Malgré l’appel à la « vigilance » contre les « spéculations » fait par Tharcisse Kasongo Mwema, l’arrestation de François Beya avait alimenter des rumeurs et commentaires à Kinshasa. Une semaine après l’arrestation survenue le 5 février, les informations relatives à l’enquête ouverte contre François Beya furent divulguées au compte-gouttes. L’Agence Nationale de Renseignement (ANR) affirma disposer de « sérieux indices » relatifs à de prétendues « actions contre la sécurité nationale », sans connaître la teneur des faits exacts reprochés, François Beya, surnommé « Fantomas ».
Certains prétendirent qu’il a été victime d’une guerre des clans au sein de la présidence. L’arrestation de ce sécurocrate jusque-là incontournable alimenta également les rumeurs d’un possible remaniement dans le système de Félix Tshisekedi, rumeurs qui n’ont cessé d’enfler depuis la tournée du président congolais au Kasaï début janvier et la mise à l’écart de Jean-Marc Kabund-a-Kabund devenu persona non grata au sein de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), le parti de Tshisekedi, dont il a siégé comme président par intérim. D’autres estimaient que la chute de François Beya était due à sa proximité avec l’ancien président Joseph Kabila, et accréditent la thèse d’un complot visant à déstabiliser la présidence. D’autres, enfin, n’hésitaient pas à faire valoir que l’affaire François Beya n’était qu’un coup monté destiné à justifier un éventuel report des futures échéances électorales.
Un procès pas comme les autres
C’est ce vendredi 3 juin que s’était ouvert, à la Haute cour militaire de la République démocratique du Congo, à la prison centrale de Makala, le procès contre François Beya. Un procès qui intervenait quatre mois après son arrestation et sa détention, d’abord au sein de l’ANR, puis à la prison centrale de Makala, où il avait été transféré le 4 avril 2022. La première audience fut consacrée à l’identification des prévenus et la lecture des faits. François Beya est alors accusé d’avoir «formé un complot contre la vie ou contre la personne du chef de l’État». Il est notamment question d’achat de matériel militaire sans autorisation du ministère de la Défense, des liens entre François Beya et certaines figures controversées de l’ancien pouvoir, ainsi que sa supposée défaillance à livrer au chef de l’Etat des informations relatives à des projets de trahison ou d’espionnage.
En 2021, il se serait rendu à Harare, au Zimbabwe pour y rencontrer en personne le général fugitif John Numbi, l’ancien inspecteur général de l’armée et principal suspect dans l’assassinat de deux défenseurs des droits de l’homme, Floribert Chebeya et Fidèle Bazana. L’auditorat militaire dit soupçonner aussi John Numbi de s’activer au recrutement d’anciens miliciens congolais refugiés en Angola et en Namibie pour renverser le régime en place. L’ancien patron de la sécurité nationale aurait aussi dissimulé, selon l’accusation, l’existence d’un réseau d’infiltration des miliciens Bakata Katanga dans les grandes villes du Katanga. Le procureur militaire retint aussi contre François Beya le fait de s’être abstenu de livrer au président des informations «sur des projets ou actes de trahison ou d’espionnage». En guise d’exemple, la citation à comparaître faisait allusion aux «actes préparatoires de déstabilisation du pouvoir de Kinshasa à partir de la Tanzanie suite à la mutualisation des forces entre la RDC et l’Ouganda». Le procureur parla enfin de propos injurieux qu’auraient tenus François Beya à l’encontre du chef de l’État. Pour cette charge, il disposait des messages audio.
Après le report demandé et obtenu par la défense de François Beya, la prochaine audience fut fixée au vendredi 10 juin, toujours à la prison centrale de Makala. « Nous avons sollicité une remise pour que nous puissions pénétrer d’abord les pièces du dossier et préparer les moyens pour déposer ça à l’audience prochaine« , explique Peter Ngomo, un des avocats qui minimise les faits. « On va affûter nos armes comme on le dit. On va se préparer conséquemment ». L’avocat parla de faits « un peu dérisoires, pas trop grave, à moins qu’on puisse politiser le dossier« . Un point que craint et dénonce déjà le Collectif Free François Beya, un groupe des défenseurs des droits humains, qui redoute l’implication politique dans ce dossier. « Ce que nous, en tant que collectif, nous attendons de la cour c’est un procès équitable », insiste Victor Tesong, porte-parole du collectif. Et de dénoncer à nouveau « l’influence politique qui règne derrière ce dossier ». Victor Tesong insistait alors : « Que la justice fasse réellement son travail. Nous ne voulons pas d’implication politique« .
