L’édification de l’État à l’épreuve de l’ethnicité : esquisse de solutions pour la République Démocratique du Congo

“L’ethnicité est devenue l’arme préférée des leaders politiques dans leur quête du pouvoir d’État. Son usage fréquent dans le fonctionnement des affaires publiques renforce la déliquescence de l’État pour faire du Congo un quasi «non-État». Dans cette logique, le pouvoir semble être exercé pour la satisfaction des intérêts particuliers. … Le recours à l’ethnicité dans la conquête et l’exercice du pouvoir renforce le fonctionnement informel de l’État pour justifier les échecs de l’État post-colonial congolais. En ce moment où le Congo cherche des voies et moyens de sa nouvelle édification, il est utile de se questionner sur la meilleure manière d’user de l’ethnicité pour qu’elle ne soit pas un obstacle mais un appui à la consolidation de cet État”. Ainsi peut être résumé l’analyse faite par Guy Aundu Matsanza, docteur en sciences politiques et sociales de l’Université Libre de Bruxelles (ULB), et enseignant-chercheur à l’Université de Kinshasa. Le texte ici publié dans son intégralité, a été écrit en 2005, lorsque l’auteur était encore doctorant en science politique à l’Université Libre de Bruxelles.


Introduction

La reconstruction de l’État domine la préoccupation des entités africaines depuis surtout le lancement du renouveau démocratique. Le succès de ce processus est lié aux types des remèdes apportés aux causes de l’effondrement de système politique et de l’autorité de l’État. Dans ces États issus de la colonisation, l’ethnicité est indexée comme l’un des obstacles majeurs au fonctionnement de la société. L’option levée dans la plupart de ces États en Afrique est celle du rejet de l’ethnicité qualifiée de source de tension et de conflit. L’édification de l’État paraît à l’opposé de toute reconnaissance de la participation des ethnies à l’exercice du pouvoir. Ce rejet se concrétise dans les différentes Constitutions organisant le pouvoir dans ces pays. Les ethnies, structures organisationnelles des sociétés africaines, n’acceptent pas non plus cette mise à l’écart. Elles sont devenues, à travers le phénomène d’ethnicité, des facteurs de résistance à l’État. C’est cette résistance qui donne aux hommes politiques l’opportunité d’exploiter ce phénomène comme moyen d’accession, d’exercice et de conservation de pouvoir. Cette utilisation politicienne de l’ethnicité explique les tensions et les conflits divers qui émaillent l’histoire de ce continent. Parmi les cas auxquels nous pouvons nous intéresser, il y a celui de la République Démocratique du Congo.

En effet, depuis quarante cinq années d’indépendance, l’histoire du Congo est celle des luttes parfois sanglantes entre ses communautés. Peuplé d’une multitude d’ethnies, ce pays est marqué par des conflits ethno-politiques depuis 1960. À cet effet, nous pouvons retenir, sans que cela soit exhaustif, les conflits : Luba-Lulua à Luluabourg en juillet 1960, Tabwa-Bwari au Katanga en avril 1962, Kasaïens-Katangais d’abord en 1961 puis en 1992, autochtones du Kivu (Tembo, Nyanga, Hunde, Shi, Nande, …)-allochtones Banyarwanda de 1992 à 2003. Ces conflits ont alimenté des rébellions et des sécessions ci et là au pays. S’il est nécessaire d’en citer quelques-unes, nous retiendrons la sécession du Katanga déclenchée en juillet 1960 à la suite de l’opposition de la CONAKAT (Confédération des Ethnies du Katanga) à la FEDEKA (Fédération des Ethnies du Kasaï) branche ethnique du MNC (Mouvement National Congolais). En août de cette même année 1960, le Sud-Kasaï, à la suite du conflit Luba-Lulua proclame son autonomie et consacre le règne des Luba sur cette partie du territoire national.

La résurgence de ces conflits ethno-politiques à partir de 1990 avec la démocratisation a encore alimenté les rébellions et la guerre civile observées ces dernières années. L’AFDL (Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Congo) née de l’insurrection des Banyamulenge est parvenue à renverser le régime Mobutu pour faire de Laurent Désiré Kabila Président autoproclamé du Congo. Ce même conflit entre autochtones et allochtones du Kivu soutient la survivance des groupes rebelles comme le RCD-Goma (Rassemblement Congolais pour la Démocratie), regroupement animé principalement par les Tutsi ou Banyarwanda, RCD-ML (Rassemblement Congolais pour la Démocratie-Mouvement de Libération) dominé par les Nande, Maï-Maï, des milices ethniques pour la défense des autochtones, UPC (Union Patriotique Congolaise) protégeant l’ethnie Hema, FNI défendant l’ethnie Lendu.

Tous ces groupes sont parvenus grâce notamment au soutien ethnique à s’imposer comme interlocuteurs dans le partage du pouvoir d’État après l’assassinat de Kabila père. En usant de l’ethnicité, ces groupes empêchent l’État de sécuriser les personnes et leurs biens, de maintenir l’ordre et l’intégrité du territoire national.

L’usage de l’ethnicité plonge l’État dans l’incapacité d’assumer ses fonctions et remet ainsi en cause le contrat social qui le fonde. Dès lors, les missions de l’État sont accomplies par des individus et des groupes d’individus (groupes rebelles et société civile). Cette situation consacre l’effondrement de l’État (Zartman, 1997, p. 3-14). L’ethnicité est devenue l’arme préférée des leaders politiques dans leur quête du pouvoir d’État. Son usage fréquent dans le fonctionnement des affaires publiques renforce la déliquescence de l’État pour faire du Congo un quasi «non-État». Dans cette logique, le pouvoir semble être exercé pour la satisfaction des intérêts particuliers. L’État (ou ce qui lui ressemble) est devenu une possession privée qui ne s’intéresse plus tellement à l’intérêt général. De cette façon, il semble être privatisé (Hibou, 1999, p. 21) et finit par s’effondrer. Le recours à l’ethnicité dans la conquête et l’exercice du pouvoir renforce le fonctionnement informel de l’État pour justifier les échecs de l’État post-colonial congolais.

En ce moment où le Congo cherche des voies et moyens de sa nouvelle édification, il est utile de se questionner sur la meilleure manière d’user de l’ethnicité pour qu’elle ne soit pas un obstacle mais un appui à la consolidation de cet État. Cette intégration de l’ethnicité ne peut être possible et fructueuse que si nous pouvons apporter des réponses à ces préoccupations :

  • Pourquoi la diversité ethnique du Congo s’est-elle souvent constituée en entrave au bon fonctionnement de l’État ?

  • Quelle option prendre pour faire de cette diversité une richesse à la réédification de l’État ?

  • Quelle forme d’État et régime politique conviennent-ils pour le Congo multiethnique ?

À ce questionnement, nous estimons que l’absence d’une formalisation de la participation des ethnies à l’exercice du pouvoir serait la cause des manipulations, qui font de l’ethnicité un facteur de tension au bon fonctionnement de l’État. Cette absence de formalisation semble exclure des communautés ethniques entières de la participation aux affaires de l’État. De ce fait, la mise à l’écart de l’ethnie serait devenue l’objet du combat politique des leaders pour que l’ethnicité soit usée comme une arme à cet effet. À cause de l’ethnicité, le contrat social qui fonde l’existence de l’État semble être remis en question. De cette façon, la représentativité et la légitimité des structures étatiques sont contestées. Ce fait expliquerait la longévité de la transition politique congolaise qui dure depuis quinze ans (1990-2005).

