Affrontement Est-Ouest, 1950-1991 : le monde sous la menace nucléaire

La maîtrise de l’arme atomique par les Etats-Unis en 1945, puis par l’URSS en 1949, place le monde sous la menace permanente d’un conflit destructeur. Chacun des deux pays possède la capacité d’anéantir son adversaire, de le rayer de la carte. La tension nucléaire atteint son point culminant en octobre 1962, lors de la crise des missiles de Cuba : pendant quinze jours, la planète paraît au bord du précipice.

JPEG - 92.3 koFidel Castro entouré de militaires cubains. Photographie d’Elliott Erwitt, 1964. © Elliott Erwitt/Magnum Photos.

En 1952, le président américain Dwight David Eisenhower affirme que son objectif n’est pas seulement d’«endiguer» mais de «refouler» (roll back) le communisme. Quant aux successeurs de Joseph Staline, ils vont compter sur la détente internationale pour atténuer la pression qui pèse sur la société soviétique. En 1956, le chef du Parti communiste, Nikita Khrouchtchev, évoque même la possibilité d’une « coexistence pacifique » entre les deux systèmes rivaux.  L’armement nucléaire s’est imposé dans les stratégies militaires, aux Etats-Unis (doctrine des représailles massives en 1954, de la riposte graduée en 1962) comme en URSS (doctrine Sokolovski entre 1955 et 1958). Mais l’extension démesurée des complexes militaro-industriels et le risque d’une prolifération nucléaire – le Royaume-Uni se dote de la bombe atomique en 1952, la France en 1960 – obligent les superpuissances à dégager ensemble les moyens d’un contrôle renforcé. Khrouchtchev rencontre Eisenhower aux Etats-Unis en septembre 1959, puis John Fitzgerald Kennedy à Vienne en juin 1961. Mais chacun des protagonistes reste obsédé par le renforcement de son potentiel militaire.

30 000 têtes opérationnelles

En 1960, Kennedy dénonce l’écart séparant les Etats-Unis de l’URSS en matière de missiles nucléaires (missile gap). Engagés dans une course aux armements irrationnelle, les deux pays en viennent à entasser les têtes nucléaires dans des silos. Dans les années 1960, Washington entretient jusqu’à 30 000 têtes opérationnelles… Quant aux progrès de l’observation aérienne américaine en 1954-1956, ils poussent les Soviétiques à renforcer leurs réseaux d’espionnage. Par ailleurs, l’entrée massive à l’Organisation des Nations unies (ONU) des anciens pays colonisés et l’amorce du mouvement des non-alignés en 1961 (lire p. 126) limitent la maîtrise américaine des institutions internationales. De son côté, le conflit entre la Chine et l’Union soviétique, amorcé dès 1960, montre que les Soviétiques peuvent être concurrencés dans leur propre camp. Les négociations entre les Etats-Unis et l’URSS sont entrecoupées de tensions. C’est le cas en mai 1960, quand un avion espion américain est abattu dans l’espace aérien soviétique ; en 1961, pendant la seconde crise de Berlin ; et surtout en 1962, à l’occasion de la crise des missiles de Cuba.

“L’échec du débarquement de la baie des Cochons rapproche Cuba de l’Union soviétique”.

En janvier 1959, le révolutionnaire Fidel Castro et ses guérilleros renversent le dictateur cubain Fulgencio Batista, puis installent un gouvernement national radical qui déconcerte les Soviétiques eux-mêmes. La réforme agraire et les nationalisations provoquent la méfiance croissante des officiels américains, qui, dès l’été 1960, envisagent de renverser le nouveau régime. L’année suivante, en avril, la Central Intelligence Agency (CIA) organise un débarquement d’émigrés cubains anticastristes. Son échec rapproche Cuba de l’Union soviétique.

En 1962, Castro et Khrouchtchev s’accordent sur l’installation dans l’île de missiles nucléaires de moyenne portée, capables d’atteindre le sol américain. Les Soviétiques entendent à la fois protéger Cuba et faire pression sur les Etats-Unis dans les négociations sur l’armement. Or Kennedy décide de mettre en place un blocus militaire et menace d’utiliser la force contre les navires soviétiques en route pour La Havane. Malgré la demande cubaine de maintien des missiles, Khrouchtchev ne veut pas courir le risque d’un conflit nucléaire. Les cargos font demi-tour et les missiles sont retirés, contre la promesse américaine de renoncer à toute intervention armée contre Cuba. Khrouchtchev apparaît alors comme le perdant, ce qui fragilise sa position en URSS, affecte l’influence soviétique dans le tiers-monde, pousse les Cubains vers une stratégie de guérilla en Amérique latine et accentue le schisme sino-soviétique. La crise conduit surtout les Deux Grands à codifier la méthode de leur coexistence armée. L’heure est à la « détente », et le « téléphone rouge » entre Moscou et Washington en devient le symbole.

