L’Héritage Colonial : la colonisation n’était pas indispensable au développement

Le fait colonial et son idéologie ont fourni un cadre de production et de diffusion structurant — sinon écrasant — aux représentations de l’Afrique et des Africains en Occident. Leur impact sur une longue amnésie postcoloniale est cependant difficile à mesurer. Cette réflexion pose la question de l’influence des legs des puissances européennes, pris à la fois d’une manière générale et dans certaines catégories de colonies, plus particulièrement le Congo Belge, sur le développement économique postcolonial en Afrique. La conclusion est sans équivoque : la colonisation n’était pas indispensable au développement, et elle serait même l’inverse dans une très large mesure.

Adaptation d’un extrait de Congo. 1945-1965. La fin d’une Colonie”, Jef Van Bilsen,  CRISP. Bruxelles. 1994.


Il est hors de doute que la colonisation moderne, celle du XIXe siècle, a marqué les anciennes colonies de son empreinte. L’héritage colonial a-t-il été positif ou négatif? Son influence a-t-elle pénétré profondément la société, et s’est-elle avérée durable? Sans doute est-il beaucoup trop tôt pour faire déjà un bilan. Cela étant, on concassée de considérables différences entre les anciennes colonies d’Asie et celles d’Afrique noires, ou encore entre le NPI (nouveaux pays industrialisés) comme notamment la Corée du Sud, Singapour, Taiwan, la Malaisie (les pays où s’installent les multinationales occidentales à la recherche des travailleurs à bas salaries).

Depuis la décolonisation, on peut y observer un véritable «take off» (décollage) économique. Certains pays décolonisés ont mieux assimilés que d’autres les réformes introduites par la métropole: c’est la cas de l’Inde, du Pakistan, du Sri Lanka jsu’aà la guerre civile, de l’Indonésie, du Maroc et d’autres pays du Maghreb. Dans ces pays, le colonisateur du XIXe sicle a moins touché à l’infrastructure civile et culturelle locale, ou l’a moins dégradée. Ces pays, au cours de la première vague de colonisation des XVIe et XVIIe sicle, avaient été des partenaires des colonisateurs.

Pour évaluer l’héritage de l’aventure coloniale, on pourrait notamment courir à trois critères:

1. Dans quelle mesure le colonisateur a-t-il pourvu au développement du territoire colonial par opportunité et par intérêt, et dans quelle mesure les intérêts de la population indigène ont-ils été pris en compte? En d’autres termes: dans quelle mesure le colonisateur a-t-il servi exclusivement ou principalement ses propres intérêts nationaux et s’est livré à un véritable «pillage» colonial?

Les voiries, les chemins de fer, la navigation fluviale et maritime, les centrales électriques, les hôpitaux et les battissent scolaires sont des ouvrages d’infrastructures extrêmement périssables qui, sans entretien, sont condamnés à ne plus pouvoir être utilisés après un certain temps. En stimulant la culture des produits destinés à l’exportation (coton, huile de palme, riz, autant de produits achetés à bon prix par la métropole pour y être transformés), on nuit au développement la colonie. Seule ma métropole en profite. Ryckmans a clairement expliqué ce phénomène dans son discours d’adieu en juillet 1946: les investissements étrangers en terme d’infrastructures économiques (mines, plantations, fabriques) n’enrichissent que le colonisateur.

De même le réinvestissement de ces profits n’est d’aucun bénéfice au territoire colonial aussi longtemps que les profs réalisés grâce à ces investissements sont recueillis, à leur tout, par des capitaliste européens ou étrangers. La colonie, affirmais Ryckmans, doit pouvoir se constituer son propre capital afin que le profit ainsi réalisé enrichisse à son tout le patrimoine du territoire coloniale ou la population indigène prise dans son ensemble.

Développer un territoire coloniale au bénéfice de ses habitants exige en premier ledit que l’on crée un marché intérieur, une production intérieure et une richesse intérieure. La création d’un marché intérieur peut être assimilé à la mise en place d’une économie isolée et fermée, dépourvue d’exportations: elle constitue un système économique reposant sur une forte structure intérieure laquelle – une fois sa position renforcée – exporte des biens qui sont vendus à des prix convenables.