De la récusation des juges à la liberté provisoire
Lors de l’audience du mardi 12 juillet, les avocats de François Beya avaient récusé les juges au moment où ils s’apprêtaient à entendre leur client pour la première fois depuis le début du procès. Ils affirmèrent que les droits de la défense n’étaient plus garantis pour un procès équitable. Les refus systématiques d’accorder la liberté provisoire à leurs clients malades ont fait déborder le vase. Les avocats de François Beya s’attendaient à ce que les juges se prononcent sur une nouvelle demande quils avaient faites. «Vous sentez dans la position du président et du ministère public qu’ils se donnent des béquilles, c’est de l’antijuridisme. Le président de la haute cour refuse à tout moment de donner la parole aux avocats de la défense », estimait Me John Kaboto.
Les échanges étaient vifs entre juges et avocats. Ces derniers claquèrent la porte, laissant leurs clients sans défense. S’en était suivie la suspension de l’audience et aucune nouvelle date n’avait alors été communiquée. «C’est un procès qui donne l’impression d’être déjà boutiqué, comme pour dire que la messe est déjà dite et qu’on est en train d’attendre juste la communion, ça nous ne pouvons pas cautionner. Depuis que nous avons commencé l’instruction, on ne voit aucun indice de culpabilité, c’est un dossier qui est pratiquement vide et qui fait la honte de notre justice », ajoutait Me John Kaboto.
Par la suite, le procès de François Beya s’était poursuivi le mardi 20 juillet 2022 à la prison de Makala. Les avocats de François Beya dénoncèrent alors la poursuite des audiences avec la même composition qu’ils avaient récusée, selon eux, pour partialité. Au cours d’un point de presse tenu ce même mardi, Maître Jeannot Bukoko, le coordonnateur du collectif des avocats de la défense avait rappelé que lors de l’audience du 10 juin 2022, ils avaient soulevé les exceptions liées à l’incompétence de la haute cour militaire à juger M. François Beya, car selon elle, François Beya étant civil, ne devrait pas être jugé par les juridictions militaires. En plus, pour le conseil de François Beya, le huis clos décrété par la composition visait à cacher la vérité sur les faits reprochés à leur client. Le conseil dénonça en outre le fait que la composition soit « inféodée » à l’ANR pour faire asseoir sa thèse de complot contre François Beya et ses co-accusés. Ce mardi, l’audience ne dura que quelques minutes, la défense continuant à récuser les juges de la composition. L’affaire fut renvoyée au vendredi 22 juillet.
Le mardi 26 juillet 2022, la Haute cour militaire pris acte de la récusation des deux juges. C’est ce qui ressortait de la décision prononcée le mardi 26 juillet par cette juridiction, siégeant en audience foraine à la prison centrale de Makala. Bien avant que la Haute cour ne se prononce sur les moyens de récusation, il gisait déjà au dossier les lettres des magistrats incriminés sollicitant leurs déports, c’est-à-dire leurs retrait dans le dossier en examen.
Dans sa décision, la Haute cour militaire avait reçu les moyens soulevés par la défense tout en constatant les actes de déports des juges mis en cause et écarté ces derniers de la composition en attendant la nomination de nouveaux membres pour statuer dans cette affaire. La Haute cour militaire répondait ainsi à un incident soulevé par les avocats de François Beya, consistant à ce que les juges soupçonnés de partialité, soient écartés de l’examen du dossier. Le procès devrait alors devoir suivre son cours pour aboutir à la décision définitive qui consistera à la condamnation et à l’acquittement des prévenus. Les juges récusés par les avocats de François ont donc été remplacés dans le cadre de ce procès. L’audience de vendredi 05 août 2022 était consacrée à la lecture des procès-verbaux des audiences antérieures pour permettre à la nouvelle composition de mieux faire leur entrée en matière.