La diversité ethnique ne pourrait devenir une richesse politique au Congo que si l’usage de l’ethnicité est formalisé dans le fonctionnement de l’État. Il consisterait à reconnaître aux ethnies, à l’instar des partis politiques, la capacité de prendre part à l’exercice du pouvoir. Nous croyons que leur participation «consociative» au pouvoir réduirait les effets néfastes des manipulations, pour faire d’elles des socles de l’État. La présence des représentants ethniques dans les structures de l’État accroîtrait la représentativité et la légitimité de celles-ci, et empêcherait aux leaders politiques de mener leur combat au nom de l’ethnie. De la sorte, le leadership politique serait séparé du leadership ethnique pour atténuer les tensions et les conflits au sein de l’État.

Cette recherche du mode d’intégration des ethnies au fonctionnement de l’État exigerait du Congo de concevoir un régime politique sui generis qui correspondrait à sa réalité sociale et historique. Dans ce sens, la division fonctionnelle du pouvoir serait efficace à la consolidation de l’État. Au stade actuel de l’évolution politique du Congo, le fédéralisme semble ne pas être indiqué comme forme de l’État pour un pays qui sort d’une guerre civile. De même, une forte régionalisation du fonctionnement de l’État déboucherait sur l’expérience malheureuse de la première République. Les entités régionales s’étaient constituées en des foyers de tension permanente contre le pouvoir central. Une forte intégration des ethnies au niveau central réduirait ce risque et permettrait à la décentralisation d’être efficace pour le fonctionnement de l’État.

L’épreuve à laquelle l’ethnicité soumet la nouvelle édification de l’État au Congo et les pistes de solutions possibles à lui consacrer, nous amène à circonscrire notre réflexion sur ces points : ethnicité : concept ambivalent ; manipulation politique de l’ethnocide ; représentativité et légitimité des structures de l’État ; formalisation de l’ethnicité au sein de l’État.

1. Ethnicité : concept ambivalent

Pour une bonne compréhension de notre discours, une précision sur le concept d’ethnicité mérite d’être soulignée. La présence d’une multitude d’ethnies (près de 200 ethnies et 450 tribus) au Congo exige de connaître le type d’ethnicité dont on recourt dans la manipulation politique. Cette connaissance permet de mieux la cerner pour en faire un outil du renforcement de l’État. L’ethnicité est un concept plus ou moins récent lié à l’évolution du concept d’ethnie. Elle n’est pas une construction figée et ne cesse de susciter une diversité d’interprétations. De ce fait, elle est utilisée parfois, à tort ou à raison, comme explication de certaines pratiques politiques. Cette instrumentalisation fait penser l’ethnicité comme un «fourre-tout» (Weber, 1995, p. 139). Cette ouverture à des interprétations diverses trouve son explication dans les perceptions que donne l’ethnicité. Elle est abordée aussi bien sous l’angle psychologique qu’anthropologique. Ces interprétations résultent des variations de sens donné à l’ethnie selon ces deux disciplines. Le changement de sens du concept ethnie affecte aussi le sens de l’ethnicité.

À cet effet, sous l’angle psychologique, l’ethnicité apparaît comme une conscience qui s’exprime par des sentiments tels que ethnisme, tribalisme, régionalisme, népotisme, clanisme. Sous l’angle anthropologique, l’ethnicité se présente comme une identité de groupe et s’exprime comme «race». Ce second sens trouve sa source dans les études de Joseph Arthur de Gobineau (Essai sur l’inégalité des races humaines, 1854) et de Georges Vacher de Lapouge (Les sélections sociales, 1896). De ces deux angles, l’ethnicité est devenue ambivalente. Elle est tantôt sentiment tantôt identité. Pour la saisir, il est nécessaire de la cerner selon les deux dimensions qu’elle dégage. Dans la première dimension, l’ethnicité est perçue comme un fait naturel qui repose sur des critères objectivistes fondés sur les liens de sang. Dans la seconde dimension, elle est un fait social fondé sur des critères subjectivistes édifiés par la culture des groupes.

Dans le cadre de cette analyse, nous appréhendons l’ethnicité selon la dimension subjectiviste qu’aborde le courant instrumentaliste. Elle est saisie comme une construction et réinvention sociopolitiques permanentes et est, à ce titre, construite et constructiviste. Le courant instrumentaliste explique l’ethnicité comme un instrument de mobilisation politique et sociale qui permet d’atteindre les objectifs qu’on se fixe. De ce fait, la manipulation politique peut s’appuyer sur les liens de sang ou la culture des groupes pour utiliser l’ethnicité comme une idéologie. À cet effet, l’approche instrumentaliste permet de comprendre ce va et vient que l’homme politique réalise entre les liens de sang et la culture comme justification des pratiques politiques.

L’ethnicité est ainsi associée à des considérations politiques et sociales et peut produire des sentiments ethnocentristes et ethnocidaires. Dans cet ordre, l’ethnicité apparaît comme un facteur négatif qui empêche les «eux» (autres) d’exister pour les incorporer dans les «nous». Alors qu’au juste, le sentiment «ethniciste» vise l’affirmation de soi sans nier l’existence de l’autre. Il renvoie au potentiel de construction d’une identité et n’est pas une catégorie fermée en soi (Peemans, Esteves et Laurent, 1995, p. 9). L’ethnicité naît, se transforme et peut disparaître.

La compréhension de l’ethnicité dans l’édification de l’État doit être entendue comme conscience qui produit le sentiment d’ethnisme, plutôt que d’ethnocentrisme qui tend à englober les autres pour les anéantir. L’ethnicité devient, à cet effet, un état d’appartenance à un groupe social (clan, tribu ou ethnie) différent et étranger aux autres. Ce groupe peut être réel ou mythique. Dans ce sens, l’approche instrumentaliste permet de s’intéresser aux sentiments régionalistes comme partie intégrante de la sphère d’intérêt de l’ethnicité. Ces sentiments qui sont construits grâce à l’organisation territoriale contemporaine fondent l’imaginaire collectif, qui revendique la participation au pouvoir d’État. Cet imaginaire collectif fait l’objet de mobilisation politique par les hommes politiques qui en font un instrument de leur lutte. L’ethnicité n’est alors d’emblée ni négative ni positive. Ses effets sont fonction des objectifs qui lui sont assignés. À travers la manipulation dont elle est objet dans le contexte du Congo, nous pouvons avoir une vision claire des effets attendus d’elle dans l’environnement politique.

2. Manipulation politique de l’ethnicité

Le succès du combat politique au Congo est souvent fonction de l’usage récurrent de l’ethnicité. Cette manipulation remonte aux organisations qui ont donné naissance aux partis. Ces organisations sont principalement ethniques et l’histoire politique de ce pays en témoigne. En effet, les associations ethniques, regroupements des Congolais à la veille de l’indépendance, ont donné naissance à des partis qui ont fait d’elles leur soutien politique. Ce sont les cas notamment de la «Lulua-frère» soutien du parti UNC (Union Nationale Congolaise), le MSM (Mouvement Solidaire Muluba) soutien du parti MNC-K (Mouvement National Congolais aile Kalonji), l’ABAKO (Alliance Bakongo) devenu carrément parti politique tout comme l’ABAZI (Alliance Bayanzi) ou l’ATCAR (Association des Tshokwe du Congo et de l’Angola).

