hommes, d’une organisation politique contraignante sans concentration du pouvoir, et d’un peuple engagé allait aider la République Démocratique du Congo en 1960 comme en 2006.  En effet, dans un contexte néopatrimonial, pensons-nous, un régime semi-présidentiel n’est pas un bon régime, et est un ferment de la crise, de danger. Ce danger, c’est que la responsabilité comptable, la complémentarité sans phagocytose, et la promotion des idées ne sont pas appliquées avec toute la rigueur désirable et, alors que le pouvoir et la responsabilité doivent être dans les mêmes mains pour en assumer la comptabilité, on note leur séparation, car ils sont l’un centralisé à l’institution présidence et l’autre au gouvernement selon les situations et les faits. Ainsi, notre régime semi-présidentiel se caractérise par :

A. Un flou dans la répartition des tâches : Il n’y a rien de plus dangereux, à notre sens, dans le cas du contexte spécifique de notre pays et de ses malades hommes politiques que les situations pleines des sous-entendus et d’obscurité, qui font que le gouvernement parlementaire n’est plus que l’affiche et le programme inexécuté d’une variété, difficile à classer, de l’organisation politique que l’on appelle “Régime Semi-présidentiel”. Le gouvernement qui doit tout faire est éclipsé par la présidence. Le président peut tout mais n’est responsable de rien (ce qui est absurde) et ressemble davantage à un roi constitutionnel; car par l’irresponsabilité dont il jouit, il n’est pas possible de le découvrir du fait que la responsabilité est mise sur la tête des ministres qui paradoxalement ne sont pas siens mais du premier ministre.

B. Un parlement aplati en complicité avec un pouvoir corrupteur et à sa solde : l’expérience devrait déjà avoir convaincu nos parlementaires que les lois qui ont pour but de donner aux gouvernements une sécurité passagère aux dépens de la liberté et de la prospérité de tous, les affaiblissent toujours au lieu de les fortifier. Les nôtres recourent l’arbitraire, et mettent leurs intérêts au-dessus du droit de tous, et ont détruit les principes au nom des circonstances; comme on le voit toujours au pays à la veille des élections.

C. Une magistrature servile : Ici est posée la question de la responsabilité politique dans un régime semi-présidentiel sur son d’environnement mental néopatrimonial. Respondere, telle est l’origine latine du français “responsabilité”. Le responsable est celui qui répond. Mais de quoi? Du dommage qu’il a causé? De la faute qu’il a commise? Du crime dont il est accusé? Des choses ou des personnes qu’il a sous sa garde? Devant qui ? De part cette approche étymologique, on cerne bien vite combien la responsabilité politique occupe une place importante dans le droit constitutionnel moderne où elle donne corps à la préoccupation majeure de limitation, de contrôle, et de révocabilité de tous les détenteurs d’un pouvoir politique. Une des fonctions principales de la politique occidentale a été posée lorsqu’il a été compris par la philosophie grecque classique que l’on ne pouvait qualifier de “pouvoir” qu’une capacité de conduite et de contrainte de la collectivité exercée dans l’intérêt de ses destinations.

Sur ce point, le Congo est littéralement en crise de la responsabilité Politique (État de droit). La raison profonde en est que l’esprit du régime parlementaire, qui repose sur une série des modes de comportements et sur une certaine forme de moralité politique (Cas de la Grande Bretagne où Boris Johnson est sous pression même présentement), n’existe tout simplement pas. Par ailleurs, le citoyen est terriblement mou que cela forme un cercle vicieux. En effet, dans toutes les sociétés modernes, la responsabilité est avant tout une revendication puissante du corps social, et l’opinion démocratique réagi à certaines protections abusives de la puissance publique et de ses agents par une exigence de radicalisation de la responsabilité (le modèle normand) telle que la simple désapprobation que peut manifester la censure parlementaire ne suffit pas. Dans notre pays, la responsabilité diffuse entre le gouvernement et la présidence (régime semi-présidentiel), la crise de citoyenneté, et un système judiciaire politisé perpétuent une culture d’impunité. Les comportements inadéquats sont donc peut réprimés.

