Scénarios de fécondité, de mortalité, de migration et de population mondiales à l’Horizon 2100 : enjeux et défis

Selon les résultats d’une nouvelle étude, l’évolution de la taille de la population et l’évolution de la structure par âge devraient diminuer après le milieu de ce siècle dans le monde, ce qui pourrait avoir de profondes répercussions économiques, sociales et géopolitiques dans de nombreux pays.


Il est essentiel de comprendre les schémas potentiels des niveaux de population futurs pour anticiper et planifier l’évolution des structures d’âge, des besoins en ressources et en soins de santé, ainsi que des paysages environnementaux et économiques. Car les schémas de fécondité futurs sont un élément clé de l’estimation de la taille future de la population et ont des implications politiques et économiques énormes, malgré le fait qu’ils sont entourés d’incertitudes substantielles et reposent sur des méthodologies divergentes d’estimation et de prévision.

Généralement, les projections démographiques mondiales sont produites par la Division de la population du Département des affaires économiques et sociales du Secrétariat de l’ONU (PNUD) depuis les années 1950. Pendant de nombreuses années, le PNUD a utilisé un modèle déterministe pour la fécondité, la mortalité et la migration. Des scénarios structurels ont également été calculés en supposant une différence fixe de 0,5 enfant dans l’indice synthétique de fécondité (ISF) pour chaque période et chaque pays. À partir de 2010, le PNUD a adopté un modèle statistique pour l’ISF et l’espérance de vie en fonction de l’année civile et un modèle déterministe pour la migration. Cette combinaison de modèles statistiques pour deux des composantes de la croissance démographique a été utilisée pour générer des intervalles d’incertitude (UI). En ajustant son modèle mondial de reprise de la faible fécondité, le PNUD a exclu les pays à faible fécondité persistante tels que la Thaïlande, la Corée du Sud, le Canada et la Grèce. Estimé de cette manière, le PNUD prévoit que les ISF rebondiront à environ 1·75 dans tous les pays où l’ISF est inférieur au niveau de remplacement (<2·1).

Depuis les années 1990, l’Institut international d’analyse des systèmes appliqués – Wittgenstein Center, des États-Unis, a généré des projections démographiques alternatives. Les prévisions de fécondité du Wittgenstein Center sont un mélange d’opinions d’experts sur les modèles de fécondité futurs et la modélisation statistique. Pour les pays à faible fécondité, ils supposent que l’ISF convergera vers 1,75 en l’an 2200. Le jugement d’expert est également utilisé par le Centre Wittgenstein pour établir des hypothèses de mortalité, de migration et d’éducation futures qui sont combinées à une modélisation statistique pour produire scénarios démographiques futurs. Leur approche hybride ne génère pas d’IU pour les projections démographiques. En tenant compte du niveau d’instruction dans l’évaluation qualitative, Wittgenstein prédit des baisses beaucoup plus rapides de l’ISF en Afrique subsaharienne que celles du PNUD.

Valeur ajoutée de cette étude

La nouvelle étude a été menée par the Institute for Health Metrics and Evaluation (IHME), un organisme basé à Seattle et financé par la fondation Bill et Melinda Gates. Publiée dans le Lancet, elle indique que la population mondiale devrait «décliner dès la deuxième moitié du siècle pour atteindre 8,8 milliards en 2100». «Soit 2 milliards de moins que les projections de l’ONU». En effet, d’après le dernier rapport de l’ONU, «la Terre devrait porter 9,7 milliards d’habitants en 2050 et 10,9 milliards en 2100, contre 7,7 milliards actuellement». Pour l’IHME, un pic sera atteint «dès 2064, à 9,7 milliards de personnes». Dans cette étude, Stein Emil Vollset et al. ont amélioré les prévisions du PNUD et du Wittgenstein de sept manières importantes.

Premièrement, ils ont modélisé la descendance finale à 50 ans (CCF50) plutôt que l’ISF. Le CCF50 est beaucoup moins affecté par le retard de procréation qui se produit à mesure que les femmes deviennent plus éduquées, ce qui conduit la mesure de la période de l’ISF à baisser initialement à des niveaux bas, puis à augmenter. En revanche, la descendance de la génération finale augmente rarement, ce qui rend la modélisation du CCF50 beaucoup plus stable.  Deuxièmement, ils ont modélisé le CCF50 en fonction du niveau d’instruction et des besoins satisfaits en matière de contraception. Ces deux variables expliquent à elles seules 80,5 % de la variance du CCF50 dans le temps et le lieu. Troisièmement, nous avons utilisé le modèle causal pour explorer l’effet de changements plus rapides ou plus lents que prévu dans le niveau d’instruction et les besoins satisfaits en matière de contraception. Ces scénarios, contrairement aux scénarios structurels, peuvent fournir une orientation directe aux débats politiques sur l’impact d’une augmentation plus ou moins rapide du niveau d’instruction ou de l’accès aux services de santé reproductive.