Ces associations ethniques ont été des lieux de formation des dirigeants politiques congolais. Elles ont évolué en fédérations et confédérations ethniques pour finir soit comme partis soit comme soutiens à ceux-ci. Les hommes politiques comme Vincent Mbuakiem du parti UDPS (Union pour la Démocratie et le Progrès Social), Kamitatu du parti PDSC (Parti Démocrate Social Chrétien), Gizenga du PALU (Parti Lumumbiste Unifié) ont été membres de la Fédération Ethnique du Kwango-Kwilu (FEDEKWA) qui a donné naissance à certains des premiers partis du Congo comme ABAZI (Alliance Bayanzi), PSA (Parti Solidaire Africain), LUKA (L’Union Kwangolaise pour l’Indépendance et la Liberté).

Ngalula Mpandanjila de l’UDPS, Kabayidi wa Kabayidi du parti CONDOR ont été des dirigeants de la Fédération Ethnique du Kasaï (FEDEKA) branche ethnique du MNC-K. Lumumba, symbole du nationalisme congolais et figure de proue du parti MNC a fait ses armes politiques notamment comme responsable de la Fédération Ethnique Batetela (FEDEBAT). C’est aussi le cas de Kasa-Vubu président de l’Association ethnique puis parti ABAKO. Dans cet élan, Bomboko fondateur du parti UNIMO (Union Mongo) fut lui aussi membre de la Fédération Ethnique de l’Équateur et du Lac (FEDEQUALAC), de même que Bolikango, dirigeant ethnique de l’Association ethnique «Liboke lya bangala», a fini par fonder le parti PUNA (Parti de l’Unité Nationale).

Le recours au soutien ethnique n’a pas été seulement une spécificité des hommes politiques des premières années d’indépendance. Il intéresse aussi les dirigeants politiques actuels. Egbake fondateur de l’Association ethnique ALLIBA (Alliance Bangala) durant la transition est l’élément mobilisateur intégré dans la stratégie politique d’abord du parti MPR (Mouvement Populaire de la Révolution) de Mobutu puis du groupe rebelle MLC (Mouvement pour la Libération du Congo) de Jean-Pierre Bemba, dont il est devenu responsable de la propagande. L’utilisation de l’ethnicité comme facteur de mobilisation politique par ces dirigeants débouche sur des tensions inter- et intraethniques. L’appui ethnique aux partis fait ressembler la politique à un combat entre ethnies. Ces quelques illustrations peuvent témoigner de cet état de chose.

A. Conflits interethniques

Kongo-Ngala

La tension entre Kongo et Ngala à Kinshasa après l’indépendance tire sa source de l’opposition entre Kasa-Vubu (ABAKO) et Bolikango (Liboke lya Bangala). Le rejet par l’ABAKO du plan Van Bilsen sur l’indépendance du Congo en 30 ans a suscité la réaction de Bolikango contre Kasa-Vubu. Celui-ci considère l’attitude de Kasa-Vubu de déviante (Ngoma Ngambu, 2002, p. 115). La tension entre ces deux hommes engage leurs ethnies respectives au conflit lors des élections municipales pour désigner les autorités de Kinshasa. Kasa-Vubu mobilise les Kongo à travers l’ABAKO et Bolikango entraîne les Ngala à soutenir leurs candidats ethniques. La mobilisation des Kongo fut fondée sur la protestation des nominations des Ngala à de nombreux postes publics (cité de Léopoldville, fédération de football, journal voix du Congolais, …). Bolikango mobilise les Ngala de son côté pour empêcher aux Kongo d’affirmer leur hégémonie sur la ville de Kinshasa. Le discours ethnique a été l’aspect essentiel de ses élections municipales.

Les Kongo, forts de leur majorité à Kinshasa, parviennent à faire élire 133 conseillers sur 170 soit 78 % contre 30 conseillers Ngala soit 17 % (Ngoma Ngambu, 2002, p. 115). Cette victoire permet aux Kongo d’avoir 7 bourgmestres contre 1 seul aux Ngala. Kasa-Vubu devient ainsi bourgmestre d’une des communes de Kinshasa. À l’élection au second degré du premier Président de la République Démocratique du Congo, Bolikango se porte candidat et affronte de nouveau Kasa-Vubu. Ce dernier remporte l’élection et Bolikango menace de faire attaquer les Kongo par les Ngala. Les conciliations organisées entre ces deux hommes ont permis d’éviter le drame à Kinshasa.

Luba-Lulua

L’affrontement inter ethnique évité à Kinshasa n’a pu l’être au Kasaï. A Luluabourg, les élections municipales opposent les Luba aux Lulua. L’association «Lulua-frère» ordonne aux Lulua de voter Lulua. Les Luba s’engagent à ces municipales en voie dispersée. Ils présentent 83 candidats contre 29 aux Lulua sur les 36 sièges à pourvoir (Muya Bia Lushiku, 1978, p. 53). Les Lulua obtiennent 16 sièges contre 17 aux Luba alors que ceux-ci sont majoritaires avec 4 278 membres contre 2 531 Lulua (Mabika Kalanda, 1963, p. 14). L’absence d’une organisation ethnique capable de donner le mot d’ordre aux Luba explique leur échec. Pour corriger cette erreur, le Mouvement Solidaire Muluba (MSM) voit le jour dans le but de mobiliser politiquement cette ethnie. Le succès de ses actions est perceptible aux élections provinciales de mai 1960. Il mobilise les Luba en faveur du MNC de Kalonji qui remporte 21 sièges sur 70 soit 36 % des postes à pourvoir (Kabangu Lunyanya, 1965, p. 71).

Mais les Lulua représentés par le parti UNC se coalisent avec les Tetela du MNC dirigé par Lumumba pour empêcher à Kalonji et Ngalula de gouverner la province du Kasaï. Ces deux derniers dirigeants dénoncent cette coalition et pousse les Luba à des manifestations de protestation. Les Lulua n’admettent pas une telle réaction sur leur territoire de Luluabourg et appliquent la violence pour faire taire les Luba. Ngalula profite de cette situation pour ordonner aux dirigeants du MSM de procéder à l’évacuation des Luba de Luluabourg vers leur territoire du Sud-Kasaï (Congo 1960, p. 205). C’est le début de la sécession du Sud Kasaï.

La manipulation accomplie par les hommes politiques n’appréhende pas l’ethnicité dans son sens réduit de fait naturel. Elle tend à l’élargir comme relation sociale fondatrice des nouvelles identités. De ce fait, elle porte sous la transition politique sur des régions ou des «super ethnies» à cheval sur plusieurs entités. C’est le cas de l’identité ngala, kongo, luba au sens large, swahili. La manipulation s’oriente au Congo de plus en plus sur les aires linguistiques nationales (lingala, kikongo, tshiluba, swahili) pour faire d’elles des instruments de mobilisation des nouvelles identités. À cet effet, les régions où ces langues sont d’usage sont parfois présentées comme des identités des groupes à instrumentaliser. Ceci s’explique dans le cas du conflit ethnique du Katanga en 1992.

Conflit kasaïen-katangais

Ngunz et Kyungu, tous deux du parti UFERI (Union des Fédéralistes et Républicain Indépendant), accèdent au pouvoir de la transition presque au même moment. Le premier est Premier ministre de la transition et le second gouverneur du Katanga.

