Jules Mutebusi et Laurent Nkunda à Bukavu : guerre sans fin, salut inespéré

Mi-mai 2004, la rumeur d’une guerre de réunification des «Rwandophones» persiste dans la ville de Goma demeurée, malgré les accords de Sun City,  le quartier général de la branche armée du RCD. Des familles se bousculent devant les guichets des compagnies aériennes pour obtenir de la place à bord du premier appareil qui décolle pour Kinshasa.

Des signes avant-coureurs

Déjà en février 2004, les signes d’une rupture avec le gouvernement de 1+4 sont déjà à leur point culminant.  Certains membres du RCD se retirent de l’Assemblée nationale et rejoignent Goma. Le gouvernement de transition est violemment critiqué par les faucons du RCD pour non-respect des accords de Sun City et menacent de les faire voler en éclats. Ils accusent le vice-président Azarias Ruberwa et les politiques du RCD membres du gouvernement de transition de Kinshasa d’avoir «trahi» l’idéal du RCD, celui – semble-t-il – de prendre le pouvoir à Kinshasa, et non de le partager.

Joignant la parole à l’acte, aucun responsable politique, administratif ou militaire d’une autre composante que le RCD n’est accepté dans son espace.  Ils sont accueillis avec froideur ou carrément ignorés.  Le général de Brigade Mufu Kiyana de l’ex-mouvement May Mai, commandant en second au général Obed Rwabasira de l’ex-branche armée du RCD, en fait les frais. Il n’est pas le bienvenu dans la 8ème Région où la défense de la province est assurée par une structure d’autodéfense populaire (TPD) du gouverneur Eugène Serufuli, composée essentiellement de jeunes d’origine rwandaise de Masisi et Rutshuru. Ils sont mieux entrainés et mieux équipés que le reste des troupes du RCD du Nord-Kivu. Mufu Kiyana part sur la pointe des pieds après deux semaines dans son poste au Nord-Kivu pour ne plus revenir.

Ciribanya défie Nabiolwa

A Bukavu, la tension est électrique entre le gouvernement provincial dirigé par Ciribanya nommé récemment par Kigali et le général de Brigade Prosper Nabiolwa commandant de la 10ème Région militaire, un béret vert ex-FAZ natif du Sud-Kivu. Dans une réunion convoquée à l’hôtel Orchid par le ministre de l’Intérieur, Théophile Mbemba Fundu  en mission à Bukavu pour calmer le jeu, le gouverneur traite le général avec mépris. Naturellement pour plaire à son commandant en second le colonel Jules Mutebutsi présent en ce lieu et à ses maîtres.

En effet, mêlée à la sécurisation de la ville contre les infiltrations extérieures, la population attachée au gouvernement de Kinshasa et farouchement opposée au RCD, découvre çà et là dans la ville des caches d’armes; souvent à l’intérieur des maisons d’habitations. Durant cette courte période et particulièrement tendue, le général Nabiolwa essuie plusieurs fois des balles dans sa jeep Land rover.

Le 23 février 2004, pour réclamer la libération du major dit Kasongo, transféré à Kinshasa après la découverte d’une cache d’armes dans sa villa, Mutebutsi fait mitrailler la résidence de Nabyolwa, alors que ce dernier était censé s’y trouver et ceci, après que les soldats commis à sa garde ait été sauvagement tués. Nabyolwa disparait alors des radars. Les jours suivants, une fouille systématique des soldats de Mutebusi est menée dans la ville et dans les couvents pour retrouver le général. Les coins et recoins sont passés au peigne fin sans succès. La Monuc elle s’implique dans la traque, Dieu seul sait au nom de qui. Le commandant second de la 10ème Région militaire, le colonel Jules Mutebusi reste le seul maitre de la ville de Bukavu.

Félix Budja Mabe, le chouchou des Bukaviens

Le remplacement de Prosper Nabiolwa se fait pres qu’automatiquement. Il est assuré par un compagnon d’armes et d’écoles,  le général Felix Budja Mabe, un nom qui fait froid dans le dos des autorités locales mais fait jubiler la population. Un mariage est né entre le général Félix et la population avec laquelle il fait son jogging matinal. L’étincelle qui met le feu à la case part d’une causerie morale tenue au camp Saïo par le général Félix Budja Mabe au cours de laquelle il interdit aux soldats de traverser la frontière pour aller au Rwanda.