L’expérience de notre pays est là pour nous rappeler concrètement ce que vivre sans État dans un contexte contemporain veut dire, quand on est un pays très riche surtout : c’est le pouvoir qui est au bout du fusil, le règne du plus fort, de la mort. Comme on l’a démontré dans la deuxième partie de cette analyse, la nature patrimoniale de l’État congolais constitue un obstacle à la démocratie dans la mesure où la lutte politique n’est pas seulement la lutte pour les positions politiques mais pour l’accès aux ressources de l’État : l’enjeu y est concrètement beaucoup plus vital que de choisir entre les projets de société. La vraie démocratie, loin d’être un luxe pour le Congo, vers le Kongo, est une nécessité vitale. Mais il ne faut pas se faire ici trop d’illusions, la démocratie n’est pas non plus la panacée à laquelle on se rallie parce que tout le reste a échoué.

La relation entre démocratie et développement est pour le moins ambiguë (la Chine en témoigne) et le sous-développement est certainement un handicap pour la démocratie, mais en conclure que le Congo n’est pas mûr pour la démocratie ne sert qu’à légitimer les dictatures. Limitons-nous au fait que les travaux statistiques montrent bien qu’il y a une association entre démocratie et développement et inversement. Ce qu’il faut donc dire, c’est que la démocratie est difficile mais qu’elle n’est pas impossible, les nombreuses exceptions nous le montrent, et qu’il faut y tendre avec persévérance. Notre analyse visait à attirer l’attention sur un certain nombre de raisons qui conduisent à mettre en doute la capacité de l’État congolais à assumer la responsabilité du développement, pour le Réformer. Nous présentons ici ce que nous pensons etre le passage obligé pour y conduire.

3. Naissance, la construction et la faillite de l’État en République Démocratique du Congo

La présente troisième partie et dernière partie présente ce que nous pensons être ce qu’il faut pour que la République Démocratique du Congo améliore son organisation politique. Notre but est de contribuer au débat sur ces questions dans notre pays. L’objectif général est de montrer la nécessité de rechercher un changement de paradigme de l’organisation politique en République Démocratique du Congo.

3.1. Quelle organisation politique pour la RDC?

En fait, dans un environnement néopatrimonial, d’où viennent les anomalies typiquement congolaises d’articulation déréglée des mandats, la confusion entre deux types de répartition du pouvoir, l’irresponsabilité du principal responsable, l’obligation de tricherie et de tripatouillage des résultats pour s’assurer des majorités; les confusions cohabitationnistes? Elles découlent de notre régime institutionnel, croyons-nous. C’est que dans un environnement néopatrimonial, le modèle français n’était pas le bon. D’ailleurs, nombreuses autres démocraties évitent cet agencement biscornu. Soit elles ne connaissent qu’une élection populaire nationale, celle des députés. Soit elles en pratiquent deux, mais une seule des deux élections a une portée gouvernementale : aux États-Unis, celle du président, en Europe celle des députés. Pas l’une et l’autre.

Pour nous, résoudre la question institutionnelle congolaise pour mieux réformer l’État, revient à aussi à remettre en cause notre régime institutionnel, quitte à faire à ce que, dans un environnement néopatrimonial insistons-nous, les forces du mal ne se sentent pas à l’aise. Concrètement, à notre avis, la solution est dans l’éducation politique de la population et dans la redéfinition du contrat politique, et donc dans une modification de la constitution, modification qui substituerait au régime actuel un régime contrôle et comptable c’est-à-dire responsable de ses actions : il faut transformer notre régime semi-présidentiel, en un régime primo-ministériel avec responsabilité des ministres devant le premier ministre qui lui serait responsable devant le parlement, le tout avec un suffrage universel indirect de mi-mandat ou vote de confiance (le mandat serait de six ans et non plus cinq ans. Le président de la République, au rôle protocolaire, serait élu au suffrage universel, et celui qui sera le premier ministre, ne sera que le chef de la majorité du parlement) et une autonomie renforcée du pouvoir judiciaire, le mandat et la procédure de nomination des juges de la cour constitutionnelle passant au modèle américain. Et enfin, la décentralisation.