Cette nomination de Nguz n’a pas été du goût de tous. L’UDPS de Tshisekedi (il est membre de l’ethnie luba dans la province du Kasaï) entraîne toute l’opposition politique à contester cette nomination. Les voyages vers l’Europe et les États-Unis sont organisés par cette opposition pour empêcher tout soutien extérieur à Ngunz. Pour ce dernier, cette démarche est l’œuvre de Tshisekedi qui vise à conquérir ce poste de Premier ministre.

Lorsque la Conférence Nationale (CNS) organise en son sein l’élection du Premier ministre qui doit prendre la place de Nguz très contesté, Tshisekedi est élu à la grande joie des ressortissants du Kasaï et luba en particulier. Ces derniers organisent des manifestations de joie et présentent cette élection comme une défaite des leaders du Katanga (Ngunz et Kyungu).

Kyungu amène les Katangais à réagir immédiatement. Il organise deux importantes opérations pour mobiliser l’identité katangaise :

  • Opération «debout Katanga» ou «Katanga yetu» (notre Katanga) :

L’objectif visé à travers cette opération est le réveil de la conscience katangaise. Le slogan lancé à cet effet est «le Katanga aux Katangais». Kyungu installe les jeunes de son parti (JUFERI) dans les installations de la GECAMINES (entreprise nationale d’exploitation des mines de cuivre) notamment à Kambove, Mituaba, Kundelungu, Shinkolobwe, Manono, Lwena, Bukama, afin de veiller sur les intérêts du Katanga. Il estime que les «kasaïens», partisans de Tshisekedi et nombreux dans cette entreprise, constituent un danger au développement du Katanga.

Cette opération aboutit à la révocation des «Kasaïens» des postes de responsabilité dans l’administration régionale et les entreprises publiques du Katanga. À ce sujet, Kitanika Wenda, commissaire urbain de Likasi, transmettait à Kyungu les listes des «Kasaïens» en position dominante et supposés collaborer avec l’UDPS pour être démis de leurs fonctions (Ngoy Bisongo, 1996, p. 63).

  • Opération «embargo contre le Kasaï» :

Cette opération a consisté à empêcher tout trafic commercial entre le Kasaï et le Katanga. En effet, étant une province essentiellement minière (diamant), le Kasaï importe ses denrées alimentaires (poissons) du Katanga. Ses importations des produits finis et semi-finis de l’extérieur (Afrique du sud) transitent aussi par le Katanga. Kyungu interdit ce transit et ordonne aux commerçants du Katanga d’éviter, sous la garde de la JUFERI, tout commerce avec le Kasaï. L’objectif visé est l’asphyxie économique du Kasaï pour faire échec au gouvernement dirigé par Tshisekedi. Dans cet ordre, les «Kasaïens» sont évacués de force du Katanga. Ces expulsions ont pris la forme d’une épuration ethnique entraînant plusieurs morts surtout du côté «kasaïen». Dans cette manipulation de l’ethnicité, le lien de sang n’est pas évoqué comme instrument de mobilisation politique mais la province. L’identité régionale katangaise est mise à l’avant-plan pour atteindre les objectifs politiques. C’est sur cet angle que s’anime aussi le conflit ethnique du Kivu.

Conflit autochtones du Kivu-allochtones Banyarwanda

Ce conflit latent est devenu manifeste avec la tenue de la Conférence nationale. Les autochtones (Nande, Nyanga, Hunde, Shi, …) organisés dans la société civile du Kivu, les partis PLD (Parti pour la Liberté et le Développement) de Bwanakabwe et DCF (Démocratie Chrétienne Fédéraliste) de Nyamwisi pousse la commission de la conférence chargée de vérification et validation des mandats à refuser à certains notables banyarwanda comme Rwakabuba du parti CEREA (Centre de Regroupement Africain), Ntirwimara et Sebuliri Bizimana du parti DSM la validation de leur mandat de citoyens zaïrois ou congolais. Pour entraîner la conférence sur cette direction, les dirigeants politiques du Kivu (Nyamwisi, Kasereka, Bwanakabwe, Ngongo Luwowo, …) dénoncent l’invasion du Kivu par les Banyarwanda et les faveurs qu’ils reçoivent de l’église catholique.

La nationalité est instrumentalisée pour expliquer en partie la guerre des «Banyamulenge» (Banyarwanda) qui va en suivre en 1996. La revendication de leur «congolité» a conduit au renversement du régime Mobutu 1997. Cette même question est aussi au centre de la deuxième guerre déclenchée par le RCD en 1998 et qui a débouché à l’assassinat du Président L.-D. Kabila en 2001. La manipulation ethnique à travers la conférence nationale a mobilisé les autochtones autour de l’identité Kivu. Cette identité régionale a facilité l’émergence des Maï-Maï comme milices ethniques d’autodéfense contre les envahisseurs.

La manipulation politique de l’ethnicité est à la base de ces tensions sur la nationalité. Elles ont débouché sur des massacres déplorés à l’Est du Congo durant la transition (Makobola, Kasika, …). Cette manipulation anéantit l’autorité de l’État et laisse aux ethnies la charge de sécuriser les citoyens et de protéger l’intégrité du territoire national. Ce fait nous pousse à douter du succès de l’option du projet de Constitution 2005 sur la nationalité comme solution aux conflits entre ces deux communautés. En effet, cette option hésite entre l’unicité et l’exclusivité (article 9, première variante) de la nationalité congolaise d’une part et la reconnaissance d’une seconde nationalité pour les Congolais d’origine (article 9, deuxième variante) d’autre part.

Mais la manipulation qui est faite de l’ethnicité au Congo ne se réduit pas aux relations interethniques mais elle divise aussi au sein des ethnies. Elle agit hors et au sein des ethnies.

B. Conflits intraethniques

La manipulation intraethnique dans la quête du pouvoir est parfois à la base de la naissance d’autres groupes ethniques (subjectifs et non objectifs). Ce fait complique l’utilisation du critère ethnique dans le partage du pouvoir politique. Ces quelques cas nous aident à saisir cette complexité :

Conflit Benda Mutombo-Bakwa Katawa chez les Lulua

Durant le processus d’indépendance nationale, les Lulua ont été unis comme un seul peuple. Cette unité a été consolidée dans leur opposition principalement aux Luba qui voulaient contrôler le pouvoir au Kasaï avec la fin de la colonisation. La lutte entre les leaders politiques de ces ethnies a renforcé la conscience ethnique comme nous l’avons expliqué plus haut. Mais lorsque les Lulua sont parvenus à exclure les Luba du pouvoir à Luluabourg (chef lieu du Kasaï), leur cohésion éclate en lambeaux pour laisser place à la diversité. En effet, le parti ethnique lulua UNC était sous l’influence du grand chef coutumier Kalamba Mangole (Ganshof van Der Meersch, 1960, p. 70). Aux élections de 1960, les 6 sièges à pourvoir pour les territoires lulua ont été pourvus par 4 élus de l’UNC et 2 du PNP. Sur les 4 élus lulua de l’UNC 2 étaient parentés au chef coutumier Kalamba. Il s’agit de Ilunga Alphonse (élu du territoire de Dibaya) et Wafuana Emery (élu du territoire de Kazumba).