2. Le deuxième critère et la formation des personnes scolarisées, de cadre intellectuellement et techniquement qualifiés, expérimentés et compétents, et d’une classe moyenne d’entrepreneurs et de commerçants. Les puissances coloniales qui ont mené une politique vigoureuse en cette matière comme la Grande-Bretagne, la France et les Etats-Unis (notamment aux Philippines) ont fourni une contribution importante et positive au développement de leur territoire coloniaux. Il est vrai qu’ils n’étaient pas seulement soucieux, en l’espèce, du bien-être de la population indigène : ils veillaient aussi à leur propre expansion cultuelle – comme la France – ou envisageaient la formation des cadres pour des raisons de pure opportunité, comme les Britanniques pour leur immense empire colonial.

Former un personnel intellectuellement et techniquement qualité, susceptible d’acquérir une certaine expérience par l’exercice de fonctions de responsabilité est, avec l’alphabétisation de la masse, le principal investissement auquel puisse procéder un gouvernement coloniale. La formation d’hommes est une réalisation durable, aussi longtemps que chaque génération transmet à la suivante les connaissances ans acquises. Elle garantie la durabilité de la contribution qu’une période coloniale apporte au développement d’un pays.

3. Le troisième critère se rapporte au degré d’isolement dans lequel le colonisateur ont maintenu les territoires qui dépendaient d’eux. Les puissances coloniales ont toutes eu tendances à maintenir leurs zones de dépendance autant que possible, dans l’isolement par rapport au monde extérieur, à l’exception de la métropole. Faute d’une libre circulation des personnes et des biens entre les pays voisins et les colonies, celles-ci ne pouvaient pas apprendre grand-chose l’une de l’autre, ni se concerter. Les relations commerciales entre les territoires coloniaux ont notoirement été peu importantes, suroit là où les les territoires coloniaux dépendaient de différentes puissances colonisatrices. Certes, il y eut des tentatives positives de collaborations régionale entre territoires coloniaux, mais elles se circonscrivaient en générale à des formes de concertation entre les représentants des administrations coloniales de chacun d’eux.

L’isolement culturel fut rompus par des pays comme la Grande Bretagne et la France, ceux-ci ont eu pour politique de veiller à la formation intellectuelle d’indigènes doués, accueillis dans les universités européennes. Les universités britanniques et françaises ont dès lors joué un rôle important dans la constitution de rations culturelles et politiques entre les élites des différent territoires coloniaux ainsi qu’entre personnes provenant des régions éloignées d’une même colonie comme le Nord et le Sud de l’Inde, la Rhodésie du Nord et la Rhodésie du Sud, on encore l’Est et l’Ouest du Nigéria.

La colonisation a eu un aspect positif : les colonisateurs ont mis les territoires coloniaux en liaison avec le commerce mondial et, ce faisant, avec l’évolution technologique dans le monde entier. La colonisation a tiré des continents et des sous-continent entiers de leur isolement traditionnel face au commerce mondial dans son ensemble. Mais il en faut pas exagérer l’importance de ce facteur. Les puissances coloniales, en effet, ont strictement monopolisé le commerce entre leurs territoires coloniaux et le marché mondiale et l’ont dérivé par des canaux d’importation et d’exportation qui leur étaient spécifiques.

Les nouveaux états – les anciens territoires coloniaux – ont du attendre la décolonisation pour pouvoir se concerter entre eux à propos de leurs intérêts propres et de leur parce sur la scène internationale; alors seulement ils ont pu constater qu’ils avaient des intérêts communs et échafauder une stratégie commune. C’est le chemin, long et frustrant, qui conduit à la conférence de Bandoung et du mouvement afro-asiatique à la première conférence mondiale sur le commerce et le développement à Génève en 1964 ainsi qu’à la création du groupe de «77» et du mouvement des pays non alignés à la lutte – essoufflée depuis – pour un nouvel ordre économique international.

La colonisation a, sans nul doute, laissé dans toute l’Asie des tacites profondes et durables, surtout là où une culture ancienne, disposant d’une écriture propre et d’une classe moyenne importante dominant le commerce et l’artisanat, s’est montré disposée à reprendre et à assimiler les innovations et les changements introduits par le colonisateur.

La colonisation n’était pas indispensable au développement

Faut-il démontrer que la colonisation occidentale n’est pas une étape indispensable sur la voie qui conduit au développement des sociétés et des cultures non occidentales ? Nous ne le croyons pas. Les exemples abondent d’ailleurs : il suffit de penser à des pays comme la Chine, la Perse, le monde arabe islamique et la Japon – qui constitue un exemple particulièrement éloquent à cet égard. Mais bien que le Japon ait totalement échappé à la colonisation, il s’est inspiré du modèle de développement occidental.