Illico, il demande aux soldats qui ne se reconnaissent pas comme des FARDC de quitter le territoire et de rester définitivement au Rwanda. C’est alors que le colonel Mutebusi surgit, deux heures après le début de cette causerie morale et se voit éconduit pour sa désinvolture avec son convoi de deux camionnettes bourrées de militaires commis à sa garde et armés jusqu’aux dents. La présence à Bukavu de ce breveté d’Etat-major de Saint Cyr en France et instructeur permanent du centre de formation commando de Kota Koli finit par mettre dans l’ombre le jeune sous-lieutenant de l’EFO Kananga devenu colonel par la rébellion du RDC.

L’étincelle fatale

Alors que les nouvelles circulent de bouche à oreille d’une attaque le vendredi, c’est le mercredi 26 mai à 15 heures que le colonel Mutebusi se voit empêché par des militaires de l’armée congolaise de traverser la frontière pour se rendre au Rwanda en application de la consigne du Général. C’est le début du déclenchement d’une guerre urbaine à l’arme lourde et légère qui va durer pendant 24 heures dans les quartiers résidentiels de la commune d’Ibanda à Ndendere, Nguba et Muhumba habités par les Banyamulenge. Félix Budja Mabe n’a qu’une petite poignée de soldats loyalistes qui bénéficient de l’appui des Mai-Mai pour repousser la progression des mutins du colonel Mutebusi jusqu’à la frontière de la Ruzizi après 24 heures de combats

Les troupes du contingent indien de la MONUC basé à Bukavu s’interposent à partir de la place Mulamba pour obtenir une zone tampon permettant d’évacuer les personnes qui veulent se réfugier soit au Rwanda ou dans son quartier général situé à Muhumba.
C’est le même vendredi 26 juin qu’un millier de soldats rwandophones du TPD commandé par le général autoproclamé Laurent Nkunda quittent Goma pour “sauver les Banyamulenge”, tutsi installés au Congo et au départ du conflit armés par le Rwanda, dont on dit dans les médias occidentaux qu’ils sont victimes d’un génocide dans la ville de Bukavu.

Entre temps, le bateau “Général Mulamba” a quitté Goma embarquant en même temps  une cargaison d’armes et de munitions pour le ravitaillement. Aussitôt arrivé au port de Bukavu, elle  est saisie par les forces loyalistes qui contrôlent encore la grande partie de la ville.  Le premier choc frontal entre les soldats de Nkunda et les FARDC se passe après 2 jours de route à Katana à 50 km de la ville de Bukavu avant d’atteindre la cité de Kavumu,  non loin de l’aéroport éponyme où il installe son quartier général. A la faveur d’un débordement de ses troupes par les montagnes de Kabare, la prise de Bukavu n’est plus qu’une question d’heures.

Comme un couteau dans le beurre

Les premiers soldats de Laurent Nkunda sont signalés dans la ville le 3 juin 2004 alors que la ville est désertée de toutes les forces armées de Félix Budja Mabe. Les soldats des forces spéciales de l’armée rwandaise lourdement armées resteront omni présentes dans les coins stratégiques de la ville. Entre temps, le président de la République Joseph Kabila a obtenu les assurances du président Français Jacques Chirac. Il ordonne un repli vers l’ouest afin d’éviter un bain de sang et de donner un prétexte d’une légitime défense aux assaillants. Un ordre auquel le général Félix  s’oppose dans un premier temps: «Je n’ai jamais porté l’uniforme pour une rébellion, je suis un militaire professionnel; j’ai obéi aux ordres du Commandant suprême», confie-t-il  plus tard.