André Guillaume Lubaya, un autre élu de l’UNC (territoire de Luluabourg), s’attendait devenir président du gouvernement provincial du Kasaï. À sa surprise, Mukenge Barthélemy, un autre proche parent de Kalamba, est désigné par l’Assemblée provinciale à ce poste. Cet échec l’amène à viser dans le quota réservé aux Lulua dans le gouvernement central le poste de ministre. Mais de nouveau Ilunga, un autre proche de Kalamba, est désigné à cette responsabilité. Lorsque Iléo reprend le poste de Premier ministre à l’arrestation et l’assassinat de Lumumba, Ilunga est encore reconduit dans ce gouvernement comme ministre des travaux publics à la déception de Lubaya. Il impute alors ses échecs politiques à l’influence du chef coutumier Kalamba étant donné que ses adversaires nommés partagent une même appartenance clanique Katawa que Kalamba. En effet, les Lulua se repartissent en deux principaux clans : Bena Mutombo et Bakwa Katawa. Les statistiques du parti unique (Secrétariat exécutif du MPR, 1979, p. 2) indiquent 10 % des Lulua Katawa et 90 % des Lulua Mutombo. Ce clan majoritaire est aussi celui de Lubaya.

Kalamba est présenté par celui-ci comme source de ses malheurs politiques car, il promeut le Bakwa Katawa en défaveur de la majorité Bena Mutombo. Lubaya démissionne de l’UNC et fonde son propre parti UDA (Union Démocratique Africaine). Il lance l’appel aux Bena Mutombo de soutenir et d’adhérer à son parti pour anéantir l’hégémonie katawa, que le chef coutumier Kalamba veut imposer aux Lulua à travers le parti UNC. Les échecs politiques de Lubaya sont instrumentalisés comme l’échec de tout un clan et consacre la diversité des Lulua. Les clivages au sein des ethnies créent aussi des subdivisions ethniques qui revendiquent une participation politique. Ces clivages ont aussi fait éclore la diversité parmi les Luba.

Conflit Bena Mutu Wa Mukuna-Bena Tshibanda chez les Luba

Le départ des Luba de Luluabourg a permis au Sud-Kasaï de se constituer en entité mono-ethnique sous l’égide de Joseph Ngalula. Mais lorsque Albert Kalonji, le grand leader politique de cette ethnie, ne parvient pas à se faire désigner ministre dans le gouvernement central de Lumumba, il se replie au Sud-Kasaï et se proclame Mulopwe (Kabangu Lunyanya, 1965, p. 103) c’est-à-dire l’empereur ou le roi des Luba. Il concentre les pouvoirs et relègue Ngalula à la seconde position de la sécession.

Ngalula conteste cette concentration de pouvoirs par Kalonji. Celui-ci le démet de ses fonctions et Ngalula rejoint Kinshasa et se fait nommer ministre de l’éducation nationale dans le gouvernement central dirigé par Cyrille Adoula. Il organise l’opposition contre la sécession du Sud-Kasaï dirigée par Albert Kalonji (Congo 1961, p. 478-480). Ngalula parvient, avec le soutien militaire de l’ANC (Armée Nationale congolaise) dirigée par le colonel Mobutu, à chasser Kalonji du Sud-Kasaï qu’il accuse de «claniste». En effet, Kalonji était entouré principalement de ses frères du clan Bakwa Dishio notamment F. Dinanga commandant en chef de la gendarmerie, P. Dinanga patron de la sécurité, F. Kazadi ministre de la Défense, Mulumba ministre de l’Intérieur. À la chute de Kalonji, ses partisans claniques essentiellement au Nord-Ouest du territoire du Sud-Kasaï entrent en rébellion contre Ngalula. Pour mâter cette rébellion, Ngalula divise les Luba en partisans de la monarchie kalonjiste traité des Bena Tshibanda et ses partisans qualifiés de démocrates qu’il nomme Bena Mutu Wa Mukuna. Ce conflit intra Luba consacre la diversité au sein des Luba et devient un élément à prendre en compte dans la gestion politique du Kasaï oriental. Cette instrumentalisation de l’ethnicité a édifié de nouvelles identités pour les citoyens.

La transition politique n’échappe pas à ces types de manipulation. Elles ont fissuré les mouvements politiques en plusieurs ailes en fonction des intérêts ethniques. Le RCD a éclaté en RCD-ML censé représenté les Nande, le RCD-N comme organisation des ressortissants d’Ituri, RCD-Goma comme groupe politique des tutsi.

L’UDPS se scissipare en UDPS-Kibassa pour les Katangais, UDPS-Lihau pour les équatoriens, UDPS-Birindwa pour les originaires du Kivu, UDPS-DPR pour les Kasaïens. Cette scissiparité est la réalité de tous les grands partis du Congo pendant la transition (UFERI, PDSC…). Cette manipulation de l’ethnicité conduit à la recrudescence continue ou permanente des organisations politiques et ethniques. Elles naissent et disparaissent au rythme des enjeux du pouvoir politique. Cette manipulation politique de l’ethnicité est multiforme en fonction de l’histoire particulière de chaque groupe. Elle se fonde essentiellement sur la perception subjective de l’ethnicité (relation sociale) et beaucoup moins sur celle objective de fait naturel. À ce propos, tantôt elle s’appuie sur les ethnies regroupées sous l’identité régionale comme les Katangais, les Équatoriens, les Kivutiens, les Kasaïens tantôt sur les ethnies subjectives comme les Bangala, les Bakongo, les Baluba, … tantôt encore sur les regroupements claniques subjectifs comme les Bena Tshibanda, Bena Mutu Wa Mukuna.

L’intégration politique de l’ethnicité dans l’État congolais exige de maîtriser la trajectoire politico-ethnique de chaque groupe pour réussir à renforcer l’État. Cette insertion au fonctionnement de l’État permet d’éviter à l’ethnicité d’être un instrument de tension ou de conflit. La représentativité des structures de l’État peut être une voie des solutions à la réédification d’un nouvel État au Congo.

3. Représentativité et légitimité des structures de l’État

Dans la mise en place des structures de l’État post-colonial du Congo, l’ethnicité est frappée d’excommunication. Elle est perçue comme porteur de germes de division et de sous-développement. Pour bon nombre des constitutionnalistes, l’édification ou la reconstruction de l’État est en opposition à la reconnaissance de l’ethnicité dans l’affirmation de l’État-nation. Il est attribué à l’État africain la fonction d’accoucher de la nation, et dans ce sens l’ethnie est caricaturée comme un obstacle à cette mission (Ntumba Luaba, 2002, p 47). À ce titre, les différentes Constitutions qu’a connues la République Démocratique du Congo interdisent toute discrimination fondée notamment sur l’ethnie ou l’ethnicité. Même lorsque le respect des particularités régionales est évoqué comme dans le préambule de la Constitution de Luluabourg de 1964 ou le projet de Constitution de 2005 (article 67 alinéa 1er), l’ethnie moins encore l’ethnicité n’est pas véritablement prise en compte dans l’exercice du pouvoir.

La Constitution révolutionnaire de 1967 prohibe de manière véhémente le recours à celle-ci dans la gestion de l’État, afin d’éviter toute atteinte à la sécurité nationale (article 1er). Cette Constitution repousse le multipartisme puisqu’il instrumentalise l’ethnicité et cristallise les divisions au sein de l’État. Le projet de Constitution conçu par la conférence nationale rejette tout autant l’ethnicité mais admet le multipartisme. Il est évident que la discrimination doit être évitée dans la mesure où elle consacre le règne de l’inégalité. Mais la lutte contre la discrimination ne doit pas interdire la participation des ethnies à la gestion de l’État. Les Constitutions qui jalonnent l’histoire du Congo se refusent toujours d’évoquer l’ethnie et l’ethnicité par peur de la discrimination et de la manipulation.