A. Une telle réforme transformerait profondément nos institutions. Ce serait alors la Quatrième République. Elle ne connaîtrait plus de responsabilité du gouvernement devant l’Assemblée, ni du droit de dissolution. Elle se doterait probablement d’un vice-président, pour assurer la continuité et maintenir la cohérence des cycles électoraux. Et pour rendre inéligibles les insuffisants et opportunistes et rendre par cela pertinente toutes les élections (contournant ainsi les limites de l’éducation), il faut coupler à cette réforme la réorganisation des partis politiques à l’anglaise en consacrant deux grands groupes des projets (libéral humaniste africain et versus conservateur humaniste africain) ainsi que la modification du système électoral en gardant la proportionnelle. Le fait que les ministres seraient comptables devant le premier ministre aurait un effet positif sur la stabilité du gouvernement qu’il ait ou pas la majorité au parlement. Celui-ci qui ne serait réduit qu’à un rôle législatif, en mème temps que la justice, totalement indépendante, serait renforcée pour que toute mise en examen conduise à la destitution et la poursuite de la personne concernée, sans obligation de vote de levée des immunités, ministre, députés, présidents soient-ils.

Oui, il faut cette quatrième République. Notre pays, n’a pas besoin pour vivre d’institutions constitutionnelles calquées sur celles des pays occidentaux, sans que nous nos dirigeants n’aient une culture ni Républicaine ni Démocratique, ce qui d’ailleurs nous a conduit dans une bouffonnerie des plus burlesques. Ce dont notre pays a donc un pressant besoin, sous peine d’impasses politiques continus, c’est de mettre un terme au pouvoir absurde, absolu, sans contrôle, comptable de rien et centralisé aujourd’hui entre les mains de quelques courtisans et de conseillers néfastes qui trompent systématiquement leurs maitres déjà faussaires eux-mêmes. Une chose paraît sûre : il n’y a pas de solution sans l’adoption de mécanisme institutionnel visant à responsabiliser les dirigeants vis-à-vis des dirigés, à les obliger à rendre des comptes (accountability). Qu’on le veuille ou non, les seuls mécanismes qui jusqu’à présent aient fonctionné tant bien que mal sont ceux de la vraie démocratie libérale combinant le pluralisme et l’État de droit. Ces mécanismes sont insuffisants du point de vue démocratique, mais l’expérience montre que sans eux, les individus sont livrés sans recours aux nuisances politiques.

Le pays gagnerait alors en efficacité du parlement car le besoin de corruption ne serait plus nécessaire, le vote de mi-mandat étant le seul moment de vérité. Lors de celui-ci, si le Premier ministre a moins de 40%, on convoquerait alors les élections générales dans l’année suivante. Si il a entre 40% et 50%, un ajustement de sa politique serait fait par un mécanisme à définir et si il a plus de 50% des votes de grands électeurs, il poursuivrait sa politique). Cette nouvelle constitution doit par ailleurs, prouver que la démocratie, tout en s’adaptant au besoin d’efficacité d’un appareil gouvernemental hardi et créateur, peut et doit rester fidèle à ses principes essentiels : la liberté de tous les individus, l’égale souveraineté de tous les citoyens, et l’efficacité et renforcer les mécanismes de la redevabilité et la transparence en éliminant tous les éléments d’opacité, d’avantages idiots et d’échappement dans toutes les lois, en rendant la politique un vrai service national.

Par ailleurs, tous les contrepoids nécessaires seraient trouvés dans le maintien et le renforcement de la liberté de la presse, de réunion, d’association et le maintien des prérogatives parlementaires en ce qui concerne le vote du budget, des lois et des traités, et surtout, dans l’indépendance totale de la justice qui serait alors organisée au modèle américain par exemple. Nous estimons que ce régime conviendrait parfaitement à notre pays dans la phase actuelle de son évolution. Le pouvoir moral et tout d’influence personnelle qu’il a pris il y a déjà quelques années, serait transformé en un pouvoir réel et surtout comptable avec une séparation stricte du judiciaire et de l’exécutif.