Quatrièmement, ils ont tiré parti du modèle de scénarios de santé future publié précédemment pour la mortalité par cause et toutes causes confondues ; ce modèle permet également de saisir l’effet d’une augmentation plus rapide du niveau d’instruction sur la mortalité. Cinquièmement, plutôt que de supposer des modèles de migration déterministes, ils ont ajusté un modèle de série chronologique avec des covariables (indice sociodémographique, taux de croissance démographique brut et décès dus à la guerre et aux catastrophes naturelles) aux taux nationaux de migration nette. En rendant explicites les voies par lesquelles les modèles de fécondité, de mortalité et de migration peuvent changer, leur modèle est capable d’identifier où les tendances temporelles futures pourraient être différentes des tendances passées. Sixièmement, l’incertitude dans les trois composantes (fécondité, mortalité et migration) a été propagée dans les distributions d’incertitude pour chaque pays et territoire chaque année. Septièmement, ils ont retracé les changements de la structure par âge attendus dans les scénarios de référence et alternatifs sur le produit intérieur brut (PIB) total en utilisant les prévisions publiées précédemment du PIB par adulte en âge de travailler.

Portée de l’étude

Les résultats de cette étude suggèrent qu’en raison des progrès du niveau d’instruction des femmes et de l’accès à la contraception contribuant à la baisse des taux de fécondité, la poursuite de la croissance démographique mondiale tout au long du siècle n’est plus la trajectoire la plus probable pour la population mondiale. En revanche, la population mondiale pourrait culminer juste après le milieu du siècle et décliner considérablement d’ici 2100. L’origine de cette chute : «en grande partie » le recours à la contraception « qui va faire baisser le taux de fécondité à 1,66 enfant par femme en 2100 contre 2,37 aujourd’hui» selon l’Institut. Ainsi, d’après l’étude, «dans 183 pays sur les 195 étudiés, ce taux tomberait d’ici 2100 sous les 2,1 enfants par femme», c’est-à-dire la valeur permettant de «maintenir la population sans apport migratoire».

La différence dans les prévisions démographiques entre le scénario de référence et les prévisions du PNUD est de 1/3 en raison de la baisse plus rapide de la fécondité en Afrique subsaharienne et de 2/3 tiers en raison du niveau inférieur d’ISF attendu dans les populations dont la fécondité est inférieure au seuil de renouvellement des générations, en particulier en Chine et en Inde. Les nouveaux résultats montrent aussi que certains pays dont la fécondité est inférieure au niveau de remplacement, comme les États-Unis, l’Australie et le Canada, maintiendront probablement leur population en âge de travailler grâce à l’immigration nette.

Ces prévisions d’une diminution de la population mondiale ont des implications positives pour l’environnement, le changement climatique et la production alimentaire, mais des implications négatives possibles pour la main-d’œuvre, la croissance économique et les systèmes de soutien social dans les régions du monde où la fécondité diminue le plus. Pour Christopher Murray, directeur de l’IHME, «l’inversion de la pyramide des âges aura des conséquences profondes et négatives sur l’économie et l’organisation des familles, des communautés et des sociétés». «Même si ces projections ne sont pas “gravées dans le marbre” et que des changements de politiques pourraient modifier les trajectoires des différents pays», mitige-t-il.

Cette évolution, qui intègre aussi « la mortalité et les migrations», «variera selon les régions et les pays». Les chercheurs de l’IHME «anticipent une possible redistribution des cartes économiques et géopolitique». «Même si la puissance d’un État ne se réduit pas nécessairement à la seule taille de sa population». Ainsi, «la Chine pourrait perdre près de la moitié de ses habitants (1,4 milliard aujourd’hui, 730 millions en 2100), avec un déclin du nombre de personnes en âge de travailler qui va  »entraver » sa croissance économique». Ce qui pourrait amener les États-Unis à «repasser devant la Chine d’ici la fin du siècle, si l’immigration continue à pallier la fécondité en baisse». D’autres pays pourraient voir, à l’instar de la Chine, «leur population réduite au moins de moitié». Parmi eux : le Japon (128 à 60 millions), la Thaïlande (71 à 35), l’Espagne (46 à 23), l’Italie (61 à 31), le Portugal (11 à 4,5), ou encore la Corée du Sud (53 à 27). La population de la France devrait au contraire augmenter selon l’étude, de «65 à 67 millions».