Le projet actuel de Constitution s’efforce de surmonter timidement cette inquiétude en exigeant l’équilibre des provinces et aires linguistiques dans la composition du gouvernement (article 96 alinéa 3). Cette inquiétude ne devrait pas être si intense car la culture politique congolaise fortement paroissiale (centrée sur l’ethnicité) fait que depuis l’indépendance, le gouvernement est toujours constitué en tenant compte de la représentativité régionale. Depuis Lumumba en passant par Mobutu jusqu’à Kabila, l’ethnicité est au cœur de la légitimation des structures gouvernementales.

Lumumba fut le premier à user de l’équilibre régional pour constituer un gouvernement représentatif des ethnies les plus influentes du pays (Comptes-rendus et annales parlementaires de la République Démocratique du Congo, 1960, p. 19-20). Mais son erreur a été de vouloir éviter dans son gouvernement les dirigeants qui incarnent les revendications ethniques. À ce propos, il écarte de son équipe l’un des grands leaders kasaïens Albert Kalonji qu’il remplace par Isaac Kalonji un autre leader luba mais de la diaspora (vivant au Katanga). Cette erreur explique partiellement la sécession du Sud-Kasaï un mois après la publication de ce gouvernement.

Mobutu à son tour s’appuie sur le quota régional pour construire et consolider la légitimité des structures étatiques qu’il dirige. Du collège des commissaires généraux jusqu’au dernier gouvernement du parti unique en avril 1990, la représentativité régionale a été une clé de la composition des organes du parti unique y compris le gouvernement (Vunduawe, 2000, p. 79). Ce critère qui n’est pas reconnu par le projet de Constitution adopté au Sénat (mars 2005) fait partie de la tradition (habituelle) de partage du pouvoir au Congo. Rejetée formellement par la Constitution, l’ethnicité fut toujours appliquée informellement. Le quota régional tel qu’appliqué à la seconde République voir à la période de transition comme critère de recrutement et de sélection des dirigeants politiques, ne spécifie pas le mode de désignation de ceux qui composent ce quota. À ce sujet, il apparaît comme une carapace que les leaders politiques constituent à leur manière. L’absence de procédure laisse la voie libre à la manipulation qui renforce le clientélisme. Dans ce sens, le quota ne correspond pas toujours aux aspirations de la région ou de l’ethnie.

Cette absence de cadre procédural légal a permis à Mobutu de se «fabriquer» des leaders ethniques comme il le voulait. Ceux-ci sont qualifiés dans l’opinion congolaise des leaders d’ordonnance, puisqu’ils le sont devenus par une nomination présidentielle. Ils perdent souvent cette qualité ou influence dès qu’ils n’assument plus des responsabilités politiques. Le fondement de leur leadership n’est pas tellement la conscience ethnique mais les faveurs matérielles qu’offre le pouvoir politique. Cette tendance à la satisfaction des intérêts ethniques pour une légitimation politique explique «la privatisation» dont l’État est l’objet. Cette privatisation entame le fonctionnement normal des institutions et désagrège la nature de l’État. Pour contourner ces effets néfastes de l’usage du quota régional ou ethnique, la période de transition a tenté d’arracher le monopole de la désignation des dirigeants politiques de la seule compétence du Président Mobutu pour le confier à une assemblée des notables politiques de chaque province ou région. Parmi ces notables, il n’y a généralement aucun chef coutumier. Il s’agit principalement des hommes politiques et les dirigeants des associations membres de la société civile.

Les textes constitutionnels de la période de transition (actes constitutionnels, actes constitutionnels harmonisés, …) à l’instar des textes constitutionnels précédents reconnaissent le pouvoir traditionnel mais sans lui attribuer un rôle clair et précis. Les chefs coutumiers se retrouvent dans les structures de l’État sans qu’il soit indiqué ce qui est attendu d’eux, et de quelle manière ils doivent procéder pour assumer leur responsabilité. Cet abandon de l’autorité traditionnelle se confirme encore dans le projet de Constitution actuel (Assemblée nationale, mai 2005). Ce texte la reconnaît (article 207 alinéa 1) en le chargeant de promouvoir l’unité et la cohésion nationales (article 207 alinéa 4), mais sans déterminer ni la structure ni la procédure à travers laquelle elle doit accomplir sa mission. Ce texte renvoie à la loi qui elle-même n’envisage aucun rôle majeur à cette autorité. À ce sujet, l’autorité traditionnelle est exclue de l’exercice du pouvoir politique en dehors de l’élection. Le bas niveau d’instruction moderne de la plupart d’entre eux ne leur permet pas de s’affirmer par cette voie comme leader ethnique et politique. Cette exigence démocratique ignore que le chef coutumier ne détient pas son autorité d’un mandat électif mais de la tradition. Il est à cet effet nécessaire de rentrer dans la tradition, pour fixer le rôle qu’il doit jouer dans la consolidation de l’État congolais de la troisième République.

Cette ignorance du pouvoir coutumier laisse la voie libre aux hommes politiques de revendiquer le pouvoir politique au nom à la fois du parti et de l’ethnie, ce qui encourage les effets néfastes de la manipulation de l’ethnicité. Pourtant, la transition politique était parvenue à concevoir un système qui sépare le leadership politique du leadership ethnique (conclave politique, 1993). Ce système imparfait, bien sûr, exige dans la représentativité des structures de l’État l’application du croisement de trois critères (parti politique, ethnie ou province et démographie). Les ethnies ou les provinces se réunissent indépendamment des partis pour désigner leurs représentants au sein des institutions de l’État. Le nombre de ces représentants est fonction de la démographie de chaque communauté régionale ou ethnique. En leur sein, les ethnies s’entendent pour se partager le pouvoir selon un principe rotatif à chaque changement d’équipe gouvernementale.

L’imperfection de ce système réside dans le fait que les leaders politiques en dehors des partis, se réunissent de nouveau, quelles que soient leurs oppositions internes, pour le compte de l’ethnie ou la province afin de désigner les représentants ethniques. Cette démarche encourage les hommes politiques à tabler sur deux possibilités d’accession au pouvoir. Leur représentativité de l’ethnie ne repose pas sur la volonté des membres de l’ethnie mais de quelques individus. Ce système peut être amélioré et considéré comme une ébauche du modèle consociatif à appliquer pour la légitimité des structures de l’État. L’avant-projet de Constitution rédigé par la Commission constitutionnelle du Sénat qui laissait aux partis et regroupements politiques la seule compétence de désigner les candidats membres de l’Assemblée nationale (article 113 alinéa 2) et du Sénat (article 116 alinéa 2) n’encourageait pas les ethnies à jouer un rôle utile à la consolidation de l’État. Il renforçait la capacité de l’homme politique de continuer à manipuler l’ethnicité aux fins de conquérir le pouvoir, avec la conséquence que cela peut avoir sur le fonctionnement de l’État. La possibilité actuelle de se présenter comme indépendant tant à l’Assemblée nationale (article 101 alinéa 2) qu’au Sénat (article 104 alinéa 3) modifie quelque peu cet état de chose.