B. Mais une chose est de parvenir à la démocratie, une autre est d’y rester : l’éducation restera la clé car, sans les mœurs les lois sont vaines et un code politique qui n’est point en accord avec les mœurs, et qui ne parvient pas à les modifier, disparait en peu d’instants, et presque de lui-même. Il faut donc une éducation politique intégrale (écoles, universités, familles, églises, films, … doivent y participer). Nous pensons que s’il faut trente ans d’efforts, de guerre, de discussions, et d’intrigues, pour extirper un nouveau système d’opinions et de lois, c’est qu’il a déjà des racines profondes, c’est-à-dire morales, qui le reproduiraient encore alors qu’on croirait l’avoir aboli.

C’est forcément logiquement pareil pour le cas des mœurs démocratiques, et on observe qu’en Afrique, un long chemin est encore à faire. Car les mœurs, qui s’élèvent par degrés, sont les seuls capables de rendre possible des verticales institutions démocratiques possibles, nécessaires et toutes puissantes. A leur tours, les institutions influent sur les mœurs. Mais si on a des animateurs des instituions sans les mœurs à la hauteur des exigences et un peuple pas encore mature, on obtient une organisation politique pseudo-démocratique, ridicule, car elle est dessertes: c’est elle qui, entretenant une opposition futile mais irritante, et conseillant des idées d’autant plus inconsidérées qu’elles ne sont que des insultes, perpétue l’état de pourriture et multiplie les catastrophes. D’où le rôle incontournable comme dit, de toutes les instituions participant à l’éducation.

C. Enfin, cette réforme politique doit s’accompagner, pour avoir son plein effet, d’une vigoureuse réforme administrative de fond en comble avec une décentralisation et une revue de toutes les méthodes périmées qui sont un obstacle permanent à toute action sérieuse, énergétique et progressive pour édifier une société dans laquelle chaque citoyen aura un droit égal à faire entendre sa voix et où la force matérielle sera véritablement au service de la justice. Nous voulons d’un vrai État, mais d’un État embrassant plus qu’il ne peut étreindre : faut dégraisser l’État et donc le privatiser en partie afin que la société puisse s’organiser hors de lui d’une façon plus efficace et autonome. Mais alors, comment réaliser la transition sans implosion? Sans Balkanisation? C’est un peu le problème de l’URSS de Gorbatchev. Problème immense car les propositions qu’on avance supposent d’avoir résolu le plus grand problème de la RDC : la crise de leadership.

En effet, pour gagner la guerre pour la quatrième république, et contre le principe de la diction et du mal, le principe du trouble et du déchirement, le principe que nous impose ce système politique néopatrimonial prédateur actuel et inefficace, pour briser cette société criminelle qui voue à la mort les meilleurs de ses fils, les efforts de tous les congolais doivent converger vers un idéal. Résiliant et conscients des enjeux du monde, nous devons nous organiser soit de la base au sommet et nous attaquer vigoureusement à toutes les institutions humaines, politiques, religieuses, juridiques et économiques nationales ou internationales qui démontrent que ce sont elles qui entretiennent le mal et que nous n’avons d’amélioration à espérer que de leur renversement absolu; soit du sommet à la base par des leaders éclairés ayant renoncé à eux-mêmes et qui deviennent alors les guides de l’âme nationale et à qui tous nous nous unissons. Et cela ne peut venir de soi, il faut des Hommes et des Femmes de lumière pour cela.