Des historiens ont montré que c’est en Asie que l’humanité a connu jusqu’au coeur du XVIIe siècle – son développement le plus avancé. Jacques Pirenne (In Les grands courant de l’histoire universelle, Tome III, p. 297) a écrit : Les défaites de la Turquie en Europe eurent une profonde répercussion dans tout le monde musulman où depuis le 16ème siècle elle jouait le rôle de puissance dominante. Depuis le début du 17ème siècle ce fut la Perse, son ancienne rivale, qui lui succéda en cette qualité. Le centre de l’Islam se déplaçait vers l’Asie.

«Au milieu du 17ème siècle, l’Asie tient encore dans le monde une place plus importante que l’Europe. Aux 125 millions d’Européens elle oppose 300 millions d’habitants, l’Inde a plus de 100 millions d’âmes et la chine en a davantage encore.

« Les richesses de l’Asie sont incomparablement supérieurs à celles des États Européens. Ses techniques industrielle présentent un raffinement, une tradition que les métiers ne possèdent pas en Europe. Et le commerce asiatique n’a rien à envier aux méthodes les plus modernes dont usent les trafiquants des pays occidentaux. En matière de crédit, de transfert de fonds, d’assurances, de cartels, ni l’Inde, ni la Perse, ni la n’ont rien à apprendre de l’Europe. Les 10% de la population de la Chine et des Indes vit dans les villes.

Aucune ville européenne – si ce n’est Paris – n’approche d’importance des grandes cités persanes, chinoises, hindoues qui possèdent une bourgeoisie marchande opulente, enrichies par le commerce international, rappelons que Tébriz, en Perse, atteint 550. 000 et Ahmedabad, aux Indes, 900. 000 habitants. Au début du 18e siècle, le « prince » des marchands de Sourate, c’est-à-dire le chef de leur corporation, Virji Vora, laisse en mourant une fortune que l’on peut évaluer à 22 millions de francs or.

«Les cours d’Ispahan, de Delhi, de Pékin, dépassent largement en faste celles des plus grands monarques d’Europe. Aurangzeb qui règne à Delhi de 1658 à 1717 dispose d’un budget de recettes 10 fois supérieur à celui de la France de Louis XIV. Et la cours d’Ispahan, par l’élégance et le raffinement de ses mœurs, par le luxe qu’elle tire de toutes les industries des pays – miniatures, faïencerie, tissage de tapis, de tissus d’or et de soie, orfèvrerie, travail de cuivres et de cuir qui sont à ce moment, en Perse, à leur époque d’apogée – présente au 18e siècle, dans le décor de chatoyant et somptueux de l’architecture personne, d’une variété de rêve, une splendeur inégalée».

Jusqu’au XVIIIe siècle, le commerce entre l’Est et et l’Ouest fut une source d’enrichissements pour la bourgeoisie urbaine des deux parties. L’Europe achetait en Chine, en Inde et dans d’autres pays asiatiques du sucre, des parfums aide épices mais aussi des produits industriels de qualité comme les cotonnades et les tissus de soie et la porcelaine, toutes marchandises de luxe pour les marchés européens de l’époque.

En d’autres Termes, rien ne nous permet de supposer que des pays moins développés n’eussent pas à leur tour fini par trouver – soit par leur propre moyen, soit par des échanges et des contacts avec d’autres civilisations – le chemin consultant au progrès et à la prospérité : l’Égypte, le Maroc, et d’autres pays encore l’ont d’ailleurs démontrés avant l’ingérence coloniale.

Certains pays qui ont échappés à la colonisation du XIXe siècle – souvent des zones-tampons situées entre les sphères d’influence coloniale ou les «possessions» des puissances occidentales – comme l’Éthiopie, la Thaïlande et l’Afghanistan s’efforçaient de se moderniser et cherchaient, à l’étranger, des possibilités d’échanges commerciaux et d’experts.

Nul ne sait non plus comment les civilisations précolombiennes des Mayas, des incas, des Aztèques et les autres cultures indiennes auraient poursuivi leur développement, dans leur isolement continental, si elles n’avaient pas été victimes des découvertes (contacts) hispano-portugaises et d’une colonisation qu’accompagnèrent pilages, meurtres et destructions.

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