Il faut craindre que les propositions retenues par ce projet de Constitution sur le mode de désignation des sénateurs par exemple, n’intègre ni les ethnies ni les provinces mais accroissent les tensions d’ordre ethnique. Comme nous allons le voir dans le point qui suit, la nouvelle édification de l’État congolais passe, nous semble-t-il, par une division fonctionnelle et géographique du pouvoir qui formalise l’usage de l’ethnicité dans le système politique.

4. Formalisation de l’ethnicité à l’exercice du pouvoir dans l’État

L’analyse du phénomène d’ethnicité dans le fonctionnement du système politique au Congo montre que, l’absence de sa formalisation ou son utilisation informelle laisse libre cours à la manipulation. Depuis la loi fondamentale de 1960 jusqu’à ce jour, malgré quelques principes appliqués durant la transition, l’ethnicité est exclue de la Constitution. Elle n’est pas suffisamment prise en compte, ce qui ne lui permet pas de prendre part en toute légalité aux affaires de l’État. Ce rejet au motif de la lutte contre la discrimination et le séparatisme fait d’elle un facteur d’opposition à l’État. Elle revendique sa reconnaissance formelle par l’opposition aux structures établies. Les différentes Constitutions de la République n’intègrent pas véritablement les trajectoires historiques de ce pays. Elles n’admettent pas de faire de l’ethnicité l’instrument de consolidation de l’État post-colonial. L’esprit jacobin prime et empêche de considérer la diversité interne d’un pays comme facteur de progrès. Les textes constitutionnels congolais s’appuient sur les trajectoires historiques étrangères pour s’élaborer (Ntumba Luaba, 2002, p. 53), ce qui renforce le mimétisme et leur inadaptation à l’environnement.

Si la première Constitution de la République Démocratique du Congo (la loi fondamentale) est l’œuvre de la Belgique, les Constitutions suivantes sont tout autant issues des constitutionnalistes imbus de la culture occidentale qui considèrent souvent l’ethnicité comme une régression. L’expertise étrangère à laquelle recourt parfois l’État congolais (le projet de Constitution de 1998 avec Kabila père s’appuie sur l’expertise d’un constitutionnaliste portugais désigné par l’Union européenne et le projet constitutionnel de 2005 s’appuie sur une expertise de 15 professeurs dont 6 seulement sont Congolais et 9 étrangers) n’encourage pas à reconnaître l’ethnicité comme une réalité à prendre en compte. Généralement, ces expertises détournent la Constitution de son contexte social pour l’adapter à une réalité ou conformité mondiale. On oublie parfois que tout système politique doit être unique en son genre, car fondé sur une réalité différente des autres.

Nous pensons que l’État congolais ne peut accomplir ses missions en toute efficacité que si la fonctionnalité de ses structures repose sur une forte participation des organisations politiques et des ethnies. L’État post-colonial ne peut réussir sa métamorphose au Congo aussi longtemps que certaines communautés s’estiment exclues de cet État qui les représente. La conception d’un système «consociatif» qui assure la participation de tous paraît incontournable pour l’émergence d’un Congo nouveau. Ce système ou modèle ne permet pas de répartir le pouvoir entre structures de l’État de manière classique comme dans le régime présidentiel, parlementaire ou semi-présidentiel. Il doit se faire de façon sui generis qui reflète l’évolution historique de ce pays.

L’histoire politique indique que le Congo est toujours dirigé par un chef fort (Léopold II, Mobutu, Kabila père) qui garantit la stabilité et l’unité de l’État. Mais à côté de ce chef, il y a plusieurs autres leaders politiques et ethniques (Kalamba, Kalonji, Ngalula, Bomboko, …) sur qui le chef suprême s’appuie pour remplir ses fonctions. À cet effet, nous croyons qu’il est bénéfique pour l’État d’éviter que le leader incarne à la fois l’identité ou le leadership ethnique et politique. Cette détention facilite la manipulation qui porte atteinte au fonctionnement de l’État. Pour y arriver, la reconnaissance des ethnies (au sens subjectif ou large c’est-à-dire issue des relations sociales) comme entité devant prendre part au pouvoir en dehors des partis est une nécessité. Le pouvoir colonial avait compris l’utilité des ethnies (à travers les chefs coutumiers) pour asseoir sa domination. Dans cet ordre, il admit à la table ronde sur l’indépendance une délégation des chefs coutumiers en plus des délégués des partis politiques (Vunduawe, 1982, p. 272).

Le grand nombre d’ethnies dont regorge le Congo (450 tribus et près de 200 ethnies) ne permet pas de préconiser leur intégration sous la dimension de fait naturel dans les structures de l’État, comme l’envisagent certains penseurs (Mwayila Tshiyembe, 2001). Ces intellectuels saisissent l’ethnie comme un fait naturel dans une vision précoloniale, alors que la réalité postcoloniale montre que les ethnies n’ont plus, pour la plupart, la même configuration d’avant la colonisation. Elles se sont transformées par fusion de plusieurs ethnies en une seule (Bangala, Bakongo, …) ou par dislocation d’une ethnie en plusieurs (Luba se divise en Lulua, Lubakat, Luba Lubilanji,  Songye, …). Ce mouvement évolutif de l’ethnie exige que la relation sociale fondée sur les aires culturelles soit considérée comme le premier aspect d’intégration des ethnies à l’exercice du pouvoir d’État. Ces aires culturelles sont édifiées autour des quatre langues nationales (Kikongo, Lingala, Tshiluba, Swahili). La communauté linguistique nous permet dans un deuxième aspect de recourir aux communautés mythiques (des groupes ethniques) pour assurer la représentativité des structures de l’État.

Nous voulons dire par ces deux aspects d’intégration de l’ethnie à l’État qu’au niveau national, l’ethnicité s’intègre formellement par regroupement linguistique. C’est ce que veut faire le projet de Constitution de 2005 (article 96). Mais pour s’appliquer, les communautés linguistiques doivent se réunir pour identifier les groupes ethniques en leur sein et fixer de manière rotative leurs candidats au pouvoir. Dès lors, l’élection ne prédomine pas mais le consensus ou le compromis. Pour se conformer au contexte mondial de démocratie, l’élection s’appliquera pour le parlement ou l’Assemblée nationale, monopole des partis politiques, et le compromis pour la composition et le fonctionnement du Sénat, monopole des ethnies ou communautés. Le Sénat peut aussi se fonder encore pour sa composition sur une désignation au second degré de ses membres par les Assemblées provinciales ou ethniques comme sous la loi fondamentale (article 89) ou la Constitution de Luluabourg (article 74). Le gouvernement est alors constitué sur base d’un croisement des critères qui président au fonctionnement de ces deux institutions (parlement et Sénat).