Libre provisoirement pour raison de santé
Avec la nouvelle composition, les avocats de François Beya entendaient voir les nouveaux juges accéder à la demande de liberté provisoire pour leur client. La demande faite par les avocats de François Beya a été appuyée par des pièces médicales signées par trois médecins. Face à cette situation délicate présentée par la défense, la Haute cour militaire promit de rendre un arrêt unique sur chaque cas de demande de liberté provisoire de tous les prévenus. Au cours de l’audience du vendredi 12 août, elle a jugé l’état de santé de François Beya « morbide et recommande sa prise en charge urgente ». Séance tenante, la Haute Cour a fait une réquisition à experts au sujet du prévenu François Beya. Elle l’a envoyée au Directeur de prison de Makala.
Ainsi, l’ancien conseiller spécial de Félix Tshisekedi a été envoyé auprès des médecins désignés pour procéder aux examens requis dont le rapport devrait permettre au Tribunal de statuer sur son cas. «L’équipe médicale a fait son travail, concluant à ce que le Collectif dit depuis le début de ce faux dossier : l’état de santé de François Beya est préoccupant. Mais AG Mbelu trop préoccupé à fabriquer des fausses preuves a oublié qu’il était mis à la tête de l’ANR pour l’humaniser…», a réagi le Collectif Free François Beya. C’est dans ce contexte qu’il bénéficie aujourd’hui d’une liberté provisoire.
La Haute Cour militaire vient d’accorder la liberté provisoire à François Beya pour des raisons strictement humanitaires. Bien avant la sentence, le ministère public avait pris acte du rapport médical de l’ex-conseiller en matière de sécurité du Président de la République, Félix Tshisekedi. Selon ledit rapport, l’État de santé de François Beya, accusé pour complot contre le Chef de l’État, nécessite des soins de santé à l’extérieur du pays. Quatre prévenus dans le même procès ont vu leur demande de liberté provisoire rejetée.
François Beya est un ancien agent de l’Agence Nationale de Renseignements de la RDC où il a fait carrière pendant plusieurs années. Ancien chef de la Direction générale de migration (DGM) sous le régime de l’ancien président Joseph Kabila entre 2001 et 2019, il a été nommé Conseiller spécial en matière de sécurité par le président Félix Tshisekedi en 2019. Ce proche de l’ancien président Joseph Kabila a gardé son poste de conseiller spécial en matière de sécurité, à la présidence de la république, malgré la fin de la coalition en 2020 entre Félix Tshisekedi et son prédécesseur, Joseph Kabila.
François Beya a connu presque tous les régimes politiques congolais, du président Mobutu, en passant par les présidents Kabila père et fils ainsi que celui de Felix Tshisekedi. Selon Jean-Jacques Wondo, analyste et expert en sécurité, « Depuis l’arrivée au pouvoir de Tshisekedi, François Beya était incontournable et omnipotent dans les prises de décisions politiques et sécuritaires de Tshisekedi, en plus d’être omniprésent dans toutes les apparitions publiques du Président, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays. Rien ne pouvait quasiment se faire sans passer par lui ».
Ainsi considéré comme l’un des hommes les plus influents de la République Démocratique du Congo, l’arrestation de François Beya le samedi 5 février 2022 avait surpris de nombreuses personnes dans le pays. Sa mise aux arrêts a été une surprise pour beaucoup de personnes. L’arrestation de François Beya avait eu lieu alors que le président Tshisekedi participait à un sommet de l’Union africaine à Addis-Abeba. Sur les raisons, il existerait « d’indices sérieux attestant d’agissements contre la sécurité nationale », avait déclaré le mardi 08 février 2022 le porte-parole de la présidence en RDC, Tharcisse Kasongo Mwema, dans une déclaration lue à la télévision publique (RTNC). Tharcisse Kasongo Mwema avait alors indiqué que des enquêtes étaient en cours mais n’avait pas fourni de détails supplémentaires sur les accusations spécifiques portées contre François Beya.
Quand la chute de François Beya alimentait