L’Afrique, le rêve ou le cauchemar ?

Une grande partie de la baisse de fécondité anticipée est prévue dans les pays à fécondité élevée, en particulier ceux d’Afrique subsaharienne où les taux devraient tomber en dessous du niveau de remplacement pour la première fois – d’une moyenne de 4,6 naissances par femme en 2017 à seulement 1,7 d’ici 2100. Au Niger, où le taux de fécondité était le plus élevé du monde en 2017 – les femmes donnant naissance en moyenne à sept enfants – le taux devrait baisser à environ 1,8 d’ici 2100. Néanmoins, la population de l’Afrique subsaharienne devrait tripler au cours du siècle, passant d’environ 1,03 milliard en 2017 à 3,07 milliards en 2100, à mesure que les taux de mortalité baissent et qu’un nombre croissant de femmes entrent en âge de procréer. L’Afrique sub-saharienne pourrait voir «tripler sa population (1 à 3 milliards), tirée notamment par le Nigeria (206 à 790 millions d’habitants), qui deviendrait en 2100 le deuxième pays le plus peuplé au monde derrière l’Inde mais devant la Chine» d’après l’étude.

Ainsi, l »Afrique subsaharienne est susceptible de devenir un continent de plus en plus puissant sur la scène géopolitique à mesure que sa population augmente. Le Nigeria devrait être le seul pays parmi les 10 nations les plus peuplées du monde à voir sa population en âge de travailler augmenter au cours du siècle (de 86 millions en 2017 à 458 millions en 2100), soutenant une croissance économique rapide et sa montée en puissance.

Le Dr Richard Horton, rédacteur en chef de The Lancet, a déclaré :  »Cette importante recherche trace un avenir que nous devons planifier de toute urgence. Elle offre une vision des changements radicaux du pouvoir géopolitique, remet en question les mythes sur l’immigration et souligne l’importance de protéger et de renforcer les droits sexuels et reproductifs des femmes. Le XXIe siècle verra une révolution dans l’histoire de notre civilisation humaine. L’Afrique et le monde arabe façonneront notre avenir, tandis que l’Europe et l’Asie perdront leur influence. À la fin du siècle, le monde sera multipolaire, avec l’Inde, le Nigeria, la Chine et les États-Unis comme puissances dominantes. Ce sera vraiment un nouveau monde, celui auquel nous devrions nous préparer aujourd’hui ».

La République Démocratique du Congo et l’enjeu de l’avenir

Pour ce qui est de la RDC, selon cette étude, en 2017, la RDC comptait entre 80-88 millions d’humains et les Objectifs de Développement Durable (ODD) la voyaient à environ 106,12 (73,79–156,78) en 2100. Les prévisions de la nouvelle étude étaient qu’en 2100 elle devrait compter environ 246,35 (170,29–346), et que contrairement à d’autres pays, ce sera en cette année qu’elle atteindra son pic, comme pour le Nigeria.

La question ici est donc de savoir si la RDC sera capable de nourrir suffisamment et indépendamment sa population. Celle de savoir si la RDC comprend que, contrairement au brouillard néomalthusien, le nombre est une force, et qu’on la trompe quand on la fait croire que la natalité est le problème. Celle de savoir si dans l’extrême complexité où sera le monde en ce moment là (il y est déjà), la RDC saura balancer avec les autres peuples, le destin de l’humanité, par un capital humain de pointe car extrêmement compétitif. Celle de savoir si la RDC se pose enfin la question de savoir comment, lui pays brisé à cause de ses matières premières stratégiques, gagnera son indépendance, sa dignité et sa souveraineté dans un monde en lutte à mort.

Voir la publication

Vollset SE, Goren E, Yuan CW, Cao J, Smith AE, Hsiao T, Bisignano C, Azhar GS, Castro E, Chalek J, Dolgert AJ, Frank T, Fukutaki K, Hay SI, Lozano R, Mokdad AH, Nandakumar V, Pierce M, Pletcher M, Robalik T, Steuben KM, Wunrow HY, Zlavog BS, Murray CJL. Fertility, mortality, migration, and population scenarios for 195 countries and territories from 2017 to 2100 : a forecasting analysis for the Global Burden of Disease Study. Lancet. 2020 Oct 17;396(10258):1285-1306. doi : 10.1016/S0140-6736(20)30677-2.

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