Le compromis comme critère de fonctionnement du Sénat peut ainsi justifier l’égalité du nombre des sénateurs pour les communautés ou les provinces. Mais l’élection des députés et les décisions du parlement par voie majoritaire exigent que la démographie soit prise en compte dans la fixation du nombre d’élus par circonscription électorale. Ceci afin de respecter la proportion des citoyens dans les entités territoriales. Il revient alors à l’État de déterminer les compétences requises que les partis et les communautés doivent respecter dans la désignation des représentants députés, sénateurs ou ministres. Ce système dégage un rôle pour les chefs coutumiers dans la promotion de l’unité nationale et le fonctionnement normal de l’État. Si le chef de l’État est au-dessus de la mêlée, les chefs coutumiers peuvent être au centre des liens entre le Parlement, le Sénat et le gouvernement comme organe de «palabre». Cet organe assure le règlement politique des conflits. Il ne remplace pas les juridictions judiciaires moins encore la Cour constitutionnelle, mais assure la restauration de l’harmonie dans le fonctionnement de l’État. En tant qu’organe de l’État, la «palabre» dirigé par un chef coutumier se tient quand le besoin se fait sentir. Le président de la «palabre» peut avoir un mandat et doit être désigné par ses pairs. Elle est une instance de communication (Mabiala Mantuba, 2002, p. 67) qui dédramatise la conflictualité au moyen des proverbes, des contes, des paraboles, des symboles et des chansons.

L’organe «palabre» peut être considéré comme fondé sur la tradition africaine. Elle est un espace public de discussion qui fonctionne comme un système de coopération au sein duquel les membres de la société opèrent ensemble. La raison d’être de la «palabre» n’est pas la sanction ou la justice mais de renouer la relation au sein des organes de l’État afin de faire triompher l’harmonie et la paix. La présence de l’organe «palabre» se nécessite du fait qu’une société multiethnique et multipartite comme le Congo ne peut éviter le conflit. Néanmoins, ce dernier ne doit pas être source de blocage du fonctionnement de l’État mais doit plutôt contribuer à son progrès. De ce fait, il est important qu’un de ses organes poursuive la réconciliation permanente comme son objectif.

La «palabre» permet d’arrêter l’usage stérile ou négatif de la violence par la discussion et le symbolisme du sacré (Bidima, 1997, p. 20). Il fait disparaître l’État jacobin au profit d’un État qui reconnaît et intègre les particularités, la diversité en son sein. La spécificité de la «palabre» nécessite la réhabilitation du pouvoir traditionnel, incarnation de la sagesse et du symbolisme africain. À ce titre, un chef coutumier entouré de ses paires peut prendre la direction de cet organe avec l’assistance de quelques intellectuels. Ces derniers ont pour fonction de traduire dans le langage moderne (écrit) les pensées et les discours de ces chefs coutumiers, étant donné que la tradition africaine est basée sur l’oralité.

Nous pensons qu’à travers ces différentes participations des ethnies dans le fonctionnement de l’État, les ethnies deviendront moins agressives pour se transformer en facteur de consolidation de l’État. L’ethnicité devient, de ce fait, un instrument positif de développement. Cette répartition fonctionnelle du pouvoir doit s’accompagner de la répartition géographique du pouvoir. Cette répartition concomitante permet aussi d’éviter les frustrations en faisant participer les ethnies à l’exercice du pouvoir au niveau local. La division géographique du pouvoir peut nécessiter l’instauration du fédéralisme ethnique pour satisfaire l’exigence des ethnies. Mais cette forme de l’État ne nous paraît pas adaptée au Congo dans les circonstances actuelles. Le débat sur les compétences entre les entités territoriales locales et le gouvernement central qui a ancré le clivage politique fédéralisme-unitarisme à la table ronde et à la conférence nationale domine les positions politiques des acteurs congolais. Les conséquences de la manipulation politique de l’ethnicité (sécession, rébellion, clientélisme, …) n’encouragent pas l’option fédéraliste pour le Congo au stade actuel. Toutefois, la décentralisation réelle et effective peut permettre aux ethnies et régions d’exercer certaines compétences tout en étant attachées à l’État.

L’autonomie des entités n’exclut pas le contrôle hiérarchique et de tutelle de l’État ainsi que le contrôle juridictionnel des administrés. Tenant compte de l’histoire politique du Congo, la décentralisation offre de meilleures garanties de consolidation de l’État que le fédéralisme. En effet, l’autonomie des entités s’applique uniquement vis-à-vis du pouvoir exécutif, contrairement à l’autonomie fédéraliste qui s’exerce sur les trois pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire) de l’État. En outre, les compétences des entités territoriales décentralisées sont d’ordre purement administratif alors que le fédéralisme accorde aux entités des compétences étatiques constituantes.

De ce qui précède, le fédéralisme ne semble pas indiqué comme forme pouvant permettre aux ethnies de réédifier l’État au Congo. Il leur fournirait plutôt toutes les capacités de consacrer sa désagrégation ou son effondrement définitif. La décentralisation est avantageuse dans le contexte du Congo. Elle permet aux communautés ethniques de participer à la gestion locale de leurs entités tout en les empêchant d’en faire des no man’s land (Ngoma Binda, 1991, p. 256) au sein de l’État. La participation des ethnies à la gestion territoriale de l’État ne passe pas toujours par le fédéralisme, la décentralisation bien appliquée peut aussi encourager cette participation.

Conclusion

Pour terminer cette réflexion, il est utile de retenir que la diversité ethnique du Congo s’est souvent présentée en opposition à l’État à cause de sa non-acceptation formelle dans les structures de l’État. Rejetée formellement comme source de division, l’ethnicité est appliquée dans l’informel par les hommes politiques pour fidéliser les citoyens à leur autorité ou pour conquérir le pouvoir. Cette manipulation de l’ethnicité à des fins politiciennes produit souvent des conséquences néfastes à l’existence et au fonctionnement de l’État. Elle justifie pour une large part les survivances des tensions et des rébellions dans certaines parties du territoire national.

Nous avons pensé au cours de cette réflexion que l’ethnicité peut devenir un instrument important au renforcement de l’État, seulement si elle est bien intégrée. En tant qu’instrument, elle n’est pas que mauvaise. Ses effets sont fonction de la manière dont elle est utilisée dans le fonctionnement de l’État. Sa reconnaissance formelle est la voie obligée que le Congo doit suivre s’il veut tirer profit de cet instrument redoutable à sa disposition. Au cas contraire, l’ethnicité remettrait constamment en cause l’existence de l’État pour apparaître comme un facteur de tension.

Nous retenons que la reconnaissance de l’ethnicité peut se faire par l’organe «palabre» qui donne une certaine importance à l’autorité traditionnelle, et par le Sénat qui regroupe les représentants régionaux ou ethniques. Cette instrumentalisation formelle de l’ethnicité encourage l’émergence d’un régime sui generis dans le fonctionnement de l’État. Étant à sa première expérience, ce régime ne peut s’appliquer dans la forme fédérale de l’État. La décentralisation lui permettrait de mieux se consolider et d’empêcher toute manipulation négative de l’ethnicité (à des fins politiciennes).

La division fonctionnelle et géographique du pouvoir qui sait intégrer l’ethnicité peut permettre à l’État congolais de s’édifier de nouveau et de se consolider, tout au long de cette troisième République à laquelle il se prépare depuis de nombreuses années. La nouvelle Constitution (2005) telle qu’amendée peut l’aider à se lancer sur cette voie spécifique à sa réalité sociale et historique. L’ethnicité comme épreuve peut ainsi être surmontée par son incorporation formelle au fonctionnement de l’État.

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Pour citer cet article

Guy Aundu Matsanza, «La nouvelle édification de l’État à l’épreuve de l’ethnicité : esquisse de solutions pour la République Démocratique du Congo», Fédéralisme Régionalisme [En ligne], Volume 5 : 2004-2005 – La IIIe République Démocratique du Congo, URL : https://popups.uliege.be/1374-3864/index.php?id=207.

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