Manuels scolaires cubain et canadien

La crise des missiles de Cuba fait toujours débat. A La Havane, les manuels d’histoire dénoncent l’agressivité des Etats-Unis (1). Au Canada, fidèle allié américain, les livres de classe pointent plutôt la responsabilité de Fidel Castro et de l’URSS (2).

1. L’échec du débarquement de la baie des Cochons suggère aux États-Unis que le seul moyen d’écraser la révolution cubaine est une intervention militaire directe. Le 25 avril 1961, Washington décrète un embargo sur Cuba, y compris pour les produits déjà achetés et stockés dans les ports américains. Les groupes engagés dans le sabotage, l’espionnage et la subversion multiplient leurs actions. Les Etats-Unis apportent leur soutien à des bandes armées. Ils essaient d’assassiner Fidel Castro et d’autres leaders de la révolution cubaine. (…) Le 29 mai 1962, l’URSS propose de déployer des missiles de moyenne portée à Cuba. Le pays accepte, car cela permet de renforcer le bloc socialiste et la sécurité de Cuba.

2. En 1959, des troupes conduites par Fidel Castro installent un régime militaire corrompu à Cuba et lancent une révolution socialiste. L’administration Kennedy appuie une expédition militaire pour affaiblir Castro en 1961, mais celle-ci est repoussée dans la baie des Cochons. Dans la foulée de cette tentative d’invasion, des missiles soviétiques sont envoyés à Cuba. Toujours irrité par l’échec de la baie des Cochons et déterminé à préserver l’Occident du communisme, Kennedy demande aux Soviétiques, en octobre 1962, de retirer leurs missiles.

José Cantón Navarro, Historia de Cuba. El desafi o del yugo y la estrella, Editorial SIA-MAR, 2000 ; Alvin Finkel (sous la dir. de), History of the Canadian Peoples : 1867 to the Present (vol. 2), Copp Clark Pitman, 1993.

Roger Martelli, Historien, ancien professeur d’histoire-géographie au lycée Darius-milhaud du Kremlin-Bicêtre. Auteur de l’Empreinte communiste. PCF et société française 1920-2010, Editions sociales, 2009.

Aller plus loin :

Néocolonialisme et impérialisme : l’action secrète des États-Unis pendant la crise du Congo

Pendant la guerre froide, en en pleine Crise du Congo, les décideurs américains ont...

L’Empire américain au Congo : l’assassinat de Patrice Lumumba

Dans le discours officiel, les États-Unis étaient confrontés à un danger immédiat lié à...

Dette publique, néocolonialisme financier et alternatives par l’Afrique

Un nouveau type d'appareil institutionnel qui favorise la coopération, plutôt que la concurrence, est nécessaire pour la libération économique de l'Afrique et celle du Tiers-Monde plus généralement.

L’Afrique et la nouvelle guerre froide: le développement de l’Afrique dépend de la propriété régionale de sa sécurité

Article de Hippolyte Fofack. Source: The Brookings Institution.   Les conséquences dévastatrices de la crise de...

Crise congolaise et intervention des Nations Unies

Contexte L'Opération des Nations Unies au Congo ou ONUC de juillet 1960 à juin 1964...

La nature de la guerre froide en Afrique (Cas de l’Égypte et du Congo)

La guerre froide en tant que concept de la politique internationale contemporaine est généralement...

L’effondrement du Zaïre et l’avènement de Laurent-Désiré Kabila

Cet article propose une analyse des maux politiques, économiques et sociaux des dernières années...

Après Nancy Pelosi, une délégation du Congrès américain arrive à Taïwan, Pékin réagit

La présidente Tsai Ing-wen a reçu une délégation américaine dirigée par le sénateur Ed Markey. Elle s'est engagée à "approfondir les liens de Taïwan avec le monde démocratique".

L’Occident ressuscite la théorie du «Rimland» pour contenir la Chine et la Russie

Le monde politique international est actuellement en choc, en crise, en tremblement. C'est bien parti pour une nouvelle guerre froide. C'est maintenant clair pour tout le monde : c'est la lutte à mort qui se profile pour qui règnera sur le monde.