3.2. Le regard vers le peuple

On l’aura vite compris, ce qui est capital pour nous, c’est de doter le pays d’un régime politique qui permette au grand travail de réorganisation et de reconstruction de l’État et de la Nation congolaise d’être entrepris et mené à bien, sans que l’ignorance de notre peuple ou les influences démagogiques, financières et étrangères viennent en empêcher la réalisation. Mais il est très probable que cette réforme salutaire ne sera pas obtenu des profiteurs du système. De qui donc attendre le salut par son instauration? D’un homme? Ce serait une folie dangereuse ou un crime odieux, que des ambitieux ou des affolés de servitude et de popularité peuvent seuls provoquer à commettre.

Qui peut, pour nous conduire au salut, purifier ce parlement pourri? Qui peut purifier le palais de justice, la police, la défense nationale? Qui peut étouffer la dictature? Qui peut opposer un rempart de poitrines à l’invasion des troupes étrangères? Qui peut sauver la RDC et instaurer une vraie République? Qui peut exproprier du pouvoir et de ses positions capitalistes la classe qui nous exploite? Qui peut infuser du sang nouveau à notre nation avachie? Le peuple uniquement le peut, éclairé par des gens de bonne volonté et véritablement engagés. Lui seul est capable, par sa force et son honnêteté, d’accomplir cette salutaire et grandiose mission. C’est sur lui seul qu’il faut compter.

Conclusion

Résumons par un questionnement : quel est le Problème du Congo? Pour nous, l’intrigue du mal congolais, est que sa nature est décrite principalement en termes de droits des personnes à travers le prisme politique ou par comparaison à l’occident, alors qu’en fait il s’agit vraiment d’imaginaire; d’éthique et d’organisation. Cela se manifeste par un manque de sens de et dans la nation traduit par un faible sentiment de finalité et d’engagement pour le développement parmi les dirigeants et du peuple en général. Nous pensons donc que la réponse à notre question pourrait bien se trouver dans le refus et l’incapacité des élites congolaises à mettre en cause leur propre héritage léopoldien. Le nœud gordien pour le Congo, est qu’il est en effet un vestige public d un instrument de poursuite personnelle des profits. Les gens et les noms ont changé, mais le projet léopoldien et colonial belge, fondé sur l’exploitation des gens et l’appropriation des ressources du Congo, non seulement survit mais prospère. Ainsi, aujourd’hui comme sous Léopold, le Congo reste la façade institutionnelle d’une entreprise criminelle, un voleur érigé en État. Par ailleurs, on ne met pas souvent en cause les schémas politiques qui sont nôtres, seulement les hommes qui les font marcher.

Pourtant, il nous est évident que les institutions politiques congolaises et leurs modes d’organisation ne sont nullement adapté aux problèmes réels que pose le néopatrimonialisme et les défis d’édification nationales par une dynamique interne. Ils sont fondés sur l’espoir hypothétique que les schémas politiques de style britannique ou français peuvent être repris et devenir les instruments stables et efficaces de l’essor capitaliste selon les principes de la libre entreprise par la bonne gouvernance et de la démocratie libérale. Pour nous, essayer de faire fonctionner le capitalisme sans capitalistes, est comme si l’on voulait jouer Hamlet sans le prince de Danemark. Et si on veut réussir Hamlet dans ces conditions, il faut une bonne attribution des rôles. Ce que nous voulons dire, est qu’au lieu de faciliter l’édification de l’État, le régime semi-présidentiel facilité le règne des prévaricateurs, irresponsables car non soumis à un environnement d’exigence de discipline capable d’aider le pays à ne pas tomber ou à sortir du néopatrimonialisme. C’est pourquoi un revirement spectaculaire de l’état d’esprit du peuple par une éducation intégrale et un changement de système politique sont extrêmement urgents, pour sauver le Congo.

Auteurs cités

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  9. Jean François Médard, «L’État néopatrimonial en Afrique noire», in Jean François Médard. Etats d’Afrique noire. Formations, mécanismes et crise, Paris,  Karthala, 1991. ISBN: 9782865373130
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  15. Max Weber, Économie et société, Paris, Plon, tome 1, 1971.
  16. Patrick Quantin, Gouverner les sociétés africaines : acteurs et institutions, Paris, Karthala, 2005, p. 65-84.

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