Nkunda et Mutebusi  violent et pillent Bukavu

Les rebelles soutenus par l’armée Rwandaise, entrés dans la ville comme un couteau dans du beurre, se sont livrés à des viols systématiques des femmes dans les quartiers résidentiels de la commune d’Ibanda de sorte que la meilleure manière de leur exprimer de la compassion fut de ne pas leur rendre visite dans des hôpitaux afin de préserver leur dignité. Les coffres des banques sont vidées et les véhicules emportés. Tout le butin prend la direction de la ville voisine de Kamembe où une voiture revenait à 300 $, le reste du butin est chargé dans le bateau Général Mulamba trainant derrière lui un petit bateau de guerre de la 10ème Région militaire. Le grand marché de Kadutu est également pillé puis incendié au napalm. Aucun communiqué de presse à la radio n’a été diffusé pour informer sur le nouveau  statut politique de la province. Seulement des tracts reprenant des listes du nouveau gouvernement sont placardés en divers lieux. Les noms qui y apparaissent sont en majorité d’anciens membres du gouvernement provincial qui s’étaient réfugiés à Kamembe où,  faute d’argent, ils ont échangé les véhicules de luxe de fonction contre les factures d’hôtel.

Un concours d’incidents sauvent Bukavu

1. Dans cette hargne barbare d’humiliation de la femme congolaise, deux filles européennes trouvées dans leur domicile et œuvrant pour une organisation non gouvernementale internationale de renom furent violées par les nouveaux occupants. On dit que l’une d’elles ayant constaté qu’elle avait été par la même occasion contaminée du SIDA, aurait tenté de se suicider. Cet incident a fait beaucoup de bruits qu’il avait émoussé gravement l’image des Banyamulenge.

2. La chute de la ville de Bukavu aux mains du général Nkunda présenté comme un libérateur des Banyamulenge par la presse internationale est relayée en boucle. Elle est suivie à travers toutes les villes du pays. Des marches de colère et de protestations contre une Mission des Nations Unies au Congo (MONUC) partisane et donc incapable de protéger les accords fraichement signés à Sun City par les parties belligérantes sous l’égide de la Communauté internationale sont organisées. Son quartier général à Kinshasa est incendié. Le représentant du SG de Nations Unies au Congo l’Ambassadeur William Swing est obligé de se réfugier au Congo-Brazzaville.

3. Loin de là, à 8000 km de Bukavu, le président Français Jacques Chirac suit de près le déroulement des événements de l’Est. Il commémore l’anniversaire du débarquement des troupes américaines en Normandie, un événement historique majeur pour sauver les alliés contre l’occupation allemande et qui déclenche la défaite du fascisme Nazi. Il profite de ce soulèvement spontané de tout un pays qui s’oppose comme un seul homme contre la prise de la ville de Bukavu, non seulement pour remettre la France dans un dossier où elle a été exclue à cause d’une complicité supposée dans le génocide des Tutsi en 1994 et contredire la thèse rependue par certains apologistes du colonialisme belge que la RDC est un conglomérat des tribus éparses qui ne peuvent pas construire une nation parce qu’elles n’ont rien de commun entre elles.

«Voyez-vous ce qui ce passe?», dit-il, en s’adressant à ses hôtes de marques savoir le premier ministre Britannique Tony Blair et le président des USA Georges J Bush qui soutiennent la rébellion en RDC. Il propose et obtient de ses hôtes le Pakistan comme pays qui doit fournir un contingent de paix en remplacement du contingent indien accusé ouvertement de complicité avec les mutins de Bukavu et chahutés par les populations du Nord et du Sud-Kivu. Il propose également et obtient la mise sur pied d’une opération Artémis de la légion d’honneur française pour pacifier l’Ituri.

Une fin inespérée

Le général Félix Budja Mabe rentre en triomphe sous les cantiques religieux de délivrance à la gloire de Dieu, dans une ambiance jamais vécue dans la ville de Bukavu. Les troupes de Laurent Nkunda sont repoussés  jusqu’aux portes de Goma tandis que ceux de Jules Mutebusi ont pris la direction du Sud. Ils investissement  la cité de Kamanyola où ils sont également repoussés jusque dans la ville rwandaise de Bugarama après 5 jours de combats. Jules Mutebusi reconnait sa défaite à partir du Rwanda avec ses hommes, et se rendent, … au gouvernement Rwandais.

Pour aller plus loin

  1. AMNISTY INTERNATIONAL. “République Démocratique du Congo: Le flux d’armes à destination de l’est”, DOCUMENT PUBLIC, Londres, 5 juillet 2005, AFR 62/006/2005 – ÉFAI.
  2. Nations Unies, Communiqué de presse, CS/2696: “Le conseil condamne la prise de Bukavu par les forces du RCD-Goma, et met en garde les états voisins contre les conséquences d’un soutien aux rebelles”. 7 juin 2004

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